Non, Anna n'avait pas le trac. C'est ce qu'elle se répétait en voyant la silhouette de Sam, qu'elle aurait reconnue entre mille, avancer vers elle...
La jeune fille se mordit la lèvre, avant qu'un sourire ne se dessine naturellement sur son visage pour accueillir l'arrivée de son ami.
C'était une des choses que Sam Evans savait faire le mieux : la faire sourire, et c'était rare, croyez le, depuis le déménagement familial à Lima.
De leur première discussion, après une course poursuite mémorable dans les gradins, à leurs discussions tardives sur MSN, il était le seul, si l'on exceptait Lexie, qui avait la garantie de la voir arborer ce petit sourire en coin au moins une fois au cours de la conversation.
En général peu facilement abordable, la jeune fille s'était en effet complètement laissée apprivoiser par le footballeur...
Qui avait apprivoisé qui, on ne le savait pas très bien en fait, mais Sam n'avait pas trouvé bizarre qu'Anna le choisisse comme modèle de prédilection pour ses photos, et l'aînée Preston avait autant craqué sur le caractère paisible et serein du footballeur que sur son physique parfait.
Et ce n'était tellement pas son genre quand elle y pensait... Il avait tout du gendre idéal et elle était la petite outsider, de bonne famille certes, mais certainement pas l'idée que la ménagère de moins de 50 ans se faisait de la jeune fille parfaite d'aujourd'hui.
Pourtant, il était indéniable que son faible pour Evans se voyait comme le nez au milieu de la figure. Lexie avait même jugé bon d'intervenir, ce qui avait déclenché une énième dispute des soeurs Preston.
Tout était finalement rentré dans l'ordre, Sam n'ayant pas pris la mouche, mais Anna conservait au fond de la gorge un arrière-goût d'exaspération assez amer envers sa petite soeur depuis lors. Le blondinet avait de toute façon une petite amie bien réelle, et pas n'importe qui, Quinn Fabray, la capitaine des Cheerios, une fille qu'Anna adorait détester, d'autant plus qu'elle s'entendait étonnamment bien avec sa soeur.
Le crush de la petite rousse en resterait donc un et elle s'efforçait de refouler tous ces sentiments qui la dépassaient et de jouer la carte de l'amitié du mieux possible.

Sam était en retard, très en retard même, mais ça importait peu. Cela faisait un moment qu'ils essayaient de réussir à se voir autrement qu'en coup de vent dans les couloirs ou dans des fêtes clandestines qui finissaient à l'eau - littéralement.
Anna devait lui parler de cette fameuse exposition qu'elle essayait d'organiser, exposition qui le concernait directement puisqu'il serait l'unique sujet des photos. Des photos sur le terrain de football du lycée, des photos de la vie de tous les jours, des photos sur lesquelles il savait qu'Anna étaient dans le coin, d'autres où il ignorait tout de la présence de la jeune fille.
Elle avait d'abord pensé qu'elle devait faire une sorte de mix, des photos de Londres ET des photos de Lima, mais elle avait finalement changé d'avis... Il y avait tout ce qu'elle voulait montrer sur les photos de Sam, d'elle et de lui.
Elle avait joué des pieds et des mains auprès des vieilles relations de son père à Lima pour obtenir un pan de mur dans un des bars miteux de la ville. Mais c'était mieux que rien. L'occasion d'exposer son talent... Et de se faire remarquer du club de photo du lycée, même si, elle devait bien se l'avouer, leurs expos à eux étaient plutôt minables. Le mois dernier, ils avaient montré leurs travaux sur le thème de la "renaissance" et s'étaient emballés sur l'idée de la chrysalide. Résultat ? Des photos de chenilles et de papillons de partout dans McKinley. On se serait cru dans un musée d'histoire naturelle. Même le graffiti d'Ainsworth lors de leur virée nocturne avait été plus inspiré, et c'était dire...
Mais s'intégrer faisait partie de ses résolutions de l'année, alors elle tenait bon, cela éviterait à ses parents un nouveau laïus et lui permettrait peut-être de les convaincre de la laisser repartir à Londres pour la rentrée universitaire.

Lorsque le footballeur la rejoignit enfin, Anna referma le livre qu'elle était en train de lire pour la énième fois. Mrs Dalloway. Ou comment sous les sourires peuvent dévorer les flammes... Certains trouvaient que c'était le livre le plus déprimant du monde, elle le trouvait tellement juste et libérateur. Et Woolf peignait les âmes comme Anna aurait aimé les photographier.
Elle tourna la tête vers Sam qui affichait un petit air de chien battu, ce qui eut pour effet immédiat de déclencher l'ironie de la jeune fille:

-Tu es en retard Sam Evans... Et tu as intérêt d'avoir une bonne excuse, sinon je ne te donnerais pas le scoop que tu es venu chercher aujourd'hui... dit-elle d'un air taquin.

Ses cheveux roux flottaient dans l'air frais d'avril et elle ratrappa quelques mèches qu'elle arrangea derrière ses oreilles, ses mains à moitié enroulées dans les manches de sa veste. Elle avait encore oublié ses gants, et il faisait presque toujours aussi froid sous le ciel gris de Lima...

Cela faisait quelques semaines maintenant que Sam avait fait la connaissance d'Anna et il fallait l'avouer, leur rencontre ne présageait en aucun cas une amitié comme celle qui s'était créée entre eux. Qui, en se rendant compte qu'il se faisait prendre en photo sous toutes les coutures, se serait intéressé à la personne derrière l'appareil photo ? Certainement pas grand monde à McKinley en tout cas mais le blond avait toujours été quelqu'un de curieux et c'était naturellement qu'il s'était tourné vers elle, même si elle avait voulu s'enfuir, il avait réussi à la garder auprès de lui et même à la faire parler. Inutile de dire qu'il avait été extrêmement surprit de voir qu'elle avait un nombre impressionnant de clichés de lui et il avait été intrigué par Anna à partir de ce moment-là. Ils avaient un peu parlé photographie, puis s'étaient revus deux trois fois, souvent juste croisés dans les couloirs mais aujourd'hui, ils allaient pouvoir parler tranquillement.



S'il avait une bonne excuse ? Bien sûr qu'il en avait une, il était terrifié à l'idée de partir de Lima et de laisser des personnes qui comptaient derrière lui, c'était ça, la raison pour laquelle il n'était plus tout à fait lui-même depuis quelques jours et qu'il avait du mal à se concentrer sur ce qu'on lui disait mais ça, il n'allait pas le lui dire comme ça de but en blanc non, il fallait qu'il trouve autre chose, quelque chose de crédible et qu'elle pourrait croire.

« En fait ma soeur a voulu se faire couler un bain et comme j'étais en train de m'occuper de mon frère j'ai pas fais attention et elle a inondé la salle de bain » répondit-il. « Alors j'ai du tout nettoyer avant de partir » ajouta-t-il en haussant les épaules. Cette scène avait bien failli avoir lieu car Stacie avait fait tout un fromage à Sam pour prendre un bain en plein milieu de l'après-midi sous prétexte qu'elle avait trop chaud et il avait dû user d'arguments infaillibles pour l'en empêcher, lui promettant de lui acheter des bonbons le lendemain.Le chantage n'était pas la meilleure façon d'avoir de l'autorité sur eux, c'était sa mère qui lui avait dit ça, mais il n'y avait que comme ça qu'ils écoutaient la plupart du temps et puis il n'y avait pas mort d'hommes, il lui avait promit des bonbons qu'il se faisait un plaisir d'acheter en temps normal donc rien ne changeait au final.

Puis quelque chose lui vint à l'esprit, Anna avait bien parlé d'un scoop non ? Là, elle venait d'éveiller sa curiosité et il n'allait pas la laisser le narguer. « Un scoop ? quel scoop ? Allez, tu peux me le dire, je t'ai donné une raison valable non ? », lui répondit-il en lui faisant à nouveau les yeux doux. Sam savait qu'elle n'allait pas lui résister, en tout bien tout honneur bien sûr, car il savait se servir de sa bouille pour arriver à ses fins et elle allait finir par lui dire de toute façon. La rousse lui avait mit l'eau à la bouche et il avait hâte de savoir de quoi elle voulait lui parler. « Si tu me le dis, je te paie une glace, d'accord ? », peut-être que le chantage qu'il faisait à sa soeur allait marcher sur elle ? pas si sûr mais il fallait bien tenter...

Un sourire narquois se dessina sur le visage d'Anna tandis qu'elle écoutait l'excuse -inventée de toutes pièces - que lui servait Sam pour expliquer son retard. Il était tellement peu crédible avec son histoire de petite soeur catastrophe... La rouquine penchait plutôt pour une partie de jeu vidéo qui s'était éternisée, une conversation téléphonique avec Quinn (aouch pour l'ego de Mlle Preston) ou tout simplement un oubli de l'heure qu'il était. Sam pouvait être tellement étourdi parfois.
Elle rejeta ses cheveux en arrière pendant que le jeune homme prenait sa moue la plus attendrissante et malgré elle, son coeur chavira.
Elle entendait la petite voix de Lexie qui chantonnait dans sa tête : "What you gonna do Katie ? You're a sweet sweet girl, but it's a cruel cruel world, a cruel cruel wooooooooooorld...".
C'était un jeu entre les Preston à chaque fois que le doute leur barrait la route : remplacer le prénom de l'ex Mrs Doherty par l'un des leurs... Cela ne les faisait pas avancer le moins du monde mais avait au moins le mérite de leur déclencher un fou rire.
Qu'est-ce qu'elle allait faire donc ? Très bonne question.
Pour l'instant, elle se contentait de continuer à sourire.

-Je vais plutôt faire comme si je n'avais pas entendu ta raison valable Sam... le taquina-t-elle.

Il avait mordu à l'hameçon et elle brûlait d'envie de lui annoncer la bonne nouvelle de toute façon.

-Il fait trop froid pour une glace, ajouta-t-elle en réprimant un frisson. C'était le seul côté britannique qu'elle n'avait pas : être capable d'avaler de la crème glacée par tous les temps et à toute période de l'année. Elle dormait avec une couverture, même en été, et déménager à Lima s'était révélé une véritable horreur quand la jeune fille avait réalisé qu'il risquait d'y faire encore plus froid qu'à Londres. La pluie c'était une chose, s'adapter à la neige, une autre paire de manches...
Les beaux jours qui revenaient avaient donc redonné de l'ardeur à la jeune fille qui malgré l'approche des examens et de leur stress inévitable, avait l'impression de sortir d'une longue période d'hibernation.
Cette après-midi au parc était parfaite, depuis les rayons de soleil qui lui balayaient le visage à la personne assise à côté d'elle. Vraiment, qu'est-ce qui pouvait mal tourner ?

-Et puis, c'est plutôt à moi de t'offrir une glace pour te remercier : tu vas tellement m'en vouloir quand tu verras ces photos de toi exposées partout qu'il faudra bien que je me fasse pardonner... reprit Anna sans se départir de son petit air mi-mystérieux, mi amusé.
En fait, c'est ça le scoop : j'ai trouvé une salle, enfin un bar, qui organise des expos, bref, et si on se débrouille bien on peut l'avoir à partir de la première semaine des vacances d'été et pour au moins un mois... Qu'est-ce que tu en dis ? Moins de lycéens stupides et incultes dans les parages qui feront des commentaires désobligeants et plus de chances que les photos -et toi par la même occasion- soient appréciées à leur juste valeur...

La jeune fille avait parlé à toute vitesse, comme si elle espérait se convaincre elle-même de ce qu'elle disait. En fait, elle n'en avait rien à faire des avis de leurs petits camarades, ce qui l'inquiétait surtout, c'était que Sam ne revienne sur sa décision et ne refuse la proposition. Son sourire avait maintenant disparu et, portant nerveusement ses mains à la bouche pour se ronger les ongles, elle attendait la réaction du footballeur avec une impatience à peine déguisée.