&
Morgan & Saphira

Assise sur le devant de la scène elle lisait une nouvelle fois paroles et partitions dans l’espoir de rendre cette chanson plus, « digérable ». Elle se doutait des raisons pour lesquels on l’avait mise sur ce duo. L’émotion faisait partie intégrante d’une/d’un bon chanteur. Pour donner envie d’être écouté il ne suffisait pas d’avoir une belle voix, d’avoir une technique irréprochable. Il fallait aussi et surtout pouvoir faire ressentir chaque note, chaque son à son auditoire. Dégager de chaque mot une émotion. Et l’émotion générale de cette chanson ne correspondait que trop bien à ce qu’elle pouvait ressentir depuis la mort de sa mère. Elle était entrée récemment dans la chorale. Son le coup de pousse d’Ezrael qui, encore une fois, avait été formidable avec elle ces dernières semaines. Il l’avait convaincu qu’elle devait reprendre une vie sociale, reprendre des activités, que sa mère n’aimerait pas la voir s’apitoyer sur son sort. Et il avait raison, sa mère aimait voir sa fille de toutes les parties, danser pour le lycée, chanter avec la guitare que son père lui avait achetée. Elle aimait le tourbillon que toutes ces activités donnaient à la maison et jamais, oh grand jamais, elle n’aurait accepté qu’elle n’abandonne ces plaisirs à cause d’elle. Seulement, et malgré ses bonnes résolutions, elle n’était pas certaine de parvenir à chanter cette chanson comme elle le méritait. Elle n’était pas certaine de pouvoir tenir le rôle qu’elle s’était attribuée depuis la mort de sa mère. Celle d’une jeune fille forte, qui s’accrochait de son mieux à l’existence sans faire ressentir son mal-être. Chose qui ne fonctionnait pas très bien d’ailleurs, aux vues des bruits de couloirs qui courraient à son sujet. « Pauvre petite orpheline qui fait les mauvais choix ! ». Une cherrios, ancienne ou pas, ne rentrait pas dans une chorale comme cela… Pas même avec ces antécédents, même si et elle devait bien l’avouer, que ce soit grâce à ses relations ou/et à sa tragédie, elle avait été plutôt épargnée par le gros de ce que l’on avait l’habitude de faire subir aux élèves dans sa position.

Epuisée de lire des paroles, qu’elle n’arrivait pas à lire sans avoir envie de pleurer, elle se leva et décida de mettre la stéréo en route pour l’écouter et ressentir ce que la chanteuse elle-même avait voulu dégager avec elle. Elle écouta les premiers vers, debout, les laissant la pénétrer lentement avant de finalement et brutalement cliquer sur le bouton off. Saphira se prit la tête entre les mains. Désespérée par la situation. Elle n’avait pas envie d’abandonner le projet, elle ne voulait surtout pas s’arrêter à la première difficulté. Sans oublier que et même si elle ne connaissait encore que de vue son partenaire, elle ne voulait pas lui faire faut bon parce qu’elle serait incapable de gérer ses émotions. C’est d’ailleurs à cet instant précis de sa réflexion que ledit partenaire entra dans la pièce. Elle se retourna face à lui, prenant une inspiration avant d’afficher sur son visage une expression de bon accueil.

-Hey ! Salut, tu es Morgan c’est ça ? Je suis Saphira !

Elle le rejoignit en lui tendant simplement la main. Elle avait l’habitude d’être accueillante avec le tutorat.

-J’imagine que tu aurais aimé chanter avec une personne ayant un peu plus d’expérience ! Mais je te promets de faire de mon mieux.

Et cette promesse elle se la fit à elle-même également. Pour sa mère et pour lui, elle parviendrait à chanter cette chanson.

-Prêt ? Tu as une idée du découpage ? Un paragraphe qui te tente plus qu’un autre ?

Elle parlait calmement ne sachant trop comment il avait l’habitude et la volonté de travailler.

L'éternelle question se posait toujours à Morgan à chaque fois qu'il devait se rendre dans la salle de musique des Awesome Voices. Son palpitant le tiraillait entre l'envie de chanter et l'angoisse d'être découvert par la masse. Bloqué à son casier, essayant d'être normal alors qu'il était sous pression, l'adolescent regardait défiler les élèves. Il ferait comme d'habitude, rentrer en quatrième vitesse quand personne graviterait dans l'aile gauche. Mais au vu de l'heure, il pouvait toujours attendre. C'était la raison pour laquelle il était coincé à son casier depuis un quart d'heure à faire et défaire son rangement scolaire pour faire style qu'il faisait quelque chose. Voyant le temps défiler et n'osant jamais y aller, son cerveau lui rappela ce qu'aurait pu être sa vie s'il avait été choisi pour prendre part aux Awesome Direction… Rien que l'idée le rendait encore plus angoissé qu'il ne l'était.

Soudain une main se posa sur son épaule, ce qui eut pour résultat de le faire sursauter. Il fit volte-face pour voir de qui il s'agissait. Lorsqu'il eut du rouge plein les yeux, il réalisa qu'il se retrouvait devant une bande de sportifs. Anciens collègues, Moore sourit stupidement comme pour leur dire "Salut, non non je vais bien et vous aussi, cool. Au revoir?". L'un d'eux engagea de suite la discussion :

"Yo! Mo! Qu'est-ce que tu fous ici! Rejoins la Team… T'étais bon, mec. Moins que moi, bro mais franchement…"

Question sempiternelle de la part de ses anciens coéquipiers qui mettait mal à l'aise Morgan à chaque fois. Il devait leur servir un ersatz d'excuse.

"Yeah man! Ça faisait une paye qu'on s'était pas croisé! Sérieux j'suis désolé d'vous avoir lâché! Mais tu connais mon vieux! Il m'a trouvé une équipe qu'il juge meilleure pour moi… Et tu sais qu'il peut être pire que la Silvester parfois…"

Devant les onomatopées de ses collègues au énième service de cette excuse bidon, il sourit à nouveau stupidement pour leur dire : "Allez cassez-vous les mecs!". Cette fois-ci cela marcha. Après quelques informations sur laquelle des cheerios était la plus hot en ce moment, Morgan fit mine de prendre des notes et salua ses ex compagnons de terrain et put enfin relâcher la pression. Ils étaient partis et personne ne semblait se préoccupé de ce qu'il se passait dans le couloir. Sautant sur l'occasion, il referma à moitié son casier et fila droit vers la porte de la salle de musique, cachant sa tête derrière des livres de littérature. Dès qu'il entra, il referma de suite la porte et dévoila son visage ardemment masqué par Romeo & Juliette.

Lorsqu'il se tourna, il croisa le regard de Saphira qui le salua et s'avança en tendant la main. La sociabilité de la cheerios surprenait toujours Moore qui lui rendit la pareille. En général il faisait cela avec les gars mais bon… Puis elle en vint à parler de la chanson à interpréter. Morgan sourit alors, normalement cette fois-ci, et lui répondit :

"Ne t'en fais pas Saphira, Mister R ne laisse pas entrer n'importe qui dans les Awesome Voices."

En disant cela, il se sentait un peu coupable de n'être qu'un demi membre du glee club. Il avait menti à chaque représentation de sa chorale pour ne pas monter sur scène devant tout le monde. Il prenait juste part aux duos ou mashups des Awesome Voice. Il culpabilisait de ne pas pouvoir assumer sa vie partiellement… Elle en vint ensuite à parler de la musique qu'ils devaient travailler. De son côté Morgan connaissait déjà cette musique grâce à sa grand-mère maternelle. Elle racontait tout le temps que c'était une juive exilée d'Europe mais personne d'autre dans la famille ne venait affirmer ses dires. Comme personne ne la contredisait aussi, elle racontait ce qu'elle voulait. Bref. Grande fan de Barbara, Morgan avait entendu ce morceau en boucle chez son ancêtre nombre de fois. C'était pour dire qu'il connaissait les paroles et le rythme. En apprenant qu'il devrait chanter dessus, il avait chanté cette chanson chez lui, seul dans son lit, sous la douche… en fait à chaque fois que son père n'était pas à la maison. Et à chaque fois il avait pleuré, il avait craqué… Cette mélodie était pour Allan! Il le savait et cela le touchait profondément. Il s'était donc fait pleuré avec des oignons avant de venir à McKinley High pour éviter de fondre comme une madeleine lors des répétitions avec Saphira. Il n'avait pas bu de la journée, espérant que son corps retiendrait le peu d'eau qu'il a en réserve… Avec son naturel réservé mais sachant toujours ce qu'il voulait, il expliqua à sa partenaire sa vision du duo.

"Pour le peu que j'ai analysé la musique, il serait sympa de finir ensemble à partir de Touch me… Après on peut prendre chaque un couplet, ça ferait Midnight… et Daylight… pour l'un et pour l'autre Memory… et Burnt out."

Doucement, il commença à fredonner le début. Sa peau le tirait, ses poils se dressaient, ses yeux s'embrumaient. Il cessa de chanter et regarda Saphira.

"Qu'en penses-tu?"

&
Morgan & Saphira

*Aller on se concentre !*

L’accueil se fit avec un sourire qui ne gagna malgré tout, pas entièrement son regard. Elle redoutait cette chanson sur laquelle elle n’avait pour l’instant pas même émis un son. Elle voulait néanmoins la faire, pour sa mère, pour son père mais aussi pour tous ceux et toutes celles qui avaient un jour perdu un être cher. Elle voulait utiliser ce qu’elle ressentait, cette peine qui ne la quittait pas pour rendre toute sa beauté et tout l’intérêt de cette chanson. Alors elle s’était lancée et avait ouvert le dialogue lorsqu’il avait passé la porte, puis constatant l’ouvrage qui avait un instant caché son visage, elle avait entamé…

-« Ton nom est mon ennemi. Tu n'es pas un Montague, tu es toi-même. Qu'est-ce qu'un Montague? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras, si n’est un visage, ni rien qui fasse partie d'un homme... Oh! Sois quelque autre nom! Qu'y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède... Roméo, renonce à ton nom; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière. » C’est l’une de mes citations favorites.

Elle adorait la littérature, elle adorait ces écrits romantiques, ces grandes histoires d’amours comme : Roméo&Juliette, Tristan&Iseult, Miss Elizabeth & Mr Darcy, Penelope & Ulysse… Elle envisageait même de poursuivre ses études en littérature avancée, si elle ne parvenait pas à tenir la route au niveau artistique. Viendrait le moment où elle devrait faire un choix entre la sécurité et la prise de risque. Mais pour l’instant, elle se contentait de survivre, d’user et d’abuser de ses passions.

-Tu aimes ?

Poursuivit-elle, oubliant un instant la raison de leur présence en ce lieu. Puis, faisant le rapprochement entre l’extrait qu’elle lui avait déclamé et sa question, elle préféra préciser.

-La pièce je veux dire ! Shakespeare, en général ?

*

Après quelques instants la conversation ils finirent par revenir sur la raison de leur présence en ce lieu. A savoir, le chant, cette triste et si belle chanson qui leur avait été confiée et dont ils devraient maîtriser chaque variation et préparer une chorégraphie qu’ils pourraient présenter devant la classe. Elle ne connaissait pas bien Morgan, pour ne pas dire pas. Ils se croisaient simplement dans les couloirs ou au club, ils avaient jusqu’ici été agréable l’un envers l’autre sans jamais creuser sous la surface. Peut-être que c’était l’occasion pour en apprendre un peu plus sur l’autre. S’ouvrir un peu…

Pourtant, elle ne put que lui sourire et opiner du chef pour accepter sur idée de découpage. Il semblait maîtriser à merveille cette chanson qui leur avait été confiée. Avait-il travaillé sur le sujet ou bien le touchait-elle personnellement ? Toujours est-il qu’il l’a surpris lorsqu’il la chanta doucement. Pour la première fois elle écoutait sa voix. Dénuée de toutes celles qui l’accompagnaient généralement. Et au plus profond d’elle-même, en plus des paroles bouleversantes qu’il prononçait, il touchait une corde sensible. Aussi s’était-elle assise pour le contempler avant qu’il ne lui demande ce qu’elle en pensait.

-Tu as vraiment une très belle voix tu sais ?!

Aucune moquerie dans sa voix, elle avait presque murmuré son opinion dans un sourire. Elle n’était pas aussi étonnée qu’elle pouvait le lui laisser penser pourtant. Comme il l’avait dit lui-même Mister B était exigeant alors s’il était dans le club c’était qu’il avait du talent. Mais discret, c’était la première fois qu’elle en était témoin et elle devait bien l’avouer, il l’avait complètement enthousiasmée…

-Tu ne voudrais pas… chanter encore un peu… pour que je vois ce que ça donne je veux dire. Je… ne la connais pas très bien et… Ca t’ennuis ?

Elle ignorait s’il répondrait favorablement à sa demande, si même elle ne le dérangerait pas. Mais ce qu’elle savait par contre, c’était qu’elle n’était pas prête à l’entamer avec lui. Une boule dans la gorge, subjuguée par son talent, elle avait plus de l’entendre chanter ou même envie de parler que de s’exprimer d’elle-même sur le sujet.
Plus tard elle lui demanderait ainsi…

-Cette chanson te touche vraiment n’est-ce pas ? Toi aussi tu as perdu quelqu’un je me trompe ?

Il n’était pas obligé de répondre, ni même de dire quoique ce soit, mais elle croisait le regard qu’il affichait chaque matin dans son miroir, elle savait reconnaître cet éclat particulier qui pouvait ternir un regard et alourdir le cœur. Mister B avait-il choisit de leur confier cette chanson à raison ?

Le simple fait que Saphira évoqua une tirade de l'œuvre : Romeo & Juliette étatit pour Morgan un gage particulier. Il avait ce dicton qui se vérifiait très souvent : "le savoir c'est comme la confiture, moins on en a plus on l'étale". Voilà pourquoi, devant son intelligence certaine, le garçon préférait passer pour un idiot voir un crétin fini. Lucide sur sa condition, il n'avait rien à prouver aux autres sur ses capacités mentales ou physiques. Lorsqu'il entrait directement en conversation avec un expert, comme M Brooks, là il faisait don de sa science à qui la voulait. Autrement, en petit comité sélectionné, Morgan révélait sa réelle intelligence. Sinon le reste du temps, il faisait comme la moyenne des garçons : baver sur les filles et roter. C'était pourquoi, quand elle posa sa question sur Shakespeare, il répondit :

"Mouarf… Il n'y a pas d'images…"

Il l'avait pu, il en aurait rigolé. Dire qu'il s'était fatigué les yeux à lire des romans qui pesaient un bras et il sortait un réplique de footeux basique avec un aplomb réaliste convainquant.

Après sa petite interprétation, il fut félicité par sa camarade qui en redemanda. Alors qu'il se concentrait pour recommencer, elle lui asséna une autre question. Surpris par celle-ci, il détourna très vite le regard. Quelle idiote de parler de cela. Avait-il l'air heureux? Malheureux? Pourquoi devait-elle lui rappeler qu'il avait perdu l'être qui comptait le plus pour lui. Etait-ce marqué sur son front? N'avait-il pas le droit de taire ses peines. Fronçant les sourcils, concentrant son esprit sur les choses qu'il l'énervait, il voulait à tout prix éviter de pleurer. Quand il pensa à son père, la haine prit la place de la peine, l'angoisse de la tristesse et Morgan put enfin répondre à Saphira. Sur un ton neutre mais vif, il dit :

"Pourquoi dis-tu ça? Ah! Parce que tu trouves que mon interprétation était bonne? Alors tu penses que c'est parce que j'ai vécu ça… tu as raison… J'ai bien perdu mon chien il y a deux ans. On a du le faire piquer et depuis je refuse d'avoir un autre animal. D'ailleurs la chanson parle de lampadaires et tu vois… tous les soirs… je… je sortais Rocky et… et… Oh mon Dieu!"

Portant à son visage ses mains, il masqua ses yeux. Il prit une grande inspiration, Allan lui manquait énormément. Comment pouvait-il vivre en sachant qu'il était mort? Cette chanson était pour lui, il devait bien trouver une excuse bidon pour justifier ses potentielles larmes. Il avait beau essayer de ne pas pleurer, ne pas boire d'eau, se faire pleurer avant… C'était impossible pour lui de ne pas craqué en chantant. Il inventa l'histoire du chien, complètement fausse pour expliquer cela. Posant ses mains sur sa poitrine, comme les trois quarts des divas quand elles sont émues et poursuivit :

"Merci… ça fait du bien d'en parler. Je vais tâcher de ne pas craquer pendant la chanson. Surtout au mot lamplight… Bon… hum, hum! J'y vais…"

Les bras descendu le long du corps, il régula sa respiration, rythma les vas et viens de son estomac, ressentit en lui l'air circuler. Une fois sa colonne d'air mentalisée, il se lança.

" Midnight
Not a sound from the pavement
Has the moon lost her memory
She is smiling alone
In the lamplight
The withered leaves collect at my feet
And the wind begins to moan

Memory, all alone in the moonlight
I can dream of the old days
Life was beautiful then
I remember the time I knew what happiness was
Let the memory live again
Every street lamp seems to beat
A fatalistic warning
Someone mutters and the street lamp sputters
Soon it will be morning

Daylight
I must wait for the sunrise
I must think of a new life and
I mustn't give in
When the dawn comes
Tonight will be a memory too
And a new day will begin

Burnt out ends of smoky days
The stale court smell of morning
A street lamp dies
Another night is over
Another day is dawning

Touch me,
It is so easy to leave me
All alone with my memory
Of my days in the sun
If you'll touch me,
You'll understand what happiness is
Look, a new day has begun...!"

Sa voix était place, il pouvait monter dans les aïgues car il était Tenor. Sa tessiture était élevée mais il avait une largesse d'amplitude conséquence. La chanson passa donc comme une lettre à la poste, populairement parlant. Lorsqu'il prononça Touch me, un frisson le parcouru. Comme si un fantôme ou la mort l'avait traversée. Il en était sûr, Allan était là. Il l'écoutait. C'était certain.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, il regarda Saphira. Retenant ses larmes au plus profond de lui, il passa qu'en même la paume de sa mains sur ses yeux comme pour les nettoyer. D'un geste doux et fluide, il toucha l'épaule de sa partenaire et l'invita à chanter à son tour.

"Allez… A ton tour. Fais-moi frissonner!"

Apparemment elle s’était trompée. Mais pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Qu’il n’ait pas envie de parler, pas envie d’apprendre à la connaître c’était son choix et elle n’obligeait personne à faire des efforts en ce sens. Qu’il se satisfasse des bruits de couloirs ou qu’il préfère rester seul avec sa tristesse dans son coin elle pouvait le comprendre bien plus qu’il semblait l’imaginer. Elle-même n’avait fait aucun effort ces derniers temps. Elle avait laissé le monde tourner pour elle, avait à peine ouvert la bouche en cours, avait abandonné les cherrios pour se replier sur elle-même. Seuls ceux qui la connaissaient, qui avaient appris à voir derrière cette façade de douceur et de calme avaient pu et pouvaient se montrer présent pour l’aider à surmonter la crise. Alors oui, il n’avait pas envie de parler et alors, c’était son droit, elle n’allait pas l’y pousser. Tout lui semblait tellement plus simple quand il chantait. Sa voix était juste sublime, aussi ne lui répondit-elle rien quand il se joua d’ironie sur la perte de son chien. Que ce soit vrai ou non, elle n’imaginait pas qu’il ait pu se méprendre sur ce qu’elle avait voulu lui dire. Perdre un chien n’était pas évident mais perdre un être cher, un être humain qui vous est proche s’était encore quelque chose de différent. Quelque chose de trop récent pour elle, pour qu’elle puisse apprécier ce genre de plaisanteries. Néanmoins et face à sa demande, alors même qu’elle allait perdre patience, il céda à sa demande et reprit la chanson, lui coupant la chique par la même occasion…

Longuement elle l’écouta, il savait user de sa voix comme d’un instrument précieux, jouant de chaque corde, chaque intonation. Utilisant chaque note pour faire ressortir une émotion. Elle revit les sourires et les éclats de rire de sa mère, elle revit ses moments de bonheurs qui lui manquaient tant. A travers les paroles qu’il prononçait elle s’évadait loin de cette salle quelque part où les souvenirs sont roi. Seulement trop vite à son goût la chanson toucha à sa fin même si elle avait eu le mérite de lui faire ravaler son agacement et les paroles sèches qu’elle avait eu l’intention de lui tenir. Il lui fallut d’ailleurs de longues secondes pour remettre de l’ordre dans son esprit torturé avant de pouvoir s’exprimer sans avoir peur de perdre le contrôle de sa voix.

-Tu es un sacré bon chanteur tu sais ! Pourquoi ne pas te mettre plus en avant chez les AV, tu es tellement doué, c’est dommage ?

Elle vint chercher sa conseillère, sa guitare alors que le disque se taisait lentement. Elle gratta quelques cordes doucement pour retrouver la mélodie, elle avait ouvert les yeux un instant, pour le regarder simplement, plonger un regard scrutateur dans le sien. Puis elle s’était lancée. Sa voix douce mais rocailleuse s’était élevée alors qu’elle fixait les cordes de sa guitare. Apaisée de l’avoir entendu chanté elle s’était laissée accaparer par la partition et par les cordes qu’elle grattait.

Sa voix demandait à être travaillée, mais à la douceur, à la tristesse de cette chanson, elle apportait une certaine forme de fraîcheur. Elle ne s’embêtait pas de grande performance de voix, elle la chantait juste avec délicatesse, comme elle aurait pu le faire, assise dans le cimetière, pour sa mère. Puis, la chanson s’acheva finalement sur quelques accords de guitare… Elle le laissa alors s’exprimer sur sa performance avant de répondre à la question qu’il lui avait posé un peu avant, cette question à laquelle elle n’avait pas répondu par agacement.

-Je croise ton regard chaque matin dans mon miroir !

Elle l’avait contemplé un instant, lui souriant doucement pour lui laisser le temps de comprendre avant de reporter son regard sur la guitare que ses parents lui avaient acheté des années auparavant.

-Et crois-moi j’ai eu le temps de le repérer !

Termina-t-elle en se moquant et revendiquant volontairement son côté coquette et narcissique.

-Mais dis-moi ? Tu danses aussi bien que tu chantes, parce que si c’est le cas, on a une place chez les cherrios et je suis persuadée que l’uniforme t’irait à merveille, ça change un peu de l’équipe de foot mais…

Elle se moquait gentiment, elle cherchait seulement à détendre l’atmosphère. Ils ne se connaissaient pas vraiment, n’avaient pas fait d’effort jusqu’ici pour apprendre à se connaître, mais qui sait, le chant parviendrait peut-être à les lier d’amitié s’ils arrivaient à se comprendre...

Félicité par la demoiselle, Morgan resta sur ses retranchement. Vint enfin le moment pour elle de chanter. Mais elle opta pour un accompagnement à la guitare. Spécial par sa simplicité mais épatant à sa façon. Il mit un petit moment avant d'émettre l'hypothèse que Saphira était touchée par la musique. Comme il l'était aussi, à un autre niveau peut être. Sans occulter ce point, il se concentra sur elle et l'évolution de la situation.

"Ben t'étais super. Sérieux! J'pense que le duo va déchirer. En plus tu joues bien d'la gratte. Mister R sera scotché!!"

Moment de sympathie, il relâchait les crocs, baissait les barrières, regardait moins ses arrières. Il devait apprendre à vivre avec les autres, à assumer sa vie… Cette fille semblait être bizarre ou bipolaire. Mais elle semblait vraie. L'opposé de Morgan qui jouait un rôle la quasi totalité de sa vie. Ce petit grain de minette commençait à plaire à Moore. Enfin jusqu'à ce qu'elle vrille sur les cheerios. Humour! Ah vire langues, contrepèteries et autres jeux linguistiques? Combien de fois avez-vous été responsables de malentendus?
Regardant la fille avec un air mitigé, ne sachant c'était à boire ou à manger, il lui servit une réplique à la hauteur de sa réflexion.

"C'est sûr qu'avec moi, vous gagneriez votre concours, mais mon agent refuse que je signe un nouveau contrat sans être payé correctement. Pas sur que la Silverster me donne un salaire pour remuer mes fesses devant la foule."

Tout aussi imagé, il avait dépeint la condition de cheerios comme il l'a pensé. Pour sûr, les pompons girls étaient pas toutes mais pour la plus part superficielles, insipides voir débiles. Il ne mettait Saphira dans aucun panier mais il avait juste annoncé la couleur.

"Et pour information, si je reste en retrait dans la chorale, c'est parce que Mister R a ses chouchous. Tu le sais attends que moi… Mais la vie est ainsi, compétition, compétition. Le monde du sport n'est donc pas si éloigné de celui de la vraie vie. Les plus forts survivent, les favoris gagnent et les autres subissent. Mais je ne m'en plains pas. J'accepte cela avec compréhension, un jour peut être la lumière sera pour toi ou pour moi. Mais je t'avoue que je m'en passe. Je ne fais pas ça pour être une star. Comme cette tarée de Berry. Je veux juste passer du bon temps. Chanter est pour moi un passe temps parce que je suis pas incompétent dans ce domaine. Le reste n'existe pas pour moi. Je n'envisage pas d'être une star, c'est pour moi un passe temps. J'suis peut être un enfoiré d'égoïste à tes yeux mais ça ne me dérange pas. J'reste honnête avec moi… Mais si c'est ton truc à toi : marcher devant les autres, pas de problème pour moi. Tu peux même être la seule à chanter, je me contenterais de faire les chœurs. J'te laisse juge."

Dans un subtile demi tour style robot, il voulait montrer à sa coéquipière qu'il savait danser sans avoir à lui dire. Morgan préférait que les gens comprennent par eux même. Sans faire le moindre cas de ce pas, il s'assit sur un chaise et sortit de sa poche un fluo.

"Alors, Barbara! Quelles sont mes parties? Ou tu me vois mieux en chœur?"

Prêt à surligner les paroles qu'il devrait chanter, il attendait la réaction de Saphira. Il savait qu'en faisant monter la pression, soit elle pétait un plomb contre lui soit elle s'adoucirait. A chacun sa manière de réagir mais c'était comme ça que Morgan faisait connaissance… Dur n'était-ce pas?

Elle était comme toutes les filles finalement, être une cherrios une championne, être enviée et reconnue, être adulée et respectée sans oublier le prestige de l’uniforme et les beaux joueurs de l’équipe de foot. Il fallait l’avouer, c’était ce qui l’avait incité au départ à tenter sa chance. Qui l’avait poussé à participer aux soirées, se bourrer la gueule et manquer de se faire violer. Et puis finalement, elle s’était rendu compte que si elle aimait danser, si elle aimait encourager les joueurs et l’ambiance des répets et des jours de match, elle n’était pas l’image même de la jolie fille superficielle qui ne compte que sur son déhanché et ses longues jambes, du moins elle n’aspirait pas à cela. Elle attendait plus de la vie que de se retrouver mariée à un joueur de foot, pondre ses marmots, les élever et attendre qu’il rentre le soir du bar ou du lit de son amante pour le nourrir et lui parler de sa journée. Sans prétention de sa part, elle attendait plus de la vie, elle attendait une certaine indépendance financière, un certain équilibre dans son couple, un certain avenir tout simplement. Elle n’était pas une féministe pour autant, elle espérait juste pouvoir un jour regarder en arrière et être fière d’elle, fière de ses choix et de ses ambitions.

Alors aujourd’hui, si elle était Cherrios s’était uniquement par plaisir – enfin si on exclut la célèbre dureté de Sue Sylvester – elle y était pour danser, participer à la vie du lycée, sentir l’adrénaline la gagner alors que l’équipe qu’elle supportait jouait (que ce soit l’équipe de foot, de basket ou autre d’ailleurs) et puis, c’était un bon moyen d’être avec la plupart de ses amis, comme Puck, Greg et depuis peu, Madison.

Aussi prit-elle avec le sourire sa vision pas si erronée que cela du monde dans lequel elle évoluait, s’étaient les aléas, elle ne pouvait le nier… Alors et légèrement rougissante face à ses compliments elle finit néanmoins par reprendre avec ironie comme pour changer de sujet…

-Ha non tu es injuste avec Sylvester ! Elle nous paie… en sueur, en larmes, en insultes et en démotivations chroniques, sisi je te jure on est grassement payée. Si on ne se brise pas une jambe ou un bras, si on est capable de camoufler nos bleus et de ne pas tomber enceinte durant l’année scolaire ou de le faire en gardant le sourire et en acceptant d’effectuer chacune de ces nouvelles idées farfelues de cascades alors on a parfois le droit à un : peu mieux faire !

Un petit sourire en coin, plein d’ironie gagna son visage. Mais autant dire que la leçon avait été durement apprise, la grossesse de Quinn avait eu un certain nombre de conséquences sur l’équipe et l’ensemble des cherrios avaient morflé en même temps qu’elle. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître Saphira trouvait en Sue une certaine… générosité. Bien sûr elle ne le dirait pas à haute voix, mais… Sue n’avait pas trop râlé quand elle lui avait demandé de réintégrer les cherrios. Au contraire même, si ce n’est sa demande d’être à la hauteur physiquement et de rattraper le groupe, elle avait presque été… sympathique, compréhensive même.

Mais heureusement, alors qu’elle s’interrogeait sur sa coach, Morgan ramena la conversation sur le sujet qui les avait amené en ce lieu, à savoir la chorale et la chanson. Pour la première fois il se livra un peu, répondant finalement à sa question. Il n’en avait pas l’occasion – l’envie aussi – de faire étalage de son talent et n’avait pas l’intention de devenir une star ce qui tira un nouveau sourire à Saphira. Elle pouvait le comprendre, néanmoins et parce qu’elle fonctionnait ainsi le reprit-elle lorsqu’il eut terminé.

-Tu es bien plus que « pas incompétent dans ce domaine »… commença-t-elle en reprenant ses propres termes. Tu as beaucoup de talent, ton oreille semble sûre et si j’osais... Je ne cherche pas plus que toi à devenir une star, je profite juste de ma passion. J’aime chanter, j’aime danser, j’aime la théâtralité qu’on nous demande d’opérer. Ma mère voyait en moi une star, mais pour ma part et même si je ne rejette pas complètement cette idée j’ai plutôt envie de faire des études de littératures… En bref, et sans plus t’ennuyer avec ma vie, je veux juste te dire que je comprends parfaitement ce que tu veux dire mais que tu as beaucoup de talent et que j’ai hâte de voir les membres de la chorale abasourdi en t’écoutant. Alors ne compte pas t’en sortir aussi facilement, la moitié de la chanson est pour toi, dis-moi tu joues d’un instrument ?

Elle le laissa répondre dans un premier temps avant de lui faire sa proposition pour le duo.

-Je me disais qu’on pourrait plutôt tabler sur une version plus personnelle, s’accompagner simplement de nos instruments plutôt que de « valser » en chantant mais c’est comme tu veux, tu sembles avoir un groove assez sympa ? Et pour le découpage j’aime ta première proposition ou bien on pourrait :

Spoiler:

-Qu’en dis-tu ?

Elle plongea son regard dans le sien, un sourire doux sur le visage. Peut-être que ce duo se passerait bien finalement.

L'atmosphère commençait à s'orienter vers l'humour ou du moins la relaxation. Il était vrai que depuis le début, une légère tension avait animé les deux chanteurs. Cela semblait s'être calmé voir s'améliorer. Enfin, l'avenir le dirait. Morgan laissa parler sa partenaire qui lui donna son avis sur Sue Silverster. Il trouva très amusant la manière dont il répondit. Il nota qu'elle était dotée d'humour et que cela était appréciable. Elle remit ensuite une couche sur les qualités vocaliques de Morgan avant de parler d'elle. L'emploi du passé quand elle en vint à parler de sa mère, confirma à Moore que Saphira avait bel et bien perdu un être cher. Voilà pourquoi, l'allusion au chien était à ses yeux de mauvais goût. Sans réellement culpabiliser, il s'en voulait un peu car il se mit un moment sa place. Si le peu de personnes avec qui il parlait de la perte d'Allan se moquait de cela, il en serait encore plus retourné. Elle lui demanda s'il jouait d'un instrument. Il hésita un moment à lui répondre, il esquissa un vague "Wouai..". Il n'avait pas spécialement envie de s'étendre sur le sujet. Il préférait laisser Aaron seul juge de ses exploits de guitariste. Même si un jour Harper apprendrait qu'il savait jouuer de l'instrument à corde portatif.

Revenant à ce pourquoi ils étaient là, Saphira décrit à Morgan la répartition qu'elle voyait. D'accord avec elle, il surligna toutes ses répliques pour être certains de ne pas se tromper. Il chanta rapidement la chanson, accentuant ses parties. Il se rendit compte que certains passages devraient leur donner du fil à retordre et exiger d'eux une sacrée coopération. Mais que nenni, il aimait les défis, la compétition! Il était paré!

"Ok Miss! Pour moi c'est bon! Reste plus qu'à répéter, encore et encore! J'veux que Mister R nous bénisse quand on lui chantera cette musique. Qu'il nous acclame et qu'il te donne un premier rôle pour le prochain show! J'suis sûr que tu vas briller! Allez Saphira au taf!"

Comme il n'était pas décidé à lui parlait de ses connaissances en guitare, il se mit derrière le piano et commença le début. Plus habile sur le gros instrument que sur le petit, ses doigts frôlaient les touches avec délicatesse. Après un court instant, il débuta la chanson, tout du moins sa partie. Sa tessiture de ténor lui permettait d'atteindre des notes aigües sans pour autant être un soprano. Aussi à l'aise avec les graves, il ne rivalisait pas avec les baritons mais il pouvait descendre sur certaines notes aisément. A la fin du premier couplet, il cessa de pousser de la voix et fixa Saphira et avec un regard sympathique l'invita à poursuivre.

Spoiler:

Rien n’était simple et le choix de Saphira le témoignait. Elle ne voulait pas tomber dans le mielleux. La proposition qu’elle lui avait faite allait dans ce sens d’ailleurs. Ca ne serait pas facile, ça allait leur demander énormément de travail mais, et aux vus de sa voix et des notes de piano qu’il transformait en douce mélopée ils pourraient déchirer s’ils parvenaient à concilier leur tempérament.

Visiblement Morgan n’aimait pas parler de lui et dispensait les informations à son sujet au compte goutte. Il avait fallu un certain temps à la cherrios pour ce faire à ces silences qu’elle avait pris comme de la mauvaise volonté, voir même une agression. Mais finalement étaient-ils si différent l’un de l’autre tous les deux ? Saphira était sans nul doute plus extravertie que lui, donnait plus facilement de sa personne, tout du moins en termes de présentation, de réponse, mais Morgan semblait avoir une grande noblesse de cœur, une déférence et une générosité hors du commun. C’était vraiment quelqu’un dans le sens le plus profond du terme.

C’est d’ailleurs avec un petit rire qu’elle avait accueillit ses premières notes au piano et qu’elle l’entendit commencer sa première partie. Elle s’était doucement approchée, appuyée contre la queue elle l’avait écouté tout en posant sa feuille sur l’instrument puis, plus tard, en poursuivant le chant. D’abord collée au texte, elle finit par en faire une lecture instinctive et plonger son regard dans le sien. La douleur et la peine étaient encore présentes, pire elles lui broyaient le cœur et mouillaient son regard mais contrairement à ce qu’elle avait crains avant de chanter avec lui, elle ne se trouvait pas seule face à son chagrin. Sa voix montait « fort et clair » emprunte d’émotion et de cette pureté rocailleuse qui lui appartenait. Il était un véritable soutient, presque un protecteur face à la symbolique des paroles qu’ils devaient prononcer. Car il pouvait bien détourner le sujet et user d’ironie, il semblait aussi chamboulé qu’elle en cet instant. C’est pourquoi et alors qu’il poursuivait sur les dernières notes de la chanson, elle vint s’installer sur le siège prêt de lui pour le regarder s’exercer et lorsque la dernière note retentit, que quelque chose se souleva dans sa poitrine, elle sourit avant de le bousculer en douceur, de l’épaule.

-Dis-moi James Bond, quel autre talent me caches-tu encore ?

Elle se moquait gentiment de lui et de ses silencieux aveux. Comme James Bond il semblait aimer s’auréoler de mystère et ne démontrer ses connaissances que quand, comme et où il le voulait. Il n’aimait pas vraiment les questions visiblement et semblait plus enclin à se dévoiler par les actes que par les mots.

-Tu es étonnant Morgan ! Vraiment étonnant !

Pour être honnête, plus elle le découvrait et plus elle appréciait sa personnalité. Elle l’avait d’abord pris pour un étudiant standard ayant simplement envie qu’on le laisse en paix. Trop discret et peu sûr de lui pour s’imposer. Mais elle se rendait à présent compte qu’elle s’était complètement trompée à son sujet. Il n’était pas un étudiant delta, il n’était pas dépourvu de talent ou de volonté et surtout, il ne s’en laissait pas compter, par personne…

-Le prochain solo est pour toi Moore, tu le mérites et j’ai bien l’intention d’en toucher un ou deux mots à Ryan !

Reprit-elle en faisant référence à ce qu’il lui avait dit un peu plus tôt. Elle lui sourit à nouveau avec sincérité, il l’avait aidé à dépasser sa peine, lui avait appris à voir la beauté de cette chanson et à faire de leur duo un moment spécial. Qui d’autres que lui pourrait autant mériter d’être sur le devant de la scène ?

Le duo donna des frissons à Morgan qui s'était contre toute attente très bien arrangé avec Saphira. Entre eux, la musique passait. Même si les débuts avaient été quelque peu tendus. Pour la première fois, il n'avait plus pensé qu'à Allan. Miss Harper avait captivé son esprit et il s'était senti moins meurtri par cette chanson. Un bien fait pour lui. Alors que sa partenaire venait s'asseoir à ses côtés, il lui sourit quand elle l'appela par le nom du célèbre agent secret britannique fictif. Cela lui allait bien : discret, sombre et coureur de jupons en dentelle. Elle avait fait fort en lui trouvant un si bon surnom. Puis elle en vint à féliciter encore le garçon pour sa voix et à vouloir lui offrir un solo au sein des Awesome Voices. Diantre, elle allait parler à Mister R. Horreur! Ce furieux allait poursuivre encore plus le jeune Moore pour le forcer à se montrer en public. Le piège dans lequel il tombait ne lui plaisir guère. Il devait corriger le tir et faire en sorte de ne pus être à ce point en danger. Action réaction, il se leva d'un coup sans être ni brutal ni vindicatif. Penchant sa tête en arrière, il sourit à nouveau à Saphira. Dans un demi-tour bien réalisé, il écarta les mains comme s'il voulait lui faire un Tatan!

"Une pace pour chaque chose et chaque chose trouvera sa place. Mister R n'est pas du genre à laisser les autres passer devant ses chouchous. Mais qu'importe, je me suis fait à l'idée d'être en retrait. D'autant plus que j'ai très souvent des matchs ou des entrainements avec l'équipe de mon père. Alors assurer un premier rôle alors que je suis le roi de l'absentéisme au sein du groupe… Je trouve que c'est pas fairplay par rapport aux autres. Autant mettre en avant ceux qui le méritent réellement. Toi par exemple. Tu pourrais demander à être celle que tu veux que je sois."

Il se perdit lui-même dans sa tournure de phrase alambiquée. Refusant toute action le concernant venant d'un autre, il ne voulait pas non plus braquer Saphira. Il commençait à l'apprécier et à être à l'aise avec elle. Difficile de conserver une relation quand ceux qui la composent ont des objectifs littéralement différents. Rester dans l'ombre ou porter à la lumière. C'en était trop pour Morgan qui ne voulait pas bousculer son quotidien déjà bien chargé. Entre mensonges, fausses sorties, bœufs clandestins avec Aaron et confidences avec Sam, il avait son lot. Il ne voulait charger encore son panier d'un bagage sentimental compliqué. Il en avait fini avec les relations de longs termes. Il ne pensait qu'à lui, en parfait égoïste, il oubliait les autres. Sauf le panel, restreint, d'élus qui comptait pour lui. Moore ne désirait plus s'attacher aux gens, créant des liens pour une semaine, un soir ou quelques minutes. Il ne savait pas encore comment allait être l'avenir avec Saphira mais il ne l'envisageait pas au long terme. Très concret et dans le présent, il poursuivit de lui parler tout en souriant.

"J'en conclus que ça t'a plu! Envie d'une pause? Ou tu désires recommencer encore?"

A ses mots, il retourna s'asseoir au piano et posa ses doigts sur les touches. Attendant la réponse de sa partenaire, il ne bougeait plus. Attentif, espérant d'elle un désintéressement de sa personne, un délaissement de ses idées farfelues avec Mister R. Bref, la paix, enfin plutôt la solitude.

De quoi as-tu peur ? Aurait-elle simplement voulu lui demander. Elle avait bien compris ce qu’il lui avait dit, hors de question qu’elle ouvre la bouche à son sujet. Pouvait-elle comprendre qu’il n’ait pas envie d’être sur le devant de la scène, ho oui bien sûr qu’elle comprenait. Elle ne cherchait pas non plus à devenir la nouvelle égérie du lycée. Pouvait-elle comprendre que se prendre un slushy dans la face puisse être humiliant et désagréable ? Bien sûr, elle savait ce que c’était et elle ne le souhaitait à personne. Seulement et même s’il avait parlé en douceur et en la flattant, elle avait bien saisir qu’il n’aimait pas beaucoup – du moins dans la chorale – se mettre en avant. Aussi et dans l’espoir de lui faire comprendre qu’elle était en mesure de saisir ce qu’il voulait lui faire entendre, répondit-elle à ses deux questions d’un coup.

-Je préfèrerai qu’on poursuive un peu si tu le veux bien, j’ai entraînement ce soir et Duncan n’est pas très patient qu’en il s’agit de tutorat.

Elle non plus n’avait pas beaucoup de temps, la chorale était pour elle un moyen de travailler sa passion et mister R le regrettait suffisamment pour la pousser à quitter les cherrios. Mais oui, elle était chargée, muse du professeur d’art et amie personnelle, icône pour le film du professeur de cinéma… Elle avait depuis peu signé un peu partout pour ne pas avoir à penser et ressasser la mort de sa mère. Alors oui elle comprenait qu’il n’ait pas le temps de se consacrer à la chorale. Mais plus que tout elle voyait de la peur dans son refus même si elle ne le lui dirait pas. Elle n’avait aucun droit de poser des questions allant dans ce sens. Ils n’étaient finalement que des connaissances partageant le même plaisir de la musique, la même chorale. Elle avait pourtant appris à le connaître ce soir à voir au-delà de ce qu’il donnait à la première impression et il semblait vraiment quelqu’un de bien, quelqu’un d’épatant qui s’ignorait apparemment. Peut-être un jour quelqu’un ferait-il pour lui ce que sa mère avait fait pour elle. Le pousser en avant, toujours plus loin, lui apprendre à profiter de l’instant et se moquer de ce que les autres pouvaient en penser. Le lycée ne durerait pas éternellement, viendrait le moment où on leur demanderait de faire des choix, de laisser de côté tout ce qu’ils aimaient pour se concentrer sur l’avenir. Ce jour-là, elle aurait profité de tout ce que McKinley avait à proposer. Elle se serait découverte, aurait appris, compris, testé, hésité, détesté, adoré, aimé même si elle s’en laissait le droit. Mais en tout cas, elle ne regretterait rien, car elle aurait réalisé ce que beaucoup ne pourrait jamais avoir dans une vie, elle aurait été, le temps de trois années, une exploratrice adulée et détestée, aimée et rejetée, star de la lumière et de l’ombre à la fois. Elle aurait existé au sein d’un monde qui ne supportait pas de compromis, en respectant ce qu’on lui avait appris et ses idéaux par la même occasion et en se donnant à fond pour tout un tas de choses…

Alors ils avaient repris, une fois, deux fois puis trois fois avant de finalement s’arrêter pour ce jour-là. Ils avaient déjà bien avancé, avaient travaillé leurs voix, accordé leur tonalité, délimité leurs parties et finalement l’émotion était passée entre eux, elle s’était écoulée lentement pour laisser leurs voix s’exprimer et s’enrouler autour des paroles…

-Whaou ! Je pense qu’on va en scotcher un ou deux dans la chorale, je ne nous imaginais pas capable de tant de choses sur cette chanson…

Et c’était vrai, quelques heures plus tôt, alors même qu’elle tentait d’en apprendre les paroles, elle avait même douté de pouvoir la lire sans fondre en larmes. Et finalement, Morgan lui avait appris à utiliser sa tristesse et ses émotions pour donner vie à son chant. Alors imaginer un tel rendu…

-Et au fait, comment ça se passe pour l’équipe de ton père ? Tu penses que vous avez une chance pour le championnat ?

Aucune ironie et non elle ne confondait pas l’équipe de lycée et l’équipe de son père. Seulement, si elle était Cherrios, elle n’était pas autant très calée niveau sport, extérieur aux résultats obtenus par le lycée évidemment…

Finalement ils l'avaient fait. Ils y étaient arrivés! Victoire. Morgan aurait embrassé Saphira s'il en avait le courage tellement il adorait ce qu'ils faisaient. Sur cette chanson l'alchimie était passée et le rendu était superbe. Il ne doutait point que Mister R resterait sur son tabouret scotché par leur show. Pas de chorégraphie miteuse, pas de mimiques hideuses à la Rachel Berry, juste l'émotion. Pure, sombre, simple, touchante, émouvante, prenante, attachante, criante… Bref, du spectacle. A part avec James, il n'avait jamais fait un duo aussi magnifique à écouter et sympathique à chanter. Dire que le début de la répétition avait tourné au vinaigre mais finalement la mayonnaise avait pris. Content d'en avoir fini malgré tout, il alla prendre quelques gorgées d'eau à sa bouteille. Il se passa la main sur le front, geste de déformation sportif. Pour lui l'effort était synonyme de transpiration. Puis il se concentra sur sa partenaire qui venait à lui parler foot. Etonné mais pas déconcerté, il répondit d'un naturel spontané :

"On a de bonne chance. Mais il faut pour cela que je sois pris dans l'équipe sélectionnée. Car même si le coach est mon père, il reste un sélectionneur et pour lui chaque joueur doit faire ses preuves."

Même si Morgan mentait, ce qu'il disait était purement vrai. Par le passé, James Moore avait fait passer Morgan dans toutes les meilleures équipes pour qu'il réussisse à devenir pro. Le but ultime de Mr. Moore était de voir son fils un jour sur les cartes collectors que les gamins s'échange à la cour de récréation. En haut de l'affiche, propulsé au sommet du monde sportif. Mais d'un autre côté, James en demandait quatre fois plus à son fils qu'aux autres, de fait, Morgan finissait toujours sélectionné car il était dopé par papa. Poussant une respiration lente, il secoua la tête en reposant la bouteille.

"Mais bon il n'y a pas que la sport dans la vie. C'est pour ça qu'on est là d'ailleurs? Et avec ce que l'on va envoyer. Mister R va en voir de toutes les couleurs. Bien évidemment après notre show, tout va changer pour nous. Lumière, paillettes, respects, contrat avec Universal…"

Il laissa quelques secondes de blanc avant de reprendre avec un large sourire.

"…J'déconne. Ça sera slushy, zigzag dans les couloirs et répétitions galères avec Mister R! Enfin je suis trop dur avec lui. Il est sympa avec nous. En plus j'adore comment il se prend la tête avec Mister Shue. Ils sont pires que nous et après ça se dit professeur… Sérieux!!! Ils me font délirer!!!"

Morgan se mit la main sur la tête pour se frotter le cuir chevelu. Signe d'amusement mais aussi de fatigue. Cela faisait un sacré moment qu'ils poussaient de la voix pour être au top. Dans un mouvement de relâchement, il se laissa tomber sur la chaise la plus proche en poussant un grand "OUF!". Tournant à nouveau la tête vers Saphira.

"Et vous, les cheerios, vous allez remporter encore un trophée?"

Saphira laissa échapper un hoquet de rire. Un instant elle l’avait regardé en haussant les sourcils. Pensait-il vraiment que ce duo leur permettrait de gravir les échelons sociaux ? Mais il ne laissa pas le doute planer longtemps et reprit en la rassurant par la même occasion, avec ce qu’il leur pendait au nez après leur petite démonstration. La cherrios avait alors ris doucement avant de lui dire.

-J’ai eu peur un instant de devoir briser tes espoirs !

L’échelon social sur lequel l’un comme l’autre se trouvaient au lycée ne leur permettrait pas de profiter de leurs chants et de leurs passions tout en continuant à faire ce qu’ils aimaient à côté de cela, jouer pour Morgan, danser pour Saphira. Enfin ? Etait-ce le cas pour Morgan ? Aimait-il autant le jeu qu’il le laissait penser ? Ca ne devait pas être évident pour lui, devoir marcher dans les traces de son père, se dépasser encore et encore, continuellement. Quand les joueurs du lycée rentraient chez eux, ils étaient au calme, plus de pression, plus de tensions liées aux entraînements, aux partenaires de jeux, aux étudiants, aux castes sociales, à la hiérarchie… Mais lui quand il se débarrassait de la pression lycéenne c’était celle de son père qu’il récupérait à la maison. Tout du moins, c’était ainsi qu’elle l’imaginait. Ainsi qu’elle imaginait un entraîneur de foot s’occupant de son fils. Elle l’imaginait faisant en sorte de lui faire réaliser son propre rêve, peut-être même de le vivre au travers de lui.

D’ailleurs et dans la même optique, il fallait avouer que ses petites manies étaient touchantes. Sportif jusqu’au bout des ongles songea-t-elle un sourire moqueur au coin des lèvres. Si bien que, complètement détendue par leur duo et l’humour qu’ils développaient depuis quelques instants, se permit-elle de lui dire ironiquement face à son visible épuisement…

-Ne me dit pas que j’ai épuisé un sportif aussi facilement ? Tss… tss… tu me déçois j’avais encore en tête le cliché du sportif endurant…

Pur provocation de sa part elle en avait conscience. Mais elle se sentait trop bien et trop sereine pour se rappeler qu’elle ne le connaissait pas vraiment et qu’elle pouvait dépasser les bornes en lui parlant de cette façon, peut-être même le vexer, qui sait ? Mais tout valait mieux que de parler des cherrios en ce moment. Elle n’avait pas envie de redescendre sur terre alors qu’elle était encore perdue au travers des notes partagées. Surtout qu’en ce moment Cherrios rimait avec tensions, pressions, autodestruction. Entre Sylvester qui rêvait de son énième trophée et les filles qui se crêpaient le chignon pour un oui ou pour un non, l’entraînement sonnait comme un enfer. Rien qu’à cette pensée elle poussait un profond soupir en s’étirant. Car après tout, il n’était pas le seul à avoir donné de sa personne dans ce duo.

-Il vaudrait mieux pour nous, sinon pour la prochaine chorée elle va trouver le moyen de nous envoyer sur la lune !

Et le pire dans l’histoire c’était qu’elle n’était pas certaine de devoir voir cela comme une métaphore.

-Alors champion, tu vas t’en remettre ?

Reprit-elle avec humour un petit sourire canaille sur les lèvres. Elle éclata d’un petit léger rire en mettant derrière ses oreilles les mèches qui glissaient devant ses yeux. Elle était d’humeur taquine et elle aimait cela, il fallait bien l’avouer.

La petite pompongirl se lâchait. Sans agressivité mais avec beaucoup de plaisanterie, elle taquina Morgan sur son côté sportif. Ce dernier aimait bien ce genre de vannes. Il était très friand d'ironie, sarcasmes et compagnie. Mais son naturel réservé faisait qu'il gardait tout encré. Saphira prenait de la graine et malgré son côté mignonette, elle ne semblait pas dénuée de tête. Surpris mais aussi amusait par les réflexions de la cheerio, il leva les bras comme dans tous les films de policier.

"Ok j'me rends! J'avoue!"

Le sourire aux lèvres, il baissa ses membres supérieurs pour les mettre à nouveau dans ses poches. La réalité était là. Certes il était fatigué et il devait être honnête, pour une fois.

"Je suis plutôt du matin. Là vu l'heure je vais me rentrer chez moi tranquillement avant de me pieuter sous ma couette. Ça aurait été avec plaisir que j'aurais fait quelques lancers avec toi. Mais un jour viendra o tu me montreras comment tu te débrouilles avec un ballon dans les mains. Je signe pour un entraînement coach. Je jugerai de ta sévérité. A savoir si tu es comme la Sylverster ou pire."

A nouveau il laissa s'échapper un éclat de sourire. Sereinement, tout en poursuivant son rire, il ressembla ses affaires. La fatigue pouvait se lire sur son visage. Car le garçon poursuivit par ses mensonges ne dormait plus la nuit. Et quand il dormait, il rêvait qu'Allan était toujours avec lui. Autant dire que la nuit n'était pas son ami. Alors souvent, il sautait de sa fenêtre pour aller rôder. Taper à la porte de ses copines de couettes pour noyer son éternelle peine dans quelques secondes de plaisir.

Il regarda Harper, ses effets personnels à la main. Dans un élan de sympathie, il ne voulut pas partir sans lui dire quelques derniers mots agréables.

"Ecoute Saph, j'tavoue que j'suis mort! Mais j'voulais te dire que j'm'étais complètement foiré avec toi. T'es une fille chouette en fait. J'ai adoré chanter avec toi et j'espère que notre duo va tout déchirer. Mais bon maintenant faut vraiment que j'y aille sinon après j'aurais plus de bus et je devrais rentrer à pied!"

En passant devant elle, il lui posa la main sur l'épaule en simple signe de sympathie. Rien d'autre. Il lui sourit et se dirigea vers la sortie lentement. Encore une fois, il se passa la main dans les cheveux, signe que sa fatigue grandissait. Il était temps pour lui de partir et d'aller dormir.