03. [Gillespie's] She's gone...

♫ Now I can't believe that she's gone.

Aujourd'hui était un jour comme un autre. Robbie s'était levé, découvrant un froid inhabituel annonçant que l'hiver était bel et bien là. Il décida de s'habiller en conséquence, avant de filer. Il avait perdu toute motivation pour la fac depuis peu, mais il se forçait toutefois à ne pas trop manquer les cours pour ne pas avoir trop de choses à rattraper d'un coup. Et puis s'il voulait avoir un travail décent, il ne fallait pas qu'il laisse tout tomber, et qu'il décroche un diplôme qui valait quelque chose. Etre serveur avait un tas d'avantage, mais ce n'était décidément pas un métier à faire toute sa vie. Il se présenta à chaque cours, même si sa présence n'était que physique. Mentalement, il était bien loin de Colombus. A Lima pour être précis, dans l'appartement de Leah. S'il pensait à elle, ce n'était pas anodin: il fallait absolument qu'il lui parle de choses importantes. Ils ne s'étaient pas vu depuis longtemps, ce qui était totalement ridicule, vu la situation dans laquelle ils se trouvaient. Il s'ennuyait royalement, et en temps normal quand cela se produisait, il avait pour habitude d'envoyer des messages plus futiles les uns que les autres à sa petite amie. Etant dans une période difficile depuis peu avec son couple, il se résigna à prendre des notes qu'il ne relierait probablement jamais. Il fixait l'heure, et quand ce fut le moment de partir, il fila plus vite que l'éclair vers sa voiture. Il était bien décidé à se lancer et à voir Leah afin de la mettre au courant d’une décision très importante. Ensuite, après cet entretient, il se rendrait directement chez sa petite amie, si toutefois, la distance qui s’était installée entre les deux n’avait pas mis un terme à leur relation implicitement. Il conduisit plus vite que d’ordinaire, en restant dans la limite du possible avec sa vieille voiture. Ce n’était vraiment pas le moment pour tomber en panne.

Il trouva le chemin étrangement plus long que d'ordinaire, et pourtant en regardant sa montre en arrivant, il remarqua qu'il avait réussi à grappiller une dizaine de minutes. Certaines choses ne s'expliquaient pas. Il eut la chance de trouver une place non loin de l’appartement de Leah, afin qu’il n’ait pas à marcher sur des kilomètres. Il entra dans l’immeuble, et attendit l’ascenseur. Le trouvant bien trop long à son gout, il prit les escaliers, et se souvint de la dernière fois qu’il avait gravit ces marches. C’était le jour où il avait voulu mettre un terme à sa relation avec Leah, et où il avait appris par la même occasion qu’elle était enceinte. A l’époque, il n’était pas du tout pressé de monter, et aujourd’hui s’il aurait pu voler jusqu’au dernier étage, il l’aurait fait sans hésiter. Finissant sa course folle à bout de souffle, il prit une minute pendant laquelle, penché en avant les mains posées sur ses genoux, il essaya de retrouver une respiration et un pouls normal. Il se dirigea ensuite d’un pas décidé vers la porte de l’appartement. Il regarda sa montre rapidement pour ôter un doute qui venait d’apparaitre dans son esprit. 15h, c’était bon. Normalement, les deux colocataires de Leah étaient occupés ailleurs, et ils auraient l’appartement pour eux tout seul. Ils ne l’utiliseraient juste pas de la même manière.

Il frappa de trois brefs coups, et attendit que la blonde lui ouvre pour qu’il puisse expliquer la raison de sa venue imprévue. Ce fut cependant une brune qui lui ouvrit la porte. Dans son malheur, il fut tout de même heureux de ne pas tomber sur le troisième habitant de cet appartement. Dévisageant la jeune fille qui attendait surement qu’il dise qui il venait voir, il s’exécuta enfin. Hey salut Christabella. Euh, désolé de passer à l’improviste, je croyais tomber sur Leah. Il mit une seconde pour tout vérifier mentalement. On était en semaine et en pleine journée. Il n’y avait aucune raison pour que la colocataire de Leah soit chez elle. En fait, j’ai un truc assez important à lui dire. Je peux la voir ? Il se souvenait de ce prénom qu’il avait déjà rencontré presque 6 ans auparavant, lors d’un club de lecture au lycée. Ce jour là d’ailleurs, il avait fait preuve d’un humour assez douteux. Il espéra intérieurement qu’elle ne se souvienne pas de cet étrange moment, tout en attendant sa réponse. Les doigts de sa main droite tapaient sur sa cuisse d’une manière assez agitée, qui laissait transparaitre sa précipitation. Il se rendit compte de cet affreux tic et le cessa instantanément en mettant sa main dans sa poche, avant que son interlocutrice puisse le remarquer.

En se réveillant ce matin-là, Christabella avait été frappée par plusieurs choses, certaines assez désagréables, et d’autres qui lui avaient un peu remontés le moral. Tout dabord, en ouvrant les yeux, elle avait été forcée de constater que le mal de gorge qui l’avait ennuyé toute la journée de la veille ne l’avait malheureusement pas quitté, et ce même après une bonne tisane au miel. Pire, son état semblait s’être empiré, et sa tête lui semblait lourde. Ses muscles lui donnaient l’impression d’être en coton, et elle s’était forcée à quitter son lit pour aller en cours. Mais en chancelant jusqu’à la salle de bain, elle s’était dit qu’elle était peut-être tombée malade pour de bon, et après avoir pris sa température, elle avait dû se rendre à l’évidence : aujourd’hui, elle ne pourrait pas quitter l’appartement. Bien que peu élevée, sa fièvre lui donnait des courbatures qui la firent grimacer lorsqu’elle se glissa dans sa tenue préférée en cas de rhume, à savoir un épais pantalon de sport, une paire de chaussettes de ski et un pull avec l’emblème d’Oxford qu’Ezrael lui avait offert pour Noël, il y avait quelques années de cela. Chaudement emmitouflée, elle avait appelé le cinéma pour avertir qu’elle ne pourrait pas aller travailler le soir, avant de faire venir son médecin traitant qui avait été formel : c’était un bon début de grippe. Dépitée, Christabella s’était résignée à rester cloitrée pendant plusieurs jours, le temps que sa fièvre la laisse tranquille. Cela tombait plutôt mal, parce qu’elle avait bien besoin de se changer les idées. Deux jours auparavant, la propriétaire de l’appartement dans lequel elle vivait lui avait annoncé son départ. Oui, Leah était partie, et son absence pesait déjà à Christabella. Depuis qu’elle avait emménagé avec la blonde, Christa s’était beaucoup rapprochée d’elle, et même si elle comprenait que Leah ait besoin de s’éloigner pour reprendre ses esprits, elle ne s’en sentait pas moins triste, d’autant plus que sa relation avec Timothy, sans être forcément houleuse, n’était pas non plus des plus amicales. En d’autres termes, elle n’avait plus personne à qui parler ici. C’était presque une chance que son admission chez les Second Chance se soit passé il y a peu, cela lui permettrait de se distraire. Du moins, quand elle pourrait à nouveau mettre le nez dehors, ce qui était pour le moment exclus. En attendant, elle était coincée avec ses pensées, sans même avoir la force de réviser.
Et ses pensées étaient presque toutes tournées vers Leah. Lorsque Leah avait fini par comprendre qu’elle était enceinte, elle en avait fait part à Christabella, ajoutant qu’elle avait besoin de prendre du recul pour savoir quoi faire. Evidemment, Christabella avait une opinion bien claire sur le sujet. De son avis, Leah devait garder le bébé. Mais elle avait gardé son opinion pour elle, sentant que son amie n’avait pas besoin de conseil, mais juste de temps et de compréhension. Elle avait donc fait ses bagages et était partie, promettant qu’elle reviendrait bien vite. Avec, ou sans le bébé. De par son éducation, Christabella était contre l’avortement, sauf si c’était nécessaire médicalement parlant, ou pour des raisons personnelles suffisantes. Elle ne savait pas si Leah avait un petit ami, mais apparemment cette grossesse n’était pas désirée. Pour autant, elle respecterait le choix de Leah. Enfouie sous une épaisse couverture, remontée jusqu’au menton, et affalée sur le canapé, Christabella laissa son esprit vagabonder, se demandant comment elle réagirait en cas de grossesse accidentelle. Bon, pour cela, il faudrait encore qu’elle ait une vie sexuelle, ce qui rien qu’en y pensant suffit à la faire rougir. Toujours vierge, elle s’était promis d’attendre le mariage avant de franchir le pas. Ou tout du moins, d’attendre le bon, l’unique. Mais si jamais cette première fois se soldait par une grossesse, en premier lieu elle songea automatiquement qu’elle garderait l’enfant… avant de réfléchir un peu. Elle avait certes un diplôme universitaire, un toit au-dessus de sa tête, et un boulot. Mais ce n’était qu’un petit job étudiant, qu’une colocation, que des études qu’elle n’aimait pas vraiment. Non, ce n’était pas propice à l’éducation d’un enfant. Réalisant qu’elle hésiterait si jamais cela lui arriverait, Christabella ouvrit de grands yeux, son regard posé sur l’écran de télévision qui diffusait des images de Raiponce, le DVD qu’elle avait choisie pour ne pas rester dans le silence tout en n’ayant pas à trop forcer pour comprendre quoi que ce soit. Elle ajouta ce fait à la petite liste de choses qui l’avaient frappée depuis son réveil. Sa soudaine solitude suite au départ de Leah, son début de grippe, sa prise de position concernant la grossesse, et pour terminer, le superbe paysage qui s’était offert à son regard lorsqu’elle avait ouvert les volets ce matin-là. La neige était tombée toute la nuit, recouvrant Lima d’un manteau blanc magnifique. Elle avait regretté de ne pas être en forme pour en profiter, et avait croisé les doigts pour que ce temps perdure. Christabella aimait la neige. Presque davantage que le beau temps, et le soleil. Tournant la tête pour jeter un coup d’œil par la baie vitrée, elle soupira d’un air dépité, avant de reporter son attention sur la télévision.

C’est le bruit de quelqu’un toquant à la porte qui l’empêcha de s’endormir, assommée par la fièvre. Clignant des yeux, elle se leva, ébouriffant ses cheveux qui lui arrivaient à présent presque aux épaules, et délaissant sa couverture pour se trainer jusqu’à la porte qu’elle entrouvrit pour glisser un œil dans le couloir. Quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver un de ses anciens camarades, un blond dont le nom lui échappait totalement à présent, mais qu’elle se souvenait avoir croisé à l’époque où ils étaient tous deux élèves à McKinley High. Haussant légèrement les sourcils, elle se demanda dabord s’il venait voir Timothy. Forcément, elle ne voyait pas d’autres raisons qui pousseraient un jeune homme à la coupe de cheveux étrange frapper à sa porte, et vu le look de Timothy, elle aurait pu parier qu’ils étaient tous deux amis. Mais à la mention de Leah, ses sourcils se haussèrent davantage, avant de se froncer. Elle cligna une fois des yeux, sentant que la fièvre lui faisait perdre le fil de ce qui se passait, puis finit par s’effacer pour laisser passer le jeune homme.

« Ne reste pas dehors. Entre. » proposa-t-elle poliment, mais d’une voix douce.

Une fois la porte refermée, elle se passa les mains sur le visage, comme pour effacer ses traits fatigués, avant de glisser ses doigts dans ses cheveux en une vaine tentative pour les démêler. Contournant le jeune homme, elle lui glissa un sourire en passant près de lui. « Tu veux boire quelque chose ? Je me suis fait du thé, il est bien chaud. Sinon, j’ai… » Tout en parlant, elle ouvrit le réfrigérateur et fit rapidement glisser son regard sur les étagères. « … de la bière ? » fit-t-elle avec circonspection, peu habituée à prononcer ce mot, mais se doutant que le jeune homme ne devait pas être un grand adepte du thé. « Elle est à Timothy, évidemment. Mais je ne pense pas que cela le dérange. » ajouta-t-elle en sortant une bouteille de bière qu’elle déposa délicatement sur le comptoir devant Robbie. Soudain, elle réalisa qu’elle se souvenait de son prénom, et que la seule fois où ils s’étaient adressés la parole, il s’était montré plus ou moins moqueur envers elle. Fort heureusement, elle n’était pas rancunière, et d’ailleurs, si elle avait oublié le fait en question, c’est que cela n’avait pas d’importance à ses yeux.
Frissonnant, Christabella se versa une nouvelle tasse de thé fumante, dans laquelle elle versa une cuillerée de miel avant de la serrer étroitement entre ses mains. « Leah n’est pas là. De quoi s’agit-il ? Je peux peut-être prendre un message. » Buvant une gorgée, elle savoura la chaleur du thé, mais surtout la douceur du miel qui tapissa sa gorge d’un voile bienfaisant, apaisant ses douleurs, et haussa à nouveau les sourcils en direction de Robbie.

La brune eu l'air étonné en entendant qu'il était là pour voir Leah. C'était assez marrant le fait que lui sache mieux que les propres résidents des lieux ce qu'il se passait ici. En même temps, c'était surement mieux ainsi, il n'avait pas du tout envie de se présenter et de tout de suite avoir l'étiquette du plan sexe de Leah. Il ne se fit pas prier pour entrer dans l'appartement, pensant à juste titre qu'il ferait surement meilleur dedans que dehors. Connaissant l'appartement grâce à ses nombreuses visites informelles, il fit quand même semblant de suivre Christabella dans la cuisine, tout en restant derrière le comptoir. Elle lui proposa du thé, et il se demanda automatiquement s'il avait l'air de quelqu'un qui boit du thé. La laissant faire son inventaire alors qu'elle scannait du regard les étagères de son réfrigérateur, elle lui proposa ensuite un breuvage qui lui correspondait plus, à savoir de la bière. Il s'apprêta à accepter lorsqu'elle ajouta, comme pour se défendre, que c'était à Timothy. Comme s'il était en position de juger quoi que ce soit. Cependant, ce fut l'argument qui le força à ne pas accepter la bouteille, qu'il attrapa afin d'aller le replacer dans le frigo. On sait jamais... C'était à son tour de se justifier, en voyant le visage de la brune. Il fallait vraiment qu'il arrête de se croire chez lui ici, surtout quand Leah n'était pas là.

Il sortit de la cuisine, et se dirigea naturellement dans le salon, la laissant faire son mélange thé/miel dans son coin. Il prit place sur le fauteuil voyant qu'une couverture abandonnée témoignait que la jeune femme y était un peu plus tôt. Il l'entendit lui demander quelque chose dans la cuisine et il se retourna pour lui répondre, même s'il ne la voyait pas. Bah en fait c'est un truc qu'il faut que je lui dise moi même. Mais attend je vais l'appeler. Liant le geste à la parole, il composa instantanément le numéro de téléphone de Leah et porta le téléphone à son oreille. Une sonnerie, puis une deuxième, puis messagerie. Il coupa l'appel, et recommença. Cette fois, une seule sonnerie fut nécessaire avant qu'il ne soit redirigé vers la messagerie. Il fronça les sourcils alors que Christabella le rejoignait dans le salon, laissant derrière elle, une forte odeur de miel. C'est bizarre. Il releva la tête vers elle pour lui expliquer la situation. D'habitude elle me répond toujours, et là, c'est comme si elle rejetait mes appels. Il se résigna à lui envoyer un message pour lui expliquer la situation, en espérant que ce dernier aurait plus de succès, puis posa son téléphone sur l'accoudoir du fauteuil. Entendant un dialogue familier, il tourna vivement la tête vers la télé sans vraiment y croire, avant d’y découvrir Raiponce.

Une remarque s'échappa de ses lèvres. Han Raiponce! C'est la meilleure princesse de tout les temps tu trouves pas? Et alors qu'il disait ces mots, il se rendit compte qu'il venait de dire la chose la moins virile possible au monde. Mais il fallait être franc, Raiponce avait vraiment quelque chose en plus. Ses cheveux surement. Ou le fait qu’elle combatte le mal avec une poêle. Oui enfin quoi qu’il en soit, il n’allait pas ouvrir un débat la dessus. Il oublia un instant Christabella préférant se focaliser sur le DVD, avec une concentration qu'il n'aurait jamais soupçonné avoir. C'était le moment où ils étaient dans la tanière en train de chanter sur leurs rêves respectifs. Robbie fut contraint à chanter les moindres paroles dans sa tête pour ne pas perdre le peu de crédibilité qu'il lui restait aux yeux de Christabella. Et puis elle n'avait surement pas envie d'être témoin de cette scène. Une fois que la chanson fut terminée et que les gardes arrivèrent dans la tanière à la recherche de la princesse et de Flynn, il revint à la réalité. Il était chez Leah, et l'attendait. Il abandonna son côté gamin dans un coin de son esprit, et reprit son attitude d'adulte émancipé. Elle t'as dit quand elle reviendrait? C'est un peu pressé et important en fait. Il ne voulait pas non plus l'attendre des heures car avec sa chance récente, il croiserait Timothy ici aussi, sauf que la, c'était chez lui donc il aurait un avantage en cas de désaccord.

Tout en se préparant du thé, Christabella eut tout le loisir d’observer Robbie. Le peu de souvenirs qu’elle avait de lui étaient assez confus, mais il avait gardé sa tignasse blonde emmêlée, à laquelle Christa ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil en songeant qu’il ne devait pas utiliser souvent ce petit objet qu’on appelle un peigne. Puis elle aperçut son propre reflet dans la porte métallique du réfrigérateur, et se fit la même réflexion concernant sa propre chevelure, qu’elle n’avait pas pris la peine de coiffer ce matin, en comprenant qu’elle ne pourrait de toute façon pas sortir. Discrètement, elle se passa la main dans ses mèches indisciplinées, mais renonça vite. Elle avait passé la matinée à se tourner dans tous les sens sur le canapé, ses cheveux étaient emmêlés, seule une brosse pourrait réparer les dégâts. Et puis de toute façon, il y avait fort à parier que Robbie ne remarque pas ce petit détail. Alors qu’il reposait la bière à sa place, Christabella comprit que Robbie et Timothy, soit ne se connaissaient pas –ce qui lui semblait quand même fort peu probable, puisque Robbie se souvenait même de son prénom à elle, il avait forcément dû garder contact avec plein d’anciens élèves- soit n’étaient pas en très bons termes. Mais son esprit était trop embrumé par la fièvre, aussi laissa-t-elle de côté ces divagations et savoura-t-elle une nouvelle gorgée de son thé, alors que Robbie se dirigeait vers le salon. Du coin de l’œil, elle le regarda quitter la cuisine, sans remarquer qu’il semblait remarquablement bien connaitre l’appartement, se repérant sans mal. Si elle n’avait pas été étourdie par la fièvre, peut-être l’aurait-elle remarqué, et peut-être cela lui aurait-il mis la puce à l’oreille. Elle vivait ici depuis plusieurs mois à présent, mais elle ne se souvenait pas du tout de l’avoir déjà vu ici. Comment aurait-il pu connaitre le chemin menant vers le salon, dans ce cas ? Certes, l’appartement n’était pas immense, mais il était quand même suffisamment grand pour qu’on hésite une fois dans le couloir qui donnait sur le salon mais également sur les autres pièces de l’appartement. Mais Robbie s’y était dirigé du premier coup. Pourtant, Christabella ne remarqua pas cet étrange détail, et alors qu’il lui expliquait brièvement qu’il devait lui parler d’une chose importante, elle le suivit jusqu’au salon alors qu’il portait le téléphone à son oreille. Soulevant la couverture, elle se glissa en dessous, l’étalant soigneusement sur ses jambes qu’elle replia sur le côté, sa tasse de thé toujours dans une main. Voyant que Robbie fronçait les sourcils à mesure que ses appels étaient refusés, elle pinça doucement les lèvres mais resta silencieuse. Elle avait eu Leah au téléphone la veille, lorsqu’elle l’avait appelé simplement pour lui demander sa nouvelle adresse afin de lui envoyer son courrier, et pour s’assurer que tout allait bien. Leah avait décroché dès la première sonnerie, et même si l’appel avait été plutôt court, Christabella ayant des choses à faire, elle ne manqua pas de remarquer que pour Robbie, Leah ne semblait pas disposée à répondre. Baissant le nez sur sa tasse, elle médita en silence ce fait étrange, se demandant pour quelles mystérieuses raisons Leah refuserait de parler à quelqu’un qui de toute évidence était son ami, puisque connaissant son adresse et souhaitant lui parler. Elle fouilla dans sa mémoire pour tenter de se souvenir si Leah avait déjà fait mention de Robbie, dans une conversation ou autre, mais elle avait beau chercher, elle n’avait pas cette impression. Ou alors elle n’avait pas jugé cela important et n’avait pas retenu. L’espace d’un instant, elle espéra ne pas avoir fait une bêtise en laissant Robbie entrer. Si Leah refusait de lui parler, c’était sans doute pour une bonne raison, la même qui expliquerait qu’elle n’ait jamais fait allusion au jeune homme. Peut-être était-il dangereux. Peut-être harcelait-il Leah. Cette pensée lui fit ouvrir grand les yeux, à mesure qu’elle réalisait dans quel pétrin elle s’était peut-être fourrée sans le savoir. Puis elle se ravisa. Si Robbie représentait vraiment un danger, Leah ne serait jamais partie sans lui en avoir parlé, pas forcément pour s’étaler sur sa vie privée mais pour prévenir Christa de ne surtout pas le laisser entrer.
Rassurée, elle releva les yeux lorsque Robbie, remarquant que Raiponce passait sur l’écran, lança qu’il la considérait comme la meilleure princesse de tous les temps, selon ses propres termes. Un peu surprise, Christa se tourna vers lui. Robbie avait le regard fixé sur la télévision, absorbé par la scène qui s’y déroulait. Attendrie, elle dissimula son sourire derrière sa tasse, et chantonna doucement les paroles de la chanson sur les rêves des brigands. Ce n’était pas forcément son passage préféré du film, appréciant davantage la chanson Où est la vraie vie ?, lorsque Raiponce posait enfin, pour la première fois, le pied en dehors de sa tour. Ce qui ne manqua pas de la surprendre, c’est que Robbie, non seulement connaissait le dessin-animé, mais en plus l’avait vu et semblait l’apprécier. Alors qu’elle était prise d’une quinte de toux qui la força à arrêter de chanter pour avaler une gorgée de thé, elle eut la conviction que Robbie n’était pas un mauvais garçon. « C’est une princesse à part. Pas une demoiselle en détresse attendant que son prince vienne la délivrer. Elle représente la femme moderne, celle qui après avoir subi la domination et l’autorité, décide de ne plus courber l’échine. Elle est indépendante et forte, pas comme Blanche-Neige ou Aurore, de la Belle aux bois dormants. Dans le genre, j’ai un gros faible pour Anastasia. » dit-elle en désignant l’écran où apparaissait Raiponce avec sa tasse. C’était un sujet qu’elle avait étudié le semestre dernier en étude du cinéma pour enfant, mais elle réalisa alors que ce n’était peut-être pas forcément passionnant pour Robbie, aussi lui lança-t-elle un regard d’excuse alors que Robbie revenait à la réalité lui aussi pour savoir quand Leah avait prévu de rentrer. Se mordillant la lèvre, Christa détourna les yeux, avant de secouer la tête. « Elle ne m’a pas dit quand elle reviendrait. » lâcha-t-elle doucement. Elle chercha un moyen de détourner la conversation, de parler d’autre chose, parce qu’après tout, Robbie ne savait pas que Leah était partie, et si Leah n’avait pas jugé utile de le dire au jeune homme, c’était surement pour une bonne raison. Christabella ne voulait pas être celle qui lui dirait la vérité, parce qu’elle ne savait pas de quoi il retournait. Pourtant, elle n’avait pas le choix, aussi cessa-t-elle de tergiverser. « Elle a juste dit qu’elle devait s’éloigner pendant un moment. Robbie, elle est partie. » finit-elle par dire doucement.

Il ne comprenait vraiment pas pourquoi Leah ne voulait pas lui répondre. Quand elle serait de retour, il vaudrait mieux pour elle qu’elle ait une bonne raison. La relation qui s’était installé entre eux depuis l’arrivé du bébé ne lui permettait pas de passer sous silence radio sans le prévenir. Lançant un regard furtif à Christabella il vit qu’elle n’avait pas l’air bien rassurée, surement à cause de son mal de gorge. A moins que cela soit du au fait qu’elle sache pourquoi Leah ne veuille pas lui répondre. Il n’eut le temps de chercher à en savoir plus, qu’il fut distrait par l’extrait de Raiponce. Le fait qu’il l’ait entendu fredonner la chanson en même temps que lui, l’avait un peu rassuré. Au moins elle ne le jugerait pas de puéril, et ils seraient sur ce point sur un pied d’égalité. Oui sauf qu’elle pourrait justifier cet état par sa maladie, alors que lui n’aurait aucune justification. Il se rassura en se disant qu’elle n’était pas partie en courant face à tant de puérilité, bien qu’il doute qu’elle ait pu en être capable. Après avoir donné son point de vue complètement subjectif, il concentra sur l’argumentation de choc de Christabella au sujet de la princesse, oubliant Leah un instant, et contre toute attente, tout ce qu’elle disait était vrai. Il y avait eu assez de princesses soumises, il était temps d’en avoir des rebelles. Il ne put s’empêcher de se mettre dans la peau d’un personnage de dessin animé, et de s’imaginer dans la peau d’un prince. Dans ce cas, il voudrait totalement d’une princesse comme Raiponce, et non pas comme Blanche Neige qui est assez idiote pour manger une pomme offerte par une inconnue. Raiponce aurait déjà assommé la douce personne à coup de poêle. Hallie aurait pu être sa Raiponce. Il aurait pu continuer à parler de ce sujet toute la journée, mais il n’était pas la pour ça. Il se concentra donc de nouveau sur la vraie raison de sa venue, en interrogeant une fois de plus la brune.

Elle se mordait la lèvre presque navrée de ne pas connaitre la réponse à sa question. Robbie se demanda ce qui avait bien pu pousser Leah à quitter Lima comme ça, sans le prévenir. Même Ryder, qui était pourtant son meilleur ami, n’avait pas l’air d’être au courant, sinon ils en auraient forcément parlé. Pourquoi diable avait elle décidé de partir sans prévenir personne ? Peut être qu’elle n’avait juste pas envie d’être retenue en fin de compte. Il inventa tout les scénarios possibles pour expliquer cette absence, quand Christabella, lui annonça une nouvelle qu’il eut d’abord du mal à croire. Fort heureusement, il avait décidé de rester sans rien boire, car sinon étouffement aurait été inévitable. Qu… Quoi ? Comment ça « partie » ? Partie pour combien de temps était la vraie question. Il voulait tout savoir, mais sans tout dévoiler non plus. La grossesse de Leah était un secret, peut être avait elle juste décidé de partir avant qu’on l’interroge sur sa future prise de poids. Il ne savait même pas si elle avait prévenu sa colocataire qu’elle était enceinte. Et si elle l’avait fait, savait elle que c’était Robbie le père ? Il était perplexe, et il devait savoir si Christabella savait pour le bébé, mais en essayant de ne pas faire de gaffe au cas où elle ne saurait rien. Il avait peur qu’elle soit partie dans un état ou l’avortement serait encore possible à ce stade. Il ne voulait pas y croire, elle avait l’air si déterminée à le garder, lui disant qu’elle avait nettement les moyens de s’occuper d’une autre personne. Mais cela expliquerait néanmoins pourquoi elle ne voulait pas lui répondre. Il n’en pouvait plus d’attendre il fallait que Christabella lui dise ce qu’elle savait sur la situation. S’il te plait. Je sais pas si tu comprends ce qu’il se passe, mais j’ai absolument besoin de savoir ce qu’elle compte faire. Ne me dit pas où elle est. Juste si tu pense qu’elle sera de retour dans environ… 10 mois, ou moins. Ce laps de temps n’était pas anodin. Dans dix mois, elle aurait accouché, aurait pu faire adopter son enfant si c’était ce qu’elle voulait, et revenir retrouver une vie normale. Égoïstement, il voulait surtout savoir tout cela pour essayer de trouver comment gérer tout ce qui allait lui tomber sur le coin du nez...

Il avait surement l’air d’un fou, là, assis sur le canapé, ne prêtant plus la moindre attention au DVD. La seule chose qui l’intéressait maintenant était la réponse qu’allait lui formuler son interlocutrice. Ce qu’elle lui dirait, serait synonyme de réconciliation possible avec Hallie, ou de rupture instantanée, sans retour en arrière. Il avait décidé d’assumer cet enfant, de tout avouer à Hallie et d’en payer les conséquences, mais sans bébé, il n’avait plus du tout besoin d’aller tout lui raconter. Il était vraiment vital pour sa relation avec sa petite amie, de savoir si Leah comptait revenir de sitôt, et d’après ce qu’il avait compris, Christabella était la seule chance qu’il ait de le savoir. Il aurait vraiment du accepter la bière en fait, car plus le temps passait et plus sa gorge était serrée et sèche. Ses mains s’agitaient et il désespéra de ne pas voir son téléphone vibrer pour annoncer une réponse de Leah.

L’espace d’un instant, Christabella en voulut à Leah de l’avoir mise dans une telle situation. Bien sûr, elle ignorait la raison pour laquelle Leah n’avait pas dit à Robbie qu’elle partait. D’ailleurs, elle ne savait pas à qui elle avait annoncé son départ, ni si Robbie aurait dû faire partie de ceux mis au courant, ni même si Leah et Robbie étaient amis. Mais elle en voulut à son amie d’avoir fait d’elle celle qui annonce les mauvaises nouvelles, car de toutes évidences, pour Robbie, c’était bien une mauvaise nouvelle. Il venait jusque chez Leah pour lui parler, apparemment de quelque chose d’important, et il ne trouvait que sa colocataire. Christabella ne savait pas de quoi il pouvait s’agir, mais elle avait promis à Leah de ne pas dévoiler sa destination à qui que ce soit. De toute façon, elle en savait peu, mais elle garderait tout cela pour elle. Elle espérait juste que Robbie ne lui fasse pas une scène, exigeant d’avoir une adresse. Que pouvait-il bien avoir à dire à Leah ? Quand bien même ils étaient amis, il devrait comprendre que Leah puisse vouloir s’éloigner, sans en connaitre les raisons puisque personne n’était au courant pour la grossesse. Peut-être travaillait-il avec elle au studio photo. Il était plutôt mignon, dans son genre –un genre bien loin de plaire à Christabella- et peut-être était-il mannequin. C’était quand même incroyable que jamais Christabella n’ait entendu parler de lui. Elle avait beau fouiller sa mémoire, rien ne lui venait. Tout ce dont elle se souvenait concernant le jeune homme était leur première et unique entrevue au lycée, pendant le club de lecture, club durant lequel il n’avait pu s’empêcher de se moquer d’elle et de ses croyances, avant de s’excuser. Elle ne se souvenait pas l’avoir vu ici, en tout cas. Mais Leah et lui avaient très bien pu se voir en dehors de l’appartement. Un curieux soupçon vint la chatouiller sans vraiment prendre forme, lui donnant l’impression qu’elle était sur le point de découvrir quelque chose, mais sans parvenir à mettre le doigt dessus, la laissant un peu frustrée. Tendant le bras pour déposer sa tasse sur le dessous de verre qui trônait sur la table basse, Christa fit la grimace, sentant ses muscles qui la faisaient souffrir, éprouvés par une fièvre qui lui donnait des courbatures. Epuisée par ce simple geste, elle se renfonça dans le canapé, s’enroulant dans sa couverture et laissant échapper un petit soupir de satisfaction. Bien que brûlante, elle avait froid. Un bon bain lui ferait le plus grand bien, une fois qu’elle serait à nouveau seule. Mais Robbie accepterait-il de ne pas l’accabler de questions ? Se contenterait-il du simple fait de savoir Leah partie ? Il y avait fort à parier que non. Elle-même assez curieuse, Christabella s’était sans le vouloir mis à essayer de comprendre le lien qu’il pouvait y avoir entre Robbie et Leah, sans y parvenir.

Robbie finit par lui fournir le peu d’informations dont elle avait besoin pour mieux comprendre la situation. Arguant qu’il n’était pas important pour lui de savoir où elle se trouvait, il insista sur un fait en particulier qui ne laissa pas Christabella indifférente, et lui fit légèrement froncer les sourcils, alors que son soupçon grandissait et prenait de plus en plus forme dans son esprit. « Pourquoi ? Il se passe quoi dans dix mois ? » demanda-t-elle d’un ton devenu méfiant, à mesure que tout s’éclaircissait dans sa tête. En temps normal, Christa était quand même bien plus maligne, et si elle n’avait pas été étourdie et affaiblie par la fièvre de sa grippe, elle aurait compris aussitôt de quoi il s’agissait. Seulement, il lui fallut du temps pour réaliser que dans dix mois Leah serait très certainement revenue. Avec son bébé, ou sans. Si elle avortait, elle reviendrait bien avant. Si elle menait sa grossesse à terme, c’est le temps qu’il lui faudrait pour s’habituer à son nouveau statut de mère, ou bien ce serait le temps qu’il lui faudrait pour trouver une famille à son nouveau-né. Dix mois. Ce n’était pas anodin, comme précision.
Et soudain, la vérité lui éclata au visage, balayant tous ses doutes. Petit à petit elle comprit vraiment le lien qu’avaient Robbie et Leah, et la compréhension se lut dans ses yeux, alors que des restes de méfiance la convainquirent de rester sur ses gardes et d’adopter un visage aussi impassible que possible. Elle choisit avec soin ses mots. « Je ne sais pas, Robbie. Elle ne m’a pas dit avec précision ce qu’elle comptait faire. » Ce que Leah comptait faire du bébé, effectivement Christa n’en savait rien, mais elle s’abstint de le préciser. « Juste qu’il lui fallait du temps pour réfléchir. » Réfléchir à l’avenir. Allait-elle garder le bébé ? Le faire adopter ? Ou bien carrément avorter ?
Alors que son regard effleurait Robbie, elle sut qu’il était au courant pour la grossesse de Leah. Ce n’était pas par hasard qu’il lui demandait si la blonde avait prévu de revenir dans dix mois, et pas dans une semaine ou un an. Non, dans dix mois. Leah avait dû le mettre au courant. Pourtant, très peu de personnes savaient qu’elle était enceinte. Leah n’avait donné aucun détail à Christa, juste qu’elle serait mère célibataire. Ce n’était pas dérangeant en soi, même si Christabella croyait aux fondements du mariage, le principe des mères célibataires ne la choquait pas, et elle savait que Leah serait une mère formidable. Elle avait de l’amour à donner, et son enfant serait choyé et aimé autant que possible. Mais cet enfant, Leah ne l’avait pas fait toute seule, bien sûr. Considérant Robbie avec cette même pointe de méfiance, Christabella se dit que s’il savait que Leah était enceinte, il savait peut-être également qui était le père. Mais pourquoi Leah lui en aurait-elle parlé à lui, un simple ami, et pas un principal concerné ?

« Donc, tu sais qu’elle est enceinte. » finit-elle par dire abruptement, choisissant de ne plus utiliser de faux semblants, convaincue que Robbie savait tout, et qu’il aurait peut-être une information que Christa n’avait pas. Qui était le père ? Elle se retournait sans cesse cette question en tête, n’osant la formuler à voix haute. « Sais-tu autre chose au sujet de cette grossesse ? Parce que moi, pas. Je sais juste qu’elle est partie pour savoir quoi faire. Elle me l’a dit parce que je vis avec elle, je suis sa colocataire et son amie. Mais toi, qui es-tu pour elle ? Son meilleur ami, peut-être ? Elle ne m’a jamais parlé de toi. C’est étrange. Tu la connais depuis longtemps ? Pourquoi est-ce que tu n’es jamais venu la voir avant ? » demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté, intriguée. « Excuse-moi, je te pose beaucoup de questions, mais tu comprends, je pensais être la seule au courant, et toi tu l’es aussi. Et pourtant… je n’arrive pas à te situer, par rapport à Leah. Je n’y comprends pas grand-chose. » soupira-t-elle avec lassitude, fatiguée par toutes ces questions, par sa grippe, déprimée par le départ de Leah et agacée de ne rien comprendre. Elle espérait vraiment que Robbie puisse lui donner une réponse. Lui expliquer un peu mieux les choses. Lui donner le nom du père.

Il se rendait compte de ce qu'il avait été amené à faire à cause de sa mère. Il avait du quitter la ville sans prévenir personne, pour céder à ses caprices et à son retour, il s'était étonné de voir que des gens lui en voulaient terriblement. Enfin, quelqu'un en particulier mais ce n'était pas la peine de recommencer à parler de lui. Il lui aura fallu être à la place des gens qu'on laisse derrière pour comprendre que ce sentiment d'abandon pouvait vraiment être blessant. Mais lui, il avait eu une raison de partir, un secret à protéger en quelque sorte, et avait décidé de partir pour éviter le pire. Leah avait certes quelque chose à cacher, mais elle aurait du prévenir quelqu’un de son départ. Et cela aurait du être lui, et personne d'autre. C'était lui désormais qui occupait la plus grosse place dans sa vie, et même si au début il refusait d’être impliqué dans cette situation, maintenant qu'il l'acceptait enfin on le mettait au pied du mur, lui faisant bien comprendre qu'on ne voulant pas de lui. C'était une situation affreuse au final. Réfléchissant à tout ça, et ne pouvant s'empêcher de faire le lien entre son départ six ans auparavant et celui de Leah aujourd'hui, il faillit louper l'interrogation de Christabella. Pourquoi dix mois, et pas un de plus? Le fait d'avoir choisi ce laps de temps n'avait pas du tout été judicieux en fin de compte, et il aurait vraiment du arrondir à un an. Au moins ainsi, il n'aurait pas à répondre à cette question. N'étant pas du tout sûr de vouloir expliquer toute l'histoire à cette inconnue, il se contenta de hocher les épaules, comme si ce choix avait été complètement aléatoire. Le ton méfiant qu'elle avait employé n'avait pas échappé à Robbie, qui se disait qu'elle avait du faire le lien entre lui et le bébé de Leah, si toutefois elle savait quoique soit à propos de ce bébé. Le fait qu'elle ne sache rien était la seule chance qu'il lui restait et qui lui permettrait d'éviter de subir un interrogatoire poussé.

Le silence se prolongea jusqu'à ce qu'elle lui dise que Leah avait juste besoin de temps pour réfléchir. Elle le regarda comme si elle cherchait une quelconque réaction venant de lui, et alors qu'il voulu rester de marbre, il ne put même pas soutenir son regard une seconde. Il préféra baisser les yeux sur ses mains qu'il força d'arrêter de s'agiter pour ne pas avoir l'air d'un coupable. Encore une fois ce fut un total échec. Il faisait vraiment tout de travers aujourd'hui sans vraiment savoir d'où tout ce stress venait. Le départ de Leah devait être une bonne chose alors pourquoi était-il si tendu. Puis il se souvint de la blague qu'il avait faite à la brune à l'époque du lycée. Il s'était moqué de ses croyances, pensant qu'il était mieux qu'elle surement. Voila pourquoi il avait peur de trop en dire. Il avait peur qu'elle le juge, et pire encore, qu'elle juge Leah. Une personne ayant reçu l'éducation de Christabella ne devait surement pas concevoir l'idée d'avoir un enfant hors mariage, et encore moins avec quelqu'un qui n'est là que pour satisfaire ses instincts les plus primaires. Puisque Christabella n'en savait pas plus à propos de ce départ, il songea à l'idée de partir. Plus rien ne le retenait ici, et il savait pertinemment que s'il s'obstinait à rester, il allait forcément dévoiler quelque chose que Leah aurait voulu garder secrète. Il regarda l'heure sur son portable, qu'il rangea dans sa poche voyant qu'il n'y avait eu aucune réponse. Il s'apprêta à se lever quand, encore une fois, elle brisa le silence pesant qui s'était installé dans la pièce.

Une phrase qui le heurta de plein fouet, et qui l'écrasa contre le fauteuil l'empêchant de se relever. Il leva vivement la tête vers elle avec des yeux écarquillés. Évidemment qu'il le savait mais elle... Si Leah l'avait dit à Christabella, plus rien ne garantissait à Robbie que personne d'autre ne soit au courant. Oui je le sais depuis un petit moment maintenant. Il s'arrêta là, préférant répondre à sa question sans aborder d’autres sujets. Dire que malade elle avait découvert tout ça en quelques échanges. Robbie se dit que soit il était drôlement mauvais menteur, soit qu'elle était sacrément forte en logique. Écoutant une nouvelle fois ses questions, il se dit qu'il était temps d'arrêter de tourner autour du pot. Manifestement Christabella en savait beaucoup sur la situation, et il pouvait lui répondre sans avoir peur de dévoiler quelque chose de trop. Je ne pensais pas que tu étais si proche de Leah pour qu'elle te confie ce genre de chose. Quand je l'ai vu, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas ébruiter la nouvelle. Je suis au courant parce que je suis... Comment allait-il pouvoir expliquer toute l'ambigüité de leur relation. Tu connais Ryder? Le meilleur ami de Leah? Bah c'est aussi mon meilleur ami, et c'est mon colocataire qui plus est. J'ai souvent eu l'occasion de la croiser chez moi, avant de vraiment sympathiser avec elle. Mais ça ne m'étonne pas qu'elle ne t'ait jamais parlé de moi. Et en fait, je suis déjà venu la voir ici, je m'arrangeais juste pour venir quand vous n'étiez pas là, ni toi, ni... Timothy. Il s'arrêta un instant avant de se rendre compte, trop tard encore une fois que ce qu'il venait de dire pouvait être mal interprété. Il chercha rapidement une parade pour expliquer la raison de ses visites surprises. Je ne vous connais pas plus que ça, je ne voulais pas vous imposer ma présence en venant passer une soirée ici par exemple. Il se félicita intérieurement d'avoir si bien rattrapé le coup.

Maintenant qu'il avait répondu à toutes ses questions, c'était à lui de lui en poser une. Puisqu'il ne servait à rien de chercher des manières déguisées la réponse, il décida d'être direct. Et tu sais qui est le père? Ou qui d'autre est au courant. Parce que si des personnes mal intentionnées le savent, ça peut vite faire le tour de la ville. Il n'avait laissé transparaitre aucune culpabilité dans sa voix, et dans son interrogation, comme si lui même ne savait pas. Il avait fait semblant de vouloir protéger Leah en évitant que le tout Lima ne soit au courant de cette histoire, mais en fait, il voulait surtout savoir à quel point il était fichu. Il se rendit soudain compte que ce n’était rien d’autre qu’un égoïste. Il ne lui restait plus qu'à espérer que personne à part elle ne soit au courant. Christabella n'avait vraiment pas l'air d'être le genre de fille à aller parler sur le dos des gens, surtout que jusqu'ici, elle avait l'air d'apprécier sa colocataire.

La surprise et le choc qui s’affichèrent sur le visage de Robbie auraient presque pu être risibles, dans d’autres circonstances. De toute évidence, il ne s’attendait pas du tout à ce que quelqu’un d’autre soit au courant, et semblait plus qu’étonné que ce soit le cas. Pourtant, de l’avis de Christabella c’était plutôt le fait que lui soit au courant qui pouvait être étrange. Après tout, elle vivait avec Leah, était amie avec elle depuis le lycée, elle la voyait tous les jours, prenait ses repas avec elle, et était au courant de beaucoup de choses. Par contre et jusqu’à ce qu’il vienne frapper à la porte, elle aurait pu jurer que Robbie ne faisait pas partie de la vie de Leah, en aucunes façons. Et pourtant, il savait que Leah était enceinte, alors c’était à elle d’être surprise, puisque Leah lui avait dit de n’en parler à personne. Elle ne voulait pas que ça se sache, et d’ailleurs c’est tout à fait par hasard que Christabella avait été mise au courant, sinon elle n’en aurait rien su, et aurait juste pensé que Leah avait quitté Leah pour une raison tout à fait différente, peut-être un chagrin d’amour par exemple. Mais voilà, elle avait été mise dans la confidence suite à un petit incident.
Robbie entreprit alors de lui expliquer comment il connaissait Leah. Christabella ne connaissait pas ce « Ryder » personnellement, mais effectivement Leah l’avait déjà mentionné, aussi hocha-t-elle doucement la tête, en nuançant ce geste par un léger haussement d’épaules pour signifier que c’était très vague. Mais curieusement, les explications du jeune homme étaient… non pas confuses, mais assez bancales, et un drôle de soupçon revint la taquiner, sans qu’elle comprenne réellement de quoi il s’agissait, ni pourquoi elle s’entêtait à vouloir trouver quelque chose d’étrange chez Robbie. Il était charmant, poli, propre sur lui –bien que coiffé bizarrement-, et pourtant elle s’obstinait à le considérer d’un œil méfiant. Réfléchissant à ce fait nouveau, elle se dit que ce devait sûrement venir de ce qu’elle avait traversé avec sa famille. Ses parents l’avaient trainée plus bas que terre, l’avaient copieusement insultée avant de la mettre à la porte. Depuis, ils l’ignoraient royalement, ne voulaient plus rien avoir à faire avec elle, et la considérait comme une trainée. Christabella en avait été horriblement blessée, et depuis, elle avait l’impression que les gens en qui elle pouvait avoir confiance se faisaient rare. Elle avait eu une foi immense en ses parents, et le résultat lui avait fait changer d’avis sur ce qu’on pouvait éprouver pour ceux qui nous entoure. Robbie semblait en faire les frais, le pauvre, et elle se sentit alors un peu coupable. Ce n’était pas sa faute, et elle s’efforça de faire taire ses soupçons.

…mais quand même.

« Et bien, jusqu’à maintenant je pensais être la seule. » répondit-elle avec un sourire amusé. « Leah m’a dit qu’elle ne voulait en parler à personne. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle voulait quitter Lima. Et puis, pour être tout à fait honnête, même moi je n’aurais pas dû être au courant. Seulement, je voulais faire plaisir à Leah, parce que j’avais remarqué qu’elle était fatiguée et pas en super forme, alors je lui ai préparé un petit déjeuner. Mais l’odeur des œufs brouillés l’a rendue malade, et… elle a vomi. » raconta-t-elle piteusement. Elle se souvenait de ce jour. Elle s’était levée aux aurores afin de préparer un petit déjeuner complet à son amie. Tout avait été disposé avec soin sur la table, et Leah avait été très touchée par l’attention. Elle l’avait chaudement remerciée, et avait pris place, le sourire aux lèvres. Le café, elle l’avait supporté. Mais dès que Christabella avait déposée devant elle une assiette plein d’œufs brouillés, Leah était devenue toute blanche, puis légèrement verte, et elle s’était précipitée dans la salle de bain. La première pensée de Christabella, à ce moment, fut que Leah avait attrapé une bonne grippe intestinale. Et puis Leah lui confia qu’elle n’était pas malade, mais enceinte. A cette nouvelle, Christabella avait été véritablement transportée de joie, et sincèrement heureuse pour son amie, qui avait vite tempérée sa réaction en lui spécifiant qu’elle n’était pas certaine de garder l’enfant, pour commencer, et qu’il n’y avait pas de père. Enfin, elle n’avait pas utilisé ces termes, bien sûr qu’il y avait un père, même Christabella savait qu’il fallait être deux pour avoir un enfant, et pourtant elle était restée innocente en matière de reproduction, pendant très longtemps. Mais Leah, sans s’étendre sur le sujet, avait expliqué qu’il n’y aurait pas de père au sens propre du terme. Elle serait seule pour élever l’enfant, en d’autres termes, le père n’étant pas « disponible ». Christabella n’avait pas trop compris, mais elle n’avait pas posé de questions, se contentant d’être là pour soutenir Leah. Elle avait été aux petits soins pour elle jusqu’à son départ, deux jours auparavant. « C’est à ce moment qu’elle m’a avoué être enceinte. Malheureusement, je ne sais pas qui est le père. Je ne lui ai pas demandé, il aurait été indiscret de ma part de poser la question. » expliqua-t-elle simplement. Elle gratifia Robbie d’un regard désolé. « Je suis désolée de ne pas pouvoir t’aider, mais j’ai promis à Leah. Elle ne voulait pas que ça se sache. C’est pour ça que je suis surprise que tu sois au courant. Leah m’a dit qu’elle ne l’avait annoncé qu’au père. »
Et alors, elle comprit. Voilà pourquoi les explications de Robbie lui semblaient bancales. Voilà pourquoi il était là, pour voir Leah. Voilà pourquoi il était au courant de la grossesse de la blonde. Voilà pourquoi Christa n’avait jamais entendu parler de lui. Il n’était pas l’ami de Leah. Il était le père de son bébé. Se redressant subitement sur le canapé, sans se soucier de sa couverture qui glissa sur ses jambes, elle ouvrit la bouche, la referma, les yeux écarquillés et fixés sur Robbie. « C’est toi le père ! » chuchota-t-elle.

Charmant. Il eu un air dégouté lorsqu’elle lui raconta la scène du petit déjeuner. Des nausées matinales ? Voila ce qui avait mis la puce à l’oreille à Christabella. Ca et les aveux de Leah bien sur. Pour quelqu’un qui ne voulait mettre personne au courant, elle avait été une bien piètre menteuse. Elle aurait pu mettre ses vomissements sur le dos d’une soirée trop arrosée la vieille, ou sur un microbe qui trainait. Elle n’avait même pas cherché à cacher la vérité à sa colocataire. Robbie ne comprenait pas pourquoi elle avait ressenti le besoin de lui dire. De son coté, il ne l’avais dit à personne, enfin pas dans ses souvenirs en tout cas, et il le vivait plutôt bien. Ni Sam ni Ryder, qui étaient de loin les personnes les plus proches de lui, n’avaient eu vent de cette nouvelle. Sa destinée était peut être de mentir aux gens, et il y arrivait sans encombre. Puis il se dit que les changements physique ne l’atteindraient pas lui, mais Leah. Que ses colocataires aurait vu sa prise de poids tôt ou tard. Qu’ils auraient fini par poser des questions, et que la pression aurait été trop lourde à porter seule. Elle se sentait peut être isolée dans cette bulle qui mettaient de plus en plus de distance entre elle et les autres. Elle avait juste eu besoin d’une personne à qui parler, d’une oreille attentive. Robbie n’était pas vraiment à l’aise pour parler de tout ça avec elle, et surement que Leah avait fait le meilleur choix possible en mettant Christabella dans la confidence après tout. Il décida donc qu’il ne devait pas la blâmer pour ça. Surtout qu’apparemment, elle était vraiment seule à le savoir.

Ce qu’il se passa ensuite releva de l’ascenseur émotionnel. Tout d’abord, il fut grandement soulagé d’apprendre que Christabella ne savait pas qui était le père du bébé, et d’ailleurs, elle lui apprit même que personne à part le père lui-même n’était au courant de cette grossesse. Cette dernière information le mis dans une position inconfortable de doute profond. Combien de temps lui faudrait-il pour qu’elle joigne les deux bouts ? La réponse ne fut pas bien longue à arriver, puisqu’il fut rapidement mis dans la peau d’un coupable pris la main dans le sac. Il aurait pu essayer de tout nier, mais à quoi bon. Ce n’était même pas une question. Elle n’attendait aucune réponse. Il la regarda de bas. Maintenant qu’elle se tenait debout, elle dominait la situation. C’est pour ça qu’elle ne t’as jamais parlé de moi. Puis il continua. Il ne savait pas pourquoi mais si Christabella était vraiment la seule au courant, il se sentait le devoir de lui expliquer toute l’histoire. Notre relation était un peu clandestine. On ne pouvait en parler en personne. Ils ne le pouvaient pas, mais ne le voulaient pas non plus. C’était d’ailleurs pour ça qu’en fait, ni Ryder ni Sam n’étaient au courant. De toute façon il n’y a rien à en dire. Et le bébé n’était pas censé arrivé évidemment. J’ai mal réagi au début, mais je lui ai dit que je l’aiderai. Il avait lui-même bien trop souffert de ne pas avoir de père après la mort de ce dernier. Il n’avait vécu qu’avec sa mère tyrannique, et bien qu’il sache que personne n’aurait pu être pire qu’elle, il ne voulait pas laisser son enfant seul avec Leah. Il posa son coude sur l’accoudoir et posa son front sur sa paume, en poussant un long soupir. Elle aurait du me dire qu’elle comptait partir. Il s’arrêta un instant l’air dépité. Il n’en avait pas voulu de cet enfant, mais maintenant que son avenir était plus qu’incertain, il voulait le garder. Il releva la tête vers Christabella, les yeux plein de peine. C’est mon enfant aussi après tout. Une sorte de question pour le conforter dans ses doutes. L’avis de Leah serait toujours plus important que le sien, surtout si elle se faisait passé pour une femme abandonné par le père de l’enfant.

Puis soudain, il sentit son portable vibrer. Il se dépêcha de plonger sa main au fin fond de sa poche. Le message était de Leah. Un simple Désolée. Il poussa un léger rire ironique et tourna son portable vers Christabella. Super hein ? J’attend une explication, et tout ce que je reçois c’est « désolée ». Il sentit la colère monter en lui. Il n’aimait pas s’énerver, surtout quand la personne concernée n’était pas la. Souvent il bouillonnait de l’intérieur et il s’emportait à propos de tout. S’il aurait été chez lui, il aurait lancé son portable à travers la pièce, mais il ne voulait pas perdre la face devant Christabella. Il se leva et vint se placer derrière le fauteuil, les deux mains posées sur le dossier. Il baissa la tête et ferma les yeux pour essayer de faire le vide et de retrouver son calme. Il respira lentement et une fois qu’il fut calmé il releva la tête. Je suppose que tu sais garder un secret ? Parce que pour le bien de tout le monde, va falloir que ça reste entre nous trois. Après coup, sa phrase ressemblait étrangement à une menace. Il se redressa, lâchant le fauteuil. Il ne voulait pas effrayer Christabella, surtout que vu son état, elle n’avait pas la tête à se s’énerver contre quelqu’un. Il ne savait pas quand se terminait les cours au lycée, mais il lui semblait nécessaire de quitter les lieux. Christabella, je peux te demander une dernière chose ? Il la regarda d’un air suppliant. Quand tu auras de ses nouvelles, tu pourras me mettre au courant, pour ne pas que je m’inquiète pour rien ? Et pour la première fois depuis son arrivée dans l’appartement il arrêta de penser à lui. Cette fois ce qu’il demandait était sincère et ne cachait aucune mauvaise intention. Il voulait vraiment savoir ce que Leah comptait faire, à propos du bébé, à propos de sa propre vie et de tout le reste. Et puisqu'elle n'était pas décidé à le lui dire elle même, il faudrait qu'il compte sur l’honnêteté de la malade. Il chercha du regard un bout de papier et un stylo. Il savait pertinemment où chercher et se dirigea vers le petit meuble adossé à un des murs du salon. Il griffonna un bout de papier, qui tendit ensuite à la jeune brune. Tiens c’est mon numéro.

Bien qu’étant complètement novice en matière de sexe, Christabella avait dû subir, comme tous les élèves de McKinley, les obligatoires cours d’éducation sexuelle qui étaient censés apprendre aux jeunes en proies à leurs hormones que le sexe pouvait avoir des conséquences désastreuses. Au club de chasteté, on tenait le même discours, mais pour les membres, le sexe devait être proscrit jusqu’au mariage pour des raisons morales, alors qu’en cours d’éducation sexuelle, on apprenait surtout que le sexe pouvait, lorsqu’il était pris à la légère, entrainer des maladies lorsqu’on ne se protégeait pas, mais également faire tomber enceinte des adolescentes qui se retrouvaient alors pointées du doigt et qui devait vivre avec ce fardeau sur leurs épaules pour le restant de leur existence. Néanmoins, cela n’avait pas empêchée quelques lycéennes de tomber enceinte, du temps où Christabella était encore à McKinley. Ce qu’elle avait surtout retenu de ces cours, ce n’était pas qu’il fallait s’abstenir de passer à l’acte, car cela, elle le savait déjà et se l’était déjà promis devant Dieu. Non, elle avait surtout appris comment les bébés étaient conçus. Car oui, si sa mère lui avait dit, lors de ses premières règles, qu’elle était désormais apte à donner la vie, et que le sexe était un devoir conjugal auquel elle devrait se plier une fois mariée, elle n’avait pour autant jamais pris la peine de lui faire savoir comment on s’y prenait ! Au pensionnat, on n’abordait pas ce sujet, mais à McKinley, on prenait les choses très au sérieux, surtout depuis que l’ancienne reine des Cheerios, Quinn Fabray, avait dû remonter les couloirs du lycée avec le ventre d’une femme enceinte. Les professeurs et les infirmières scolaires avaient longuement pris le temps d’expliquer aux adolescents comment on fait les bébés, et c’est là que Christabella l’avait appris, elle aussi. Curieusement, elle ne s’en était pas du tout sentie gênée, mais plutôt curieuse, et son esprit rationnel avait pris le pas sur son éducation. Loin de s’offusquer qu’on aborde un sujet d’ordinaire prohibé, elle avait soigneusement écouté, afin d’en apprendre plus que sa mère ne pourrait jamais lui dire. Et ainsi, elle avait pu comprendre comment le corps de la femme fonctionnait vraiment.
Si Leah était restée, mais avait jugé que personne ne devait apprendre pour sa grossesse, Christabella avait la certitude qu’elle aurait fini par l’apprendre. Elle pouvait citer par cœur les symptômes d’une grossesse. Les seins douloureux, le mal de dos, la fatigue chronique, le dégout de certains aliments et bien sûr, les vomissements du matin et la prise de poids. Si les premiers étaient faciles à dissimuler, le dernier symptôme l’était plus difficilement. Comment cacher un ventre qui peu à peu s’arrondit de plus en plus ? Leah, adepte des vêtements près du corps, n’aurait pu dissimuler son ventre, et elle aurait eu beau investir dans une garde-robe plus large, ce n’aurait pas été suffisant. Christabella avait beau avoir la tête dans les nuages, elle était observatrice, et perspicace, enfin, la plupart du temps. Elle aurait fini par comprendre.
Ce qu’elle ne comprenait pas forcément, en revanche, c’était comment Leah avait pu lui cacher qu’elle voyait quelqu’un. Elles étaient amies depuis longtemps, après tout, et même si elle n’exigerait jamais de Leah qu’elle lui avoue toute sa vie en détail, elle avait pensé que ce genre de choses viendrait forcément sur le tapis un jour ou l’autre. Apparemment, elle s’était trompée. Elle en voulut un peu à Leah de lui avoir caché qu’elle avait un petit copain, puis décida qu’après tout, Leah était libre d’avoir des secrets, et qu’elle n’avait de comptes à rendre à personne. De plus, qu’est-ce qu’un secret de ce genre, quand on prend la peine de confier à quelqu’un qu’on est enceinte ? Se rasseyant doucement, Christa laissa Robbie lui expliquer en quelques mots la situation, et par « clandestine » elle comprit que cette relation n’aurait surtout jamais dû voir le jour. Pour quelles raisons, elle ne savait pas vraiment, mais apparemment, c’était mal. Ou du moins, immoral. Certes, Leah faisait un peu ce qu’elle voulait, elle s’amusait et profitait de sa jeunesse, Christa ne l’en avait jamais blâmé et elle ne la jugeait pas, mais elle se posait de plus en plus de questions, et cela l’épuisait de plus en plus. Elle se contenta donc de hocher la tête. Il n’y avait, de toutes façons, rien qu’elle ne puisse dire. Elle aurait pourtant voulu réconforter le jeune homme, le consoler, mais ce n’était pas son rôle. Elle était l’amie de Leah, et elle ne connaissait pas du tout Robbie. Cette situation ne la regardait pas. Elle était prête à aider son amie, et si Robbie avait besoin d’aide, elle la lui offrirait également. Mais pour l’heure, il n’y avait rien qu’elle puisse faire. Elle lui offrit un regard compatissant et embrumé par la fièvre.

Lorsque Robbie, perdu et peiné, la supplia presque de la tenir au courant dès qu’elle aurait des nouvelles de Leah, Christabella se sentit prise entre deux feux. Leah ne voulait peut-être pas que Robbie sache quoi que ce soit la concernant, c’était d’ailleurs pour ça qu’elle n’avait pas tenu le garçon au courant de son départ. Se mordant la lèvre, elle hésita sur la marche à suivre, pendant que Robbie lui tendait un bout de papier avec son numéro. Elle le contempla un instant, puis prit sa décision. « Je te dirais tout ce que je peux, mais si Leah me l’interdit, tu devras te débrouiller tout seul. Elle est mon amie, elle passe avant. » dit-elle simplement. « C’est tout ce que je peux faire pour toi. Mais je te promets que tant que je le pourrais et dans la mesure du possible, tu auras de ses nouvelles. » ajouta-t-elle.

Elle ne raccompagna pas Robbie jusqu’à la porte, et resta sur le canapé, enfouie sous sa couverture, le bout de papier posé devant elle sur la table basse, et au bout d’un moment, s’endormit, la tête pleine de secrets.