Gregory marchait dans les rues de Lima sans but précis. Il se remémorait la rencontre d’avec sa fiancée et le moins que l’on puisse dire, c’était qu’il encore plus paumé qu’avant. Il était dur de s’approprier les souvenirs d’un homme totalement étranger. Toutes les photos, les anecdotes ne pourraient le combler et au fond de lui la colère grondait, avec de plus en plus de force. En réalité le jeune homme avait envie de hurler. Sa peine, sa peur, sa frustration. Il y avait tellement de voix dans sa tête, elles venaient de son passé. Il le savait parfaitement mais elles n’arrivaient pas à franchir ce mur invisible qui retenait tous ses souvenirs. Ce brouhaha qui le saisissait quand un parfum, une parole, une photo s’imposait à lui. Et ce mal de tête qui le rongeait. Soudainement, Gregory shoota dans un caillou. Il n’en pouvait plus, il voulait hurler, hurler à la face du monde son désespoir. « Qui suis-je ? Qui suis-je !!!!! » Finit-il par crier de colère. Les quelques passants le regardèrent comme s’il était fou et le jeune homme hâta le pas pour les fuir. Fuir ses regards ahuris, fuir des personnes qu’il avait certainement croisées à un moment ou non de sa vie. Tous ses visages, tous ses sourires. Se prenant la tête dans ses mains, il avança toujours un peu plus vite jusqu’à se mettre à courir. Il voulait fuir, fuir ce mal être, fuir ces voix qui insistaient pour sortir du brouillard qu’était devenue sa vie.

Il avait tellement envie de frapper, de cogner dans quelque chose ou quelqu’un pour se défouler, pour se prouver qu’il était encore vivant, qu’il n’était pas cette coquille vide. Alors il courrait, encore et encore dans cette rue bondée de monde. Vers où ? Il ne savait pas mais peut-être trouverait-il sa voie. Et encore ces voix, cela le dévorait littéralement. Que lui voulaient-elles ? Amis, ennemis, colère, rancœur, peur, désespoir. Et toujours courir, plus loin, plus vite jusqu’à sentir cette brûlure dans sa cage thoracique. Cela faisait mal, de plus en plus mal mais il n’en avait cure. Il fuyait toujours plus loin. D’elle. Cette femme qui se prétendait être sa fiancée. Qui était-elle ? Qu’avaient-ils vécu ? Elle aimait un homme qu’il n’était pas mais qu’elle désirait qu’il soit. Cette pression, ce stress l’avait empêché de respirer l’espace de quelques secondes le forçant à s’arrêter, plus essoufflé que jamais.

En observant où il était, Gregory se sentit perdu. Devant lui, s’étendait un vaste bâtiment où une pancarte indiquait : William McKinley High School. Son lycée où il avait fait ses études. Ce lieu ne lui parlait pas. En réalité rien ne lui parlait mais il semblait l’apaiser pour une raison qui l’ignorait. L’étudiant resta à le contempler une bonne heure avant de s’éloigner, la tête basse, les mains dans les poches de son jean. Et il reprit sa route, à croire qu’il ne pouvait faire que marcher sur les pas de cet homme qu’il désirait retrouver. Ce n’est que lorsque les lumières de la ville s’allumèrent à la tombée de la nuit, qu’il se laissa choir sur un banc de la ville, dans le parc Lincoln. Gregory rejeta lentement la tête en arrière, fermant les yeux, indifférent au lieu, à la vie qui continuait autour de lui. Non, il était trop occupé à savoir s’il s’était déjà promené ici, s’il avait de bon ou mauvais souvenir dans ce lieu. L’avait-il déjà amené ici pour une balade en amoureux ou au contraire est-il plutôt du genre à ne rien faire, à penser que les femmes une fois dans son lit lui étaient acquises ? Encore une fois le silence lui répondit. Rouvrant les yeux, il observa le ciel qui s’assombrissait peu à peu jusqu’à laisser entrevoir des étoiles encore timides. Si une étoile filante passait peut-être pourrait-il souhaiter qu’on lui rende la mémoire.

Ses pas l’avaient mené à ce parc. Le soleil venait de disparaitre dans le ciel pour laisser place à une nuit calme et douce. Gregory observait les étoiles dans le silence. Depuis son retour de Lima, il n’avait pas beaucoup parlé aux autochtones. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il avait honte. Cette amnésie était une véritable faiblesse, une véritable torture pour lui. Qui croire ? Y avait-il seulement une personne sur cette foutue planète qui lui disait la vérité ? Etre une page blanche comme lui n’était que handicape et souffrance. On lui avait raconté des anecdotes du genre : Tu te rappelles quand on a fait ce barbecue ? Tu étais tellement ivre etc.. Dans ces moments-là, il souriait et acquiesçait. Que faire d’autres ? Toutes ces histoires lui étaient totalement inconnues. On aurait pu lui dire qu’il était astronaute qu’il l’aurait peut-être cru. Aussi, était-il devenu méfiant, préférant être seul qu’en compagnie d’une autre de ses connaissances. En réalité, il fallait qu’il soit honnête avec lui-même : c’était la peur ! Cette foutue trouille qui lui tordait le ventre quand il parlait à quelqu’un. Il avait si peur d’apprendre quelque chose de négatif sur lui qu’il se murait dans le silence et dans sa chambre d’hôtel.

Un soupire plus tard et il fermait les yeux sans entendre les pas qui se rapprochaient. Une voix féminine vint le tirer de ses sombres pensées. Madison. Sa meilleure amie, son ancienne colocataire, sa presque jumelle sur le papier. Gregory tenta de lui sourire pour la saluer mais le cœur n’y était pas. Encore un peu et il se croirait dépressif pourtant ce n’était pas le cas. Il appréciait le fait d’être sorti vivant de cet accident, d’être là, dans ce parc. Seulement, il donnerait tout ce qu’il avait pour se souvenir de cette jeune femme, de se souvenir également d’Abby, de sa vie. « Salut ! Je me souviens de ton prénom. Hum.. Perdu ? Je crois bien que je le suis depuis mon réveil pour tout te dire ! » lui confia-t-il. Le jeune homme ne savait pas pourquoi mais il se sentait apaisé auprès d’elle et surtout confiant. Quelque chose en elle le poussait à se confier, à se laisser aller. « J’en ai marre Madison. J’en ai marre de ne pas me rappeler, de ne pas pouvoir rire aux anecdotes, de ne pas me souvenir de qui je suis quand je me regarde dans le miroir, de n’être qu’un étranger ! » Ragea-t-il en se prenant la tête entre ses mains, le dos vouté. « Pourquoi je me souviens de rien ? Dis-moi pourquoi il a fallu qu’on m’impose cette épreuve ? J’ai survécu à un crash d’avion et pourtant je suis terrifié comme un gamin à la moindre idée de parler à quelqu’un…Excuse-moi ! »

Gregory se glissa à l’autre bout du banc pour lui signaler que si elle le désirait, elle pouvait prendre place à côté de lui. Au fond de lui, il espérait qu’elle prenne du temps avec lui comme au bon vieux temps. Aujourd’hui plus qu’aucun autre jour, il avait besoin d’elle.