« Les jours passent et ne ressemblent pas » est bel et bien un dicton. Et ce dicton était certainement le plus crétin qu'il ait été donné à entendre à Hallie Halloway. Le quotidien de la petite brune reflétait exactement l'opposé de ce proverbe: pas un jour ne se démarquait des autres. Et ce, depuis sa folle véritable rencontre avec Keith Campbell. Le garçon avec qui elle a passé un merveilleux moment sur le parking n'avait pas encore daigné lui reparler, une constatation qui minimalisait la réalité, car en fait, l'Anglais n'avait tout simplement pas été aperçu dans le champ de vision de la jeune fille. Ainsi, chaque jour trouvait son lot d'espoir. « Sera-t-il là ? », « L'aperceverai-je au déjeuner ? » ou encore « Daignera-t-il m'accorder quelques mots ? », ces interrogations ponctuaient sa journée, l'une tourmentait la pianiste le matin, le second à l'heure du déjeuner et le troisième à la répétition de la chorale, si il se montrait, bien évidemment, chose qui ne s'était pas produite depuis leur échange..

Ce matin-là, Hallie s'était levée avec la même mine morose sur le visage. Son esprit élaborait les pires scénarios afin d'expliquer cette absence qui commençait à peser. Ainsi, des images représentant les différents scénarios se dessinèrent peu à peu: Un groupe d'individus cagoulés s'arrêta devant sa maison, pénétra à l'intérieur, et l'enleva, après une bagarre, car bien qu'il avait été charmant, il n'en restait pas moins un bad boy. Néanmoins, tout ceci paraissait peu probable, car la brunette voyait toujours Zack dans les couloirs, et elle se doutait bien que si son demi-frère avait disparu, il serait le premier à lancer des recherches. Tel un automate, Hallie rangea sa tasse, prit ses affaires et s'en alla au lycée, à pieds, une entreprise qu'elle effectuait depuis quelques temps déjà.

En arrivant au lycée, elle n'avait cessé de se créer des films, des histoires, des scripts dans lequel Keith était le personnage principal et qu'il avait décidé de tout laisser tomber pour partir avec une Mexicaine. Et pourquoi Mexicaine ? Bonne question justement.. Peut-être parce que les latinas étaient l'exact opposé de la lycéenne: le sang chaud, extravertie, facile à aborder, le sourire aux lèvres, alors que de son côté, la jeune Halloway était froide, distante, réservée et avait toujours un air indéchiffrable sur son visage sans grand maquillage. Quelle fille ! Elle ne sentait même pas que son corps marchait tout seul, le cerveau, lui, ne suivait pas. Elle déambulait, tel un zombie. Machinalement, elle s'était dirigée en cours, puis au casier, pusi en cours, la cloche sonna, elle décida d'aller manger avec Andrew, la seule pensée qui n'était dotée d'aucun lien avec l'Anglais.

En allant au self, elle remarqua qu'Andrew n'était pas à la table de d'habitude, celle qui abritait toutes les conversations geek du garçon et celle de son meilleur ami, Riley, un garçon qu'Hallie ne connaissait pas vraiment, elle ne s'était jamais ouvert à lui, jamais confiée.. C'est en le voyant s'installer qu'un léger déclic se fit en elle. Adieu Keith, les cagoulés et la Mexicaine, Riley avait réussi à prendre une certaine place dans les pensées de la pianiste. Il était temps de passer à autre chose: de parfaire sa relation amicale avec le garçon. Elle s'approcha alors de lui, n'osa poser son plateau et lui lança avec moins d'assurance que dans son esprit:

« Hum.. Ça te dérange si je me mets ici ? »

Une certaine anxiété avait élu domicile, rendant ainsi la jeune adolescente plus mal à l'aise qu'elle ne l'avait jamais été. Ou du moins, mal à l'aise en face de quelqu'un qui n'était pas Keith Campbell. L'Anglais était classé numéro un dans la liste des personnes qui arrivaient à pousser Hallie dans ses retranchements, même si elle n'avait pas vraiment besoin d'aide pour se murer complètement. Cela pouvait alors paraître futile, mais il fallait le dire: c'était un énorme pas en avant que d'aller vers Riley. Bien qu'elle n'ai jamais vraiment été très démonstrative, elle appréciait le garçon, il semblait gentil, doux et avec un grand sens de l'humour. Si Andrew arrivait à supporter le défaitisme qui accompagnait toujours la choriste, Riley pourrait certainement en être capable.

Les paroles du garçon sonnaient comme des encouragements, cela rassurait la jeune Halloway au plus haut point. En confiance, elle afficha un sourire plus expressif que le précédent, qui s'était montré bien trop discret. Et il ne s'arrêta pas ici, il alla plus loin, alla cueillir sa camarade. Le sourire s'agrandit bien plus encore et on pouvait percevoir un léger rire amusé sortir de la bouche de la jeune fille. Elle s'installa alors en face du garçon, la tête légèrement baisser. Elle passa son sac par dessus son épaule et le posa sur la chaise à côté d'elle. Elle se redressa, ajusta sa position et faisait maintenant face à Riley. Une intuition la gagna, elle ne savait pas vraiment quoi dire pour commencer la discussion, mais un élan la poussa à dire:

« Je vais essayer de me faire bonne geek, je te le promets »

Elle s'amusait à taquiner Andrew avec ce mot là, « geek », il la reprenait souvent, se qualifiant « d'ado en phase avec son temps ». Cela arrivait toujours à faire sourire Hallie, l'humour décalé du garçon lui faisant oublier qu'elle n'en avait pas beaucoup, mais lui rappelait qu'elle arrivait à l'apprécier sans vraiment le comprendre. Elle jeta un coup d'oeil dans la salle, de façon discrète, et ne vit aucun signe de Keith. Se sentant retomber dans un espace de comportement obsessionnel où chaque pensée, chaque dire, chaque mouvement serait associé à l'Anglais. Il fallait absolument qu'elle pense à autre chose. Ainsi, son infime côté geek, qui avait été subtilement crée par les deux compères, prit un dessus considérable contre les sentiments de l'adolescente.

« C'est vrai qu'un quatrième film sur le Seigneur des Anneaux est en préparation ? »

Et en réalité, Hallie n'en avait aucune idée. Elle avait lancé cela comme ça, comme lorsque l'on jette une pomme de terre chaude par-terre, on ne réfléchit pas, c'était instinctif. Et il n'était rien de dire que l'instinct de la jeune fille venait de lui faire défaut, car elle risque bien de se faire passer pour une vraie planche en abordant un sujet sensible comme celui-ci. On ne rigole pas avec les classiques, surtout avec les geeks. Étrangement, dans un certain sens, elle espérait bien que Riley allait réagir sur cette question des plus loufoques, rien que pour pouvoir rire: un geek qui s'agite est un des plus beaux spectacles qui soit. Du moins, Andrew l'était. Elle se souvint d'une discussion où le garçon s'était agité en expliquant la tactique la plus infaillible pour jouer à un jeu, dont le nom était des plus difficiles à prononcer. On aurait du une bouilloire. C'était drôle.

« J'imagine qu'une bonne geek n'aurait jamais prétendu une telle grossièreté, non ? »

La jeune fille savait se rattraper en tout cas, et avec humour ! Cet humour qu'elle adorait, elle semblait le manier à quelques gros points près. Enfin, elle s'en fichait pas mal de savoir si elle avait bon humour, car le fait de se demander si son sens humoristique était à la hauteur l'empêchait de se demander pourquoi l'Anglais ne l'avait jamais reprise dans ses bras, ne lui avait jamais reparlé ni même essayé de le faire. Et dans un geste bien moins discret, elle tourna la tête partout dans la salle, scrutant, examinant le moindre recoin, découvrir une cachette, car il y en a toujours dans les jeux vidéos.