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 07. Would you mind if we sing along?

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MessageSujet: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyVen 8 Juil - 23:24

Une soirée comme une autre, à Lima. Une fois n'est pas coutume, la jeune française n'avait rien d'autre à faire que de sortir : elle avait achevé la correction des copies et n'avait pas cours le lendemain. C'était d'ailleurs le seul jour de la semaine où elle pouvait se permettre de souffler et de vagabonder un peu dans les rues. Ce soir là, elle avait plutôt envie de renouer avec une de ses passions passée : la vie nocturne. Elle adorait cela.

Après 23h, minuit, à Paris, la ville s'animait d'une autre vie. Les créatures les plus loufoques surgissaient dans les rues, de nulle part, en riant aux éclats d'un rire qui ramenait une vingtaine d'années en arrière. Voire une cinquantaine. Lorsque le SIDA ne faisait pas encore de ravages et que nous étions si libres. Alexiane adorait par-dessus tout se fondre dans cette foule, se laisser guider par des odeurs, par les lumières des néons multicolores et le sons des voix joyeuses.

Alors, elle voulait savoir si cette vie existait à Lima. Mais elle devrait d'abord se faire un point d'attache, où elle pourrait observer à loisir la foule environnante, et en analyser les mouvements. Elle erra donc une bonne partie du début de soirée, en ville, à manger quelques sandwichs, le pas léger, le regard ailleurs. Il faisait tout de même un peu frais, la nuit, mais sa veste de costume lui suffisait. Se déplaçant rapidement, elle n'attirait pas vraiment le regard. On lui disait souvent "pardon monsieur", quand on entrait sur son chemin, ce à quoi elle répondait poliment, de sa voix un peu rauque, un peu grave. Dans l'ombre, on aurait cru un homme. Elle portait un costume taillé à sa mesure, sombre, un peu rétro, semblable à celui d'un dandy des années 70. Elle avait même poussé le vice jusqu'à mettre sa moustache factice. Elle aimait se jouer des genres. Ce n'était pas une tare, juste un jeu. Jusqu'à quand pourrait-elle ne pas être démasquée?

Elle jeta son dévolue sur un piano bar. L'ambiance lui rappellerait sans doute ceux de Paris, où des grands noms comme Gainsbourg s'étaient fait une renommée. Elle adorait, et s'imaginait encore très bien avec un porte cigarette au bout des doigts. Elle imaginait les célébrités côtoyer le petit peuple, les grands du théâtre et de l'écriture, les acteurs et les musiciens, dans un nuage de fumé havanée. Ah... La nostalgie d'une époque qu'elle n'avait jamais connue.

Elle s'assit dans l'obscurité, détailla la foule du regard. Elle ne s'attendait pas à rencontrer des personnes connues de son entourage professionnel, ni même des étudiants. Elle se trouvait dans un endroit vraiment particulier. Qu'il fallait savoir apprécier à sa juste valeur. Elle s'accouda au bar, demanda un cocktail, l'air détaché. On lui servit, en lui donnant du monsieur, ce qu'elle ne releva pas. Le pianiste jouait un jazz tranquille, léger. Et dans cet établissement, on pouvait fumer.

Alexiane jouait du piano depuis toute petite. C'était un secret plutôt bien gardé, mais elle n'était pas trop mauvaise dans les improvisations. Le pianiste se leva et salua, sous les applaudissements polis de la foule. Elle en profita pour se glisser à sa place, le coeur battant. Elle jeta un oeil à cette foule d'inconnus, en respirant assez fort, le temps de se concentrer. Elle posa ses paumes sur le rebord du clavier, prit son inspiration et...

Et ses doigts entamèrent une danse lancinante, douce, mais complète, une mélodie inconnue qui se glissait dans les oreilles des auditeurs, se lovait doucement dans leurs tympans, et finissait par envahir progressivement l'espace. Le temps était en train de se suspendre aux doigts agiles de la française, qui fermait désormais les yeux, pour se laisse totalement habiter par la mélodie. Les regards étaient fixés sur cette figure inconnue qui jouait si bien et donnait aux spectateurs le frisson unique que seule la musique est capable de donner...
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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyJeu 21 Juil - 13:41


« Vraiment désolé ma mère me lâche pas ce soir, on se voit demain ? »

Voilà le genre de messages que personne n’aime recevoir, le genre de phrases typiques qui ressortent sans cesse quand on est au lycée, avec « trop de devoirs » ou « je m’occupe de mon petit frère ». Mais pas à 22 ans, majeur et vacciné, oh non Télémaque O’Higgins, vous alliez définitivement en entendre parler jusqu’à la fin de vos jours de ce coup là. Lorsque Madeleine reçut le message, elle était déjà dehors, prête pour sortir faire la fête en compagnie de son rebelle favori. Enfin rebelle… c’était un bien grand mot. Le pauvre dépendait encore largement de sa mère qui était la gérante du magasin dans lequel il travaillait. Et ce soir encore, il lui posait un lapin pour faire un quelconque inventaire. La journée avait été rude, Figgins lui avait rebattu les oreilles avec l’organisation du championnat : et il fallait accrocher telle banderole à tel endroit, et puis recenser les supporters, et n’oublions pas les flyers à distribuer partout en ville, et… Rien que d’y repenser la pauvre Mad en avait mal à la tête. Seule la perspective de sortir s’amuser un peu avec Télémaque avait réussi à maintenir sa bonne humeur ; ça et les blagues vaseuses qu’elle faisait intérieurement sur la calvitie et les greffes capillaires du principal. Mais qu’à cela ne tienne ! Elle n’allait pas se laisser abattre par si peu, c’était une grande fille après tout, et elle n’avait jamais manqué de s’amuser en partant seule à l’aventure. Qui plus est sa tenue était bien trop soignée pour qu’elle rentre se déshabiller et se glisser sous sa couette pour re-re-regarder Love Actually. La vie nocturne à Lima n’avait rien de vraiment transcendant : pas de soirée underground, pas de concert délirant, pas de club privé à sa connaissance. Il n’en demeurait pas moins que cette petite ville perdue avait toujours dans l’esprit de la surveillante ce parfum de légèreté qui la faisait se sentir chez elle. Elle y avait grandi et bien qu’elle y ait des souvenirs encore douloureux, dont elle faisait abstraction la plupart du temps, Lima restait miraculeusement l’endroit sur terre où elle se sentait le mieux. On aurait pu croire qu’avec un caractère aussi déjanté que le sien les grandes villes auraient été un bien meilleur choix : fondue dans la masse de l’anonymat Maddie aurait pu s’amuser tout son soûl sans prêter attention au lendemain. Lorsqu’elle avait quitté la ville c’est ce qu’elle avait fait, filant tout d’abord direction Los Angeles, la jeune femme fraîchement sortie de ses quelques semaines d’université avait voulu tenter les expériences qu’on ne voit que dans les films : pas un sou en poche, ses rêves pour seul toit alors qu’elle quittait sa famille pour toujours. Tout cela aurait été merveilleusement mélodramatique si elle avait eu des rêves à l’époque, et si sa seule ambition n’avait pas été de faire la fête à s’en rendre malade et errer dans tous les quartiers pour alterner les petits boulots. Mais tout cela était loin maintenant et elle songeait davantage à sa soirée qu’à son passé.

Le bruit régulier de ses talons aiguilles sur l’asphalte l’apaisait, tant et si bien qu’elle avait parcouru une sacrée distance sans même s’en rendre compte. Ses pas l’avait ramenée vers l’Ouest du centre ville, le vieux quartier où l’activité nocturne n’est pas aussi intense que dans le centre ville mais qui n’est pas dépourvu de charme. Alors qu’elle allait renoncer et finir par rebrousser chemin son regard se posa sur la devanture du Piano Bar qui contre toute attente semblait assez animé. Mad ne se fit pas prier plus longtemps et poussa la porte grinçante pour se faufiler à l’intérieur, filant directement à un bout du comptoir pour se hisser sur l’un des tabourets. La musique jazzy lui donnait l’impression d’être revenue 10 ans en arrière, quand elle écoutait parfois les vieux vinyles de son père avec lui le soir, après que sa mère lui avait fait la leçon sur son avenir et sur la rigueur qu’elle devait avoir lorsqu’elle répétait ses lignes pour le club de théâtre. Décidément l’ambiance n’était pas à la fête. Faisant un rapide tour d’horizon après avoir brièvement applaudi, elle ne manqua pas la silhouette masculine qui alla s’asseoir à la place du pianiste. Cette personne lui disait quelque chose, mais de là à savoir quoi… Il n’y avait pas un milliard de possibilités, elle avait dû rencontrer cette personne au lycée, peut-être était un des professeurs là-bas, mais le piano était trop éloigné d’elle pour qu’elle puisse véritablement distinguer les traits du nouvel interprète. Laissant là ses interrogations, Mad revint à sa bière avant de se retourner à nouveau, intriguée par la mélodie qui envahissait à présent la salle du bar. Pas mal du tout. Elle n’y connaissait absolument rien en musique, à peine les bases du solfège qu’elle avait apprises au lycée en intégrant la chorale de l’époque, mais derrière ses airs d’indifférence la jeune femme prenait toujours le temps d’apprécier les interprétations de chacun, admirative des talents qui se cachaient dans les recoins les plus inattendus.

L’auditoire n’avait pas l’air particulièrement plus réceptif qu’à la chanson précédente, bien qu’il se fendît d’applaudissement de même intensité. Le jeune homme, ce qu’elle pensait encore être un jeune homme, restait assis là, les yeux fermés sur son tabouret, les mains posées sur les touches sans plus les enfoncer en rythme. Attrapant sa pinte presque vide Mad se dirigea sans hésitation vers l’estrade pour s’asseoir à côté de l’inconnu…e ! Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant que la personne à côté de laquelle elle venait de s’installer était de toute évidence une femme, qui arborait néanmoins une moustache des plus troublantes. Mais il était trop tard pour se relever l’air de rien maintenant qu’elle avait pris les devants. Et puis il semblait qu’elle venait de trouver bien mieux que la conversation de Chad, l’ami imaginaire des soirées d’ennui.
    Oh wow, j’aurais juré que vous étiez un homme ! Ça pour une surprise…

Une fois de plus elle avait parlé sans réfléchir, trahissant d’une seule phrase ses pensées du moment. Elle était décidément incurable, et il ne lui restait plus qu’à espérer que la jeune femme assise à ses côtés ne se vexe pas à mort de cette remarque. Quoiqu’en y réfléchissant bien, si elle portait une moustache ce n’était très certainement pas un remède à son apparent manque chronique de féminité. Mais cette fois-ci la surveillante sut garder sa langue dans sa bouche, et ne l’ouvrir qu’après réflexion :
    Il me semble que je vous connais non ? Vous ne seriez pas de McKinley par hasard ?
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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyMer 14 Sep - 17:05

Les doigts d'Alexiane continuaient à enfoncer doucement les blanches et les noires, en rythme. Sa voix s'était faite rêveuse, commençant à briser l'harmonie de l'instrumental qu'elle avait entamé. Le serveur lui apporta un cendrier en verre qu'il posa sur le piano, sans un mot. Alexiane lui offrit un simplement hochement de la tête pour remerciement. Tout était tacite. Doucement, l'enseignante installait une ambiance magique, tamisée et intimiste, un peu jazzy. On se serait cru de retour dans les années 1960. La tête légèrement penchée sur le clavier, sa cigarette coincée entre ses lèvres bien serrées diffusait lentement la fumée bleutée du tabac brun qui se consumait, avec cette odeur si caractéristique d'une époque, l'odeur de la gitane. Ce n'était pas précisément la marque de cigarettes qu'elle fumait le plus, lui préférant des blondes toutes simples, mais elle s'offrait parfois ce genre de plaisir, comme un bon cigare se savoure après les bons moments de la vie.

Elle avait l'air d'un vieux dandy oublié par la faucheuse, qui aurait dû l'arracher à la Terre un siècle auparavant. Il y avait quelque chose de gracieux dans ses gestes, dans sa posture et ses yeux mi-clos. Progressivement, les discussions qui avaient jusqu'à présent produit un bourdonnement de fond parfois désagréable dans la salle, finissaient par se taire, comme autant de petites bougies que le vent éteint. Les gens tournaient des regards un peu curieux sur ce nouveau venu aux mains magiques qui produisait une telle atmosphère dans le bar d'habitués. Certains visages se fermaient, un peu pensifs, un peu distants, comme s'ils se souvenaient d'une époque qu'ils n'avaient pas vécue.

Elle s'était tue de nouveau et laissait ses doigts terminer d'effleurer quelques touches. Quelques applaudissements discrets vinrent ponctuer la fin du morceau. Alexiane salua d'un bref hochement de tête, un léger sourire esquissé creusant une fossette charmante dans sa joue gauche. Elle alluma une nouvelle cigarette, tandis que le jazz band résident entreprit d'enchaîner dans la même ambiance, ce qui n'était pas une mince affaire. Revenant progressivement à la réalité, la jeune femme cligna des yeux. Elle demanda au serveur un daiquiri à la pomme, ne sachant pas vraiment de quelle humeur alcoolique elle se trouvait ce soir. Bière, vodka, whisky, bailey's? Essayons d'abord quelque chose de léger avant de se décider, voyez-vous.

Elle perçut un mouvement dans son champ de vision périphérique et son regard se tourna vers l'inconnue qui venait de franchir l'espace qui séparait le bar de l'estrade, et s'était assise auprès d'elle. Son visage avait quelque chose de familier, sans qu'elle ne puisse mettre un nom dessus. En la regardant, en la détaillant sans aucune indécence de son regard vert, elle saisit le léger pincement dans son attitude qui trahissait la découverte de son genre et l'hésitation qu'elle aurait pu avoir. Elle eut rapidement la réponse à ses hypothèses quand la jeune femme formula sa surprise. Tranquillement, Alexiane ne put que sourire, aimable et quiète. Dans ce lieu sans âge, elle n'avait peur de rien, d'aucun jugement et d'aucun regard. Dans ce lieu, elle était l'étrangère, elle était la toute-puissante.

- Félicitations, d'ordinaire les gens mettent beaucoup plus de temps avant de se rendre compte que je les ai floués.

Elle avait pris son ton espiègle et son regard rieur, l'attitude qu'elle adoptait lorsqu'elle voulait mettre son interlocuteur - en l'occurrence son interlocutrice dans le cas présent - à l'aise. Il n'y avait aucune raison pour que cela tourne mal, ce soir-là.

Son regard se troubla légèrement lorsqu'elle lui demanda si elle faisait partie de Mc Kinley. Immédiatement ses défenses se mirent en place et elle se raidit de manière presque imperceptible. Elle devrait faire un choix. Soit elle niait, et elle serait rapidement démasquée, soit elle avouait. Nous n'étions pas dans une cours de justice, mais le choix lui parût extrêmement crucial... Peut-être que son interlocutrice parlerait à d'autres collègues, qui n'aimeraient pas nécessairement les homosexuels ou autres transgenres, et trouveraient éminemment étrange qu'une jeune femme sorte la nuit, déguisée en homme avec une moustache de surcroît, dans un lieu de perdition à jouer du piano et à fumer comme un homme. C'était peut-être très années 80 et très cliché, mais elle préférait se méfier. La paume de ses mains se mouillèrent d'une sueur de tension.

- Hum...

Elle eut une petite pause qui marqua son hésitation. Puis elle prit sa décision.

- Oui, je suis du lycée. Je suis la nouvelle prof de français, Alexiane D'Anceny.

Elle esquissa un nouveau sourire. Elle avait adopté sa voix grave et basse, pour que la conversation reste privée.

- Enchantée, mais avant toute chose...

Elle lissa les poils de sa fausse moustache avec un clin d'oeil, camouflant de manière magistrale son trac et ses angoisses.

- Est-ce que vous pourriez garder cela pour vous? Je vous en serais extrêmement reconnaissante.

Elle pensait ne pas avoir à en préciser d'avantage. Elle continuait de sourire.

- Je peux vous chanter quelque chose?


Elle avait usé de sa langue maternelle à dessein, avec le regard tranquille du charmeur invétéré. Elle avait ainsi dans la tête l'envie de lui faire oublier une seconde qu'elle avait affaire avec une femme, plutôt qu'avec un homme. Non pour la troubler. Juste pour jouer. La soirée était au jeu. Elle termina son daiquiri et reposa ses poignets sur le clavier, en attente d'une réponse.
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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyJeu 22 Sep - 15:09

La soirée semblait enfin prendre un tournant plus intéressant pour Madeleine une fois qu’elle se fut assise à côté de sa nouvelle compagnie et elle sentait l’excitation monter en elle. Si sa première option l’avait laissée derrière pour passer du temps avec sa mère, cela ne signifierait nullement qu’elle doive se complaire dans son malheur alors qu’elle pouvait penser à quelque chose d’autre qu’à son maudit travail. Le stress était loin d’être débordant, il était même rare qu’elle s’inquiète de quoi que ce soit au lycée, et encore moins sortie de ses murs gris, mais les soirées de repos étaient devenues trop rares en cette fin d’année pour qu’elle les laisse filer sans se battre. Habituée à des ambiances plus électriques et dynamiques, le vieux Piano Bar la troublait. Tout le monde avait l’air de plus ou moins se connaître. Jusques là rien de très anormal, Lima n’était pas une si grande ville et une bonne partie de la population en était restée à un stade de socialité très primaire. Mais il y avait une forme d’accord tacite entre toutes les personnes qui étaient installées aux tables dans la salle ou sur les comptoirs : pas une personne pour parler plus haut que les autres, pas d’éclat de rire, pas de débordement. L’atmosphère tout entière était un savant mélange de musique et d’un léger bourdonnement créé par le murmure sourd des clients. Et Madeleine ne pouvait que se sentir exclue de cette ambiance pseudo-intimiste, comme un voyageur de passage dans les vieux bars de la région. Sa robe courte n’avait pas manqué de faire impression à son entrée. Que ce soit ses cheveux blonds platine ou sa tenue légère, elle n’avait pas exactement le profil type de l’habitué. Ignorant les murmures redoublant sur son passage, elle avait profité du bref chemin qui la séparait de l’estrade pour observer d’un peu plus près l’endroit qu’elle n’avait pas vraiment fréquenté depuis qu’elle était revenue vivre en ville. Quelques vieilles photos où l’on reconnaissait le propriétaire, de vieilles voitures américaines dans ce qui était sûrement les rues du vieux Lima, un jukebox hors d’âge oublié dans un coin. Décor des plus pittoresques qui ne correspondait pas exactement à ses envies du moment mais dont elle saurait se contenter. Malgré l’apparente activité qui l’avait attirée, il ne pouvait pas arriver grand chose dans ce bar perdu.

Surprise par la facilité déconcertante avec laquelle son interlocutrice venait de lever le doute sur son genre Mad, prise de court, laissa paraître une expression de surprise sincère. Pourquoi était-elle sortie vêtue ainsi ? Pourquoi est-ce qu’elle portait une moustache ? Et si c’était pour ne pas attirer l’attention sur son véritable sexe, pourquoi lâcher le morceau si facilement ? Autant de questions qui se poussaient au bord de ses lèvres et enflammaient sa curiosité maladive. Et puis elle ne parlait pas comme la faune locale, c’était une évidence. « Flouer » ? De quel siècle est-ce qu’elle sortait ? Même si elle semblait définitivement plus âgée que la surveillante, elle n’avait clairement pas les quatre-vingts ans qui correspondaient à ce genre de vocabulaire. Encore un détail de plus qui ajoutait à ce nuage de mystère dont elle semblait vouloir s’entourer. Malgré le ton assez amical et rieur de sa voix, quelque chose retenait Madeleine qui n’osait pas rentrer pleinement dans son jeu. Il y avait quelque chose de dérangeant chez cette femme qui jouait double jeu et rendait si vite les armes. Puis cet air si familier malgré le déguisement. En la voyant battre en retraite à la simple évocation de McKinley la jolie blonde savait déjà qu’elle avait touché en plein dans le mille avec sa question. Elle aurait aimé voir la tête de Figgins en apprenant qu’un des membres de son équipe enseignante avait pour loisir de traîner dans les bars le soir déguisée en homme. La simple image de sa mine déconfite et choquée étira les lèvres de la jeune femme en un large sourire qui bien qu’amical n’en était pas moins moqueur. Madeleine avait un naturel assez rieur, et elle ne put retenir un éclat de rire discret en apprenant qu’elle était professeur de français. Qui était cette personne tout droit sortie d’une autre galaxie pour s’échouer à Lima ? Est-ce que les autres étaient au courant qu’elle était en réalité une femme ? Quelque chose lui disait que si les plus primaires du bar s’en rendaient compte tout ne se terminerait pas forcément comme dans un conte de fée, et elle ne tenait pas particulièrement à être mise à la porte. Dans quel genre d’ennuis est-ce qu’elle venait de se plonger… Prof, voix grave et clin d’œil complice, on était à mille lieues de ce qu’elle avait imaginé en allant s’asseoir à côté d’un pianiste.
    Madeleine. Et je ne suis pas une espionne envoyée par Figgins pour surveiller son personnel pas de panique.

Dissimulant son malaise derrière l’humour, la surveillante avait du mal à voir où tout cela allait les mener. Et puis elle lui avait adressé cette phrase, qu’elle avait comprise et pourtant avait sonné différemment à ses oreilles, comme si on venait de réveiller de vieux souvenirs. Son cœur s’était pincé, transpercé par la réalité. Professeur de français hein ? Depuis combien de temps est-ce qu’elle n’en avait pas entendu un mot ? Sûrement depuis qu’elle n’avait plus revu sa mère qui se mettait à crier en français à chaque fois qu’elle s’énervait après elle ou son père. Son regard fut traversé par l’amertume du souvenir et son corps se raidit un peu plus. Décidément elle avait bien du mal avec Alexiane d’Anceny et l’excitation qui l’avait d’abord habitée s’était vite estompée. Avalant avec difficulté sa salive pour dénouer sa gorge serrée par la surprise, elle finit par lâcher d’un ton froid et distant dans un français bancal et rouillé mais sans accent :
    Comme tu veux, mais est-ce que le barman va te laisser ?

La dernière chose qu’elle voulait, pour une fois, c’était attirer l’attention sur elle. Quelque chose lui disait que cette fille pouvait lui attirer des problèmes. Si la professeur semblait redouter d’être exposée au lycée, Madeleine n’avait surtout pas envie de se faire remarquer outre mesure ici. Sa voix était plus douce que d’ordinaire et elle parlait presque dans un murmure. D’habitude elle aurait ri de voir une transsexuelle à Lima, dans un bar du vieux centre, perdue au milieu des habitués, mais pour le moment la situation ne lui inspirait pas d’hilarité et au contraire, le malaise grandissait à mesure que les minutes passaient. Et pour y remédier, Madeleine ne connaissait qu’une seule solution : mettre les deux pieds dans le plat.
    Les gens savent que tu te déguises en homme ? Parce que… c’est loin d’être courant dans le coin, et il n’y a qu’à voir au lycée ce qui se passe pour ceux qui sortent un peu du rang. J’veux dire, ça t’arrive souvent ?


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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyVen 30 Sep - 22:42

Okay, ça pouvait paraître complètement fou, voire stupide, audacieux, que de se grimer en homme. Mais qu'est-ce que cela pouvait importer? Alors que les doigts de l'enseignante de français continuaient à effleurer les touches du piano, les gens ne la regardaient pas. Ils écoutaient. Alexiane se plaisait à dire à ses amis, lors d'autres de ses exploits musicaux en région parisienne, qu'ils écoutaient avec leurs yeux. Peu importe, finalement, si elle était une femme, un homme, un travesti, gay ou transsexuelle.

Elle comprenait néanmoins que cela pouvait être vraiment dérangeant de se retrouver face à une femme que l'on supposait être un homme. Elle était enseignante de français et connaissait donc les ficelles de la rhétorique plutôt bien. Après tout, elle avait suivi une formation très pointue et inévitablement, cela avait fini par pourrir sa vie, en la parasitant petit à petit. Elle analysait tous les dialogues, de façon involontaire, que ce soit un discours politique d'une importance capitale, ou une simple discussion entre un adolescent et sa mère. Elle avait appris à redécouvrir chaque petit signe qui pouvait dissimuler une émotion, un sentiment, une pensée. Elle s'était rendue compte qu'elle était devenue une sorte de psychanalyste technique. La jeune femme qui était son interlocutrice était mal à l'aise. C'était normal, songea la française. Elle est plus jeune qu'elle. Oh, sans doute que la différence d'âge n'était pas si conséquente, mais en ces temps, elle pouvait affirmer que cette différence comptait. Evidemment, la jeune française n'avait rien d'une grande nostalgique du passé, en tout cas de son passé. Le passé historique était une toute autre affaire. Toujours est-il qu'au glorieux et ancien temps qui était le sien, elle n'avait pas vécu la discrimination de popularité qui était en train de faire des ravages, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi en France. Dans les années 90, il y avait à peine quelques balbutiements de ce système. Mais on préférait encore jouer aux billes plutôt que de se lancer des regards en biais pour savoir quelle fille était la plus belle pour aller danser. Il n'y avait pas tant de ragots que cela. Peut-être parce que la jeune femme avait suivi sa scolarité dans un lycée privé.

La seule discrimination qu'elle avait vécue et avec quoi elle allait encore devoir faire avec quelques années, concernait son physique androgyne et tous les soupçons inhérents. Elle en avait souffert au lycée, proportionnellement à la qualité de ses résultats, puis tout s'était terminé une fois qu'elle était passée dans le supérieur. En quelques années, elle avait appris à ne plus écouter la rumeur et à rester en compétition qu'avec elle-même, simplement. Elle se fichait de l'apparence comme de l'an quarante, en témoignait l'usage de son costume. Sauf sur son lieu de travail et c'est là précisément où ça coinçait ce jour précis...

Elle sentait donc le trouble de son interlocutrice. Elle suspendit ses doigts, et resta pensive. Ce qu'elle avait pris pour un jeu semblait réellement perturber Madeleine. Elle devait la prendre pour une sorte d'extra terrestre. Elle avait sans doute tout un tas de clichés sur les français, ou ne serait-ce que les profs de français. Alexiane n'en savait rien, elle ne connaissait pas assez la jeune femme. Du reste, elle essayait de sourire, malgré son coeur battant fortement à ses tempes. Quand bien même elle considérait l'art du travestissement comme un jeu, elle pouvait très bien - et elle allait sûrement - apparaître aux yeux de la surveillante comme une sorte de brebis galeuse. Et à McKinley, on avait beau être des loosers, on n'était pas pour autant des brebis galeuses. Elle ignorait ce qui pouvait se passer si elle était découverte. Déjà que la littérature n'avait pas la côte, alors si les cheerios découvraient que le cours était tenu par une espèce de chimère... Enfin, elle ne devait pas trop tenter le diable.

Mais en même temps, elle avait quelque chose à défendre. Elle ne pouvait pas se permettre, pour son ego, consciemment ou non, de se faire juger si vite. Elle n'était peut-être pas ce que l'on pouvait appeler quelqu'un de normal, mais justement. Son monde flirtait avec les frontières du réel, avec les bordures du jour et de la nuit. Il y avait quelque chose de fascinant, et pas de malsain. C'est ce qu'elle devait montrer à la jeune femme. De toute façon, elle avait toujours été une enseignante exemplaire, voire draconienne, à McKinley, elle n'avait rien à se reprocher... C'est dingue comme le regard des autres pouvait faire ressentir une culpabilité qui n'avait pas lieu d'être. Elle esquissa un sourire, mais son regard était teinté de défi.

- Bien sûr que le barman va me laisser, je fais tourner sa boutique, il me doit bien cela.


Elle marqua une pause, ses doigts étaient légèrement crispés.

- Je vais te montrer quelque chose, Madeleine. Fais-moi simplement confiance. Je sais que ça peut te paraître bizarre. Ca l'est. Mais ne me juge pas trop vite.

Elle aussi avait décidé de tutoyer la jeune femme. Il n'y avait pas de raison... Elle planta son regard clair dans le sien, pour captiver son attention. Lentement, ses doigts remontèrent le long de son visage, et se saisirent de la moustache.

- Tu vois, Madeleine, les gens que tu vois ce soir, ne sont pas là pour savoir qui est au piano. Ils s'en foutent, parce qu'ils savent qu'ils ne reverront plus ou que rarement le pianiste. Ils ne veulent même pas savoir si je suis une femme ou un homme, ou un alien. Ils sont ici pour la magie de la musique. Ils ne me voient pas. Ils écoutent. C'est toute la différence.

Elle retira la moustache, la rangea dans sa poche de poitrine. Aucune réaction de l'assistance : elle était en train de discuter en petit groupes, des discussions plaisantes, ponctuées d'éclats de rire un peu bourgeois.

- Ici, nous sommes dans un autre monde, les lois et les préjugés n'ont plus cours. Crois-moi.

Ses doigts dansèrent de nouveau sur les touches, doucement. La discussion devint un murmure, et elle finit par mourir, tandis que l'assistance rivait de nouveau les yeux sur la jeune femme. L'instrumental les berçaient doucement.

Elle adressa un léger clin d'oeil à la surveillante.

- Ca ne m'arrive que dans la nuit la plus sombre. Et cela ne veut absolument rien dire.

Puis, en souriant.

- Que souhaite-tu que je te chante?


Dernière édition par Alexiane V. D'Anceny le Ven 14 Oct - 23:16, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyMer 5 Oct - 18:00

Jetant des regards furtifs par-dessus son épaule de temps à autre Madeleine ne pouvait s’empêcher de vérifier qu’elle ne connaissait personne dans le bar. Non pas parce qu’elle ne voulait pas être vue en compagnie de la nouvelle prof de français, mais plutôt parce qu’elle ne resterait probablement pas la nouvelle prof de français longtemps si jamais les parents d’élèves apprenaient ce qu’elle faisait le soir. Souriant gentiment en guise de réponse à la réflexion de sa nouvelle camarade de jeu de la soirée, elle sentait un mélange d’affection et de pitié pour la jeune femme à la moustache. Elle était particulière, et elle semblait être d’une compagnie assez agréable. Mais ce qui était le plus évident c’était son idéalisme. Ses mains toujours posées en suspens au-dessus du clavier de l’imposant instrument, elle semblait essayer de créer une atmosphère particulière autour d’elle, un peu hors du temps. Elle essayait de toute ses forces et elle-même avait l’air tout à fait convaincue que le bar dans le vieux centre-ville de Lima était bénie des dieux et coupé du reste de la ville, mais il fallait se rendre à l’évidence, on n’était pas dans un vieux Caf’conc à Paris comme ceux dont sa mère lui parlait sans cesse quand elle était petite fille. Perdue dans le fin fond de l’Ohio, ses chances de trouver un auditoire qui prêtât véritablement attention à sa performance alors que les bières et les conversations vides de sens allaient bon train étaient plutôt minces. Mais le spectacle avait le mérite d’être amusant pour la surveillante qui se délectait de la regarder agir et parler. Elle avait un ton assez doucereux, très calme et didactique. Un ton de professeur en somme, très solennelle dans ses actions, la jeune femme retint un pouffement de rire en la voyant ranger sa moustache postiche dans la poche de son veston.
    Je pense que si E.T. venait jouer ici, il y aurait foule…

Elle souriait de toutes ses dents, penchant la tête sur le côté pour libérer quelques mèches blondes en désordre sur ses épaules. Elle admirait cette immense confiance qu’elle avait en elle, mais surtout cette confiance qu’elle avait dans la vie et dans les autres, et pourtant elle ne la partageait pas. Là où Alexiane voyait un monde à part, loin du quotidien et des regards qui vous dévisagent, elle voyait de l’indifférence. Tous ces gens qui s’étaient rassemblés ne prêtaient pas attention à elle et à sa nouvelle amie la travestie parce qu’elles ne les dérangeaient pas dans leur conversation stupide. Elles étaient tout simplement transparentes tant qu’elles ne faisaient pas de bruit. Mais à force de tant de conviction elle avait presque envie de la croire. Peut-être qu’il y avait un club spécial dans la ville prônant la tolérance et l’acceptation des autres tels qu’ils sont et que précisément ils avaient décidé de se retrouver en ville dans ce bar… Sans grande conviction elle choisit néanmoins de faire plaisir à la jeune femme en feignant de la croire pour qu’elle abandonne ses idées de paix et amour à Lima. Elle avait fait preuve de sarcasme face à son idéalisme bienveillant, elle lui devait bien un peu de charité.
    Mais je veux bien te croire allez ! J’offre plus de crédit à la clientèle que je ne devrais en faisant ça mais c’est gratuit…

Et au moment même où elle prononçait ces mots le piano se remit à résonner dans la salle entraînant une progressive accalmie dans le bourdonnement ambiant créé par les multiples conversations. Pourquoi fallait-il qu’elle veuille à tout prix démontrer qu’elle avait raison par des actions ? Sentant à nouveau l’attention du reste de la salle se concentre sur elles, Madeleine éprouva à nouveau une certaine gêne à être assise là. Elle qui n’avait jamais honte de rien, habituée à la folie des grandeurs, ne gardant jamais sa langue dans sa poche, le fait de ne pas avoir le choix et de se voir mise au centre des regards contre sa volonté la mettait mal à l’aise. Elle ne comprenait pas ce que la jeune femme essayait de lui dire. Qu’est-ce qui n’arrivait que dans la nuit sombre ? Qu’est-ce qui ne voulait rien dire ? Elle avait toutes les peines du monde à rassembler ses idées alors qu’Alexiane s’entêtait à jouer un air enthousiaste au piano. Elle était tellement confiante, ça dépassait presque l’entendement… La surveillante avait presque envie de lui répondre qu’elle aurait préféré qu’elle ne chante pas du tout, mais elle ne voulait pas la vexer ou briser son illusion qui semblait si profondément ancrée en elle. Et de toute façon il était peu vraisemblable qu’elle ait réussi à la faire changer d’avis sur cet endroit, alors quitte à être dévisagée autant le mériter. Prenant une profonde respiration et détachant son regard inquiet de la salle, Madeleine se redressa pour planter son regard bleu dans celui de sa voisine de banc.
    Déjà entendu parler de Susanna ?

Posant à son tour une main hésitante sur le piano, elle cherchait dans sa mémoire les notes très simples de la mélodie. Elle n’avait jamais pris le moindre cours de piano et ses bases de solfège remontaient assez loin, à l’époque où elle faisait partie du Glee club au lycée en réalité… Mais elle finit par se décider à enfoncer doucement les touches, une par une, en rythme pour tenter de rendre maladroitement la musique. La chanson qui lui était venu à l’esprit était ironiquement appropriée dans ce contexte d’incertitude dans lequel elles se trouvaient, l’une persuadée que tout était comme dans un rêve et l’autre profondément désabusée sur ce qui pouvait se tramer derrière les regards des badauds. Après avoir fredonné un instant, la surveillante se décida à entonner le début du premier couplet de sa voix grave :



Didn't think you would trust me.
Thought you would see what I see.
These days have been good for me too,
But I can't stay.
You know why.
Regardant à nouveau Alexiane en haussant un sourcil interrogateur pour voir si elle la suivrait, elle continuait maladroitement à pianoter de sa main gauche, ne prêtant plus la moindre attention au bourdonnement des conversations qui avait repris dans son dos.
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MessageSujet: Re: 07. Would you mind if we sing along?    07. Would you mind if we sing along?  EmptyVen 14 Oct - 22:35

La jeune femme sentait la désapprobation de la jeune surveillante. Qu'y pouvait-elle? Cette désillusion ne lui était pas inconnue. Penser que le monde n'était que mépris ou moquerie, et s'enfermer dans ce cercle pour y échapper, du moins pour ne pas détonner avec le reste des autres, et vivre libre en étant dissimulé dans cette foule, elle avait déjà songé à cela. Souvent, lorsqu'elle subissait les quolibets de ses camarades, au collège, et au lycée, parce que sa silhouette ne seyait pas vraiment avec le reste des élèves, elle fermait les yeux, et serrait les poings, en souhaitant de toute ses forces disparaître dans cet anonymat si prisé. Elle aurait tout donné pour être engloutie, allant jusqu'à penser pouvoir renoncer à sa dignité, pour un peu de calme. Le monde n'était que mépris, sinon indifférence. Et pourtant, elle n'avait jamais sombré dans le cynisme. C'était certes la forme de défense la plus naturelle qui était - et la jeune femme le reconnaissait volontiers, mais elle était restée d'un optimisme et d'une bonté indécrottables, qui forçaient à la fois le respect et l'incrédulité : nombreux étaient ceux qui la pensaient d'une candeur qui frôlait la stupidité. Peut-être était-ce le cas. Il était aisé de le croire, et elle savait pardonner.

La française saisissait le malaise de son interlocutrice, et sa compréhension était palpable dans son sourire, empreint d'une grande bonté, mais aussi d'une tristesse sous-jacente. Comme toujours, voici le prix à payer, permanent. Toujours devoir faire ses preuves, où qu'elle aille. Elle était un peu fatiguée de ce jeu. Les rencontres ne pouvaient-elles pas être simples? Sans évaluation, sans mépris, sans test de l'interlocuteur? On définissait volontiers l'homme en le comparant avec l'animal. Que ce soit Aristote ou Hobbes, l'homme possède des qualités qui le différencie de l'animal. Pas pour tout, cependant. Il y avait toujours cet aspect d'évaluation, à chaque fois que l'on rencontrait quelqu'un, de manière consciente ou pas. On ne pouvait s'empêcher de regarder l'autre, d'établir des comparaisons, de cerner les failles pour minimiser la menace potentielle de l'autre. Peut-être appartenait-elle réellement à un autre monde. Quoi qu'il en soit, elle commençait à trouver agaçant les éclats de rire de la jeune femme, comme si elle se moquait d'elle. Elle était jeune, Alexiane se devait d'être indulgente. Cela pouvait passer pour de l'arrogance.

- Non, désolée.

Elle lui adressa un sourire en coin. Elle préférait passer pour une inculte plutôt que de mentir et que Madeleine se trouve mise devant le fait accompli. Elle la laissa progressivement prendre possession du clavier du piano, sans qu'elle ne souffle un mot. Elle se contentait d'accompagner tranquillement, en improvisant, dans un rythme presque lancinant. Elle ne regardait pas la jeune femme, elle se contentait de l'écouter, le visage un peu incliné, léché par la pénombre envahissante du piano-bar. Elle alluma une nouvelle cigarette, en grattant une allumette sur le rebord vernis du piano.

Lorsque le morceau se termina, la jeune femme sourit légèrement, puis se leva, laissant les clients applaudir avec un enthousiasme mou. Elle passa sa veste sur ses épaules, adressa un léger sourire en coin à son interlocutrice.

- Ce n'était pas si horrible que cela, dis-moi. Mais je suis désolée de t'avoir infligée cela.

Elle passa une main dans ses cheveux courts et sortit son portefeuille de cuir. Elle posa un billet sur le haut du piano, où trônait son verre vide, imprimant un rond d'humidité sur la surface noire. Elle lissa sa veste et la boutonna, sans remettre sa moustache.

- Ravie d'avoir fait ta connaissance, Madeleine. On se revoit à McKinley, peut-être. Bonne soirée.


Elle s'était montrée un peu plus froide, cette fois. Elle en avait sans doute marre de passer pour le personnage grotesque du coin, pour le phénomène de foire attrayant. Elle voulait retrouver sa liberté. Elle salua donc la jeune femme, d'un bref hochement de tête, puis fendit la foule pour rejoindre les ténèbres de la nuit de Lima, pour se fondre dans les ombres, et se faire oublier, encore.
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