Se lever, étudier, aller à la chorale, se coucher. Se lever plus tôt, étudier toujours plus, aller toujours autant à la chorale, se coucher tard. Le train-train quotidien d'Hallie commençait à se dessiner lentement, mais avec une vitesse phénoménale. Voilà deux semaines qu'elle s'était brouillée avec son petit copain, et malgré les supplications de ce dernier, elle avait refusé de lui accorder la moindre minute. Un seul texto lui avait été adressé, un seul texto avait fini par mettre au clair où ils en étaient dans leur couple: en pause. Lorsqu'elle avait appris par la toujours très agréable et délicate Summer que le garçon qu'elle aimait entretenait des affaires louches avec d'autres filles qu'elle, il n'en avait pas fallu plus pour en arriver à cette méthode extrême. Ils n'avaient pas rompu, c'était déjà ça. C'était d'ailleurs ce qu'il y avait de paradoxal dans les agissements d'Hallie: elle ne voulait pas rompre, car elle l'aimait tellement que cette idée la tuerait, mais elle ne voulait pas non plus lui laisser le bénéfice du doute, lui laisser une chance de se rattraper. Les malentendus et les mauvais "on dit" n'étaient pas rares dans une ville comme Lima, et surtout à Lima même, où chacun s'occupait de la vie de l'autre, sans savoir quoi faire de la sienne.
C'était sur cette réflexion que la jeune Halloway se torturait l'esprit ces derniers jours. Le temps libre que lui procurait sa pause avec le beau blond lui avait laissé tout le temps nécessaire pour se focaliser sur sa vie à elle, et non celle de son couple qui battait de l'aile, ni celle de sa mère ou ni même celle de ses amies. Abby avait retrouvé Gregory, et c'était un sacré soulagement que de savoir qu'elle n'aura pas à épauler son amie dans la douleur. Sa relation amicale avec Savannah s'était intensifier, cette dernière était toute bonnement une amie incroyable, même si leur dernière dispute aurait presque suffit à les séparer. Sa mère avait retrouvé le parfait amour en la personne d'un procureur de la république nommé Jerry, mais qui vivait à Boston, la ville d'origine des Halloway. C'était avec la mort dans l'âme que les trois filles Halloway s'étaient séparées, Hallie héritant de l'appartement, la petite soeur avait évidemment suivi sa mère, sous les conseils d'Hallie, qui pressentait non seulement que le manque de la mère jouerait dans le comportement de la gamine mais aussi que le lycée de Lima était devenu un lieu infréquentable. Sue Sylvester merdait bien niveau éducation, à l'exception près: la fac communautaire avait des taux de réussites qui commençaient à repasser le cap du 10 %. La recette miracle se trouvait être allongée sur son lit, un livre de biologie sous le nez. Hallie avait réussi ce à quoi elle avait été choisi: elle permettait à la fac communautaire d'avoir un nouvel aspect, moins médiocre, pour preuve de cette nonchalance, la plupart des étudiants allaient à l'Ohio University pour continuer leurs études. La fac communautaire de Lima était un vrai désastre, néanmoins, le super programme de Sue et du Conseil de l'Ohio avaient décidé qu'il en soit autrement, privant alors la meilleure élève que Lima n'ait jamais connue de pouvoir poursuivre ses études de biologie dans une université réputée, en lui fermant les portes dès l'inscription, et en lui proposant une belle somme avec un bon nombre de zéros si elle acceptait de rester à Lima. Ce qu'elle avait fait, évidemment. Mais l'argent n'avait jamais montré le bout de son nez, le compte d'Hallie était resté inchangé, et elle avait dû prendre un job à Sheet'N'Things pour payer le loyer avec sa mère. Cette dernière désormais partie, elle allait avoir du mal. Et elle voulait penser à elle maintenant.

Entre deux koalas en peluche que lui avait offert Savannah et Ryder pour son anniversaire, figurait le portable de la choriste. Une intuition lui disait qu'il fallait qu'elle envoie un message à une certaine personne susceptible de l'aider, car ressasser ces évènements lui avaient fait prendre conscience d'une chose: elle gâchait sa vie. Une personne pouvait bien l'aider, mais cela faisait un certain temps qu'elles ne s'étaient pas échangées un mot, ni même croisées. Oxanna devait bien être occupée de toute façon, aucune chance qu'elle n'accepte d'aider Hallie. Même si elle lui avait déjà manifesté de l'intérêt concernant son étrange présence à Lima, une question dont elle avait pu avoir de réponse, vu le manque de coopération de l'étudiante qui s'était empressée d'embrailler sur son couple avec Robbie. Quelle tête allait-elle faire si elle savait que l'indécise avait changé d'avis ? Puis de toute manière, si elle acceptait, Hallie se retrouverait dans l'incapacité de détourner la question vu que son couple n'était plus vraiment son sujet de conversation favoris. Lance-toi, lui disait son esprit, tu ne perdras rien au change. Soit.
Elle se redressa alors sur son matelas, avançant le bras pour se saisir de son portable. De là, elle composa le numéro de son ex-belle-belle soeur et envoya un message d'alerte.
Truc urgent à te dire. Viens vite. Starbuck. Assure-toi d'être seule.
Devant ce message, de la façon dont il était écrit, la fausse blonde savait très bien qu'Oxanna allait mordre à l'hameçon. Le danger, elle aimait ça, sinon, quel intérêt elle avait eut à faire ses petites enquêtes au temps du lycée, et quelle envie la pousserait à travailler dans le FBI ? La fouine allait avoir un bon morceau à manger, de quoi se mettre sous la dent pour des mois, car l'affaire qu'allait lui confier Hallie allait être des plus périlleuses. Et elle ne doutait même pas que la blonde allait s'y jeter la tête en première.

Dans les deux heures qui suivies, la choriste des Awesome Voices s'était arrangée pour se faire remplacer au travail afin d'avoir la journée pour elle et Oxanna. L'attente n'était pas vraiment longue, car affublée comme elle était, Hallie avait pu développé son sens de la répartie en agressant en retour les gens qui lui faisaient des réflexions sur son accoutrement. Lunettes de soleils sur le nez, chapeau noir qui dissimulait ses beaux cheveux décolorés, un journal devant elle avec un petit carré découpant à l'intérieur afin de guetter, et en plus assise à la terrasse d'un café, le stéréotype même de la femme détective était ici bel et bien représenté. C'était la première fois qu'elle se prêtait à ce genre de jeux, et elle était surprise de constater que cela l'amusait beaucoup. Pour une débutante, elle jugeait qu'elle ne se débrouillait pas trop mal, même si le critère de la discrétion était sérieusement à revoir. Pourtant, Dieu seul savait à quel point se fondre dans la masse avait été un jeu d'enfant pour la jeune femme durant ses années lycées. Chasser les vieilles habitudes, et elles reviennent au galop disait-on ? Il n'y avait plus qu'à attendre les chevaux arrivés, et elle serait toute bonnement parfaite. Et ce bruit au loin, non pas de sabots mais de chaussures, semblait indiquer à la jeune femme que son côté détective allait pouvoir exploser.

« Non ! »
Oxanna se réveilla en sursaut, dégoulinante de sueur. Un court instant, elle resta assise sur son lit, pantelante, une main sur son cœur qui cognait beaucoup trop fort contre sa poitrine, comme si son unique but était de la déchirer pour se frayer un chemin au travers. Puis, lentement, progressivement, la jeune femme réalisa ce qui était en train de se passer. Enfin, elle se sentit de nouveau connectée à la réalité. Elle venait de faire un cauchemar. Un horrible cauchemar. Encore. Son regard dévia vers la table de nuit où se trouvait son radio réveil. L’affichage digital indiquait qu’il était seulement quatre heures quarante-trois du matin. Son père devait encore dormir profondément, du moins elle espéra ne pas l’avoir réveillé. Avait-elle crié ? Pourvu que non. Oxanna ne voulait pas l’inquiéter outre mesure et par conséquent, ne lui avait pas parlé des mauvais rêves qui lui gâchaient régulièrement ses nuits depuis cette fameuse soirée. Oui, vous savez, cette soirée où elle avait failli mourir.

Sheldon et elle avaient reçu une information d’un indic : les trafiquants qu’ils recherchaient si activement depuis ces dernières semaines auraient apparemment une sorte de QG dans un bâtiment abandonné, en périphérie de Columbus. Cette ancienne usine se situait à proximité des quartiers chauds de la ville, mais les Agents du FBI se fichaient bien de sa position géographique. Tout ce qu’ils voulaient, c’était attraper ces criminels une bonne fois pour toutes. Ainsi, les deux coéquipiers avaient organisé une planque. Au bout de quelques heures, fatigués de ne rien avoir vu bouger, ils s’étaient décidés à sortir de leur véhicule pour voir si, effectivement, cette vieille bâtisse cachait de bien vilains secrets. Erreur fatale. L’information n’était autre qu’un piège, et à peine avaient-ils mis le pied dehors, que Sheldon et Oxy s’étaient retrouvés sous une pluie de balles. On leur tirait dessus depuis plusieurs endroits, de l’autre côté de la route. Ils n’avaient eu d’autre choix que d’entrer dans l’usine pour sauver leur peau. Sauf que leurs agresseurs, déjà victorieux pour avoir eu Sheldon à l’épaule, avaient pris idée de les enfermer jusqu’au petit matin. Moment où ils prévoyaient de revenir afin d’achever le travail. Sans leur dispute, et sans ce SDF qui passait par là, les deux Agent du Gouvernement seraient sans aucun doute morts et enterrés aujourd’hui.

Oxanna essaya de chasser ces sombres pensées de son esprit, et se leva péniblement pour se traîner jusqu’à la salle de bains. Son père ne semblait pas avoir été tiré de son sommeil – Dieu merci – et sa chambre se situait à l’opposé : elle pouvait prendre une douche sans risquer, là encore, de l’empêcher de dormir. Oxy en avait bien besoin. Non seulement parce qu’elle était trempée de sueur, mais aussi car il fallait qu’elle se change les idées. Hors de question de retourner dans son lit. Après une bonne douche – glacée – la jeune femme mit de nouveaux vêtements et descendit au rez-de-chaussée. Elle se prépara un chocolat chaud, se cala devant une émission de téléréalité carrément débile et attendit le lever du jour.

Il faisait froid dehors, mais le soleil était bien présent. Ce serait une belle journée, et Oxanna savait déjà exactement quoi en faire. Elle aimait quand son patron lui octroyait des week-ends plutôt que des jours de congé en pleine semaine. Du coup, la blondinette en profitait pour rejoindre Lima et passer du temps avec son père ainsi que ses amis proches – Quinn entre autres. Elle était arrivée hier soir – d’où le fait qu’elle ait passé la nuit dans sa maison d’enfance – et en ce magnifique samedi, elle n’avait rien d’autre de prévu qu’un déjeuner avec Ecaterina. Une matinée rien que pour elle ? Parfait. Motivée comme jamais, et comme si elle avait dormi sans que rien ne vienne la déranger, Oxanna Prescott quitta le canapé où elle avait fini sa nuit et se rua dans sa chambre. Trente minutes plus tard, elle en sortit vêtue de son pantalon et de ses bottes d’équitation. Son père se trouvait dans la cuisine, une tasse de café fumante devant lui et le nez dans le journal du matin. Oxy le salua rapidement, déposa un baiser sur sa joue, lui promit d’être là pour dîner en sa compagnie, et quitta la maison.

Quand elle arriva au club équestre, seules deux autres voitures se trouvaient sur le parking : la Jeep noire de Susie – propriétaire des lieux – et la Logan grise que conduisait le palefrenier principal. Il n’y avait encore aucun élève, étant donné que les cours ne commenceraient que dans une bonne heure et demie. Tout en se dirigeant vers le club house afin de saluer ses deux amis, Oxanna envoya un SMS à Brittany. Cette dernière, autrefois effrayée par les chevaux, adorait monter maintenant. Son défunt mari lui avait en quelque sorte transmis cette passion, et Oxy ne pouvait qu’approuver. Enfin, elle avait une personne avec qui partager ces envies d’équitation ! Dans son message, elle expliqua à la jeune femme qu’elle se trouvait chez Susie et que si elle avait du temps pour la rejoindre, toutes deux pourraient se rendre en balade ensemble avant midi. Quelques minutes plus tard, Brittany avait répondu : elle la rejoindrait d’ici une trentaine de minutes et avait hâte de passer du temps en sa compagnie. Décidément, la journée s’annonçait plus que parfaite ! De quoi oublier tous les tracas que lui causait cet horrible cauchemar…

Le déjeuner avec Ecaterina se passa à merveille, et elles profitèrent de ce moment entre filles pour rattraper le temps perdu, mais aussi pour discuter des écrits de Miss Robertson. Oxy avait confiance en elle, et croyait en ses talents de romancière. Un jour, elle serait reconnue pour ses livres, et son amie ne manquait pas une occasion de lui répéter encore et encore. Puis, Ecat ayant quelques obligations pour l’après-midi, elles se quittèrent en se promettant de se revoir bientôt. Alors que la blondinette songeait à rendre visite à sa sœur de cœur, Quinn, elle reçut un étrange texto de la part de son « ancienne belle-sœur ». Truc urgent à te dire. Viens vite. Starbucks. Assure-toi d'être seule. Oxy fronça les sourcils, se demandant ce qui pouvait bien pousser Hallie à lui envoyer un truc pareil. Toutes deux s’étaient revues quelques fois depuis qu’Oxanna était revenue de sa formation à Quantico. Par ailleurs, Hallie faisait des études à la faculté de Lima, connue pour ses résultats médiocres, alors qu’elle aurait les capacités de rejoindre les meilleures universités de tout le pays. Oxanna avait bien tenté de savoir pourquoi Hallie avait choisi de rester ici plutôt que de s’offrir un parcours qui lui aurait ouvert toutes les portes. Manque de chance, elle n’avait rien pu apprendre, la jeune étudiante se contentant de changer précipitamment de sujet quand les questions la dérangeaient un peu trop. Oxy-la-lycéenne aurait mené son enquête, évidemment, mais malheureusement, Oxy-l’Agent-du-FBI n’avait plus le temps pour ces choses-là et s’était donc contentée de mettre ça dans un coin de sa tête.

Jusqu’à aujourd’hui, bien sûr. Sans perdre une seconde, elle répondit un simple « J’arrive tout de suite ! » à Hallie et s’empressa de grimper dans sa voiture, direction le Starbucks Coffee. Elle fut sur place en une poignée de minutes seulement, se gara à quelques mètres et couvrit le reste de la distance à pieds. Ses talons claquaient sur le bitume ; elle marchait d’un pas pressé, comme si elle n’avait jamais vécu ailleurs qu’en plein centre de Manhattan où cette cadence était la vitesse piétonne minimum requise. Oxanna eut tôt fait d’apercevoir une personne qui faisait carrément tâche sur la terrasse du café : elle portait des lunettes de soleil, un chapeau noir, tenait un journal devant ses yeux… Lorsque la blondinette aperçut le petit carré découpé dans les feuillets, elle ne put retenir un rire. « Si tu tiens vraiment à passer inaperçue, laisse-moi te dire que tu as tout faux ! » lâcha-t-elle en s’asseyant en face de son amie, un sourire amusé toujours gravé sur ses lèvres. « Cela dit, te voir en vrai cliché du détective privé me dit que cette journée va devenir encore plus intéressante… Alors, raconte-moi. En quoi puis-je t’être utile, Miss Nancy Drew ? »

Oxanna se demandait si cette rencontre avait un rapport avec son choix d’études. Après tout, il y avait forcément anguille sous roche en ce qui concernait Hallie se rendant à la fac de Lima. Jusqu’à maintenant, elle avait refusé d’en parler. Pire encore, Oxy sentait sa nervosité quand elle remettait ça sur le tapis à chacune de leurs entrevues – qui n’avaient pas été si nombreuses finalement – et pouvait presque deviner que ça n’avait pas réellement été un choix, justement. Hallie, d’une façon ou d’une autre, avait été forcée d’assister aux cours de cette université. On l’avait empêchée de s’inscrire ailleurs, là où elle aurait réellement pu s’épanouir et obtenir les meilleurs diplômes haut la main. Mais qui ? Et surtout pourquoi ? Oxy avait certes une formation de profiler mais n’était en aucun cas devin. A présent, si Hallie avait besoin d’aide là-dessus, il fallait qu’elle accepte de s’ouvrir, et de confier ce qui représentait sans aucun doute un lourd secret à son amie. Quoi qu’il en soit, Hallie pouvait être sûre d’une chose : elle n’aurait pu mieux choisir pour placer sa confiance. La jeune Agent était quelqu’un de loyal et malgré son comportement bien souvent cynique, elle possédait une immense générosité. Si l’ancienne petit-amie de Keith avait besoin d’aide, alors elle avait trouvé la bonne personne.

Juste pour avoir le plaisir de s'habiller comme dans les films d'espionnages, Hallie aurait été prête à partager son secret avec Oxanna plus tôt. Bien qu'anxieuse concernant ce lourd dessein qui n'avait cessé de la suivre depuis quatre années déjà, la jeune femme ressentait un vrai sentiment d'excitation en ce moment-même, assise là, sur cette chaise, à cette terrasse de café. Elle était si fière qu'elle ne se voyait pas comme les autres la percevaient: une vraie tarée échappée d'un cirque. Ses lunettes épaisses sur son nez l'empêchaient de croiser les regards intrigués et moqueurs que lui portaient les habitués du café. Ils ne devaient certainement pas la trouver jolie vêtue de la sorte, avec ce chapeau immonde qui n'allait pas du tout avec le reste de sa tenue, ces lunettes épaisses et opaques qui lui donnaient l'air d'être une alcoolique avec les yeux explosés par les nombreuses cuites qu'elle aurait prises, et ce journal délicatement découpé au centre pour pouvoir guetter les allées et venues des passants ne faisait qu'accentuer son ridicule. Mais quand on était Hallie Halloway, on s'en fichait car être anormale était devenue une habitude. Elle avait toujours eu un retard sur les autres concernant l'évolution des comportements. C'était Hallie qui se retrouvait à faire sa première fête alors que les filles de son âge l'avaient précédées de quelques années, c'était Hallie qui faisait sa première fois alors que les autres l'avaient aussi précédées, et c'était encore Hallie qui adoptait les techniques vintages alors qu'elles étaient abandonnées depuis belle lurette.

Ainsi, lorsqu'elle remarqua une silhouette se dessiner au loin à travers son journal amélioré, elle eut l'intuition qu'il s'agissait de quelqu'un d'attendu. Ouais, le même genre d'intuition qui gagnait les grands détectives comme Sherlock Holmes ou Hercule Poirot. Finalement, elle ne se trompa pas: Oxanna arrivait bien à sa rencontre. Et alors même qu'elle pensait impressionner son amie qui faisait maintenant partie du FBI, son sourire satisfait s'évapora comme neige au soleil. Elle ne se fondait pas dans la même donc ? A cette seule pensée, elle ôta aussitôt chapeau et lunettes, et posa le journal sur ses genoux. La belle se retrouvait bien gênée, même si l'assimiler à une jeune détective semblait amuser Oxanna. Et dire qu'elle allait la réprimander pour qu'elle parle moins fort afin qu'on ne les remarque pas, sachant qu'elle était repérer depuis le début. Enfin décontractée après avoir balayer la terrasse du regard, elle accueillit enfin son amie avec des mots, et non plus avec de de la mauvaise surprise. « Va falloir que je me renouvelle ma gamme de films » fit-elle en premier avec une certaine ironie. Tout compte fait, son ex-belle soeur lui sauvait la vie, et elle ne pouvait que lui être reconnaissante. Et quoi de mieux pour la remercier que de lui avouer ce qu'elle voulait tant savoir depuis qu'elle était revenue de ses études ? Déjà que ce message avait certainement dû attiser sa curiosité. Du moins, c'était sûr car elle s'était presque jetée sur son portable pour lui répondre qu'elle arrivait. Oxanna Prescott, fouine en chef, était bel et bien de retour.

« Ecoute-moi bien, je ne le répéterai qu'une fois » confia-t-elle alors en rapprochant sa tête de la table, afin de ne pas prendre le risque qu'on entende ce qu'elle allait dire. La discrétion était forcément de rigueur ici, surtout vu l'ampleur de ses révélations. « Lors de ma dernière année à McKinley, j'ai reçu la visite d'un responsable du Gouvernement » commença-t-elle en prenant soin d'être très claire et bref dans ses propos. « Un nombre incalculable d'écoles me réclamaient, car même si j'avais refusé d'être major de la promo, mes résultats restaient exceptionnels » continua-t-elle sans chercher à préciser que pendant l'année elle avait tout de même connu une mauvaise passe, où alcools et sorties entre copines primaient sur les devoirs. « J'allais accepter le programme de l’université de Colorado, faut dire qu'elle faisait partie des meilleures pour mon parcours en biologie. Seulement, j'ai reçu la visite d'un représentant du Gouvernement qui m'a révélé que je faisais partie d'un programme secret visant à rétablir le niveau de la fac de Lima, où personne de réellement brillant ne postule évidemment », une évidence même qu'un simple roulement de prunelles suffisaient à commenter. « J'ai pas eu le choix en vrai: si j'intégrais Lima, j'aurais le droit à un dédommagement en argent, une somme avec plusieurs zéros .. et j'avais le droit de suivre tous les stages avec le scientifique de mon choix ». Se rappeler ces belles paroles rendaient amer le coeur de l'étudiante bafouée: elle avait été crédule. Elle était toujours crédule en fait, mais elle s'en éloignait à mesure qu'elle évoquait cette triste affaire à l'oreille qu'elle sentait attentive d'Oxanna.

Marquer une pause se fit nécessaire, tout débiter à vive allure n'embrouillerait que trop sa seule chance de se sortir de ce calvaire. Il fallait vraiment que la détective, la vraie cette fois, prenne conscience de toute l'importance de l'affaire, qu'il n'y avait pas seulement ce représentant du Gouvernement, mais aussi les grands dirigeants de Lima et évidemment le directeur de la fac de Lima. « Comme tu le vois, je porte les mêmes chaussures que l'an dernier et je travaille de plus en plus à la blanchisserie de la ville, et le seul stage que j'ai effectué fut dans un élevage de lapins nains » ajouta-t-elle pour bien mettre au clair sa situation d'aujourd'hui. On l'avait trompé, l'Etat l'avait trompé, elle voulait maintenant réparation. Biensûr, le rôle que pourrait occuper Oxanna là-dedans sera évoquée par la fausse blondinette, mais brusquer sa seule chance d'améliorer son quotidien n'était pas ce qu'elle voulait. Et puis, elle n'était pas encore sûre de ce qu'elle voulait elle: si elle se devait de risquer son futur ainsi que celui de son amie, il ne fallait pas que cela soit pour de petits objectifs. L'argent ne suffirait pas, cela ferait passer Hallie pour une fille intéressée, ce qu'elle n'était pas vu qu'elle ne sortait pas avec le fils d'un avocat mais avec un serveur. Uns serveur qu'elle n'était pas encore prête à quitter du moins.

La jeune femme n’attendit aucune invitation pour s’asseoir aux côtés de son amie, impatiente de découvrir la raison pour laquelle on l’avait sommée au Starbucks d’une façon aussi mystérieuse. Recevoir de tels messages de la part d’amis sur son portable – très courts, mais sous-entendant que l’affaire était délicate comme importante – n’était pas dans ses habitudes. Du moins, cela ne l’était plus depuis qu’elle avait abandonné son côté adolescent pour embrasser sa nouvelle vie d’adulte responsable. Et pourtant… Elle se souvenait encore de cette époque où, lycéenne, bon nombre de ses camarades gardaient précieusement son numéro de portable. Ils la contactaient au moindre problème, presque comme si elle représentait une sorte de sauveur à leurs yeux. On la chargeait de fouiller dans des tonnes de linge sale et d’y dénicher le moindre truc compromettant. Ces informations servaient ensuite à déstabiliser des parents un peu trop autoritaires, ou à se venger d’élèves moqueurs et adeptes du jeté dans la benne à ordures. Oxanna se fichait bien des conséquences, du moment qu’on la payait et que rien de trop glauque ou tragique ne soit divulgué. Certes, elle jouait aux jeunes filles sans cœur pour inspirer le respect, toutefois elle était loin de se montrer aussi dure en réalité. Par exemple, elle aurait très bien pu se servir d’un certain secret contre une pom-pom girl qui avait le don de la gonfler, mais avait finalement choisi de garder le silence. Mieux encore, elle avait discuté avec Madison pour tenter de trouver une solution à cette ambiance familiale aussi pesante que dangereuse. Ne pas aimer une personne n’était pas une excuse suffisamment bonne pour lui tourner le dos quand sa vie se trouvait en danger chaque jour, n’est-ce pas ?

Aujourd’hui, Oxanna n’avait pas tellement changé. La différence résidait principalement dans l’utilisation de tout ce qu’elle trouvait sur les autres. Avant, elle n’était qu’une petite joueuse, dénichant des informations pas vraiment importantes contre l’argent de poche de ses camarades. Maintenant… elle agissait avec ce qu’elle trouvait. Pour arrêter les criminels, et les mettre derrière les barreaux afin qu’ils ne puissent plus perpétrer leurs actes horribles. Eventuellement, il lui arrivait encore d’utiliser ses compétences – et surtout, ses nombreux nouveaux contacts – pour aider un proche, presque comme avant, et aujourd’hui, elle allait s’y atteler pour son amie Hallie. Patiente, l’agent attendit que Miss Halloway pose son journal découpé et retire ses accessoires passés de mode, dévoilant enfin son visage. C’était tout de même mieux que de parler à une paire de lunettes noires, non ? Avec humour, elle répondit à la remarque d’Oxanna en évoquant une remise à niveau en matière de films de détective. La jeune blonde ne put retenir un sourire amusé – il était clair que désormais, les anciennes techniques avaient l’effet inverse : au lieu de passer inaperçu, on était un peu comme un mec en slip rouge au milieu d’une plage de nudistes. « Je te ferais une liste, t’en fais pas pour ça ! » s’exclama-t-elle avec un clin d’œil complice en direction de l’étudiante. Puis, Oxy resta silencieuse, les oreilles grandes ouvertes, car désormais il était temps pour Hallie d’éclairer sa lanterne.

Ses révélations ne furent pas si étonnantes que cela en vérité. Oxanna savait déjà que son ancienne camarade de lycée n’avait pas du avoir le choix de l’endroit où continuer ses études. Dans le cas contraire, elle serait partie dans une prestigieuse université, un lieu capable d’accueillir les élèves les plus intelligents. La fac de Lima avait un taux de réussite des plus médiocres et seuls les étudiants les plus mauvais – et/ou les moins motivés – se retrouvaient dans cet établissement. Ce n’était donc pas impossible qu’on ait approché Hallie pour lui proposer un marché. Avoir une fille avec un QI pareil au milieu de losers remontait sans aucun doute le taux de réussite, taux qui ensuite se trouvait justifié par un énorme mensonge de la part du doyen, tel qu’un programme plus adapté, un meilleur suivi des résultats de chaque étudiant, etc etc… Libre à lui d’inventer tout ce qu’il souhaitait afin d’attirer les foules même si finalement, rien n’avait véritablement changé et tout n’était que magouille. Intelligent. Diablement intelligent. Jusqu’au moment où le cerveau est roulé dans la farine et réclame vengeance.

« Je comprends ta frustration, » lâcha tout d’abord Oxanna, indiquant à son interlocutrice qu’elle saisissait à la fois le problème et son ampleur. « Et bien sûr, tu peux compter sur moi pour toute l’aide dont tu auras besoin. » Elle voulait aussi rassurer Hallie : évidemment, il était hors de question pour Oxy de la laisser tomber dans un moment pareil. Ce n’était pas parce qu’il faisait partie du gouvernement américain que cet homme avait le droit de mentir et d’abuser de quelqu’un d’autre. Ne se souciait-il pas des conséquences que tout cela pouvait avoir sur l’avenir d’Hallie ? « Première question : est-ce que tu as signé quoi que ce soit quand tu as accepté le marché ? Un papier officiel ? Quelque chose ? » C’était plus qu’important. Si Hallie avait effectivement eu un contrat à signer, c’était bon pour elle. Cela constituerait une preuve irréfutable. Et si contestation il y avait, Oxy n’hésiterait pas à demander au labo de démontrer qu’il ne s’agissait aucunement d’une contrefaçon. Seulement, si tout s’était fait dans le secret, à un tel point qu’aucune trace ne pouvait être trouvée… Monter un dossier contre le gouvernement serait beaucoup plus difficile, voire presque impossible. Oxanna s’approcha davantage d’Hallie et prit une voix des plus douces – elle ne voulait pas la braquer – pour lui demander ce qui la taraudait depuis sa révélation. « Je veux tout d’abord que tu saches que je ne te reproche rien, je ne suis pas là pour te juger. Seulement, Hallie, je me demande… Pourquoi avoir mis la brillante carrière qui t’attendait au placard pour un simple chèque et quelques stages ? Est-ce que tu avais des… des problèmes quelconques à ce moment-là ? » Et bien sûr par « quelconques », elle entendait des soucis d’argent qui l’auraient poussée à accepter cette proposition, mais il serait très malpoli de sa part de le dire sans détour. Blesser Hallie n’était pas la raison pour laquelle Oxy se trouvait avec elle en cet instant précis. A part comprendre ce qui avait bien pu se passer, son unique but était clair : l’aider à obtenir justice, coûte que coûte.