03. What's wrong with lying nowadays ?

Une anomalie ambulante gambadait gaiement, sucette multicolore XXL à la bouche, dans une grande rue de la fade ville de Lima, Ohio. Elle sortait du lycée William McKinley, une sorte de grande ruche aux abeilles avides de liberté qui avaient une certaine tendance à fuir à l'heure des cours de français. Dans le cas de Shakira-Po Gavyn première du nom et certainement dernière, espérons-le pour ses descendants en admettant que descendants il y ait, c'était la vingt-troisième fois depuis le début de l'année scolaire. Et comme à chaque fois, elle comptait se rendre au starbucks. Du haut de ses quatorze centimètres de talon en daim mauve, celle qui se prétendait "Lycéenne" se sentait légèrement toute puissante, étant plus grande que la plupart des passantes (la moyenne d'âge étant cinquante-cinq ans à cette heure là de la journée). Elle s'arrêta devant un magasin de chaussures, les yeux en coeur devant des talons compensés à rayures blanches et bleues marines et au dessus en simili-cuir noir vernis... Assez original, et totalement inédit à McKinley. Gavyn renonça cependant à les acheter, son porte-monnaie ayant fait un régime tellement efficace qu'il avait perdu la moitié de son poids. Il devait lui rester vingt dollars (dix-huit plus précisément) et les chaussures en coûtait le quadruple. Haussant les épaules et la gentille et innocente jeune fille reprit sa route, trébuchant quelque fois sur des bouches d'égout dans lesquelles ses talons s'étaient accrochés. Heureusement pour elle, le seul a avoir remarqué sa quasi-chute était un enfant de trois ans qui eut vite fait de se taire en voyant son regard assassin. Elle arriva finalement devant le Starbucks, son sourire éblouissant de blancheur (et surtout blanchi par un professionnel peu de temps auparavant) ayant fait un come-back en puissance sur son visage enfantin. Elle tira machinalement sur son short gris délavé qu'elle avait recouvert avec patience et application de légère taches de peintures multicolore pour se donner un style artistique, et se rendit à l'intérieur du café étrangement bondé, contrastant avec la population extérieur qui frôlait le niveau "Petit village français après vingt-deux heures". Elle chercha une table vide où s'installer, mais son regard s'arrêta sur un jeune homme blond et définitivement à son goût. Shakira regarda sa sucette d'un air peiné, comme pour lui dire "Ecoute je suis désolée ma petite meuf, mais va falloir que je te lâche parce qu'il se pourrait bien que j'ai honte de toi" et la glissa discrètement dans une poubelle à l'entrée, sans une once de regret. Elle avait beau aimer la nourriture, un beau gosse passait parfois avant tout. Surtout qu'il ne restait plus grand chose de la chose gisant au milieu des petites serviettes blanches. Débarquant telle une météorite sous anti-dépresseurs (sans aucune délicatesse, pour ceux qui ne sont pas habitués au jargon local du cerveau de l'auteur, les pauvres imbéciles), elle s'installa sur la chaise en face de sa cible, un plan tout beau tout frai se préparant dans son esprit vaguement vicieux et tordu de future obèse (si si, son destin est tout tracé). Ricanant intérieurement de son plan diabolique si génial, elle sourit d'un air trop enthousiasmé pour être réaliste.

- Aaaah, Karl, j'suis trop contente de te voir ici !

Karl... Crédibilité zéro, personne ne s'appelle Karl. Enfin du moins pas dans le monde réel des vrais gens. Enfin pas que Shakira-Po le sache. Cette dernière s'était d'ailleurs mise à battre des cils comme si elle avait une poussière dans l'oeil et avait à présent l'air un peu gêné. Elle se trouvait décidément très bonne comédienne, il fallait qu'elle rajoute ça dans ses options de carrière, entre "Mannequin" et "Femme d'un vieux monsieur très riche".

- Oups, je suis désolée je vous ai confondu avec quelqu'un d'autre. Désolée pour le dérangement vraiment !

L'adolescente s'auto-trouvait niaise, mais après tout, elle avait lu dans un magasine quelconque que les hommes aimait les cruches, allez savoir pourquoi vraiment. Peut-être parce que comme ça elles ne devinaient pas quand ils les trompaient ? Assez contente de son hypothèse, réalisant un peu trop tard qu'elle se faisait des petites discussions dans sa tête et se demandant vaguement si il ne fallait pas qu'elle consulte, elle fit mine de se lever, priant intérieurement pour que l'homme qu'elle avait importuné (et qu'elle trouvait toujours aussi beau gosse) l'empêche de partir en lâchant quelque chose. Ou en la rattrapant si il avait une extinction de voix, ce qui était assez commun vu la période de l'année.

Glenn regardait la fumée qui s'élevait de son gobelet, fasciné, tout en le serrant fort dans ses mains, laissant la chaleur bénie de son chaï tea latte se communiquer à son corps. Le blond profitait pleinement de ses quelques jours de congés, bien mérité après avoir passé la dernière semaine plongé dans les fanfreluches et les deux derniers jours sans dormir, à carburer au café, afin d'être près pour le défilé. Mais il avait affronté tout ça avec stoïcisme et panache et à présent, il se reposait en buvant son thé au Starsbuck sans demander rien à personne.

Au bout d'un moment, il leva son regard gris et parcourut la salle du regard. Étrangement, le café était bondé malgré que l'on soit un jour de semaine, en pleine heure creuse. Il y avait quelques lycéens mais surtout des étudiants et des employés venu se détendre pendant leur pause. Le styliste se retint de grimacer en regardant les tenues des clients. Franchement, il savait que tous le monde ne pouvait pas s'acheter du Chanel ou du Dior mais on pouvait très bien s'habiller pour pas très cher, même dans une petite ville comme Lima. Et même en faisant son shopping chez Wall Mart, on pouvait au moins accorder les motifs et les couleurs, toute la ville n'était pas daltonienne que diable.

Alors qu'il s'arrachait mentalement les cheveux en contemplant la misère fashionastique qui régnait dans la ville de son cœur (après Paris, Prague, Londres, New York … bref, une ville qu'il aimait bien), ses pensées lugubres furent interrompues par une voix stridente en face de lui. Il tourna ses yeux vers l'inconnue et tomba sur une tornade blonde qui s'assit en face de lui et l'appela Karl. Karl. Karl … Elle l'avait appelé Karl. Quel prénom horrible ! Ok, son dieu portait le même, mais c'était un dieu, soit un être surnaturel au delà de la compréhension humaine qui avait le droit de s'appeler Karl, ou même Norbert, mais lui, Glenn McAllistair était un vrai humain et aimait son prénom, thank you very much !

Sans un mot, il observa la perche blonde comme un scientifique découvrant une nouvelle espèce de nuisible, indifférent mais vaguement intéressé (on pouvait toujours étudier l'insecte pour trouver de nouveaux médicament ou pour développer un nouvel insecticide). Elle s'agita dans tous les sens à grands renforts de sourire plein de dents éclatantes et de gloussements avant de se lever en s'excusant de s'être tromper de personne avec un air faussement détaché. Glenn ne savait pas vraiment ce qu'elle attendait de lui, quelque chose lui disait qu'elle voulait qu'il la rattrape mais n'ayant pas l'habitude des méthodes de dragues hétéros, il n'en était pas sûr. Il se contenta donc de la regarder se lever en levant un sourcil tout en portant son gobelet fumant à ses lèvres pour en prendre une gorgée. Son regard clair reflétait avec exactitude, pour un fois, le dédain qu'il ressentait à cet instant précis bien qu'une lueur d'amusement dansait toujours dans ses yeux. Il se demanda distraitement si elle ne s'était pas échappé d'un asile psychiatrique et nota qu'au moins, elle avait du goût en matière de mode.

Alors qu'elle s'était résignée au fait que non, sa "proie" n'allait pas la rattraper et lui faire un compliment sur son ravissant sourire, la lycéenne se retourna une dernière fois, histoire de vérifier si son "interlocuteur" qui n'avait pas décroché un mot depuis le début de la conversation qu'elle avait lancée, était toujours vivant. Apparemment il l'était, vu la lueur dédaigneuse dans ses yeux. Cela énerva Shakira-Po plus que raison et elle se rassit dans le but de lui faire une morale longue et pas vraiment sexy, mais si il y a une chose avec laquelle elle avait du mal, s'était les regards qui semblaient vouloir dire "Je suis tellement mieux que toi, petite chose puérile".

- Quoi, ça vous arrive jamais à vous de vous tromper de personne ?

Bon, en vérité, elle devait bien avouer que ça n'arrivait jamais à personne. Mais tout le monde avait déjà utilisé ça en technique d'approche peu subtile un jour ou l'autre, excepté les saintes-nitouches et autre coincés, non ? Peut-être pas, mais Gavyn en était persuadée, et selon elle un ménage sur trois avait fait connaissance de cette façon (un autre s'étant évidemment rencontré sur le net et le dernier était l'oeuvre d'amis communs).

- Ce n'est vraiment pas la peine de me montrer tout votre mépris et votre dédain, honnêtement, je crois que j'aurais compris toute seule.

Shakira se rendait bien compte de ce qu'elle faisait (alias se ridiculiser une fois de plus dans sa petite vie monotone), mais comme on dit "Le ridicule ne tue pas", et à partir du moment où ça n'influait pas dans sa vie sociale, vu qu'étrangement la plupart de ses connaissances ne séchaient pas les cours de français pour se rendre au Starbucks, passer pour une conne ne la dérangeait pas plus que ça. Elle remit une de ses mèches lissées derrières ses oreilles et fit une petite moue assez spéciale.

- Bon. A part ça, je suis vraiment désolée de vous avoir importuné... Ah, non, en fait c'est faux je suis pas vraiment désolée. J'aurai pu l'être si vous n'aviez pas été aussi hautain.

Elle fit néanmoins battre ses cils l'air de dire "Heureusement que je suis beaucoup plus gentille et généreuse que toi mon pauvre ami" et tenta un petit sourire en coin. Tant pis si il n'était très réceptif, elle allait tenter quelque chose. Même si elle savait pertinemment le genre de réponse cinglante et outrée qu'elle risquait de recevoir (à force elle avait l'habitude, vu le nombre de beaux blonds qu'elle avait abordé ces deux dernières années), ça lui laisserait un prétexte pour rester et entamer un long débat sur le fait qu'il soit marié/largué il y a deux semaines/en couple/amoureux d'une fille qui ne le remarquait même pas/en dépression nerveuse. D'après une étude Made In Shakira, la plus part des beaux mecs étaient en couple, et apparemment pas décidé à tromper leur petite amie. Ce qui est assez marrant, quand on pense que la mère de la jeune femme passait son temps à lui dire de toujours sortir avec des moches parce que eux, au moins étaient fidèles. C'était la première fois sa génitrice lui avait sorti ça qu'elle avait compris pourquoi son père était aussi moche et stupide, alors que sa mère était une femme canonique malgré la ménopause.

- Avant de vous laisser, j'aimerai quand même savoir quelque chose. Vous êtes gay ou juste frigide ?