Basil H. Talford & Summer Davis

« Show you my true face »

Breadsticks. A Lima, on ne trouvait malheureusement pas mieux en matière de restaurant, ce qui voulait dire que tous les autres boui-boui qui tentaient de se faire passer pour tel étaient loin d’y parvenir, autant en termes de qualité des plats, qu’apparence extérieure, mais également que Breadsticks, s’il convenait aux bouseux qui peuplaient Lima, était loin, très loin de satisfaire Summer Davis. Habituée à ce qu’il y avait de mieux, elle regrettait souvent de ne pas vivre à New-York, comme elle se l’était toujours promis. Les choses étant ce qu’elles étaient, elle était coincée à Lima le temps de son stage d’attachée de presse, et même si travailler pour Sue Sylvester lui accordait de très nombreux avantages, ce n’était pas comparable à la vie qu’elle aurait pu avoir si elle avait pu s’installer à New-York. C’est quand elle s’installait à une table au Breadsticks qu’elle éprouvait des regrets et un certain ressentiment. Pourtant, elle avait fini par en faire son deuil, se persuadant qu’une fois ses études terminées, et avec l’expérience qu’elle avait acquise en tant qu’attachée de presse, elle pourrait décrocher un poste très important auprès d’un politicien, et elle pourrait enfin s’installer à New-York. En attendant, elle remplissait avec brio ses taches, se distrayant comme elle le pouvait. Et quand on connaissait Summer Davis, il fallait s’attendre à des distractions fort peu agréables pour ceux qui en faisaient les frais.
Installée à sa table habituelle, dans un des coins les plus calmes du restaurant, Summer se saisit de son verre d’eau et en but une gorgée, son regard trainant sur les clients présents ce soir. Depuis quelques semaines, elle venait un soir sur deux, exigeait d’avoir la même table et ce même si elle n’avait pas réservé, et restait le temps d’un repas. Elle profitait de ce temps pour faire le point sur son emploi du temps à venir, qui changeait sans cesse au gré des humeurs de Sue. Elle terminait quelques dossiers en cours, ses doigts glissant sur la surface lisse de son iPad. Elle répondait à tous les mails que Sue recevait mais qu’elle ne lisait jamais, cette tache étant réservé à Summer. Bref, son repas était souvent pris de manière décousu, parce qu’elle ne levait la tête de son téléphone ou de sa tablette que pour passer commande et demander l’addition, ne s’accordant une pause que le temps de savourer son dessert. C’était la même chose tous les soirs. Parfois, elle commandait mais ne touchait pas à son plat, débordée par son travail, et d’autre fois, elle faisait un caprice. Jouant la cliente mécontente –à juste titre ou non- elle décrétait qu’un plat n’était pas assez cuit, ou trop cuit, ou mal assaisonné, et le renvoyait illico en cuisine. Elle aimait créer un mouvement de panique auprès des serveurs, et voir dans leurs yeux qu’ils craignaient une nouvelle frasque de sa part. Allait-elle se satisfaire de la cuisson de sa viande ? Le poisson qu’elle avait commandé était-il bien présenté ? Milles et unes raisons de craindre Summer Davis, que tout le monde ou presque connaissait et redoutait, parce qu’en tant qu’attaché de presse de la mairesse de la ville, elle avait le pouvoir, si elle le souhaitait, de faire fermer le restaurant. Aussi les serveurs se pliaient-ils en quatre pour lui faire plaisir, cherchant à obtenir de Summer ne serait-ce qu’un hochement de tête qui indiquerait que pour une fois, elle était satisfaite. Sa dernière frasque remontait à deux semaines auparavant, lorsqu’elle exigé de parler à celui qui s’était occupé de la soupe qu’elle avait eu en entrée, et qu’elle avait renvoyé en cuisine sans même la goûter. Elle s’était retrouvée face à un jeune homme aux cheveux bouclés, qui se présenta comme étant second de cuisine. Alors qu’elle lui expliquait par a+b à quel point son plat était raté, lui conseillant de vite changer de carrière car de toute évidence, il n’était pas fait pour travailler en restauration, il l’avait simplement ignoré, sans se départir d’une certaine politesse que beaucoup auraient pu perdre dans d’autres circonstances. Après cela, Summer aurait pu se choisir un autre restaurant. Mais elle revint le jour suivant, encore et encore, toujours à la même table.

Son assiette venait d’être débarrassée, et elle avait commandé un dessert qui en plus de ne pas figurer sur la carte, devait être préparé par le second de cuisine qu’elle avait rencontré la fois précédente. Elle l’avait fermement exigé, et tant pis si ce n’était pas dans les attributions du jeune homme. Elle sentait que la serveuse lui glissait quelques regards paniqués de temps à autre, apparemment persuadée que plus le coulant au chocolat que Summer avait commandé mettrait du temps à arriver, plus elle en prendrait pour son grade. Pourtant, Summer lui laissait des pourboires plus que conséquents, mais ce n’était nullement pour atténuer ses remarques acides et ses regards glacials. Au contraire, c’était un bon moyen de montrer sa supériorité financière et sociale face à la pauvre petite serveuse qui peinait à joindre les deux bouts, en dégainant des billets de 100$ comme si ses poches en étaient pleines. Ce qui était le cas. Comme si le fait de porter des vêtements de créateurs ne suffisait pas, mais Summer aimait en mettre plein la vue. Lorsqu’enfin son dessert au chocolat lui fut apporté, elle leva les yeux vers la serveuse, la contempla sans mot dire le temps que cette dernière dépose l’assiette sur la table, puis la gratifia d’un remerciement glacial. Sa cuillère à la main, elle fendit la croute du chocolat et laissa la partie encore liquide se répandre doucement, avant d’entamer son dessert avec appétit. Si elle avait choisi ce dessert, c’était parce que Madison, sa colocataire et meilleure amie, adorait le chocolat. Ce soir, elles auraient pu passer la soirée ensemble, mais Madison vivait en ce moment son histoire d’amour à fond. Elle s’était enfin trouvé quelqu’un, et passait beaucoup de temps avec cette personne, que Summer n’avait pas encore rencontré par ailleurs. Mais on ne pouvait pas dire qu’elle aimait vraiment cette relation toute nouvelle, et qui la privait de Madison.
Madison. La blonde n’était pas simplement la meilleure amie de Summer, elle était surtout la seule et unique personne à avoir su faire battre le cœur de la brune. Summer aimait Madison, elle ne s’en cachait pas, mais elle n’avait jamais rien demandé à Madison. Rien. Elle savait que la blonde n’était pas intéressée par les femmes, en aucune façon, aussi n’attendait-elle rien de sa part. Elle était satisfaite d’être simplement en sa présence. Sauf que maintenant, Madison était de moins en moins souvent là, et pour ne pas se retrouver seule dans un appartement où Madison n’était pas là, Summer préférait nettement aller diner dehors. Le gout du chocolat, si doux quelques secondes auparavant, lui parut soudainement bien amer, et elle déposa doucement sa cuillère dans l’assiette. Elle n’avait plus faim. Elle voulait juste rentrer chez elle. En se levant, elle lâcha quelques billets sur la table, attrapa son sac en cuir et récupéra son épais manteau qu’elle enfila prestement, avant de quitter le restaurant.

Sur le parking, elle s’enferma dans sa voiture rutilante, en jetant son sac sur le siège passager… et attendit. Elle se passa la main dans les cheveux, vérifia son maquillage dans le rétroviseur. Tout était parfait. Alors elle s’affaissa sur le siège et posa son front sur le volant. Madison lui manquait. Mais elle ne pleura pas.