Depuis plusieurs mois, Ryd écrivait des paroles de chansons puis, il composait la musique par la suite. Il écrivait sur à peu près tout : sur ce qu’il ressentait personnellement, ce que vivait les personnes autour de lui, ce qui touchait les gens, l’actualité et même des chansons absurdes. Depuis que son amie auteure l’avait aidé à choisir les bons mots, les bonnes rimes et les bons sons, c’était comme si tout ce qu’il avait voulu mettre en mots depuis l’adolescence sortait tout d’un coup. Charlie avait débloqué ses pensées et réflexions et délié sa main et depuis, il pouvait écrire entre une et trois chansons par semaine. Parfois c’était bon, parfois non. Il y avait des chansons plus sérieuses, alors que d’autres étaient plus sympathiques et entrainantes. Finalement, il arrivait qu’une chanson lui fasse penser à quelqu’un, qu’elle soit parfaite pour lui que ce soit par le thème, les paroles et l’ambiance générale de la musique et c’était précisément le cas pour une chanson que le musicien avait écrit au début de la semaine. Lorsqu’il s’était rendu compte de la chose, il avait essayé de changer quelques paroles ou même de mettre de la musique plus joyeuse et plus rapide, mais l’effet était loin d’être réussi et son premier essaie était près de la perfection. Il avait donc fallu que Ryd se rendre à l’évidence, une seule personne au monde pouvait la chanter. Elle était tout simplement parfaite pour lui, comme si Ryd avait pensé à lui inconsciemment en l’écrivant. Cette personne? Timothy Ainsworth.

Ryder pris une dernière bouffée de sa cigarette, la laissa tomber sur le sol et l’écrasa avec son pied. Il regarda les derniers filaments de la fumée s’éteindre et releva la tête vers l’affiche qui annonçait le nom des deux rues qui se croisaient. Cela faisait un bon vingt minutes qu’il se trouvait au coin de la rue à se demander ce qu’il faisait et comment il avait pensé, ne serait-ce qu’une seconde, que ce qu’il s’apprêtait à faire était une bonne idée. En effet, il n’avait pas une très bonne relation avec Tim et ce, depuis le lycée. Même si les situations avaient été abondantes pour arranger les choses, notamment qu’il ait été pendant un bon moment le demi-frère de Savannah ainsi que le colocataire de Leah, il y avait toujours cette petite animosité entre eux. Le fait que Ryd s’entende très bien avec Anna, n’arrangeait probablement pas les choses, mais pour la musique et sa conscience personnelle, Ryder devait lui transmettre sa chanson. Il ne savait pas comment aborder le sujet avec le Rebelle- surnom qu’il lui avait donné à McKinley-mais il devait mettre sa rancune infondée derrière lui.

Il pris une grosse inspiration de courage et s’aventura dans la rue ou vivait Tim avec sa mère. Il avait dû demander l’adresse à Anna. Il arriva devant la maison après quelques minutes de marche. Il se maudissait d’être là, alors qu’il aurait pu lui envoyer par courriel ou mettre les paroles dans une enveloppe anonymement, mais il voulait être mature et lui présenter son démo face à face. Ryd redoutait tout de même la réaction du jeune brun. Il le voyait mal accepter sa chanson avec un grand sourire, Ryd allait devoir le convaincre et il n’avait aucune idée comme il allait s’y prendre. Avant qu’il ne pense à changer d’avis, il cogna à la porte. On était samedi, Tim ne travaillait donc pas, alors peut-être était-il sortit. Ryder souhaitait grandement que ce soit la mère qui vienne lui ouvrir. Il pourrait alors lui donner la chanson et un faux nom et Tim n’en saurait jamais rien!

Comme un enfant impatient la veille de Noël, Timothy guettait machinalement l'horloge murale, comme si ses coups d'œil fugaces pouvaient influer sur le cours du temps. Ce dernier lui semblait par ailleurs anormalement long, comme toujours lorsqu'on lui prêtait une attention trop prononcée, assez pour amorcer chez Tim une irritation aussi vaine que palpable. Il fallait ajouter à son assujettissement au temps, un silence presque complet que seul le tic tac régulier de l'horloge parvenait à rompre. C'était tout ce qu'il détestait. Pourquoi avait-il accepté cette discussion stérile avec Savannah ? A tous les coups la californienne avait amené son ordinateur avec elle sur les plages chaudes de Los Angeles, sans même imaginer une seconde que ce cadre pouvait rendre Lima encore plus triste qu'elle ne l'était déjà. Quelle heure était-il à L.A de toute façon ? C'était un détail important qui lui échappait à chaque fois, au même titre que les dates d'anniversaire et les confidences fortuites que pouvaient bien lui faire ses amis. Et pourtant il attendait l'instant où il verrait enfin le visage de Savannah comme si c'était bien plus important que le reste. Le silence qui régnait dans la maison lui rappelait avec nostalgie cette voix exaltée qui venait le tirer de ses agréables moments de spleen. Sûrement ne lui avouerait-il jamais de son plein gré, mais elle lui manquait terriblement. Son enthousiasme lui manquait, sa curiosité envahissante lui manquait, même son paternalisme lui manquait. Qui pouvait bien lui faire la leçon sans craindre de le voir s'offenser, si ce n'était elle ? Il avait besoin que quelqu'un d'autre qu'Anna soit capable d'ébranler les barrières de son impulsivité, il avait besoin de se confier au risque d'être jugé. Sans le volcanisme et la crédulité de Savannah, il se sentait affreusement seul.

L'horloge sonna. Il était 16h mais toujours aucun appel n'était à signaler. Sûrement avait-elle oublié, absorbée par l'ardeur de la vie sur la côte ouest. Plus rien ne la retenait ici, si bien que Tim se sentait presque comme un fardeau qu'elle devrait toujours porter. Il n'avait pas envie d'être celui qui l'obligeait à se souvenir de tous les malheurs qu'ils avaient vécus ensemble. Lâchant un soupir résigné, il consentit à la laisser s'épanouir sans obscurcir le tableau idyllique de sa présente existence. Une moue pendue au visage, il entreprit de vaquer à ses occupations lorsque quelqu'un frappa à la porte. Bien que son visage fût assombri par ses récentes résolutions, une partie de lui ne demandait qu'à croire que c'était Savannah qui venait lui faire une surprise impromptue. Pourquoi le rendait-elle si naïf ? Il chassa aussitôt cette idée saugrenue de son esprit, en espérant avec un peu plus de conviction que c'était une visite qui aurait le don de lui rappeler que sa vie ici n'était pas totalement misérable. Le pas lourd, il se dirigea vers l'entrée, après avoir jeté un coup d'oeil rapide dans le miroir du salon. Avisé, il eut la bonne idée de ne pas avertir de sa présence en criant un stupide "j'arrive"... au moins il aurait tout le loisir de se raviser si jamais cette visite l'incommodait plus qu'autre chose. Il s'assura alors de la nature de cette visite en regardant à travers le judas, et ses yeux s'ouvrirent comme des soucoupes à la vue de Ryder. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu cet énergumène ? Deux, trois ans ? Trois mois ? Que Diable fichait-il sur son perron ?

Malgré son air perplexe et son envie impérieuse de l'abandonner à son triste sort, Tim décida de lui ouvrir la porte. Peut-être venait-il lui annoncer une funeste nouvelle, on ne pouvait jamais savoir. Peut-être même était-il poursuivi par un psychopathe dans le quartier et qu'il avait reconnu la maison de son ennemi, dans laquelle il avait ingénieusement décidé de se réfugier ? Tim ne blaguait plus avec ces choses là, il avait lui-même vécu un remake de The Stepfather et savait mieux que quiconque que Lima était loin d'être une ville paisible où les chorales étaient les seules criminelles. Une fois la porte grande ouverte, il ne se gêna pas pour dévisager son visiteur d'un air des plus sceptiques. Il laissa volontairement planer un silence de contemplation qui soulignait avec clarté le mépris que chacun éprouvait pour l'autre. Malheureusement pour lui il devait quand même lever les yeux pour fixer Ryder - il avait toujours cru que Savannah exagérait en parlant de la stature imposante, digne d'un dieu grec de son ex petit-ami - et ce malgré sa grande taille. Après un bref instant, très désagréable, il se décida enfin à prendre la parole : "Je suis désolé de devoir t'annoncer ça de cette façon Ryder, mais Savannah est rentrée à Los Angeles depuis un bon moment déjà." ironisa-t-il en opinant inlassablement du chef. "Et de toute façon elle n'a jamais vécu ici... Vous devriez parler plus souvent, c'est important dans un couple."

Pour une quelconque raison, Ryder était nerveux. C’était la première fois qu’il proposait une chanson à quelqu’un. Qu’il était un véritable auteur, étant donné que ses autres chansons, il les avait gardé pour lui. Il y en avait bien quelques-unes qu’il avait l’intention de présenter à Rachel, mais pour l’instant, une seule allait sortir de son carnet personnel. De plus, cette personne n’était pas vraiment son meilleur ami et même si le musicien était plus grand et plus costaud que le chanteur, ce dernier pouvait vous faire mal d’une simple pique. Même si Ryder s’attendait à des rejets, il souhaitait fortement avoir un succès à sa première tentative.

Ryder ne fût pas surpris de la réaction de Tim lorsque celui-ci le vit debout devant lui sur son perron. Ce devait être la dernière personne à laquelle il s’attendait voir débarquer chez lui. Le grand brun le laissa l’observer en silence et avec un mépris pas très subtil. C’est ce que faisait le surveillant. Il vous signalait d’un regard intense qu’il ne vous appréciait pas et ensuite prenait la parole. Des paroles toujours remplies de sarcasme. C’était sa touche personnelle. Ryder le fixa sans rien dire. Il avait pensé que les deux garçons avaient grandis et qu’ils pouvaient discuter poliment, même s’ils ne s’appréciaient pas. Il s’était trompé et décida de ne pas embarquer dans ce jeu. Pourtant, il avait de quoi répliquer. Comme par exemple, le fait qu’il était retourné chez sa mère après avoir habité dans un appartement ou qu’il s’était fait ravir le titre de vedette de sa chorale, mais il ne dit rien. De un, parce qu’il était un peu plus mature qu’au lycée et de deux, surtout, il devait mettre toutes les chances de son côté afin que Timothy accepte sa proposition. S’il le fâchait, il allait lui claquer la porte au visage.

Néanmoins, entendre le prénom de Savannah lui fit manquer un battement de cœur. Ryder savait que le Rebelle était toujours en contact avec elle et qu’il avait régulièrement des nouvelles de son ex-demi-sœur et le musicien en ressentait de la jalousie. Lui aussi aurait voulu lui parler et la voir par Skype, mais d’un commun accord des deux ex-amants avaient décidé de tout coupé pour leur bien. Les seules nouvelles qu’il avait, venaient d’Hallie qui était toujours plus que brèves. Ryd savait que la blonde allait bien, qu’elle adorait sa nouvelle vie et son nouveau travail. Sans plus. Lui devait s’en contenter. Hallie ne voulait pas donner plus de détails, malgré les supplications de Ryder. Peut-être pourrait-il soutirer quelques informations à Tim plus tard. Si leur entretient se passait bien.

Ryder soupira en relevant un sourcil. Il devait garder son calme. En ce moment, Tim était important et il ne devait surtout pas le contrarier. "Ouais c’est ça….écoute. Tu ne veux pas me voir là et crois-moi, je ne suis pas du tout à l’aise d’être là. " (Il se donnait des coups de pelle au visage dans ses pensées.) "On ne s’aime pas, ça c’est clair mais…." Il prit à nouveau une inspiration. Le moment qu’il redoutait arrivait. Autant, il avait pu prédire les réactions de Tim lorsqu’il le verrait sur le pas de sa porte, autant il n’avait absolument aucune idée de ce que ce dernier allait dire ou faire lorsqu’il recevrait sa chanson. Avec la musique, le choriste pouvait montrer une toute autre personnalité. Ryder l’avait toujours trouvé différent sur une scène. Doux, tendre et même sympathique. Par contre, il se doutait qu’il n’accepterait pas du premier coup et Ryder devait trouver la bonne approche et les bons mots. . "Voilà, j’ai écris une chanson et va savoir pourquoi, mais elle me fait penser à toi et je crois qu’elle t’irait bien. " Avant que Tim ne puisse répondre, Ryder se rendit compte qu’il avait ouvert une grosse porte invitante de sarcasme, il ajouta donc aussitôt: "Et non, je ne pense pas à toi quand j’écris…" Son ton, tout comme son visage étaient neutres, mais honnêtes. Cette chanson, il ne l’avait montré à personne ni à Charlie, ni à Anna, ses deux critiques. Il se demandait d’ailleurs, s’il n’aurait pas dû la montrer à Anna qui était justement la copine de Tim. Celle-ci aurait pu certainement lui dire si son copain allait l’apprécier ou non, mais le mal, s’il en était un, était déjà fait.

Ryder fouilla dans la poche arrière de son jeans et sortit une feuille blanche bien pliée en quatre. Il l’ouvrit délicatement comme s’il s’agissait d’un trésor et la tendit à Tim. . "Tiens, la voilà. Tu en fais ce que tu veux. Je te la donne. "

Il le regarda fixement dans les yeux. Il voulait que Timothy sache qu’il ne se jouait pas de lui et qu’il était très sérieux dans ses démarches.