■ when i was eight.

Ca y était : enfin le grand jour. La fillette ne tenait pas en place, ses longs cheveux d’un roux flamboyant flottant autour d’elle alors qu’elle esquissait des pas de danse dans le salon familial. Assis non loin d’elle sur une chaise, son petit frère poussa un long soupir en regardant sa sœur ainée. Le coude posé sur la table, la tête dans la main, il ne pouvait s’empêcher d’insulter intérieurement sa sœur. Aller dans une ferme. Non mais sérieusement, qui pouvait rêver de devenir productrice de lait et de visiter une ferme ? Lui préférait de loin jouer avec ses petites voitures, elles étaient bien plus passionnantes. Quitte à visiter quelque chose, autant aller voir les usines produisant ces voitures dont il rêvait. Pourtant, aujourd’hui, il n’avait pas le choix : il allait devoir suivre sa sœur et ses rêves débiles.
Une heure plus tard, la petite famille Pillsbury se trouvait dans la ferme. Emma était rayonnante dans sa petite robe bleue marine, ses grands yeux bruns observant avec attention l’exploitation laitière. Timide, elle n’osait pas toujours poser les questions qui lui traversaient l’esprit, et pourtant il y en avait un certain nombre. Après avoir assisté à la dégustation des yaourts, la famille s’apprêtait à partir. Bien sûr, la fillette n’avait aucune envie de quitter cet endroit qu’elle admirait plus que tout. Elle s’imaginait déjà, quelques années plus tard, à la place de cette femme qui s’occupait des vaches à longueur de journée. Elle visualisait la scène à la perfection, dans les moindres détails. C’était ici qu’elle voulait être. Son frère, en revanche, n’était pas exactement du même avis. Il n’avait cessé de bailler à s’en décrocher la mâchoire tout au long de l’après-midi. A chaque fois, il lançait des regards noirs à sa grande sœur qui l’avait obligé à venir dans cet endroit qu’il détestait. Ce lieu était à ses yeux inintéressant, et à vrai dire rien que l’odeur des excréments de ce coté de la ferme le répugnait. Son regard se posa sur la fosse à purin et il fronça le nez. Quelle idée de vouloir travailler dans un endroit pareil ! Il n’y avait que sa sœur pour avoir de telles idées. Il soupira, et allait se précipiter vers la sortie de la ferme quand une idée lui traversa l’esprit. Son regard s’illumina un instant avant de se lever vers sa grande sœur qui était concentrée à mémoriser la moindre partie de la production laitière. C’est comme ça que personne ne vit rien arriver. Dans un élan de méchanceté et pour se venger d’avoir passé un aussi désagréable après-midi, le petit garçon, du haut de ses six ans, poussa de toutes ses forces sa sœur dans la fosse à purin. Pour elle, ce fut comme une scène au ralenti. Elle sentit les mains de son petit frère se poser dans son dos, puis une force la fit vaciller dans le vide jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans la fosse. Lorsque sa tête remonta à la surface, ses grands yeux bruns horrifiés se posèrent sur son petit frère, hilare devant la scène, mais qui bientôt vit les larmes lui monter aux yeux lorsqu’il sentit le coup de pied que son père lui envoya dans le postérieur. Sa mère, quant à elle, s’agitait dans tous les sens après avoir passé un bref moment les yeux écarquillés, incrédule devant la scène. Grâce à son aide, la pauvre Emma finit par remonter sur la terre ferme, pourtant, à partir de ce moment-là, elle ne serait plus jamais la même. En état de choc, elle mit un moment avant de reprendre ses esprits. Elle se souvint brièvement de ce qui suivit, à savoir la douche froide qu’on lui accorda dans la ferme pour la débarrasser de l’épaisse pâte qui recouvrait l’intégralité de son corps frêle. Tout ce dont elle était consciente était cette odeur nauséabonde qui avait pénétré ses narines. Une odeur qu’elle n’oublierait malheureusement jamais et qui la dissuaderait de retourner dans n’importe quelle ferme du pays par la suite.


■ when i was eighteen.

La fillette de huit ans s’était métamorphosée en une charmante créature qui comptait dix-huit printemps. La jeune fille était plutôt grande pour son âge et possédait une fine silhouette ; ses longs cheveux roux s’étaient transformés en un carré de la même teinte, contrastant avec sa peau diaphane et ses grands yeux d’un brun toujours aussi profond. En dernière année au lycée, on ne pouvait pas dire que la jeune fille soit des plus populaires. Loin du profil de cheerleader dont chaque garçon rêvait, elle ressemblait davantage à ces geeks accros du clavier, bien qu’elle n’ait jamais été une grande fan d’informatique. Elle possédait de rares amis, et au lycée, elle se contentait d’avoir de bonnes notes sans chercher à devenir celle qui ferait fantasmer la gente masculine. Pourtant, avec un tel charisme et une beauté pareille, elle aurait pu facilement devenir ce genre de fille que tout le Monde rêve d’être. Seulement, il y avait un détail qui coinçait. Il s’agissait de la mysophobie dont elle souffrait depuis désormais dix ans. Certains pourraient se dire qu’il ne s’agissait là que d’un détail, et pourtant c’était tout le contraire. Sa peur d’entrer en contact avec tout microbe ou saleté régissait sa vie. Elle ne pouvait s’empêcher de nettoyer le moindre objet qui viendrait à être en contact avec sa peau. Elle lavait ses aliments deux fois plutôt qu’une et les inspecter avec rigueur avant de les déguster. Lorsqu’on lui prêtait un simple stylo, elle sortait un petit mouchoir en tissu et le nettoyait avec ferveur. Enfin, quand elle devait pousser la poignée d’une porte, elle mettait un produit désinfectant sur ses mains avant et après avoir été en contact avec l’objet. Sa phobie tournait à l’obsession, et malgré tous les efforts qu’elle pouvait faire, elle ne parvenait pas à s’en défaire. Et bien sûr, ce comportement donnait tout sauf envie de la connaitre davantage. Aux yeux de la plupart des autres lycéens, elle apparaissait comme une pauvre maniaque solitaire qui parlait peu, trop timide et discrète pour être intéressante. Elle n’avait jamais eu de relation avec un garçon, pour la simple et bonne raison que dès qu’elle sentait que l’un d’entre eux se rapprochait d’elle, elle prenait ses distances. La peur au ventre, celle d’échouer dans une relation sérieuse, de voir sa phobie devenir une barrière entre elle et un potentiel petit ami. Bien sûr, il y avait toujours Mike. En fait, il y aurait toujours Mike, pour être plus exact. Mike, c’était le garçon timide et peu populaire, qui trainait souvent seul. Il avait le béguin pour elle depuis le début de la première, et elle n’avait jamais réellement comprit pourquoi. Peu sûre d’elle, elle n’avait aucune conscience du charme étrange qu’elle dégageait, malgré le fait qu’il fasse peur à plus d’un garçon. Mike, lui, avait toujours été fasciné par la jeune fille qu’il trouvait mignonne. Lui n’en avait que faire de ses manies, il ne voyait que sa gentillesse et sa générosité. Au fil du temps, ils avaient noué une amitié fragile et légèrement ambigüe du coté du garçon. Malheureusement cette amitié était sur le point de prendre fin.
Ce soir-là, il l’avait invité chez lui pour réviser la philosophie. Emma excellait dans cette matière tandis que son petit camarade semblait avoir de nombreuses difficultés à comprendre l’intérêt qu’elle pouvait revêtir. Ils s’étaient installés dans le bureau de sa chambre, qu’il avait passé l’après-midi à ranger de fond en comble afin que la jeune rousse soit à l’aise dans cet environnement. Après avoir révisé les notions principales, ils s’étaient pris une pause, pendant laquelle la jeune fille lisait l’article d’un magazine sur les désinfectants, tandis qu’il faisait semblant d’être intéressé par la reliure de son livre de philosophie. En réalité, il ne cessait de jeter des coups d’œil furtifs à la jeune fille dont les joues s’empourprèrent lorsqu’elle s’en rendit compte. Plantant son regard dans le sien, inquisiteur, elle fronça les sourcils en remarquant la fascination qu’elle décelait dans les yeux de son camarade. Elle se mit alors à jouer nerveusement avec l’une des pages de son magazine lorsqu’il eut enfin l’audace de prendre la parole.

« Tu es jolie, Emma. »

La jeune fille leva un sourcil dubitatif. Jamais personne ne lui avait fait ce genre de compliment qui, bien que mielleux, lui faisait plaisir dans un certain sens. Elle bégaya un instant, tentant de trouver une réponse convenable quand il prit son hésitation pour un accord. Il approcha son visage du sien, si lentement qu’il lui laissait le temps de prendre ses jambes à son cou. Pourtant, elle ne bougea pas d’un cil, se contentant d’écarquiller les yeux devant cette approche soudaine, son regard brun se posant sur les lèvres du garçon. Lorsque celles-ci ne furent plus qu’à quelques centimètres des siennes, son cœur fit un bond dans sa poitrine, se mettant à battre si fort qu’elle crut l’espace d’un instant qu’il allait en sortir. Alors l’inévitable se produisit, et les lèvres de Mike se pressèrent contre les siens. Emma tenta de vider son esprit et de profiter de l’instant au lieu de penser à tous ces microbes qu’il pouvait y avoir là-dedans. Pendant quelques secondes, elle y parvint, prenant part au baiser comme n’importe quelle adolescente l’aurait fait. Pourtant, lorsqu’il posa sa main sur sa joue, la faisant glisser jusqu’à sa nuque, la peur de la jeune fille réapparut d’un seul coup et elle se dégagea rapidement de l’étreinte du garçon. Elle sauta sur ses pieds, la respiration haletante et son rythme cardiaque engagé dans une course folle, elle adressa quelques mots confus à Mike avant de tourner les talons. S’élançant, elle courut à travers la maison jusqu’à se retrouver à l’extérieur, effrayée. Ne pouvant plus s’arrêter de courir, elle poursuivit son chemin jusqu’à chez elle où elle monta directement dans sa chambre, qui était un modèle de propreté et de rangement. Elle se jeta littéralement dans son lit, avant de plonger sous les couvertures. Et c’est là qu’elle resta toute la nuit, se repassant les images de la soirée en boucle dans son esprit. Sa première pensée fut qu’elle ne pourrait décidemment jamais avoir de relation sérieuse dans sa vie. Hélas, elle semblait se tromper.


■ when i was twenty-eight.

Assise dans son bureau, Emma Pillsbury observait Will Schuester, posté dos à elle devant la porte de la pièce, occupé à découvrir les petites annonces du panneau d’affichage du lycée de McKinley. Dix ans avaient de nouveau passé, et Emma avait pris plus d’assurance, bien qu’elle se révélait toujours être timide et réservée aux yeux des autres. Conseillère d’orientation dans un lycée, elle était bien loin de cette ferme où elle rêvait de travailler avant le fameux épisode dans l’exploitation laitière. Pourtant, son travail la passionnait. Après avoir fait des études de psychologie, elle avait décidé de postuler dans ce lycée en tant que conseillère et avait décroché le poste sans aucun problème. S’occuper des problèmes de lycéens semblait être assez paradoxal lorsque l’on connaissait ses interrogations sur le présent et l’avenir, ainsi que les incertitudes qui semblaient l’entourer. Toutefois, elle aimait être à l’écoute de ces jeunes qui venaient se confier à elle. A ses yeux, c’était comme une sorte de revanche sur son passé. Comme quoi, elle pouvait être en contact avec les autres sans que cela ne pose le moindre problème. Et dire qu’au cours de cette année, elle avait faillit démissionner une fois. A cette pensée, la jeune femme poussa un soupir, son regard toujours posé sur la silhouette du professeur d’espagnol du lycée. Cela faisait des mois qu’elle avait le béguin pour cet homme qui avait été dans un premier temps son ami, puis son petit ami avant de passer dans la catégorie des ex. Malgré tout, malgré le fait qu’elle sorte désormais avec un dentiste qu’elle appréciait sans aimer, malgré le fait que Will l’ait déçue au plus haut point quelques mois auparavant, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de forts sentiments à son égard. C’était plus fort qu’elle, et même après la séparation des deux mois d’été, elle y pensait toujours aussi souvent. Carl était pourtant un homme merveilleux qu’elle appréciait sincèrement, mais les sentiments qu’elle éprouvait pour lui étaient malheureusement bien loin d’égaler ceux qu’elle pouvait ressentir pour le professeur d’espagnol. Elle avait pourtant fait comme s’il n’en était rien, comme si Carl pouvait effacer l’image de Will dans son esprit, comme si, en fait, cela suffisait. Un nouveau soupir passa le seuil de ses lèvres. Quelle idée !
La jeune femme finit par se lever, après avoir replacé adroitement un stylo sur la surface lisse de son bureau. Chaque chose devait être à sa place, sinon elle ne sentait pas à l’aise. Elle avait récemment pris des rendez-vous avec un psychologue pour travailler sur sa phobie, et peu à peu les choses s’étaient améliorées, pourtant, ce n’était toujours pas assez, et l’obsession était toujours bel et bien ancrée chez elle. Chassant cette idée, elle s’engagea dans les couloirs du lycée. Will venait de quitter le panneau d’affichage et elle le voyait, au loin, marcher dans la même direction qu’elle. Elle savait exactement où il se rendait. A l’amphithéâtre, pour rejoindre ses élèves. Elle décida de l’y suivre, pensant qu’elle trouverait toujours une petite place au fond de la salle sans qu’il ne puisse l’y apercevoir. Emma avait toujours supporté les New Directions, allant même jusqu’à épauler Will quand il en eut besoin. A vrai dire, elle était leur première fan. Alors parfois, elle se rendait comme ça en cachette dans l’amphithéâtre pour les voir répéter. Comme ce jour-là, par exemple. Quelques minutes plus tard, elle se trouvait dans l’amphithéâtre, observant Rachel, Finn, Mercedes et les autres se disputer sur le devant de la scène avec Santana et Brittany à propos d’une histoire de costumes. Emma esquissa un sourire, et attendit que la répétition ne démarre. Elle retrouva un Will exigeant qui dirigeait le groupe avec l’autorité dont il avait toujours su faire preuve. Au milieu de la répétition, Emma décida de repartir vers son bureau, au cas où un élève aurait décidé de venir se plaindre de tel ou tel problème. Lorsque son coude poussa la porte – bien sûr, il était hors de question qu’elle pose ses mains sur cette porte pleine de microbes – elle jeta un dernier regard au groupe avant de croiser le regard du professeur qui l’observait au loin. Après un bref moment, elle se retourna et quitta enfin l’endroit.
Et le soir même, alors qu’elle était en plein rendez-vous avec Carl, cette image de Will refit surface dans ses pensées, ce qui lui valut un nouveau soupir. Si seulement les choses pouvaient être plus simples…