Le soleil commençait à filtrer par les rideaux épais de la chambre lorsque les enceintes s’allumèrent laissant échapper une musique vive à plein volume qui résonna dans tout l’appartement. Un vague grognement surgit de sous les couvertures d’où dépassaient à peine quelques mèches blondes en désordre sur l’oreiller. Mad se laissa doucement rouler hors des couvertures avant de tomber lourdement sur le sol ce qui acheva de la réveiller tout à fait. Les matins n’avaient jamais été de grands moments pour la jeune femme, mais aujourd’hui elle devait tout faire pour paraître présentable, séduisante même, mais respectable, pour se présenter à son entrevue avec le principal Figgins au lycée McKinley.
Après avoir papillonné les deux dernières années, traînant d’un état à un autre, changeant de job comme de petit ami elle se sentait enfin prête à affronter la maturité et l’âge adulte… — enfin ça c’était ce qu’elle allait dire à Figgins lorsque le moment viendrait. En réalité Mad était invinciblement frappée par le sceau de l’adolescence et rien n’y faisait elle préférait encore et toujours fuir les responsabilités et les engagements pour les troquer contre les coups de tête et les gueules de bois. Elle était revenue à Lima après avoir fait son tour des grandes villes des Etats-Unis en autostop, un retour aux sources qui lui avait été inspiré par un spectacle de rue entrevu dans la capitale. Retour aux sources c’était un bien grand mot, après qu’elle avait arrêté l’université contre l’avis de ses parents, et en particulier de sa mère qui avait immigré pour vivre le rêve américain d’une célébrité hypothétique à Hollywood et avait fondé en elle ses espoirs artistiques déçus, leurs relations s’étaient tendues et elle avait fini par rompre le contact complètement lorsque son père lui proposa une forte somme d’argent pour qu’elle termine son cursus universitaire. Plutôt mourir ! avait-elle hurlé en claquant la porte avec pour tout bagage un petit sac contenant une trousse de maquillage, trois tenues, son laptop, son appareil photo et son téléphone. La jeune femme avait toujours su jouer de ses charmes et en faire son principal atout, bien que blonde platine elle était loin d’être stupide mais savait parfaitement le dissimuler et jouer de son aspect physique et avenant pour se rendre populaire. S’étant traînée sous la douche en entonnant le refrain de Take it Back par Toddla T elle se laissa aller à quelques instants de rêverie. Les années lycée à McKinley c’était vraiment le bon temps… la musique entraînante ne faisait que la conforter dans son rêve de retourner au lycée pour renouer avec sa popularité passée et ses folies adolescentes. Et puis il y avait Ashton. Elle avait entendu par hasard qu’il était resté à Lima et qu’il était professeur à McKinley, malgré son côté mangeuse d’homme Mad avait su lui réserver une place particulière dans son cœur : il avait passé à ses côtés les moments les plus intenses de ses années lycées et il faisait partie de ses premiers béguins. Sa première année au lycée avait été assez particulière, ses parents toujours absents, l’appartement trop grand, remplis d’objets à la mode dépourvus de souvenir ou d’affection, l’entrée dans un monde cruel ou tout est scruté, jugé et abondamment commenté, tout cela avait exacerbé son côté rêveur et fantasque. Elle s’était construit un masque de popularité qui devait bien vite prendre le dessus sur tout le reste. Bien qu’elle manquât de confiance en elle, tout chez elle semblait déborder d’amour de soi et d’assurance, elle rejoint les Cheerios dès les premières auditions et monta vite en haut de la pyramide mais jugeant que ce n’était pas suffisant elle traîna aussi sur les bancs du Glee club et du club d’échec, excellant dans les deux catégories. Elle essayait en fait de passer le plus de temps possible au lycée, loin de chez elle, occupée à autre chose, à être le centre d’attention, la meilleure dans sa catégorie. C’est en deuxième année qu’elle rencontra Ashton avec qui elle fit les 400 coups, ils se correspondaient parfaitement, tous les deux extravagants, repoussant sans cesse les limites, ne portant aucune attention aux conséquences et aux infidélités. Tout ça c’était le passé pensa-t-elle en enfilant sa petite robe rouge, le rendez-vous avec Figgins était dans la poche avec un décolleté pareil. Après s’être maquillée elle attrapa son sac, ses clefs de voiture et fonça vers le parking en voyant l’heure déjà avancée. McKinley me voilà ! Ses escarpins à talons hauts résonnaient dans le couloir bondé d’élèves, cachée derrière ses lunettes de soleil elle passait en revue les uniformes des pompoms, les vestes des joueurs de foot, les looks invraisemblables des éternels anticonformistes et autres marginaux. Se plonger dans cette ambiance la faisait revivre à fond, elle retrouvait ses vieux amis imaginaires Brad et Chad, éternels gardes du corps qu’elle s’était inventé à l’école primaire pour se sentir invincible devant les autres enfants. Le sang lui montait à la tête, son cœur battait à toute vitesse, le bout de ses doigts était presque engourdi tant l’excitation de revenir au lycée était grande pour elle. Entendant un sifflement masculin sur son passage elle redressa la tête bomba le torse pour faire ressortir sa poitrine et amplifia le mouvement ondulant de ses hanches, la robe était définitivement un bon choix. Encore cinq minutes avant l’heure du rendez-vous, juste le temps de visiter sa vieille salle de club, malheureusement elle était occupée par une bande de jeunes qui avaient de toute évidence l’air hystérique, ce ne serait donc pas cette fois-ci qu’elle pourrait repousser la chansonnette assise sur le piano. Qu’à cela ne tienne, l’heure c’est l’heure, elle fonça vers le bureau du principal pour n’en ressortir qu’un quart d’heure plus tard, le double du contrat signé dans la poche. Une victoire presque trop facile. Les entretiens avaient toujours été d’un grand ennui pour Mad qui connaissait d’instinct toutes les clefs pour faire chavirer son interlocuteur, qu’il soit un homme ou une femme, elle devait certainement tenir son éloquence de son avocat de père mais elle n’allait très certainement pas mettre l’accent sur cet aspect des choses. Les quelques semaines qu’elle avait passées à la fac avaient d’ailleurs été décisives pour elle, tout lui semblait terne, les gens d’un ennui mortel, des étudiants attardés qui ne savaient plus faire la fête obnubilés par le rendu du prochain travail, la prochaine audition pour la représentation de la pièce de théâtre du semestre, les concours de chant trop strict au répertoire déprimant. Son téléphone vibra dans son sac, c’était un sms de Désirée, elle allait pouvoir lui annoncer la bonne nouvelle ! « Rendez vous au Starbucks, c’est moi qui offre pour fêter mon retour au lycée~~ ! », et envoyer. Elle avait rencontré Désirée à son retour à Lima, elles avaient tout de suite accroché : même tête dorée, même folie, même narcissisme, les deux jeunes femmes étaient faites pour s’entendre. C’était sa première amie fille depuis un sacré moment, et c’était encore elle qui lui avait fait part d’un possible poste de surveillante à McKinley. Le soleil était maintenant haut dans le ciel d’hiver, elle se glissa dans sa voiture, ferma la porte pour se recueillir un instant et poussa un cri de joie. C’était une nouvelle vie qui s’offrait à elle ! Elle était encore bien trop jeune pour s’enterrer dans un métier ennuyeux, alors surveillante dans ce bon vieux lycée c’était le poste parfait, elle allait pouvoir mettre sans dessus dessous ces pauvres lycéens, n’en faire qu’une bouchée, et à l’occasion se trouver un nouveau mec pour remplacer le dernier qui avait été jugé ringard et trop mou. Madeleine Wild portait bien son nom : folle et sauvage, le nom de Mad allait bientôt se répandre dans tous les couloirs, elle n’en doutait pas une seconde.
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