Le mois de décembre n’était pas le préféré de Cat. Elle n’aimait pas qu’on lui souhaite son anniversaire – qui avait lieu le douze – et elle n’aimait pas non plus Noël. Ce genre de fêtes étaient censées être familiale. Or on ne pouvait pas dire que de ce côté, la jeune fille était particulièrement bien lotie. Elle se souvenait de quelques fêtes en famille, mais tout restait flou. C’était assez particulier, puisque son père était juif alors, les traditions étaient un tantinet mélangées. Encore aujourd’hui, Cat ne savait pas très bien quelle coutume était chrétienne, quelle coutume était juive. Un joli mélange qui ne parvenait pas à la réjouir pour autant. Les fêtes étaient synonymes de souvenirs pour elle, souvenirs qui n’étaient pas forcément heureux. Mais, elle s’y faisait. Elle avait toujours vécu de cette façon depuis la mort de sa mère. Ce mois de décembre serait un mois de décembre comme un autre ; à la différence près qu’elle se trouvait dorénavant à Lima, entourée de gens qu’elle aimait et qui le lui rendait bien. Emily était tellement excitée à la perspective de rencontrer le père Noël, qu’il s’agissait de la seule chose qui donnait hâte à Cat d’être au 25 décembre. Elle voulait voir son visage s’illuminer, ses petits bras potelés la serrer dans ses bras et ses lèvres lui laisser de grosses traces humides sur ses joues barbouillées de paillettes Gale ne serait même pas là, à Noël. C’était un détail qui la chagrinait davantage, mais elle ne pouvait pas lui imposer de faire l’impasse sur sa famille, elle n’oserait jamais. C’est pourquoi elle se sentait morose, presque triste. Son conflit – elle préférait le désigner de cette façon – avec Seth n’y était pas étranger, mais bizarrement, elle commençait à mieux le vivre. Elle devait se faire une raison, et puis Gale était près d’elle. Les choses n’étaient pas faciles, mais elle avait l’impression de bien gérer les choses, malgré tout. Elle n’était pas la première, et ne serait sans doute pas la dernière, à vivre ce genre de choses. Passant une dernière fois la brosse dans ses cheveux lisses, Cat jeta un regard furtif à son reflet, avant d’enfiler son bonnet blanc sur sa tête. Il avait neigé ce matin, il ne devait pas faire très chaud dehors. Elle ne voulait pas attraper un gros rhume, elle devait travailler. Lynn lui avait donné rendez-vous au parc Lincoln, près du lac. Sur le coup, frileuse comme pas deux, la blondinette s’était montrée réticente, mais elle s’était ensuite souvenue que le jour du rendez-vous correspondait à l’anniversaire de sa cousine. Alors, elle rongea son frein, et pour lui faire plaisir, elle accepta.

Ecaterina voulait travailler avec Lynn. Elles n’avaient pas encore d’idées précises. En réalité, elles n’avaient même pas rediscuté depuis qu’elle-même avait lancé cette idée dans la cuisine des Schuester, mais Ecaterina en avait l’intime conviction : elles pouvaient faire de grandes choses. Depuis ce jour, Cat avait essayé de se remettre à l’écriture. Elle avait peiné comme jamais. Elle ne réussissait même plus à aligner trois mots sans appuyer comme une dérapée sur la touche « supprimer » du clavier de son laptop. Alors, elle avait abandonné. Puis, elle s’était souvenue de son petit carnet, celui qu’elle gardait précieusement depuis qu’elle tout jeune, et dans lequel elle avait écrit ses premières histoires, ses premières nouvelles, ses premiers poèmes. Personne n’avait jamais lu ce petit carnet. Il était la chose la plus précieuse à ses yeux. Elle avait longtemps hésité avant de l’ouvrir de nouveau, ayant peur d’être déçue par ce qu’elle y trouverait, mais pour la première fois de sa vie, elle avait admis qu’elle avait peut-être du talent. Du moins, lorsqu’elle était encore adolescente. Ce n’était plus le cas maintenant, elle n’était plus aussi douée, elle avait tout perdu. Enfin, Lynn réussirait à remonter le niveau. Cat lui faisant confiance, elles pouvaient réussir. Se baissant près d’un carton débordant de lettres, Cat attrapa le petit carnet qu’elle regarda un moment avec intérêt. Lynn lui avait offert un notebook tout neuf pour son anniversaire. Cat l’avait précieusement rangé dans sa table de chevet, puisqu’elle n’en avait plus l’utilité. Le petit mot qu’elle lui avait laissé était simple, concis, mais il lui avait fait plaisir. Tellement qu’elle l’avait glissé dans la pile de lettres de Lexie, comme un trésor qu’elle voulait absolument préserver. Son vieux carnet dans ses mains, Ecaterina le fit tressauter dans sa paume puis se leva en empoignant son sac, posé sur sa chaise de bureau. Elle glissa le carnet dedans et quitta sa chambre ; il fallait qu’elle se dépêche, elle allait être en retard.

A son grand étonnement, elle fut la première arrivée au parc Lincoln. Elle s’avança d’un pas franc vers un banc, face au lac et s’installa en croisant les jambes, patientant sagement avant la venue de sa cousine. Le froid lui picotait le visage, mais ça restait supportable. Son sac à côté, elle récupéra son carnet. Elle l’offrirait à Lynn, pour son anniversaire. Peut-être que pour l’autre ça n’avait aucune signification, mais pour Cat ça voulait dire beaucoup. Elle voulait que ça soit elle qui l’ait, parce qu’elle avait besoin de s’accrocher à sa passion pour avancer. En lisant ses vieux écrits, elle trouverait peut-être la motivation pour reprendre ses études, pour faire quelque chose de bien de sa vie. Elle ne prétendrait pas que ses histoires pouvaient transformer le quotidien des gens, mais elle espérait que ce geste ait un impact sur Lynn. Les yeux rivés sur ce carnet, elle tourna brusquement la tête quand la voix de sa cousine résonna derrière elle.

« Hey ! » dit-elle en rangeant précipitamment le carnet dans ses affaires. Elle sauta sur ses pieds pour étreindre Lynn rien qu’une seconde, puis esquissa un sourire en l’écoutant lui donner les raisons de son retard. Gentiment, Cat secoua la tête, ce qui signifiait qu’elle ne lui en tenait pas rigueur « T’en fais pas, c’est rien ! » Elle hésita un moment, avant de se pencher tout doucement sur elle et de murmurer, à l’abri des oreilles indiscrètes « Joyeux anniversaire. » Ecaterina savait que Lynn n’était pas non plus très à l’aise avec tout ça, d’où la messe-basse. Lui attrapant la manche, elle lui montra le banc derrière-elles « Je vais froidement bien, je ne sens plus mes orteils, mais je pense pouvoir survivre. Tiens, assieds-toi, on sera mieux pour discuter. » Frottant ses mains l’une contre l’autre à travers ses gants épais, elle jeta un coup d’œil distrait au lac avant de reporter ses yeux sur la brunette. Une lueur indescriptible anima soudain ses pupilles encore plus claires d’ordinaire, à cause du reflet de la neige sur le sol « Alors, Sawyer ? Prête à en découdre avec notre avenir ? »

Jetant un petit regard en coin à Lynn, Cat se mit à sourire, puis termina par passer son bras bien couvert dessous celui de la jeune fille en le pressant contre elle, fixant le lac gelé droit devant. C’était incontrôlable, elle était vraiment heureuse d’être là. Il faisait froid, elle avait l’impression que des milliers de petits oiseaux invisibles lui picoraient le visage, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire – et pour une fois, elle n’avait même pas besoin de se forcer. Auparavant, jamais elles ne s’étaient retrouvées dans cette posture. Se donner rendez-vous pour discuter d’un projet qu’elles avaient en commun, c’était nouveau. Bien sûr, elle ne se faisait pas d’illusions, elle savait qu’il faudrait plus qu’une longue discussion pour que les choses entre elles soient totalement résolues, mais elle estimait qu’il s’agissait d’un grand pas en avant. Lynn commençait même à ne plus éviter son regard, c’était un signe ; elles étaient sur la bonne voie. Ecaterina ne pouvait que s’en réjouir. Très souvent, il lui arrivait de se demander ce que Lynn avait fait durant ces cinq ans. Elle la regardait, et voyait une jeune femme plus sombre, plus dure qu’à l’époque. Elle souriait moins, n’était plus aussi pipelette. La première vraie discussion qu’elles avaient eue sur le balcon de leur appartement à Lima lui paraissait tellement loin, maintenant. Ça lui faisait de la peine, parce qu’elle n’était pas tout à fait innocente dans son changement de comportement. Un départ, ça ne laissait personne indifférent, et même si elle faisait tout son possible pour rectifier le tir, elle n’était pas idiote et était consciente que la brunette ne pourrait jamais définitivement tourner la page ; elle était bien placée pour la comprendre. Lynn et Cat avaient partagé une chambre, avait vécues sous le même toit pendant quelques mois, mais au fond, elles n’avaient jamais réellement discuté de choses sérieuses. Le seul fait que Cat avait accepté de partager avec sa cousine, c’était la naissance de ses sentiments pour Gale. Elle avait été la première au courant. Lynn lui avait conseillé de se lancer, elle avait pris la situation très à cœur. C’était en partie pour cette raison que Cat l’avait chargée de prévenir Gale de son départ, car elle savait tout ce qu’il représentait pour elle. Elle était la seule à le savoir. Néanmoins, il restait encore des tas de détails qu’Ecaterina ignoraient encore sur Lynn, et elle était prête à parier que cette dernière ressentait la même chose de son côté. Cat savait juste que, malgré l’hostilité qu’elle avait eu d’emblée pour la brunette – et rien qu’en y repensant, ses pommettes gelées se mirent à rosir sous l’effet de la honte –, elle avait fini par s’apercevoir qu’elles se ressemblaient beaucoup.

Ecoutant Lynn lui répondre, Cat tourna la tête vers elle pour la regarder avec intérêt. Elle paraissait enthousiaste. Elle n’avait pas eu l’impression que l’idée l’avait enchantée quand elle lui en avait fait part. Mais maintenant, à la manière dont elle s’exprimait, et à la vue des grands gestes qu’elle faisait, il n’y avait plus aucun doute : Lynn était vraiment prête à en découdre avec son avenir. Cette prise de conscience fit beaucoup de bien à Cat qui eu la sensation de se revoir quand elle était rentrée à l’université. Malgré les difficultés qu’elle connaissait en dehors du campus, le premier cours qu’elle avait suivi dans un amphi l’avait fait se sentir libre. Elle n’avait plus aucuns contacts avec ses proches, à cette époque, mais elle savait que son père serait fier de savoir qu’elle suivait ses traces. Quant à Dorian, elle était persuadée que si elle l’appelait pour le lui dire, il prendrait le premier train exprès pour fêter l’événement – elle n’était pourtant pas la première de la famille à étudier à l’université, mais les Robertson et leur côté théâtral, c’était toute une histoire. Lynn était douée, Cat le savait. Elle n’avait juste pas été très bien aiguillée lorsqu’elle était à WMHS. Oh, Ecaterina ne remettait pas les compétences de la conseillère d’orientation de leur ancien lycée en doute, mais pour des filles comme elles, il fallait plus que des dépliants et autre grandes tirades mécaniques pour les convaincre, et sous ses airs doux, Lynn était aussi très têtue. Suivant d’un œil distrait la fumée qui sortait de la bouche de sa cousine, Ecaterina se redressa légèrement en prenant sens de sa dernière phrase. Elle baissa doucement la tête, et murmura :

« Oui, je sais. » Triturant nerveusement les doigts de ses gants, Cat secoua subitement la tête pour reprendre ses esprits. Considérant à vitesse grand V tout ce que Lynn venait de lui dire, elle replaça son bonnet sur son crâne puis, plissant les yeux à cause d’un éclat trop vif du soleil sur la neige immaculée qui baignait leurs pieds, elle dit « Mon père dit qu’un écrivain, c’est quelqu’un qui a envie d’écrire. Si tu dois te faire violence pour le faire, c’est que tu n’es pas vraiment écrivain. » Elle esquissa un bref sourire, et fronça le nez en donnant un petit coup d’épaule à la jeune fille « On a envie d’écrire, ce sont les idées qui nous manquent, hein ? » Elle décroisa les jambes pour mieux les recroiser dans l’autre sens, opinant du chef « Tu as raison, on devrait d’abord se concentrer sur le genre qu’on voudrait exploiter. Je crois être assez douée pour le drame – question d’expérience. » Et elle lança un rire rauque pour détendre l’atmosphère. Enfin, Ecaterina glissa son sac sur ses genoux pour en sortir son vieux carnet qu’elle tendit à Lynn, quand celle-ci reprit la parole. Elle eut un petit frisson incontrôlé en décroisant les jambes, et expira une grande colonne de fumée d’un même chef qui enveloppa son visage d’un brouillard opaque. Repoussant sa main sans donner le carnet à sa cousine, elle attendit que le silence se fasse ; elle n’avait pas tort. L’écriture était une bonne thérapie. Néanmoins, quelque chose chiffonna la blondinette qui fronça les sourcils ; si elle mettait ça sur le tapis, ce n’était pas sans raison. Elle aurait voulu lui demander de lui parler, mais la façon avec laquelle elle se précipita pour changer de se sujet lui fit comprendre qu’il ne valait mieux pas qu’elle s’aventure sur ce terrain. Posant son carnet sur son sac, Ecaterina tourna tout son corps vers Lynn, prenant appui sur le dossier du banc avec son bras gauche en souriant à ses propos suivants, et balayant sa contrariété soudaine d’un mouvement de tête, elle répondit « On peut y glisser une histoire d’amour. Ça plaît à une majorité de personne. Et crois-moi, plus c’est tordu, mieux c’est. Tout est dans la tension sexuelle, il parait. » Cette fois, elle reprit le carnet et le tendit à Lynn, continuant comme si de rien n’était « On évitera d’appeler nos héros Dale et Catherine. Surtout que mon petit doigt me dit que ces deux-là coulent des jours heureux. » Insistant pour que Lynn prenne le carnet, elle daigna lui expliquer « Il est à moi. Ce qui est écrit n’est pas forcément très bon. La plupart des histoires datent d’il y a une dizaine d’années, j’étais encore une gamine… mais, je veux que qu’il te revienne. » Elle se mordit la lèvre, en gratifiant la jeune fille d’un regard bienveillant ; elle poursuivit « Il y a des ateliers d’écriture créative à l’OSU, tu sais. On y apprend pas mal de choses, j’en suivais un à Cincinnati. J’ai pensé t’y inscrire, ça aurait fait un joli cadeau d’anniversaire. Mais, je ne savais pas comment tu prendrais les choses, et puis j’ai trouvé ce carnet. » Elle fit glisser son regard du visage de Lynn au carnet, avant de reporter son attention sur le minois de sa cousine en levant les mains devant elle, haussant les sourcils dans une fausse expression de surprise « L’atelier tient toujours, si tu en as envie ! Je suis même prête à t’y accompagner. » Ecaterina pencha la tête sur le côté, puis vint déposer un baiser sur la joue froide de sa cousine ; elle jugea qu’il était inutile qu’elle en rajoute davantage.

Passant sans hésiter le bras autour des épaules de sa cousine, Cat leva la tête pour observer tranquillement le parc blanchit par la neige tombée durant la nuit. Cette vision avait quelque chose d’apaisant et même de réconfortant. L’hiver n’était pas sa saison préférée, Ecaterina aimait le soleil, la chaleur. C’était sans doute son quart de sang californien qui voulait ça. Le soleil pour se ressourcer, elle ne connaissait pas de meilleur remède à la morosité. A un moment donné, les saisons avaient fini par lui manquer, il ne pleuvait jamais à Oakland. Cependant, les années qu’elle avait passé là-bas l’avait confortée dans l’idée que, si un jour elle devait s’installer ailleurs qu’à Lima, c’était dans un endroit chaud qu’elle poserait ses bagages. Tant pis pour les saisons. Cependant, elle admettait aimer l’image de la neige sur le sol, les flocons se déposant à la dérobée sur le toit des maisons ; surtout les longues soirées emmitouflée dans ses couvertures en buvant du thé bouillant devant un film triste à pleurer. A demi gelé dans son barrage, l’eau du lac ne ruisselait pas comme à son habitude, mais le bruit étouffé des pas des joggeurs courageux de bon matin sur la neige sonnaient comme une berceuse à ses oreilles glacées, si bien qu’elle dû ouvrir grand les yeux pour ne pas s’assoupir d’un coup. De toute façon, elle n’aurait pas pu avec ce froid traître qui lui mordait la peau. Elle avait l’impression que le thermomètre baissait de seconde en seconde, ses jambes se mirent à trembler d’elles-mêmes. Néanmoins, la satisfaction de passer un peu de temps avec Lynn lui réchauffait le cœur ; elle cessa aussitôt de grelotter. Ses yeux clairs scrutèrent l’endroit avec un grand intérêt. Elle en avait passé beaucoup des moments toute seule dans ce grand parc quand elle était adolescente. En réalité, il restait son endroit préféré de Lima avec la librairie. Il y avait le lac bien sûr, toujours imperturbable, mais ce qui faisait la particularité de ce parc, c’était le kiosque à musique à quelques mètres à peine des deux jeunes filles. Ecaterina s’y réfugiait souvent pour écrire, pour méditer ou tout simplement pour se cacher. Elle passait des heures allongée sur le sol pour essayer de regarder le ciel à travers ce minuscule trou qu’il y avait dans la toiture. D’ailleurs, elle était persuadée que c’était à cause de ce passe-temps que sa vision avait baissée, la forçant à porter des lunettes pour travailler. Sans parler de sa fascination pour toutes les inscriptions – déclarations d’amour ou de haine – gravées sur le pourtour du kiosque ; c’était son endroit. Evidemment, elle savait que beaucoup de gens se retrouvaient sous le kiosque, les inscriptions en étant la preuve. Elle avait entendu dire que des tas de demandes en mariage avaient été faites dessous. Peut-être qu’au fond, c’était ça qui lui plaisait le plus dans l’histoire du kiosque à musique de Lima. Cela n’empêchait pas qu’elle avait la sensation qu’il lui appartenait. Elle se souvenait que quand elle s’y retrouvait, il lui arrivait de parler tout haut sans s’en rendre véritablement compte. Elle n’était pas croyante, toutefois ses pèlerinages sous le kiosque avaient le même effet sur elle que des visites régulières à l’église. Et les planches en bois de ce lieu magique connaissaient plus de choses sur elle que la totalité des gens de son entourage. Ah, si les murs pouvaient parler.

Nombres des écrits du carnet qu’elle venait d’offrir à sa cousine avait été rédigés sous ce kiosque. La façon dont Lynn reçu sont cadeau toucha Ecaterina qui la gratifia d’un sourire amène. Elle ne pensait que ça lui ferait autant plaisir et elle resserra l’étreinte de son bras autour d’elle. Elle ne cessait de se répéter, mais Lynn avait tout pour elle. Ecaterina ne trouvait pas ça normal qu’elle manque autant de confiance alors qu’elle avait le monde à ses pieds. Si ce modeste carnet pouvait l’aider à trouver la motivation nécessaire pour se lancer, soit ! Elle faisait bien de s’en séparer. La brunette lui demanda si elle était sûre de ne pas vouloir le garder, Ecaterina tourna la tête vers elle et opina pour confirmer. Il ne lui servait à rien, elle savait qu’il serait entre de bonnes mains maintenant. Un silence s’installa entre elles, ce n’était pas un silence gênant comme à l’accoutumé. Ecaterina comprenait que Lynn ait besoin d’un temps pour se remettre de cet élan de gentillesse qui, en soi n’était pas exceptionnel, mais qui marquait la fondation de nouvelles bases saines entre elles. Respectant le mutisme de Lynn, Cat concentra de nouveau son attention sur le lac mort en souriant légèrement, profitant du paysage qui s’offrait à elle. Aussi, Lynn reprit la parole plus vite que prévu. L’écoutant attentivement, Cat fronça les sourcils, son cœur manqua une pulsation. Peut-être avait-elle donné l’impression de vouloir obliger Lynn à reprendre les cours, mais ce n’était pas le cas. Elle respectait ses choix, ses envies. Si elle avait voulu l’inscrire à cet atelier, c’était parce qu’elle pensait que ça lui ferait plaisir, et que ça l’aiderait à se mettre sérieusement à la préparation du projet qu’elles voulaient monter toutes les deux. Mais puisque le sujet était lancé, Ecaterina attrapa la perche et d’une voix rassurante, elle dit :

« Je suis sûre que tu pourrais le passer, moi. » Un petit sourire furtif se dessina sur son visage. Fermant malicieusement un œil en frôlant le bout de son nez avec son doigt, elle poursuivit « Et mon intuition ne se trompe jamais. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai souvent raison, mais… » Elle laissa sa phrase en suspens, secouant légèrement la tête en élargissant son sourire bienveillant tout en tapotant du bout des doigts l’épaule de la brunette qu’elle tenait avec douceur. Ecaterina connaissait les difficultés scolaires de Lynn, elle n’avait pas à en avoir honte. D’ailleurs, elle le lui dit clairement, ne quittant pas ce ton rassurant qu’elle prenait depuis le début « Ecoute, tu n’es pas bonne en maths, qu’est-ce que ça faire ? Je suis une bille en espagnol ! Pourtant, je pense pouvoir dire que je m’en suis bien sortie. » Si on éludait le fait qu’à vingt-trois ans, elle ne savait toujours ce qu’elle voulait faire de sa vie « Tu n’auras besoin que de te remettre à niveau pour passer ce foutu examen. On ne te demande pas d’être Einstein. » Lâchant prudemment l’épaule de la jeune fille, elle tourna tout son corps vers cette dernière pour continuer « J’ai toujours été une bonne élève, et je pense être pédagogue. J’ai appris à Emily comment nouer ses lacets sans même m’énerver, ce qui un exploit quand on sait à quel point je suis patiente. » Un petit rire gêné s’échappa de ses lèvres, puis elle reprit tranquillement « Si tu ne veux pas que je t’aide, Gale est bon en maths, il pourra le faire. Je sais qu’il te donnait des cours. Tu le connais bien, peut-être que tu seras plus à l’aise avec lui. Pour les langues, j’ai des notions de français. Par contre pour l’espagnol, je te conseille de t’adresser à… » Elle hésita – pas Seth « Will. » Elle se redressa subitement, reprenant sa respiration « Je crois en toi, je suis sûre que tu peux réussir. Personne n’a besoin de m’en convaincre, je le sais. La seule personne qui a besoin d’être convaincue, c’est toi Lynn. » La dernière fois qu’elles s’étaient vues, Cat avait dit à Lynn qu’avoir un diplôme ne voulait rien dire, elle le pensait toujours. Mais Lynn semblait faire une fixation sur ce détail qui n’avait pas d’importance. Il fallait absolument qu’elle reprenne confiance en elle, qu’elle se rende compte par d’elle-même qu’elle méritait plus qu’être caissière slash mécano dans un garage paumé au fin fond de la cambrousse d’Ohio. Ecaterina ne voulait pas la forcer à faire quoi que ce soit, jamais elle n’aurait le culot de le faire, elle n’avait de conseils à donner à personne, encore moins à un membre de sa famille. Elle souhaitait vraiment que Lynn arrête de se faire du mal, qu’elle embrasse son destin pour avancer dans la bonne direction. Ecaterina était en train de prendre tout ça bien trop à cœur. Regardant Lynn avec quiétude, elle souhaita éclaircir les choses pour que Lynn ne pense pas qu’elle veuille lui forcer la main. Dans un sourire tranquille, elle conclut alors « Si tu passes ton diplôme et que tu l’obtiens, peut-être que tu auras l’impression de valoir plus que ce que tu penses. »

Ecaterina savait se montrer têtue. Elle croyait en Lynn, elle la traitait avec le plus impartial des jugements, elle ne s’obstinait pas parce qu’elle était un membre de sa famille, ou parce, qu’accessoirement, elle tenait à elle ; elle croyait farouchement en elle, était-ce un crime ? Il n’y avait pas à tenter de la dissuader qu’elle faisait erreur. De toute façon, celui qui la ferait changer d’avis n’était visiblement pas né. Lorsqu’elle avait une intuition, un pressentiment qu’il soit bon ou mauvais, il était inutile de la pousser à revoir son point de vue. Ça lui faisait beaucoup de peine de voir Lynn autant indécise. Elle ne sentait impuissante, et malheureusement, elle ne pouvait strictement rien faire, si ce n’est lui faire part de son avis de la manière la plus délicate qui soit. Elle parvenait maintenant à comprendre la position d’Emma lorsque l’un de ses élèves – dont elle avait fait partie – refusait son aide. C’était frustrant, rageant et tout au fond d’elle, Ecaterina n’avait qu’une seule envie : secouer Lynn, dans le sens propre comme dans le sens figuré. Lui faire comprendre qu’il fallait qu’elle arrête de s’obstiner à se sous-estimer de cette manière. La jeune fille ne voulait pas insister, néanmoins, elle savait que sa cousine avait toutes les chances de réussir si elle s’en donnait la peine. Ecaterina ne doutait absolument pas de sa bonne foi, seulement, c’était tellement facile de prétendre n’être qu’une bonne à rien. Elle le savait, puisque c’était de cette manière qu’elle avait vécu depuis son retour à Lima – qu’elle vivait depuis toujours, en réalité. Oh, elle croyait vraiment qu’elle n’était bonne à rien. Elle n’était pas du genre à se mentir à elle-même, et elle ne cherchait pas à ce que son entourage la réconforte en lui disant – sans objectivité aucune – qu’elle était douée, ou elle ne savait quoi encore. La preuve en était : elle avait écrit une nouvelle qui avait été publiée, c’est vrai. Mais le manuscrit qu’elle avait envoyé à toutes les maisons d’édition du pays ? Elle n’avait même pas eu de réponses ; d’aucunes d’entre elles. Elle n’était pas la seule à penser qu’elle n’avait pas d’avenir dans ce métier, les professionnels lui avaient eux-mêmes faits sentir qu’elle devait s’arrêter le plus tôt possible. Pour Lynn, rien n’était encore perdu. Avoir la conviction profonde de ne pas être capable d’avancer, c’était plus aisé que de taper du poing sur la table, de se donner un coup de pied aux fesses, et de se confronter au monde, d’embrasser son avenir. Elle était la plus à même de comprendre ce que Lynn pouvait ressentir, elle ne la jugeait pas de vouloir s’enfermer dans le carcan de la mauvaise élève incapable de résoudre ne serait-ce qu’une addition. Pourtant, un jour ou l’autre, il faudrait qu’elle grandisse, qu’elle prenne sur elle et qu’elle essaie d’un tant soit peu croire en ses chances. Elles n’étaient plus une adolescente, personne d’aussi avenant et professionnel qu’Emma Pillsbury ne lui tendrait la main pour la guider. Alors, certes, peut-être que la main que sa cousine lui tendait n’était pas celle qu’elle espérait, mais, au moins, ses efforts étaient sincères. Elle n’était pas vraiment en position de faire la difficile, elle devait ravaler sa fierté et accepter son aide.

Seulement voilà, il se trouvait que Cat n’était pas la seule à être butée. Lynn l’était tout autant. Sans que la blondinette n’ait le temps de s’en apercevoir, sa cousine détourna la conversation avec une habilité certaine, elle devait bien le reconnaître. Ce qui, ces derniers-temps, l’agaçait profondément. Etait-ce devenu la tendance à Lima de jouer avec les non-dits ? D’accord, elle comprenait que les gens ne veuillent pas rentrer dans les détails de leurs vies, elle était elle-même comme ça. Mais présentement, elle n’essayait pas d’assouvir une curiosité malsaine, ou de nuire à sa cousine. Elle souhaitait juste l’aider, bon sang. Vexée, Ecaterina se raidit. Qui plus est, le sujet sur lequel elle enchaîna fit naître en elle, un plus grand sentiment d’exaspération encore. Ça aussi, c’était trop facile. Contourner la conversation pour reporter l’attention sur elle. Les gens n’étaient pas sans avoir qu’elle avait du mal avec ça, alors pourquoi s’obstinaient-ils à vouloir la mettre en avant ? Gale faisait exactement la même chose, elle ne le supportait plus. Ce n’était pas d’elle dont il s’agissait, là ! Fronçant les sourcils, Ecaterina serra les dents. Elle ne s’énerverait pas, elle en était incapable de toute manière. Toutefois, elle était froissée, et s’obligeant à sourire, elle répondit sur le ton de la conversation, crispée :

« Vous m’épuisez à tous vouloir savoir ce qui se passe pour moi. Il ne se passe rien, sinon je ne serais pas ici à me donner du mal pour chercher un moyen de m’en sortir. » Elle détourna la tête dans la direction opposée, fronçant plus fort les sourcils, agacée. Elle était à fleur de peau, le fait est que la situation n’était pas facile pour elle. Avouer à sa cousine qu’elle avait trompé Gale ? C’était impensable. Elle adorait Lynn, mais si elle n’avait pas réussi à comprendre son départ, elle n’arriverait pas non plus à comprendre qu’elle n’était pas la seule à être totalement perdue. Alors oui, peut-être qu’elle avait tendance à s’emporter un peu trop facile ces derniers temps. Fermant graduellement les yeux, Ecaterina sentit son enthousiasme s’amenuiser ; peut-être valait-il mieux ajourner cette séance de travail. Tachant de retrouver son calme, elle tourna la tête vers la brunette, sa levant en même temps « Je dois y aller, je bosse dans une heure et je dois passer voir Gale avant d’aller à la librairie. » Elle baissa la tête en enfonçant un peu plus son bonnet sur sa tête, puis glissa son sac sur son épaule. En jouant avec le bout de ses doigts gantés, elle secoua légèrement la tête en ébauchant un sourire fugace « Lynn, on n’y arrivera pas. Si… si tu ne crois pas un peu en toi, on échouera. J’ai besoin que tu sois celle qui y croit parce que moi… » Elle ne termina pas sa phrase, fermant les yeux en élargissant son sourire. Elle releva le menton et pencha la tête sur le côté, retrouvant une expression douce « On se revoit ce soir. Dorian a tenu à organiser une fête surprise pour ton anniversaire. Je l’ai aidé à faire la piñata, elle vaut le coup d’œil. » Elle marqua une pause, battant des cils en baissant les yeux « Tu feras au moins semblant d’être étonnée quand tu ouvriras le porte de ton appartement. Dorian s’est donné beaucoup de mal pour que tout soit parfait. » Ecaterina releva la tête, et pivota sur ses pieds pour prendre le chemin jusqu’à la sortie de l’endroit gelé. Elle regarda par-dessus son épaule, puis gratifia la jeune fille d’un signe furtif de la main avant de définitivement sortir du parc.