07. A long journey to heaven.

Cela devait faire 2h, 24 minutes et 32 secondes qu'Elias s'occupait des absences de plusieurs élèves. Faute d'avoir un surveillant absent, le jeune homme devait prendre sa place pour la journée et donc voir son travail multiplié par deux. Cela n'enchantait pas réellement Elias qui aimait pourtant bien travailler. Certes, on ne lui en demandait pas trop et c'est cela qu'il trouvait avantageux dans ce boulot. Mais la vie, elle, pouvait être particulièrement injuste. Et ce, pour aucune raison valable. Elias se demandait alors pourquoi il méritait ça parfois. Seulement, il n'avait pas de quoi se plaindre, car il devenait enfin indépendant et personne ne pouvait être là pour lui marcher sur les pieds. En y repensant, Elias se remémora les nombreux souvenirs d'enfance qu'il avait vécu avec sa famille. Cette famille avec qui il avait rompu tout contact. Parce qu'il s'en sentait enfin capable et non pas par pure envie. Il le devait également. Et il savait au plus profond de lui que son frère y était pour quelque chose avant de l'enfouir encore plus. Comme d'habitude. Comme le petit égoïste qu'il était et qu'il refusait d'assumer. Pour le moment, il avait son propre appartement, son propre boulot, son propre quotidien à l'université et, bien évidemment, sa nouvelle vie. Alors, il devait laisser ses historiques familiaux et relationnels de côté et aller de l'avant. Ces absences à régler n'attendaient pas, elles.
De là où il se tenait, il entendait une nouvelle fois la sonnerie criarde du lycée McKinley et maudissait ce supplice journalier. Mais son statut de surveillant ne le permettait pas de se plaindre alors il laissait les choses se faire comme tous les jours qu'il passait ici. A vrai dire, Elias avait, durant toute son enfance, parcouru le monde et donc, par conséquent, touché à tout type d'écoles. Il y avait eu les indémodables uniformes au Japon, en Australie et au Cambodge. Elias trouvait qu'il y avait certes une certaine autorité dans les écoles japonaises, mais ce ne fut pas une raison de les haïr, selon lui. Car le jeune homme adorait l'ambiance qui y régnait. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il avait énormément de souvenirs de cette période bien qu'il y soit resté que 2 ans. Quant à l’Australie, il y avait rencontré l'amour et au Cambodge un éléphant. Mais jamais, Elias n'avait été confronté au système éducatif américain. Un grand saut dans l'inconnu, comme il le disait. Donc, il n'avait jamais eu l'habitude d'entendre cette sonnerie qui lui déchirait les tympans et ses lycéens qui dévalaient les couloirs dans tous les sens dont certains ne prenaient pas la peine de dire un simple 'pardon' lorsqu'ils bousculaient un élève. S'ajoutait à cela les cheerleaders et ces deux groupes musicaux qui lui semblaient quotidiennement en forme. Positivement comme négativement. Mais cela, en revanche, il ne s'en plaignait pas et voir des jeunes acrobates s'agiter dans tous les sens ne le laissait pas de marbre. Mais ça, il ne le laissait pas transparaître.
Plusieurs minutes après la sonnerie de Satan, Elias se remit un peu plus au travail. Madeleine n'était pas revenue alors il devait donc se préparer à supporter les plaintes des élèves retardataires. Encore une fois.
Le jeune soupira et tira l'un des tiroirs sur sa droite afin de s'emparer d'un casse-croûte. Ce dernier n'était pas à lui. Mais vu la situation, il avait bien le droit de bénéficier d'une petite pause et ce qu'il fit donc. Il déchira machinalement le papier de la barre chocolaté et commença à grignoter par petites bouchées. Il ne craignait pas qu'on lui fasse la morale pour manger la nourriture d'un autre. Il avait faim. Très faim. D'un mouvement brusque, afin de se remettre correctement sur son siège, le jeune étudiant fit tomber le pot à stylos. Se rendant compte de sa bêtise perpétuelle, il jura, garda la barre chocolaté entre ses dents et entreprit de tout remettre en place. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Un jour, très récemment, un professeur lui avait demandé, entre deux cours, s'il n'était pas atteint d'une forme particulière de maladresse chronique. Blague qu'Elias n’apprécia guère.
C'est ainsi qu'il commença à ramasser tous les stylos étalés au sol en évitant de broncher au cas où un membre du personnel débarquerait. Tout en s’exécutant, il entendit des pas frénétiques, rapides - et peut-être quelque peu irrégulier à certains moments - s'approcher de lui. Surement un élève en retard, pensa-t-il sans même relever la tête; la barre chocolaté toujours entre ses dents. « Attendez juste deux petites secondes et je suis à vous ! » Réussit-il à dire à cause de la barre chocolaté. La personne en question allait attendre.. et pas qu'un peu. Mais il prit tout de même le temps de leva la tête pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas de ce crétin congénital de professeur à l'humour douteux; et cela en oubliant qu'il avait encore cette foutue barre dans la bouche. Heureusement, Elias n'était pas la pire des catastrophes ambulantes du coin. Au contraire, il avait le mérite d'être beau garçon et adorable avec les gens qu'il côtoyait quotidiennement, ce qui le sauvait de pas mal de situations saugrenues.

12 février 2011 – 18h30 – Résidence des Kami
Jusqu’à la dernière seconde, Sakura Kami était persuadé qu’elle irait au bal ! Jusqu’à la toute toute dernière et ultime seconde. Elle était sur que pour une fois, elle ne perdrait pas son billet, elle ne tousserait pas de sang, elle n’aurait pas d’éclosion de fièvre ou qu’elle ne vomirait pas à cause d’une quinte de toux. C’était une belle journée. Le genre de journée qui donne envie de danser. Et c’était exactement ce qu’elle allait faire. Danser jusqu’à le souffle lui manque. Danser jusqu’à ce qu’elle ne sente plus ses pieds. Aujourd’hui, elle serait une adolescente comme tant d’autres qui voulait aller au bal de la Saint-Valentin que ce soit seule ou accompagnée. L’important était simplement d’y être. De danser pendant autant d’heure qu’elle en était capable. Jusqu’à ce qu’elle en meure. Être d’une banalité si évidente qu’elle s’en perdrait dans la foule. Un garçon mignon l’aborderait en la bousculant doucement. Il aurait ce sourire qui ravage les cœurs à la douzaine. Il aurait ces yeux qui réchaufferaient la jeune nippone qui gelait toujours au lycée. Il lui dirait qu’elle était belle avec ses cheveux remontés de cette manière et les baguettes dans les cheveux. Il aurait la voix chaude en lui disant qu’il l’avait remarqué en classe et qu’il se demandait ce qui arriverait avec la jolie fille de la première rangée. Elle aurait simplement haussé les épaules en souriant et lui aurait proposé d’aller danser parce qu’elle était seule. Et qu’elle voulait danser. Juste danser. Et pas tomber en amour.

Et elle était en robe, une belle robe blanche que sa mère avait fait importé du Japon et qui avait de ravissantes bordures dorées sur le côté. Elle se battait avec ses souliers quand elle sentit la toux l’envahir. Trop vite. Trop rapidement sans préavis.
*NON! Pas ce soir !*
ne put-elle s’empêcher de penser en sentant le goût ferreux du sang remonter dans sa gorge. Elle prit un mouchoir et tenta d’étouffer la tempête qui se dressait devant elle. Elle n’était sorti qu’un mois auparavant. Elle ne voulait pas y retourner. Non ! C’en était hors de question. Le 12 février 2011 était sensé être une journée normale sans sang, sans maladie. Sakura avait rendez-vous avec le prince charmant. Mais son père vit le crachat et s’en était fini de la soirée, de la belle robe blanche et du prince charmant.
5 mars 2011 – 20h07 – hall du Saint-Rita Hospital
Sakura avait passé les trois dernières semaines à compter les jours. Elle avait déjà manqué le bal et c'était amplement suffisant. À force d'être malade comme ca. Elle finirait par passer à côté de sa vie. Elle finirait sans être tombé amoureuse, sans avoir vu le monde, sans avoir fait sa crise d'adolescente, sans avoir ri aux éclats sans s'en géner. Bon, elle comprenait qu'une pneumo-thorax et une infection au staph menait à une hospitalisation. Mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver que la vie était injuste. Elle venait encore de passer trois autres longues semaines coupé de toute le monde lycéen. Coupé des autres jeunes de son âge. Coupé de leurs éclat de rire et de la chance qu'ils avaient d'être normaux sans le réaliser... sans en avoir confiance. ET SES PARENTS TROUVAIENT LE MOYEN D'ARRIVER EN RETARD! Bon, c'était un samedi, il y avait des services plus tard. Mais n'empêche qu'elle avait été déchargée de l'hôpital et qu'elle attendait avec sa valise dans le hall, assise sur une chaise dans une paire de jeans, ses cheveux n'ayant pas vu l'ombre d'un fer plat au cours des dernières semaines. Elle était donc frustrée jusqu'au moment ou elle vu sa mère entrer dans le hall tenant dans ses mains une magnifique peluche à l'image d'Hello Kitty et un jeu vidéo. L'adolescente se leva lentement et se rapprocha de sa mère pour lui faire un câlin
7 mars 2011 – 8h10 – Bureau des surveillants de McKinley
Tout cela pour en venir au fait que Sakura Kami avait oublié combien il faisait un froid de canard au Lycée de McKinley et qu’elle l’avait totalement oublié. Pendant trois semaines, elle avait compté les dodos, branchée sous oxygène, sous antibiotiques et sous intraveineuse parce que les antibiotiques lui coupaient la faim. Mais sa mémoire avait trouvé le moyen d’oublier ce détail. La petite nipponne s’était donc mise en jupe et en t-shirt. Tous deux avaient des couleurs anormalement flashy – citron et rose électrique. Son look de la journée était complété par des bas rose aux genoux et un sac – qui aurait pu être considérer comme normal – s’il n’avait pas eu une dizaine de badges à l’effigie de plusieurs des mangas préférés de la jeune fille. Elle frissonnait dans les corridors et retourna chercher sa veste avant d’entendre la seconde sonnerie du début des classes. La nippone haussa les épaules, de toute façon, il aurait fallu qu’elle coure pour arriver à l’heure en cours et il fallait aller confirmer que non, elle n’était pas morte à l’administration. Il n’empêcha pas que Sakura Kami se dépêcha – autant que faire se peut – de parcourir la distance qui séparait sa case de l’administration. C’est ainsi qu’elle tomba devant Elias McCarty sur le sol, en train de ramasser visiblement le contenu d’un coffre à crayon qui s’était réparti allégrement sur le sol dans un visible défi de prendre le plus de place possible. L’adolescente était donc sur le pas de la porte, trop génée pour agir et aider le dit surveillant à ramasser le dégât.
« Attendez juste deux petites secondes et je suis à vous ! »
La situation avait de quoi en faire rire Sakura, mais par une étrange chance, elle ne le fit pas. Elle mordit doucement sa lèvre inférieur convaincue qu’il fallait être à un minimum sérieuse quand on était en présence d’une autorité comme le surveillant l’était Elle resta donc sur le pas de la porte, un sourire accroché aux lèvres, mais voulant tellement que le temps ne se passe que plus vite. Car Sakura Kami avait cours de math et les cours de math étaient sans contredit l’un des cours préféré de cette jeune adolescente. En partie à cause de l’enseignant – dont elle ne savait pas le départ vers l’Angleterre encore – mais aussi parce que c’était la seule matière où son anglais défaillant ne l’empêchait pas d’avoir de bonnes notes. Mais elle se surprit à dire d’une voix hésitante.
« Ce ne pas être grave, je pas pouvoir courir pour me enfuir. »