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 06. Hey little sister

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MessageSujet: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyVen 18 Jan - 19:41

Installée en silence à droite de la nef dans le fond de la vieille église froide, Ashandra avait les mains jointes en prière, les coudes appuyés sur le banc de devant. Son front reposé contre ses pouces et les paupières serrées, la jeune femme était assise là depuis près d’une heure, sans bouger, sans piper mot ni prêter attention aux quelques personnes qui étaient passées voir si le pasteur était là ou se mettre à l’abri du soleil. À l’extérieur, la chaleur était étouffante malgré une timide fin de juin, si bien que son refuge d’ordinaire bien calme recevait un peu plus de visiteurs. Les badauds qui la reconnaissaient s’imaginaient sûrement que c’était une preuve de foi de plus de la part de cette habituée de la maison de Dieu, et qu’elle jouait au concours de la fidèle la plus pieuse. En réalité, elle était loin de se sentir en accord avec Dieu ces temps-ci. Au contraire, la choriste se sentait plus perdue que jamais après la défaite des Second Chances aux regionals et le départ de son frère qui avait de plus en plus l’air définitif, à tel point qu’elle avait même fait l’impasse sur la dernière messe pour rester sous sa couette à se morfondre. La seule chose qui la tenait occupée jusqu’à présent venait d’échouer aux portes des qualifications lui laissant un vide immense malgré les répétitions qui se poursuivaient. Le coup avait été plus dur qu’elle ne l’avait imaginé. Comme si ça avait été de sa faute, elle ressentait le besoin de faire pénitence, mais les autres n’avaient pas l’air de si mal le prendre. Même Cassie semblait vouloir lui cacher le fond de sa pensée, ce qui ne faisait qu’ajouter à son fardeau. Résultat de tout ce noir qu’elle broyait : elle était prostrée là depuis une heure. Ses bras s’étaient engourdis à force de rester appuyés contre le dossier de bois. La jeune femme cherchait encore et encore les mots qu’elle voulait adresser au Seigneur sans jamais trouver les formules justes. Elle ne voulait pas paraître égocentrée en rapportant toujours tout à elle, même devant le Tout-Puissant. Personne n’aurait pu la condamner de vouloir être égoïste dans ses prières, mais elle savait que c’était ce trait de caractère qui avait été à la source de tous ses ennuis avec Damon... Si seulement elle ne s’était pas enfuie sans lui, si seulement elle avait accepté de l’écouter sans le juger, peut-être qu’ils auraient pu se retrouver comme avant. Elle en était presque à regretter l’époque du lycée où il faisait en sorte de la protéger des pompoms tyranniques et des remarques outrageuses de ses camarades de l’équipe de football. À cette époque, au moins, ils pouvaient compter l’un sur l’autre. Ouvrant finalement ses grands yeux sombres, elle renonça une fois de plus à ses supplications auprès du Seigneur pour les remettre à plus tard. Le regard luisant à la pensée que peut-être Damon ne reviendrait pas en ville, elle avait la gorge nouée et son estomac vide depuis la veille se contractait dans la douleur. On était samedi après-midi, elle aurait dû faire comme les autres filles de son âge et chercher les dernières tenues à la mode avant d’aller siroter un café frappé en terrasse. Au lieu de cela elle préférait se torturer dans l’église du pasteur Hamilton...

Poussant un profond soupir, elle renversa la tête en arrière pour regarder les clefs de voûtes en pierre loin au dessus de sa tête. La caresse de ses cheveux bouclés sur sa nuque dénudée l’apaisa un peu, et elle passa une main sur sa peau sèche qui aurait eu besoin d’un peu plus d’attention. Ses muscles las d’avoir été tétanisés dans l’ombre si longtemps la tiraillaient, et elle s’étira de tout son long, faisant un peu remonter sa robe d’été noire sur ses cuisses. Elle n’avait aucune envie d’aller se perdre dans les boutiques de vêtements du centre ville seule, et elle n’avait pas envie de déranger qui que ce soit alors que l’après-midi était déjà bien avancée. Se glissant entre les rangs, l’afro-américaine se dirigea le plus naturellement du monde vers la salle de répétition des Second Chances dont elle poussa la porte qui comme d’habitude n’avait pas été verrouillée. Les murs plus fins de l’annexe avaient laissé pénétrer un peu la chaleur, et les vitres toute en longueur donnaient une vue imprenable sur le ciel bleu dégagé. Ashandra ne savait pas jouer de la guitare comme Charlie, mais elle se débrouillait au piano, même si ses dernières leçons remontaient à Mathusalem. Elle n’y avait jamais vraiment retouché depuis qu’elle avait quitté Des Moines pour venir s’installer à Lima à l’époque du lycée. Timidement, elle s’approcha du tabouret sur lequel elle s’assit en prenant soin de rabattre sa robe correctement pour ne pas faire de pli. Le couvercle n’était pas relevé, et elle fixait l’instrument comme s’il allait la mordre si jamais elle s’en approchait plus que de raison. Se résignant à ouvrir le capot noir, elle s’essaya à tapoter quelques touches d’où s’échappèrent un bruit mélodieux qui lui fit esquisser un sourire. Relevant le nez vers les partitions elle s’essaya aux premières mesures. Le rythme de la chanson country n’était pas si rapide, malgré sa torpeur relative, elle répéta plusieurs fois le début pour se déverrouiller et se lança hésitante sur le premier couplet. «She grew up on the side of the road where the church bells ring and strong love grows. She grew up good, she grew up slow, like American honey.» reprenant son souffle ne quittant pas la partition des yeux, elles enchainait les petites erreurs mais n’était pas si mécontente du résultat. «Steady as a preacher, free as a weed, couldn't wait to get going, but wasn't quite ready to leave. So innocent, pure and sweet, American honey.» En réalité, la guitare de Charlie aurait fait des merveilles sur ce morceau, bien plus que ses maladroites tentatives au piano, mais elle poussa néanmoins jusqu’au refrain de bon cœur, sentant les crampes dans son estomac se dénouer alors qu’elle se détendait en se concentrant sur autre chose. «There's a wild, wild whisper blowing in the wind, calling out my name like a long lost friend. Oh I miss those days as the years go by. Oh nothing's sweeter than summertime, and American honey.» Les doigts toujours posés sur le clavier, elle baissa le regard vers les touches noires et blanches qu’elle caressa avec tendresse avant de refermer à nouveau le piano sans bouger de sa place.

Il y avait tout un tas d’autres partitions sur le dessus du piano, et curieuse de nature, la choriste ne put résister à la tentation de fouiner un peu dans les papiers de Grace. Après tout, c’était elle la pianiste du groupe, et personne ne saurait qu’elle avait fureté pour savoir ce qu’ils chanteraient à la prochaine répétition. Attrapant une feuille au milieu du tas en désordre, à sa grande surprise elle n’y découvrit pas des notes de musique ou des paroles, mais quelque chose qui avait davantage la forme d’un article. Ses yeux parcoururent le papier à toute vitesse, puis elle revint plus doucement sur chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot. Elle ne pouvait pas faire erreur. Il s’agissait bien d’un article. Mieux encore, d’un article sur la défaite aux regionals qui prenait un ton tout à fait différent de celui qu’elle aurait attendu de la part de la petite sœur Hamilton. Il ne pouvait s’agir que d’elle, c’était son piano, ses partitions, son coin de la salle de répétition. Qui serait venu ranger ses affaires à cet endroit si ce n’était elle ? Les yeux écarquillés et la bouche bée devant cett découverte, Ashandra se retourna vivement en entendant le bruit de la porte dans son dos, faisant choir à ses pieds le papier qu’elle tenait dans ses mains à cause de la précipitation avec laquelle elle venait de se relever comme si on l’avait prise la main dans le sac à faire de vilaines choses. Et quand on parle du loup, Grace en personne venait la surprendre à fouiller dans ses affaires. «Oh Grace ! Je... Que fais-tu ici par un si beau temps ?» balbutia-t-elle sans être très convaincante. «Je... je suis désolée, je ne voulais pas fouiller. Je... j’avais juste envie de voir ce que nous réservait Joanna...» Ses pommettes sombres s’enflammèrent alors qu’elle ramassait en hâte la feuille au sol qu’elle garda fermement dans ses mains. Après un moment de silence, elle trouva la force de relever le menton vers la pianiste et dans un murmure presque inaudible, elle osa un vague : «C’est à toi ?»
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Grace Hamilton
Grace Hamilton
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We only own our hell.
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Occupation : Bénévole à la LPA - Cantinière à l'OSU Lima - - Bloggeuse culinaire de bas étages
Humeur : You can be Alice I'll be the Mad Hatter
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Chanson préférée du moment : Marina and the Diamonds - Lies
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptySam 26 Jan - 17:17

Grace était une sorte de couteau suisse social.

Le concept de vie était certes étrange, mais il avait le mérite d’offrir un panorama aussi large que précis de la réalité de la personnalité insoupçonnée de la blonde. Comme tout bon ustensile sociétaire qui se respecte, en plus d’une couche anti-oxydante de chrétienté et d’un design suédois physionomiste à la fois ergonomique et avantageux, l’Hamilton présentait une multiplicité de fonctions attrayantes, qui, au final, se révélait plus être des arguments fournis aux présentatrices botoxées de télé-achat que des qualités réellement exploitables. Oui, ce petit détail référencé en police vingt-trois dans le mode d’emploi qui vous coûte un petit supplément de deux cent quarante-trois pourcent sur le prix original, et qui terminait inévitablement inutilisé et oublié, qui devenait un défaut de fabrication, Grace en était porteuse, et veillait soigneusement à la dissimuler.

Cette faute à peine avouée, cette lamelle « cure dent » au milieu de la petite armada d’outils miniatures, cachée avec tant de paranoïa, c’était l’écriture.

Pourquoi s’échinait-elle à garder cette compétence, d’apparence inoffensive, inconnue ? Elle-même ne le savait pas très bien. Sa vie avait été régentée par des préceptes qui avaient fait de ce don une sorte d’excroissance de talent, un chancre bénin sans grand intérêt, à peine décoratif car nécessairement disgracieux sur l’anatomie stylisée de ses pensées. Toutes ces pages noircies, tous ces stylos à bille froidement évidés, bavant à peine encore une goutte d’encre après son passage, tout cela se résumait pour son entourage, et donc pour elle, à une sorte de pancréas indésiré qu’on préférait ignorer tranquillement. Pourtant, il existait.

On dit qu’écrire, c’est empoigner sa souffrance.

Disons que, dans le cas de la pianiste, c’était le substitut au traditionnel xanax-vodka, seule solution actuellement trouvée à une défaite humiliante face à d’ignobles païens dans un concours de chorale d’Ohio. Car, oui, si la majorité des chanteurs de Lima pouvait imbiber d’une bonne gueule de bois leur médiocrité, quand on faisait partie des Second Chance, il fallait faire preuve d’un peu plus de ressources imaginatives pour découvrir des moyens licites et puritains pour réussir à garder la foi et le sourire en permanence, en prétendant que tout allait merveilleusement bien.

Prétendre.

Car, si Grace s’émerveillait chaque jour un peu plus des bontés du Seigneur, elle devait bien confesser sa légère consternation à la vue de ses récentes décisions. Excellent pourtant jusqu’alors en matière d’interprétation, ses talents de traductrice divine restaient impuissants face à un langage si crypté. Qu’est-ce que Dieu tenait de leur annoncer ? Les porteurs de son emblématique parole devaient-ils renoncer à leur oeuvre ? Ou au contraire, s’investir plus ? Au près de leur communauté, peut-être ? Pratiquer l’exercice délicat de la propagande de l’abstinence tout en glorifiant les familles nombreuses ?

Grace était confuse, perdue, déroutée. Exactement comme quand les Jonas Brother avaient annoncé qu’ils souhaitaient se séparer.

Les choristes devaient-ils seulement les causes de leur défaite ou laisser leur sort entre les mains perforées de leur Sauveur ? Joanna semblait imputer cet échec à la quantité, pourtant minimes, de testostérones qui résidaient encore dans leur groupe.

Mais comment étaient-elles censées atteindre les notes basses, car, si Dieu en avait incorporé dans l’Ave Maria, c’est qu’elles devaient être indispensables, sans les éléments phalliques de leur société chantante ? Devaient-elles toutes se mettre à fumer trois paquets par jour et prendre une cinquantaine de kilos pour espérer descendre plus bas ? Était-ce cela leur pénitence, leur devenir ? Des barytonnes grassouillettes et cancéreuses ? Crachant des petits morceaux de bronche entre deux changements d’octave ?

Grace, tout comme elle considérait les Croisades comme des manifestations pacifistes réinterprétées par des historiens drama-queen, ne pouvait se résoudre à envisager son Dieu si cruel. Aussi, avait-elle écarté ces hypothèses catastrophistes pour son taux de cholestérol, avait relevé la tête, créé un stock de badge pour les blogs anti-avortement et mettait toute sa patience optimiste à disposition de Cassandra et des quelques cas de dépression apparus dans les rangs de sa chorale.

Ils étaient l’Armée du Salut. Restait à changer le Te Deum en Mélodie du Bonheur.

Auto-promue générales de la section miséricorde et candeur, et en vertu de ce nouveau grade durement acquis, elle avait pris l’initiative toute naturelle de redécorer leur QG.

Certes l’architecture épurée et paisible de l’annexe de l’église avait toujours conféré un petit côté solennel à leurs performances, mais, un peu endoctrinée par les magazines féminins qui traînaient dans la salle d’attente de son médecin, endroit quasiment devenu son sanctuaire privé au vu de la multitude proprement scandaleuse de rendez-vous qu’elle réclamait, elle s’était doucement laissé dire que l’environnement s’imprégnait des ondes émises par les actes des personnes, et quand on réfléchissait un minimum au potentiel actinifère du petit paquet d’âmes torturées par les interrogations et les regrets qui traînaient dans les parages, il valait clairement mieux pour eux de brûler leur garde-robe entière et raser leur église.

Ce petit blasphème immobilier relativement inenvisageable pour la jeune femme, qui ne souhaitait tout de même pas mettre son père au chômage technique pour une sombre histoire de radioactivité émotionnelle, elle s’était résignée à se contenter de dévaster l’intérieur de la bâtisse. Après tout, cela ne ferait de mal, et, plus encore, elle satisferait nécessairement leurs rétines avec ses talents soupçonnés pour la décoration.

Ainsi atterrie dans un magasin meuble, ses longs cheveux ramenés en un chignon qu’elle espérait professionnel, des lunettes, dont la seule utilité était d’offrir une impression de sérieux que mettrait à mal l’espèce de caricature peroxydée de Martine à la Messe qui lui servait de visage, trônait sur son nez. Sur ses genoux étroitement joints, s’étalaient les pages bien remplies, excessivement post-itées d’échantillon de tissus et parcourues de long en large par des flèches colorées, d’un dossier conçu par ses soins minutieux.

Un vendeur, visiblement prêt à étouffer dans son un peu trop extravaguant costume trois pièce violet, lui faisait face, sa dentition chevaline quoique blanchie largement exposée :

-Je vois, je vois… Vous cherchez donc du trashy-glam-rock ?

-Oui, enfin, ça reste une église, pas les loges de Ke$ha…

Dieu nous préserve de la pécheresse.

-Oui, oui, catho-chic, je vois, je vois… Tout à fait. Parfait. Fabuleux. Pour les volumes de lumière ? On part sur du Starck ? Vous jouez avec de la transparence glossy ?

-Oui, et avec les vitraux…

-Je vois, je vois. Excellent. Superbe. Vous avez les dimensions ?

-Oh, je…

La voix du vendeur cessa de pinailler ses superlatifs nasillards tandis que Grace plongeait sur son sac, fouillant désespérément à la recherche des renseignements réclamés. Tattonnant inutilement les fausses poches de sa robe rouge et la ceinture noire serrée à l’excès qui meurtrissait sa taille, elle se résigna à annoncer les faits d’une voix blanche, comme prise sur le fait d’un crime odieux :

-Je… J’ai du les oublier.

Les traits plastiques du visage obséquieux tourné vers elle se tordirent avec une expression à peu près aussi acide que la couleur jaunâtre de ses mocassins vernis.

-Je… vois. Je ne saurais rien faire sans, vous voyez ?

-Je sais ! Je… Je vais aller les chercher, conclu-t-elle résolument.

Calant son classeur débordant sous son bras rachitique, la banderole, car oui, on n’envisageait pas un changement de décoration sans banderole, récupérée un peu plus tôt chez l’imprimeur sous l’autre, elle jaillit dans la rue, se pressant avec l’élégance d’une gosse hyperactive en surdose de soda sous le soleil écrasant, sans trop savoir où aller.

Chez elle ? Non. Elle avait été particulièrement attentive à dissimuler ses projets à sa sœur, convaincue que la surprise n’en serait que plus bénéfique, et elle n’aurait certainement pas laissé traîner des informations aussi compromettantes.

Une main passée nerveusement dans ses cheveux, sa course se stoppa vivement. Regard à droite. A gauche. Mine affolée de droguée à peine entrée en cure de désintox.

Ses yeux parcourent les environs, tentent de quadriller le secteur méthodiquement. Le taux d’adrénaline dans ses veines ruine ses espoirs de tacticienne, et, comme des morceaux de fer attiré par un aimant, ses pupilles semblent happées par un champ magnétique. Comme trop habituées à la chose, elles se tournent hystériquement vers les pierres massives du clocher de l’église qui s’élevait par-delà les quelques rues qui lui faisaient face.

Evidemment.

Elle y avait été récupérer les dernières partitions sur lesquelles elle comptait travailler les tonalités, à peine quelques heures auparavant. La course reprit.

Elle s’était toujours montrée d’une assiduité particulière pour son église, les nombreuses marques cramoisies sur ses genoux pouvaient témoigner, mais si elle continuait à ce rythme, elle pourrait bientôt la considérer comme résidence secondaire.

A bout de souffle, épuisée par la chaleur scandaleuse à laquelle on permettait de régner sur l’extérieur, reconnaissante à l’excès aux lourdes portes d’avoir été laissées ouvertes, elle se réfugia dans un soupir un peu trop bruyant dans la fraicheur de sa future œuvre d’art décoratif, veillant à garder intact le quasi-équilibre du monceau de paperasse que supportait ses bras.

L’écho de ses pas sur le sol s’arrêta. Son corps blême se figea, incarnation parfaite de la mortification la plus complète.

Grace restait là, plantée, la bouche mollement ouverte.

La bannière s’écrasa sur le sol, saupoudrée des restes de son projet dans un fracas qu’elle jugeait assourdissant. Et pourtant, le regard ne se relevait pas, toujours fixé sur cette lecture infâmante. Inexorablement posés sur ce papier à partition froissé, griffonné de notes qui n’avaient plus rien à voir avec la musique.

Le cure-dent venait de se transformer en une hache luisante, brandie par un bourreau d’autant plus redoutable qu’il n’inspirait que la méfiance.

Entre des doigts mal-manucurés, palpitait ce pancréas littéraire si jalousement caché.

Et si l’organe n’était pas vital, le voir disséqué à la pointe de ce regard finalement si peu rencontré apparaissait comme une expérience au-delà du traumatisme.

Sans le savoir, Ashandra venait de sauver les rétines de l’entièreté des membres de leur chorale.

«Oh Grace ! »

Enfin, elle croisa ces prunelles. Ses prunelles.

A peine en eut-elle goûté le contact qu’elle le fuit avec la précaution qu’implique l’instinct de survie. Ce-dernier n’empêchait pourtant pas ses joues de s’enflammer au souvenir de ces écris.

« Je... Que fais-tu ici par un si beau temps ?»

Elle préféra lui épargner les détails de ses idées d’assainissement d’ondes cosmiques par relooking imposé. L’espèce d’état de tétanie dans lequel elle était plongée l’en aurait de toute façon empêchée.

-Prier. On est dans une église. C’est censé être ce que l’on y fait. Prier.

Et se faire pardonner.

Elle parlait avec la lenteur de l'abrutissement profond, ses pensées trop concentrées sur l’argumentation qu’elle devrait certainement présenter. Ce n’était pas le genre d’exercice oral qu’elle affectionnait particulièrement.

«Je... je suis désolée, je ne voulais pas fouiller. »

C’était pourtant exactement ce qu’elle avait fait. Ses yeux ne pouvaient se détacher de la feuille étalée sur le sol. Un peu comme quand un enfant qui colle son nez à la vitre de la voiture quand ils passent à côté d’un accident particulièrement sanglant sur l’autoroute pour en faire des cauchemars toute la nuit. A la différence près que, dans son cas, le cauchemar n’avait pas besoin d’attendre, il se déroulait déjà autour d’elle.

« Je... j’avais juste envie de voir ce que nous réservait Joanna...»

-Pourquoi tu ne lui as pas demandé directement ? Mon piano ne ressemble pas à Joanna... Enfin, je crois.

Grace avait cette particularité que, même dans les situations les plus remplies de sous-entendus que sa vie pouvait lui amener, elle interprétait ce qu’on lui disait avec une logique directe et entière, sans l’embarrasser de la moindre once de subtilité.

Et ce manque criant se manifestait à cette heure par une incrédulité absolue.

Le murmure qui devait suivre le silence gêné la heurta comme un obus.

«C’est à toi ?»

-Non.

Réflexe dont la stupidité manifeste lui apparu avec une vague nausée.

-Enfin… Oui. Je veux dire…

Elle ne voulait en vérité rien dire du tout, et c’était bien là le problème.

Avec la ridicule envie d’ordonner à la Moon de fermer les yeux, d’arracher à ses mains les pages si reconnaissables et de fuir loin, très loin, pour s’y enterrer dans la plus grande Foi, Grace tenta d’afficher une moue détachée qu’elle ne maîtrisait absolument pas.

-J’imagine que ça doit être un de mes… papiers… de droit., tenta-t-elle, convaincue d’être crédible.

Après tout, peut-être que c’était effectivement simplement des notes de cours. En ce cas, elle n’avait aucune raison de s’inquiéter. Evidemment, ce genre de pensée relevait de l’autosuggestion profonde.

-Je… Je ne sais pas. J’ai du l’oublier ici. Rien de fascinant à lire., fit-elle en guise de motif de dissuasion, espérant encore que la Moon n’ait lu qu’en diagonale la page tout en embrassant d’un coin de l’œil la salle, guettant la présence d’autre personne.

Elles étaient seules.

Fébrilement, elle tendit sa main en avant, comptant qu’on lui rende son bien au plus vite.

Tout-ça faisait tellement transaction de mafioso.
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyDim 27 Jan - 23:25

Plus qu’un vilain défaut, la curiosité était un péché mortel qui vous menait droit à votre perte, et Ashandra venait d’être prise la main dans le sac par l’intéressée elle-même, qu’elle n’avait pas entendue venir, trop absorbée dans sa lecture. Elle n’en mourrait peut-être pas, mais tout de même, c’était embarrassant. D’autant plus embarrassant que l’expression horrifiée du visage de la blonde avait quelque chose de très munchien, façon cri silencieux, avant de virer cramoisi comme pour s’accorder à son propre teint. Son ton froid et lent ne correspondait pas à l’image d’ordinaire plus enthousiaste que la pianiste renvoyait au sein de la chorale. Jusqu’à présent elle l’avait plutôt pensée joviale et dynamique, pas du genre à vous assassiner du regard alors que vous jetiez un œil dans les partitions. Cependant, la choriste aurait bien été incapable de dire laquelle des deux Grace était la plus proche de la réalité. Jusqu’alors elle ne s’était jamais vraiment préoccupée de chercher son amitié. Elle était plus jeune qu’elle de près de trois ans, elles n’avaient jamais partagé de cours au lycée ou fait une quelconque activité à deux, ce qu’elles avaient en commun elle le partageait avec Cassie, rien que ne la pousse à chercher plus loin. Elle avait eu l’occasion de dîner avec elles de nombreuses fois au cours des années chez les Hamilton, de la croiser dans les couloirs, de la saluer en passant, mais tout ceci ne comptait pas réellement pour une relation amicale. Oui, elle avait de la sympathie pour la petite sœur de Cassandra, mais ça s’en tenait en somme là. L’afro-américaine savait bien que l’homme se forge une carapace sociale derrière laquelle il dérobe son véritable caractère à la vue des indiscrets. La cadette du pasteur n’avait pas l’air d’un gourou de la manipulation avec un visage aussi franc que le sien et des mots qu’elle mâchait rarement, mais depuis son accrochage avec Peter Matterface, Ashandra avait appris à ne pas faire confiance à son instinct lorsqu’il s’agissait de juger les gens. Elle n’avait de toute évidence aucun talent dans ce domaine et avait fini par se résigner à vivre dans le monde d’illusions que les autres voulaient se créer. Dracy Moon et son scénario de la parfaite mère de famille lui offrait un entraînement royal en continuant sa vie de nouvelle épouse sans se soucier un instant que son benjamin ne reparaisse pas pendant une semaine. L’air de leur maison était irrespirable tant y flottaient les mensonges et les faux-semblants accumulés au cours des dernières années. C’était l’apanage de toute les familles dans les banlieues à en croire la télévision, et en général ça se terminait mal dans une série policière. Mais elle ne pouvait s’empêcher de croire que sa situation était pire que celle des autres. Ce n’était pas correct de penser de manière si égoïste et de se lamenter sur son sort. La jeune femme le savait et se gardait bien d’émettre la moindre plainte à ce sujet, surtout pas auprès de Cassandra. Les Hamilton représentaient un peu sa famille rêvée. Elle était consciente que tout n’était pas toujours facile, et qu’en tant que filles du pasteur elles devaient avoir un certain standing en raison de leur exposition, mais il n’y avait pas cette même lourdeur dans l’air, pas de regards méfiants en coin au dessus d’une tasse de café. Elle aurait tout donné pour avoir le droit de faire partie de cette famille. Pour avoir le droit d’être libérée de la sienne et de voler de ses propres ailes. Seulement ce genre de pensées ne ferait qu’embarrasser tout le monde, et ne dépassaient donc pas le stade de simples pensées secrètes pas même couchées sur le papier de son journal.

Elle se souvenait encore des inquiétudes de Cassandra pour sa petite sœur un peu trop influençable et naïve, et de la confiance qu’elle-même avait encore en son frère à l’époque. Comme le temps avait été cruel, et comme il l’avait déçue. La petite Grace était devenue une femme indépendante et libre en apparence, elles étaient restées très complices et partageaient sans doute tous leurs secrets dans l’intimité. Si ses soupçons s’avéraient exacts, elle avait même une plume mordante tout à fait appréciable qui pourrait sûrement lui ouvrir toutes les portes qu’elle voudrait. Tandis qu’elle, elle venait de perdre son frère. Disparu, évaporé dans la nature après des frasques bien trop nombreuses en ville qui les avaient rendus célèbre auprès des forces de police et des videurs des bars du centre-ville. Il ne fallait pas être un génie pour voir que l’une s’était envolée de ses propres ailes tandis que l’autre avait sombré dans les noirceurs de l’alcool et de l’abandon au péché. La tristesse qu’elle ressentait face à ce contraste évident fit se contracter sa mâchoire, et ses doigts se resserrèrent sur le papier qu’elle venait de ramasser. «Pardon.» souffla-t-elle en baissant les yeux comme s’il s’agissait de sa mère en train de la réprimander. Grace avait décidément les gênes Hamilton pour ce qui était de la prestance. Tâchant de quitter cette mauvaise position où elle venait de se fourrer, sans perdre de vue le pamphlet, sa question engendra une réponse des plus chaotique qui acheva de lui mettre la puce à l’oreille. Ashandra releva les yeux vers la main tendue du Grace et malgré un conditionnement d’ordinaire plutôt efficace face à l’autorité, elle ne lâcha pas prise. Au contraire, la jeune femme recula d’un pas pour revenir s’asseoir sur le petit banc du piano et posa le papier à plat sur ses genoux. «Non non, ce n’est pas du droit. Je... Hmm. J’ai eu le temps de le lire avant que tu n’arrives et c’est...» aussi hésitante qu’excitée, la choriste savait qu’elle empiétait sur un jardin secret que son interlocutrice avait tenté de protéger. Mais cette fois elle faisait le pari d’ignorer ce mur de convenances entre elles et de forcer les choses. «C’est très intéressant !» Se relevant de son banc un peu plus sûre d’elle parce qu’emportée par son désir de rompre la glace et d’en savoir plus au sujet du billet, elle fit deux pas supplémentaires en direction de Grace. «Cette description...» pointant un passage du texte du bout du doigt «c’est vraiment... C’est tellement réaliste, et à la fois tellement touchant ! La défaite comme je ne l’avais jamais vue.» conclut-elle souriante. Elle se serait volontiers lancée dans une discussion sur le contenu, mais une fois le premier élan de bravoure passé, la honte la rattrapa et de nouveau plus un mot ne sortit de son gosier serré.
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyMar 12 Fév - 15:20

C’était prévisible. Cette discussion. L’interlocutrice. Tout.

Elle souffrait, continuerait à souffrir et comprenait parfaitement pourquoi. Pis, elle méritait ce châtiment déguisé en choriste afro-américaine.

Elle avait heurté la sensibilité divine, s’était opposée à ses volontés architecturales en voulant relooker à grand coup de papiers peints et astuces-déco la villégiature liménienne du Seigneur. Elle avait cru pouvoir devenir Michel Ange. Elle n’aurait de toute façon été que Valérie Damidot. Et, au vu de sa réaction, le Seigneur ne devait vraiment pas apprécier les stickers fluorescents et les salopettes rouges.

Oui, Grace avait cherché cette situation. Mais elle aurait au moins pu espérer que, par ses motifs, purement optimistes, la clémence divine la lui aurait épargnée au profit d’une bien plus miséricordieuse, et instructive, révélation de la désharmonie des couleurs à la fin de la pose des lettres en polystyrène recyclé.

Evidemment, les subtilités divines en matière de représailles avaient la propriété d’être étonnantes au possible. Mais tout de même.

Ashandra Moon. Elle portait bien son nom. Presque aussi fiable que la schizophrène céleste qui s’éclatait à faire monter les marées chaque mois, elle n’inspirait pas la moindre once de confiance chez Grace.

Etonnamment, elle n’avait que très récemment commencé à éprouver cette espèce d’aversion physique pour Ashandra. Avant, si elle avait toujours vaguement eu l’impression qu’elle était peut-être un peu trop envahissante, elle avait toujours vu avec, sinon de la bienveillance, une relative indifférence, parfaitement réciproque, les rapports constants et étroits qu’entretenaient la Moon avec sa sœur.

C’était à ses yeux une créature gentille, insipide, assez bien éduquée, suffisamment avisée pour pouvoir reconnaître en Cassandra Hamilton une connaissance privilégiée et dont on évitait soigneusement le sujet du frère en toute circonstance. Le manque relatif de tact de la blonde avait d’ailleurs beaucoup eu à souffrir de ce dernier point, ainsi que ses tibias, cibles principales en matière de coup de pied sous la table des repas auxquels la jeune femme avait été multiplement conviée. Elle l’avait, en de rares occasions, côtoyée au lycée, et leur participation commune à la chorale n’avait qu’à peine réchauffé leurs rapports tiédasses.

Non. Il n’y avait pas très longtemps, Ashandra sortait encore d’une version post-apartheid de la Petite Maison dans la Prairie. Jusqu’à cet évènement. Jusqu’à ce qu’elle glisse sur la liste des programmes télévisés du Destin et se retrouve casée en dernière partie de soirée, personnage principal d’un polar un peu glauque sur lequel Grace n’aurait jamais voulu poser les yeux.

Elle avait dévoilé un côté bien trop sombre de sa personnalité pour que la benjamine des Hamilton envisage une seule seconde de partager la même pièce qu’elle sans avoir peur de finir en équivalent humain de ces immondes ratons laveurs empaillés. Les chrétiens avaient déjà essuyés un nombre impressionnant de massacre au fil de l’histoire, et la pianiste ne jugeait pas sa mort parfaitement la bienvenue pour entrer dans la petite collection de martyrs de son Seigneur.

Encrée dans sa mémoire génétique comme un trauma, comme si c’était elle-même qui avait du essuyer la petit descente forcée des escaliers, l’acte d’Ashandra lui apparaissait comme de la haute trahison, quoiqu’ai pu pardonner Cassie, envers Jésus et ses principes un peu hippies d’Amour Universel, passible d’exil et d’un petit exorcisme pour la route.

La moindre fibre de son être chétif se révoltait face à une telle noirceur, la peur de voir sa sœur faire partie des dommages collatéraux de la Badshandra, et ce un peu plus définitivement que Christabella, annihilant instantanément les relents de compassion qu’elle aurait pu éprouver pour cette âme tourmentée par la psychose, les montées d’hormones d’une ménopause anticipée et Dieu seul savait quelles autres raisons.

Elle passa un doigt sur son coude qui la picotait.

Grace ne haïssait pas Ashandra. Non, ce qu’elle ressentait à son égard dépassait le sentiment. Elle avait plutôt développé une allergie complète à sa présence, un répulsif cutané. S’il fallait absolument lui attribuer une qualité d’attitude, on pencherait plutôt sur le malaise, la terreur la plus profonde.

Certes, c’était peut-être légèrement dramatisé. Mais le Pardon dont elle était capable, justement réclamé par la créature, montrait des limites étrangement définitives quand on manquait de tuer une jeune femme que seule la bonté du Seigneur avait sauvé, sans même prendre la peine, et la politesse, d’expliquer ses motifs à la société ébahie.

Grace pensait que cela concernait sa sœur.

Tout ce qui concernait Ashandra semblait influencé par Cassandra. Ce phénomène amorcé à l’adolescence n’avait cessé de progresser à l’âge adulte. Pourquoi une tentative d’assassinat digne de « JF partagerait appartement », avec la Gillespie dans le rôle du chien balancé par la fenêtre, devrait être dissociée de ce comportement ?

Si la blonde n’avait jamais remis en cause l’attraction que sa sœur suscitait dans son entourage, et avait toujours tenté de ne pas écouter les ragots concernant la sexualité d’Ashandra à McKingley, il fallait bien avouer que la transe étrange dans laquelle la directrice des Second Chance poussait la Moon avait quelque chose de préoccupant.

A peu près autant que le comportement qu’elle avait décidé de lui infliger, offrant à Grace tout le loisir de se molester mentalement d’avoir oublié des écrits si compromettants sur son piano.

- Non non, ce n’est pas du droit.

Elle aurait au moins pu faire semblant. Après tout, elle n’en était pas exactement à son premier péché. Cela leur aurait fait tellement de bien, à l’une comme à l’autre. Mais non. Ashandra était une créature manifestement dévolue au Mal. Ses méfaits ne servaient d’autre cause que ses intérêts déments. La figure de Grace devenait de plus en plus blême, son regard fiévreux.

- Je... Hmm. J’ai eu le temps de le lire avant que tu n’arrives et c’est...

La mortification ne s’arrêterait donc jamais ? Chaque parole prononcée par la Moon la plongeait un peu plus profondément dans l’effroi.

-C’est très intéressant !

Grace avait le cœur et l’estomac au bord des lèvres. Le mélange était loin d’être des plus savoureux.

-Cette description...

La jeune femme jeta un coup d’œil au passage signalé. Elle le balaya d’un battement de cil et détourna bien vite les yeux, comme brûlée.

-… c’est vraiment... C’est tellement réaliste, et à la fois tellement touchant !

-Ah bon ?

Une lueur de curiosité scintilla faiblement derrière les prunelles de la jeune fille. Elle s’éteint bien vite quand elle se rappela qui lui faisait ces compliments et la nature de ces-derniers. Cela suffit à la remplacer par une épouvante modérée.

Ashandra avait beau s’extasier devant sa prose, Grace vivait cet éloge très peu désiré avec un sentiment à peu près semblable à celui qu’on devait rencontrer en face d’un vétérinaire qui vous exposait la tumeur granuleuse qu’il venait d’enlever des mamelles de votre chat. Et ce genre de simulation n’avait strictement rien d’agréable.

- La défaite comme je ne l’avais jamais vue.

-Comme personne n’aurait jamais du la voir.

Elle aurait pu lui cracher un « Toi encore moins que les autres » d’une petite voix enraillée par la détestation. Elle ne le fit pas. Son regard assombrit se chargea de transmettre le message.

Soupir. Yeux retombèrent sur les dalles du sol et s’y plantèrent avec obstination.

-Ce… Ce n’est pas réaliste ou intéressant.

Sa main, jusqu’alors toujours tendue, retomba le long de son corps. Ses poings se serrèrent.

-C’est ridicule. Faux. Juste des griffonnages. Qui ne devaient… ne méritaient pas d’être lus. Personne ne veut lire... ça Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je…

Elle osa relever la tête et croiser les prunelles sombres de la jeune femme. Dans ses yeux bleu, brûlait une lueur de supplication, là où elle aurait voulu y mettre de la froideur.

-Ca. Ce n’est pas moi.

Pourquoi se sentait-elle le besoin de se disculper ? Surtout devant elle, cette fille qu’elle ne pouvait approcher qu’emballée dans une épaisse combinaison hypoallergénique ?

Peut-être pour lui prouver qu’elle n’était pas comme elle.

De s’excuser, de la laisser seule dans l’obscurité, de la supplier de ne pas la juger, de ne pas la forcer à la rejoindre. De ne pas devenir un sacrifice à l’autel de son penchant pour la destruction. Pour le Mal.
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyMer 13 Fév - 14:59

La réponse de Grace ne se fit pas attendre, et elle fut plus cinglante encore que les précédentes, faisant s’accroitre la culpabilité de la jeune femme si tant était que ce fût possible. Ses yeux plantés sur le papier qu’elle n’avait aucune intention de lâcher, tous les muscles de son corps étaient tendus et c’était sans doute la seule chose qui l’empêchait de s’effondrer de toute sa hauteur pour trouver un trou dans lequel aller se cacher. Elle était morte de honte. Rabrouée par une jeune fille de trois ans sa cadette et incapable de se défendre. L’espace d’une seconde elle avait pourtant cru qu’elle avait réussi à la convaincre que ses intentions n’étaient pas mauvaises et qu’elle n’avait pas à se cacher d’avoir composé quelque chose d’aussi finement tourné. Mais ce brin d’enthousiasme était immédiatement retombé, ne laissant aucune ambiguïté sur le mépris qu’elle avait pour ses compliments. Ashandra en avait été blessée, ne comprenant pas cette réaction de rejet aussi violente et sentit son ventre se tourner en une crampe familière. Elle avait certes été indiscrète en fouillant dans les partitions, mais rien ne le lui interdisait formellement. Elle faisait partie de la chorale depuis ses débuts, personne n’ignorait sa dévotion pour les Second Chances ni ses bonnes relations avec Cassandra, elle pouvait tout de même s’octroyer le luxe de jeter un œil au contenu des futures répétitions. Si ce bout de papier avait tant de valeur à ses yeux, elle aurait pu trouver une meilleure cachette qu’une salle où les va-et-vient étaient permanents. Peter Matterface en aurait fait des photocopies pour les placarder sur tous les murs, Robin Faithorn y aurait laissé des annotations critiques au crayon rouge, Joanna aurait probablement fait la morale à tous les choristes en leur rappelant l’importance de se serrer les coudes et jeté le papier sans y réfléchir à deux fois. De tous les scénarios, la discrétion de Shandy était de loin le meilleur pour Grace, et pourtant elle semblait lui en vouloir mortellement. Relevant le nez pour croiser le regard bleu glacial de la jeune femme, elle trouva en elle la force de ne pas craquer la première comme s’il s’était agi d’une adversaire entrée sur son ring. Elle s’était excusée, avait voulu faire amende honorable en lui montrant son admiration pour sa jolie plume, et ce qu’elle récoltait en retour c’était un soupir exaspéré et des regards lourds de sous-entendus ? Ashandra ne les connaissait que trop bien ces regards. Les mêmes que ceux auxquels elle avait le droit chaque dimanche lorsqu’elle venait à l’office. Les regards outrés et hautains des paroissiens qui jugeaient qu’elle n’était pas assez bien pour venir dans leur église. Qu’elle ferait mieux d’aller ailleurs, et qu’elle n’avait pas sa place dans leur communauté. Elle était la seule afro-américaine, son frère était un délinquant notoire, pire encore, elle avait eu un accrochage avec Christabella qui avait pris des proportions ridicules avec le bouche à oreille. Elle avait appris à vivre avec ces regards, à les ignorer, à les rendre parfois. Ils les mettaient hors d’elle, mais ses entraînements de boxe lui offraient la possibilité d’évacuer toute cette frustration et de rendre les coups qu’elle avait reçu sans rien dire trop longtemps. Elle s’était crue blindée. Mais le fait que la petite sœur de Cassie elle-même porte ce genre de jugement sur elle faisait bien plus mal que ce qu’elle s’était imaginé.

«Si c’est toi.» répliqua sèchement Ashandra, abasourdie par la force du déni dans lequel la fille du pasteur se plongeait. Elle aurait mieux fait de se taire sans doute. De lui rendre son papier avec des excuses renouvelées qui ne seraient de toute façon pas acceptées et de battre en retraite comme elle l’avait fait avec Damon. Seulement ça allait à l’encontre de toute ce qu’elle avait appris sur elle depuis quelques mois. «Puisque tu l’as écrit c’est que tu en avais besoin, non ?» Sa question n’en était pas vraiment une. Elle connaissait mieux que quiconque le besoin irrépressible de laisser advenir les sentiments les plus refoulés en soi. L’étudiante avait toujours cru que le silence la sauverait, que si elle courbait le dos rien qu’un peu plus, les choses se passeraient mieux. Elle avait laissé les autres lui marcher dessus pendant si longtemps qu’elle avait nourri sans le savoir un puits de colère sans fond qui avait fini par éclater dans la violence. Elle voulait être égoïste parfois. Elle voulait se défendre, défendre ses intérêts, trouver l’assurance nécessaire pour marcher seule sans le soutien de personne. Bien qu’elle se soit réconciliée avec Cassandra, leur relation avait changé. Elle n’osait plus lui confier autant de choses qu’avant, ne lui avait pas parlé de ses entraînements de boxe et de la raison pour laquelle elle ressentait le besoin de cogner dans un sac de sable ou de se battre de toutes ses forces jusqu’à en tomber d’épuisement. Son déversement de jalousie avec Christabella lui avait fait prendre conscience qu’elle avait donné à Cassandra trop d’importance dans sa vie et qu’à l’inverse de lui apporter du soutien, cette relation avait fini par devenir un handicap. Elle ne voulait pas faire honte à son amie, mais elle ne voulait plus rentrer dans le modèle que la communauté voulait lui imposer. Les filles Hamilton étaient toujours au centre de l’attention. Elles plus que les autres devaient toujours s’assurer de rentrer dans le moule pour offrir aux autres un modèle viable. Cassandra s’était toujours sentie investie de cette mission de guider les autres vers Dieu, de leur offrir une seconde chance lorsque tout leur tournait le dos jusqu’à faire une croix sur ses propres désirs parfois. En allait-il de même pour Grace ? Avait-elle peur d’être satirique parce qu’elle aurait dû se conformer au point de vue officiel adopté par sa sœur ? Les sourcils froncés, les lèvres pincées, elle ignora le regard suppliant de la jeune fille. «Je ne comprends pas pourquoi tu as honte d’avoir écrit ce texte.» déclara-t-elle posément. «Je ne cherche pas à te faire des compliments gratuits. Je pense sincèrement que nous pourrions nous améliorer grâce à tes remarques.» Pliant le papier en deux, elle le reposa sur le piano à côté d’elle et s’avança vers l’entrée de la pièce où Grace avait abandonné ce qu’elle avait fait tomber en la trouvant au piano. «Et je suis heureuse de l’avoir lu.» lâcha-t-elle de dos en jetant un œil curieux à la banderole qu’elle ramassa sans déplier de peur de s’attirer encore les foudres de Grace. «Dieu nous a donné à tous des dons qui nous rendent unique. Tout le monde n’a pas ton talent ou ton regard sur le monde Grace. C’est un don de Dieu, il ne faut pas le refuser.» Plus dogmatique qu’elle ne l’aurait voulu, elle se tenait la plus droite possible, faisant ressortir sa poitrine moulée par sa robe. Elle avait tout raté avec son frère en était absente au moment où il en avait eu le plus besoin. Si elle parvenait à convaincre Grace qu’elle avait du talent et à l’empêcher de renier ses écrits, elle se rachèterait peut-être auprès du Seigneur.
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Grace Hamilton
Grace Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyMar 19 Fév - 21:38

«Si c’est toi.»

La phrase trancha en deux le cœur de Grace. D’un coup. Proprement. Sans coulure.

Ashandra était une bouchère expérimentée. Sa lame, incisive, n’avait pas tremblé, avait charcuté les sentiments de la blonde sans une hésitation et s’en était relevée, sans même une trace.

On ne pouvait pas en dire autant de l’esprit malmené de l’Hamilton. Elle la fixait, choquée, encore un peu plus diaphane, presque exsangue. Elle rata quelques battements. Avec un cœur estropié, les pannes de service étaient dans la logique des choses. Son myocarde était en grève, se rebellait contre les agressions impromptues, bloquait le système circulatoire dans la petite société biologique de son corps, la laissant lâchement se démerder avec ses organes encombrants et en déficit d’hémoglobine.

C’est à cet instant, sa respiration comprimée par la peur, la moindre de ses cellules hurlant sa soif de globule rouge, qu’elle comprit qu’elle avait peut-être fait une erreur à tenter de contredire une psychopathe capable de tuer froidement des jeunes femmes sous la seule impulsion d’une colère qui mériterait bien un petit cours de gestion doublé d'un stock de bougies parfumées.

Dans son éducation de chrétienne, on lui avait souvent parlé des Forces du Mal. Elle pouvait pourtant affirmer préférer, et de loin, affronter un gros serpent toute nue ou le racket de ses petits pots de confitures par un loup surdimensionné, plutôt que de subir le regard inquisiteur d’Ashandra Moon.

«Puisque tu l’as écrit c’est que tu en avais besoin, non ?»

Besoin. Envie. Tentation. Florence and the Machine. Les pâtisseries sous vide. Satan. Tout-ça, c’était du pareil au même.

-Besoin ?

Sa voix chuintante était prête à se briser.

-Peut-être…

Et c’était là le problème.

-Il y a parfois des besoins en nous. Que nous ne contrôlons pas. Que nous ne désirons pas. Mais ils sont là. On ne peut y résister même si l’on sait pertinemment…

Ses yeux brillèrent d’une lueur effrayée.

-… Qu’il ne nous restera que les regrets. Tu dois en savoir quelque chose.

Elle tenta de se maîtrise, d’avoir l’air intransigeante et sensée. Elle semblait surtout au bord de l’asphixie.

«Je ne comprends pas pourquoi tu as honte d’avoir écrit ce texte.»

Pourquoi ? Elle n’était même pas sûre de pouvoir, de vouloir, répondre à cette question. Pourtant, elle avait toujours aimé écrire. Enfin. Elle aurait pu aimer. Ce moyen d’expression, jugé inutile à l’œuvre que le Seigneur attendait d’elle, n’avait jamais été particulièrement encouragé chez elle au-delà de ses cours de littérature au lycée. Elle et l’écriture en étaient donc restées à une relation longue distance un poil conflictuelle.

Habituée à placer une confiance quasiment aveugle, disons borgne, en ses parents concernant ce qu’ils jugeaient le mieux pour elle, Grace avait rapidement abandonné l’espoir de voir son épanouissement personnel se faire à coups de crampes du poignet.

La séparation avec ses rêves en police New Time Roman n’avait pas été foncièrement déchirante, ses doigts bien vite réemployés à la prière et au piano, sa concentration émotionnelle très limitée avait totalement fait abstraction de ses petits penchants certainement maléfiques d’écrivain.

Pourtant, récemment, elle avait à nouveau ressenti l’influence néfaste de cette vocation anti-puritaine, contrainte à retrouver ses griffonnages frénétiques.

Comme si quelque chose en elle débordait et ne trouvait pas d’autre façon de s’échapper.

Si Grace savait exécuter avec une précision que l’expérience avait aiguisé n’importe quelle partition, si elle savait en réarranger quelques harmonies, elle n’avait jamais été dans le petit club élitiste des pianistes imaginatives.

Elle s’occupait de la naissance des notes, elle les faisait grandir, emplir l’espace, les observait évoluer jusqu’à leur mort, absorbées dans le silence d’où elle les avait tirées, mais jamais Grace ne s’était aventurée à leur conception. Cela lui avait toujours suffit comme exutoire, sa créativité littéraire étouffée dans la rigueur du solfège.

Et pourtant, les récents évènements, et c’était dire à quel point elle avait été affectée par la compétition des chorales, l’avait poussée à céder à cette activité que son esprit formaté avait violemment prohibé. Ce n’était que le symptôme déplaisant de cette déception honteuse qui faisait face à la défaite. Un peu comme les ganglions bouffis, très saillants au demeurant, pendant une bonne fièvre tuberculeuse.

Et la situation gênante que cela avait généré n’était destinée qu’à lui montrer une fois de plus qu’elle était faible, que ses parents avaient indubitablement eu raison et qu’elle n’avait plus rien d’autre à faire qu’à organiser un petit feu de camp avec le moindre écrit qui jaillirait inopinément de son esprit manifestement malade.

Cette résolution prise, elle affronta une nouvelle fois l’afro-américaine.

-Tu ne comprends pas ? Ce n’est pas la dissertation d’une de tes élèves.

C’était beaucoup moins que ça. Et c’était justement cette particularité qui la rendait si impubliable.

- Ce n’est pas quelque chose qui… doit être partagé.

Elle serra les poings, plus parce qu’elle avait lu de nombreuses fois que c’est ce que les héroïnes en colère étaient censées faire que par automatisme.

-Pourquoi j’en ai honte ? Parce que c’est voué au néant, à l’échec. Personne n’aime l’échec. L’échec conduit à la drogue, à l’impiété, à l’obésité. L’échec est multiple. Il n’est jamais seul. Tu t’exposes à l’un, et c’est tous les frères siamois qui suivent et débarquent dans ta vie. Je n’aime pas l’échec.

Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir l’air complètement névrosée. Peut-être parce qu’elle l’était effectivement.

-Pourquoi m’attacher à quelque chose qu’on va me retirer ? Pourquoi me laisserait-on faire quelque chose qu’on n’attend pas de moi ? C’est ridicule.

Ridicule. Aujourd’hui, elle semblait particulièrement bien placée pour poursuivre dans ce sujet, et, ce qu’il y avait peut-être de pire, avait parfaitement conscience de cela. Tout-cela dépassait ces simples notes, hystériquement théâtrale, c’était toute sa vie qu’elle mettait dans la balance de ce débat dont elle avait oublié le fondement. Il était temps d’investir dans les anxiolitiques. Démunie de xanax sous la main, elle se contenta d’une prière muette.

«Je ne cherche pas à te faire des compliments gratuits. Je pense sincèrement que nous pourrions nous améliorer grâce à tes remarques.»

La défense faiblarde de Grace fondit d’un seul coup en une incompréhension totale.

Comment un essai brouillon sur le défaitisme en joute vocale pouvait les aider ? C’était absurde. Une tentative de diversion, sans doute, destinée à la distraire de ses griefs contre Badshandra.

-Pense ce que tu veux.

Son ton exprimait tout le désaccord qu’elle plaçait dans cette attitude.

-Nous devrions être optimiste et ceci…

D’un doigt impérieux, elle pointa l’objet de ses tourments du jour.

-Ceci, ce n’est pas positif.

Ca ne l’étonnait finalement qu’à moitié que la Moon ne l’approuva.

-Voir les défaites comme des défaites, ça n’apporte rien.

Ou plutôt, cela allait à l’encontre de l’orthodoxie d’attitude promulguée par les deux co-directrices. Dans son esprit étriqué, les ordres et la réalité se confondaient en une seule et même notion.

-Sinon, Cassandra aurait déjà présenté les choses comme-ça, clama-t-elle religieusement.

C’était là l’un des plus gros nœuds du problème, et de sa honte. Cette feuille était la preuve indiscutable que Grace n’était pas aussi semblable à sa sœur qu’elle ne souhaitait le faire croire. A ses yeux épouvantés, c’était la marque d’une insurrection, certes involontaire, mais néanmoins certainement répréhensible. C’était sa carte verte pour l’enfer.

De plus, elle savait que Ashandra avait suffisamment fréquenté Cassandra pour connaître sa valeur, et, révulsée d’être jugée sur une œuvre qu’elle avait regretté à l’instant où elle l’avait créée, elle ne pouvait consciemment lui laisser le loisir de constater les divergences qu’elle tentait chaque jour plus d’effacer entre les deux Hamilton.

Son juge d’instruction littéraire lui annonça son verdict : elle prétendait être heureuse d’avoir pu accéder à sa production. Grace, soucieuse de rester respectable, préféra ne pas partager plus en avant sa position concernant cette lecture impromptue.

«Dieu nous a donné à tous des dons qui nous rendent unique. »

Grace fit abstraction de l’impression particulièrement étrange de voir Ashandra se transformer en une version moins velue et plus mate de Albus Dumbledore, tentant de se rappeler que ses tendances sociopathes et sa masse capillaire la classaient indubitablement plus dans le genre de Bellatrix Lestrange.

«Tout le monde n’a pas ton talent ou ton regard sur le monde Grace. C’est un don de Dieu, il ne faut pas le refuser.»

C’était surprenant de voir à quel point les talents d’oratrices de la Moon avait d’impact sur elle. Ebahie, elle se figea dans son mouvement de la main, avidement crispée en une espèce de serre pour récupérer la bannière que Ashandra avait cru bon de ramasser.

Un don ?

-Un don ?

Qu’y connaissait-elle ? De quel droit s’improvisait-elle directrice de casting des privilèges artistiques du Divin ? Péché d’orgueil, s’il en était.

-Je…

Il lui fallut un instant pour comprendre que le compliment l’avait touchée. Et un second pour froncer des sourcils mentaux et réprouver cette espèce de joie qui se pontait en ninja derrière ses méninges surchauffés.

-Merci.

Relent d’automatisme. Politesse accidentelle.

-Mais…

Sourire désabusé.

-… Non. Tu te trompes.

Dénégation de la tête.

-Dieu est… Dieu. Il m’a offert ma voix. Il m’a offert le piano.

Pour le servir.

-Mais l’écriture…

Ses yeux, dans lesquels s'était presque glissé de la mélancolie, rencontrèrent une nouvelle fois ceux de son… ennemie ? Devait-elle vraiment la considérer comme cela ? Sa voix s’échappa dans un chuchotis effrayé.

-… Ca ne vient pas de Lui. J’en suis convaincue.

Inutile de préciser qui restait sur le marché des entités cosmiques.
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyJeu 21 Fév - 0:48

Arrangeant une mèche de ses cheveux derrière son oreille, Ashandra reprenait presque des couleurs et de l’assurance baignée dans la lumière tamisée par les vitraux. Sa cuirasse était pleine de trous, et elle ne se sortirait pas de cette situation sans cicatrice de ces méchants coups de griffe, mais une petite voix tout au fond d’elle lui soufflait qu’elle devait s’accrocher. Elle n’en était pas à son premier coup d’essai. Depuis le lycée elle avait absorbé les critiques, les moqueries, les injures lancées dans sa direction. Damon avait planté plus de poignards qu’elle ne pouvait en compter dans son cœur trop sensible, il lui avait fait verser des torrents de larmes et implorer Dieu à genou contre son lit chaque soir pendant des semaines. Alors Grace pouvait lui lancer toutes les grenades qu’elle voulait, elle avait décidé de lui prouver qu’elle avait raison, elle n’en démordrait pas. La vague de furie passée, le masque de certitudes de la blondinette commençait à se fissurer. Les yeux qui dardaient des rayons de haine à son encontre une instant plus tôt semblaient chavirer à présent, et elle ne perdait pas une miette du spectacle. Grace n’étais pas Damon. Elle avait grandi dans un milieu privilégié, protégée du monde extérieur et des coups durs de la vie. Même à l’époque du lycée elle n’avait pas eu autant de mal que sa sœur à passer les épreuves du feu. Elle n’avait donc pas cette amertume ancrée dans toutes les cellules de son corps qui avait nourri le désespoir et la déchéance de son frère. Et elle n’avait pas la force de la repousser comme il l’avait fait. L’afro-américaine saurait se montrer tenace. Elle ne cilla même pas à la mention pourtant déchirante des regrets qui la consumaient. Nul besoin d’expliciter ses pensées, ces sous-entendus lui venaient tout droit des rumeurs de bancs de messe. Voilà donc où elle venait en venir depuis le début. Voilà pourquoi elle ne supportait pas qu’elle se soit approchée de son jardin secret. Parce qu’elle la considérait comme la moins que rien qui s’en était prise à un membre émérite de leur paroisse. Oui, elle aurait dû s’abstenir de glisser sa cheville sur le passage de Christabella dans la petite volée de marches du parvis. Elle l’avait regretté à la seconde où elle avait vu la jeune femme à terre et où un silence pesant s’était abattu sur le théâtre du crime, bien vite remplacé par un bourdonnement de commérages. Mais elle en avait ressenti le besoin viscéral et ses actions avaient précédé ses pensées. Ça n’avait pas été la meilleure manière de se libérer de la jalousie bileuse qui la dévorait de l’intérieure, mais elle n’aurait jamais pu en arriver là où elle se tenait maintenant sans cette sonnette d’alarme. Si elle ne l’avait pas fait, elle n’aurait jamais pris conscience qu’elle était comme Icare trop près du soleil et qu’elle ne faisait plus que se brûler les ailes. Elle n’aurait jamais découvert que ses faiblesses pouvait faire sa force. Elle n’aurait jamais su que les désirs n’étaient pas toujours des péchés, mais simplement l’expression violente de pulsions refoulées qui pouvaient être maîtrisées. Grace méritait de le savoir.

Elle avait beau le nier, la pianiste n’était pas si différente de ses élèves. Il était même beaucoup plus aisé pour Ashandra de gérer la situation de cette manière. Si elle n’était pas son égale mais une brebis égarée sur le chemin de l’écriture, elle n’avait plus à avoir de scrupules. Elle pouvait se montrer aussi ferme et décidée qu’elle le voulait comme elle avait appris à le faire au lycée. Ne jamais montrer sa peur aux élèves, ne jamais douter de soi, ne jamais leur faire comprendre qu’ils peuvent avoir le dessus. Un an passé à observer les leçons de différents professeurs, bringuebalées d’une classe à l’autre pour servir d’esclave à celui qui offrirait le meilleur pourboire au principal lui aurait au moins appris cela. Inspirant profondément, elle faisait de son mieux pour garder son calme tandis que son interlocutrice perdait le sien. Ses réactions étaient excessives au point d’en être théâtrales, mais l’assistante prêtait davantage d’attention à ses mots qu’à ses gesticulations. Impossible à présent de nier la maternité de ce texte. Elle parlait presque comme elle écrivait : de manière incisive et franche. Néanmoins elle ne comprit pas la suite de son discours et inclina la tête vers son épaule droite avec une moue dubitative. De qui parlait-elle ? De ses parents ? Le pasteur Hamilton avait toujours été un peu conservateur mais elle l’imaginait mal en grand inquisiteur menant des auto da fé contre les écrits de sa cadette. Perplexe face à cette autocensure virulente, elle secoua finalement la tête d’un air désapprobateur sans se permettre de commentaire sur ce point. Ce n’était pas un complexe d’infériorité banal qu’elle traînait là, c’était le moins qu’on puisse dire. Les grands auteurs étaient souvent mégalomaniaques ou psychosés jusqu’à la moelle, elle espérait donc secrètement que Grace saurait trouver une voie intermédiaire qui ne la mènerait pas tout droit dans le sillon des sœurs Brontë. Elle était pourtant en bon chemin avec un modèle comme Cassie pour la précéder. Plus qu’une sœur, elle incarnait la justesse et la modération pour tous, la fille prodigue qui devrait prendre la relève et représentait les couleurs de toute la communauté sur scène. Elle faisait toujours de son mieux pour apparaître sous son meilleur jour sans laisser le moindre de ses défauts transparaître. Oh oui, Cassie n’était définitivement pas le genre de personne auquel elle aurait voulu être comparée. Elle aimait son amie, elle la chérissait de tout son être et ce n’était un secret pour personne, certains trouvant même amusant de salir son affection d’allusions salaces. Mais elle savait aussi ce qu’il en coûtait de vivre dans son aura... Sa mâchoire se contracta à l’idée que Grace ait renoncé à sa propre identité pour suivre le chemin tout tracé qu’elle pensait fait pour elle. Dieu avait béni les Hamilton avec deux filles magnifiques, ce n’était certainement pas pour que deux clones imparfaits le servent contre leur propre bonheur.

Un sourire encourageant se dessina sur ses lèvres comme pour encourager Grace à céder à ses imprécations. C’était un va-et-vient permanent de déni et de prises de conscience refoulées. Elle se mordit l’intérieur de la joue, la courbe de ses lèvres s’évanouissant immédiatement alors que la jeune femme rejetait une fois de plus son constat. Ses sourcils froncés répondirent au regard triste de la blonde qui avait l’air douloureusement campée sur ses positions. «Je ne pense pas me tromper.» souffla-t-elle à peine plus fort que les murmures évanouis de l’apprenti écrivaine. «Et je ne crois pas que Dieu soit avare.» plaisanta-t-elle avec un air doux. Elle aurait voulu prendre les mains de Grace dans les siennes, mais outre le fait que celles-ci étaient crispées sur le papier qu’elle venait de lui reprendre des mains, elle sentait que ce geste amical aurait un effet contraire à celui qu’elle espérait. «Cassandra a son point de vue. Le tien n’en est pas moins juste Grace. Tu n’as pas à te taire parce que quelqu’un d’autre a parlé avant toi.» Ashandra hésita un instant, essayant de faire le point sur ses idées alors qu’elle peinait à se montrer plus convaincante. Elle n’avait jamais été une grande oratrice. Si Cassandra avait dit à sa sœur que ses écrits valaient quelque chose la question ne se serait même plus posée, mais dans son cas il fallait en passer par une longue discussion et faire preuve de trésors de persuasion... «Et qui voudrait te retirer un talent aussi unique ? Je... Je veux dire... Peut-être que c’est plus mordant que ce qu’on a l’habitude de dire pour se donner du courage, mais je ne me suis pas sentie beaucoup mieux de savoir que nous avions donné le meilleur de nous même mais que nous n’étions pas encore prêts à l’emporter. Alors que là...» Ses lèvres se pincèrent alors qu’elle tâchait de noyer sa question indiscrète dans un flot de paroles vides. «Peut-être que tu ne veux pas le croire parce que je ne suis pas la bonne personne à tes yeux... Mais la véritable offense c’est de ne pas partager ce que tu penses de manière sincère. C’est mentir. À ta sœur, et à toi-même. Je sais que si elle le lit, elle pensera la même chose que moi et qu’elle t’encouragera aussi.» Son regard noir fixé dans celui de la pianiste, elle ne savait plus quoi dire pour essayer de se détacher de son argumentaire maladroit si c’était ce qu’il fallait à Grace pour prendre conscience qu’elle méritait de laisser parler son désir.
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Grace Hamilton
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Occupation : Bénévole à la LPA - Cantinière à l'OSU Lima - - Bloggeuse culinaire de bas étages
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptyMer 27 Fév - 20:23

Grace ferma les yeux et se laissa couler dans un bain de soleil improvisé. Prête à mourir noyée dans la phosphorescence divine. La peau marbrée, tailladée, par les éclats de lumière, déchirée en couleurs par les vitraux, elle se laissait aller à un suicide lascif et vertueux, à une micro-sieste éternelle. Rejoindre Dieu pour le défendre, faire cette ablution luminescente de l’âme pour ne plus le salir. Son self-control était en attente, son sang-froid au chômage technique face à sa logique défaillante.

En absorbant avidement la moindre parcelle photonique, elle n’en éprouva pas plus de soulagement.

Abandonnant d’un soupir la technique du tranquillisant photosynthétique, elle délaissa son statut de plante et battit des paupières, priant à moitié pour qu’elle se retrouve téléportée dans son lit, au beau milieu de la nuit, hurlant et couverte de sueur…

Non. La réalité n’avait pas daigné évoluer d’un pouce. Au moins, ce cas de figure lui épargnait la petite partie sudoripare de l’option "réveil en sursaut".

Ashandra parlait de Don. Elle semblait elle-même pourvue d’un talent impressionnant. Et celui-là, comme l’écriture, devait immanquablement être imputé au locataire d’En-Bas. Si l’empire qu’elle avait su la blonde était plus Songhaï que Napoléonien, les pouvoirs dictatoriaux dont elle disposait sur les terres arables de sa raison étaient impressionnants.

«Je ne pense pas me tromper.»

Grace résista à l’envie de taper du pied. Hormis le fameux "J’arrête de respirer jusqu’à ce que tu cèdes", c’était son seul argument face aux certitudes de l’orgueilleuse afro-américaine, mais elle n’était pas certaine de vouloir l’utiliser, étonnamment peu convaincue de ses propriétés réthoriques. Dépassée, comme perdue au milieu de la salle dont la majesté lapidait un peu plus chaque instant ses maigres velléités décoratives, elle s’avança, erra, jusqu’au piano, s’asseyant, échouant, sur le banc molletonné, ses doigts montant machinalement, s’agrippant désespérément, aux touches à l’usure familière.

Les effleurant du bout des phalanges, les vibrations sourdaient dans l’air, lui confiant les prémices d’une mélodie inachevée.

Au-dessus de ses mains pâles et de l’instrument, s’étendaient un vaste champ de copies délaissées. Le souffle court, haletante, elle déposa sur les partitions un regard angoissé, agonisant.

Multiplement annotées dans diverses encres, mais toujours avec cette fine graphologie qui caractérisait son écriture, elles, et toutes leurs jumelles abandonnées au gouffre des classeurs jalousement dissimulés sous son lit, n’avait jamais pu exhiber leurs modifications subtiles au-dehors d’occasions triées sur le volet, opportunité lors desquelles Grace s’était bien gardée de souligner son intervention musicale dans la composition originale. La plupart n’avaient d’ailleurs jamais été jouée.

Cette omerta pianistique était provoquée par la peur constante que la solitude de Grace, condition sine qua non à la mise en pratique des morceaux, ne soit brusquement interrompue.

Ainsi, elle n’avait pas proposé ses accords arrangés à Cassandra pour les concours. Les notes avaient été abandonnées. Et le plus douloureux était que la raison sur laquelle elle avait fondé toutes ses craintes et ses retenues tombaient en lambeau sous ses yeux et, ultime affliction, ceux d’Ashandra.

Elle était la Jean-Jacques Rousseau de la composition. Frissons.

Et si les écrits étaient aussi des orphelins, balancés par la fenêtre de la création ? Des orphelins non-baptisés et atteints de manque de confiance en ses talents, sorte de trisomie vingt-et-un de l’Art ?

L’hésitation se propagea dans tout son être recroquevillé par la réalité à laquelle il tentait encore d’échapper. Grace voyait se doubler son combat, non-seulement elle avait à contrecarrer les idéaux révoltants d’Ashandra, mais elle devait désormais s’opposer aux émotions qui gangrenaient ses pensées.

Soudain, une vérité la gifla froidement.

Peut-être commettait-elle une erreur ? Peut-être qu’Ashandra avait raison ? Cette perspective innovante, quoique tentatrice, suscita le malaise chez la blonde.

«Cassandra a son point de vue. Le tien n’en est pas moins juste Grace. Tu n’as pas à te taire parce que quelqu’un d’autre a parlé avant toi.»

Les yeux parfaitement ronds d’Hamilton exprimèrent assez bien la déflagration qui s’était produite en elle. La Moon venait-elle réellement d’insinuer que l’avis de Cassandra n’avait pas la prévôté naturelle ? Hérésie pure et simple. Comment avait-elle pu croire une seule seconde que cette femme pouvait être de bons conseils, ou même saine d’esprit?

Elle venait une nouvelle fois de remettre en question toute la hiérarchie personnelle de Grace. Ce n’était pas son rôle. Moon était censée leur servir de base de données niveau diva des années quatre-vingt, apporter sa souplesse presque suspecte à leur prestation et, quand elle n’était pas en transe de névropathologique à trainer des cadavres dans les coins sombres de l’église, à hocher gentiment la tête quand Cassandra parlait.

Elle n’était pas préposée à la libre-pensée, et encore moins à la distanciation des propos de l’ainée des Hamilton.

«Et qui voudrait te retirer un talent aussi unique ? »

-Unique ?

« Je... Je veux dire... Peut-être que c’est plus mordant que ce qu’on a l’habitude de dire pour se donner du courage,… »

-Peut-être ?

« …mais je ne me suis pas sentie beaucoup mieux de savoir que nous avions donné le meilleur de nous même mais que nous n’étions pas encore prêts à l’emporter. Alors que là... »

-C’est que tu n’as pas dû assez t’ouvrir à Dieu., l’informa Grace, Sinon, la simple satisfaction d’avoir œuvré pour Lui, d’avoir tout donné, tout offert, t’aurais suffi comme victoire., expliqua-t-elle avec une solennité définitive.

Ses paroles étaient sincères, mais répétées. Elle reprenait en cœur les indications de Cassandra sur l’attitude et l’état d’esprit que les choristes devaient adopter, développant un peu plus la contradiction saisissante entre ses paroles et ses écrits.

«Peut-être que tu ne veux pas le croire parce que je ne suis pas la bonne personne à tes yeux..

-Pourquoi tout ramener à… toi ?, souffla Grace, incrédule, les yeux résolument posés sur le piano.

Ashandra pointait peut-être une vérité. Venant de n’importe qui d’autre, ces compliments auraient pris bien plus de valeur, mais, dès qu’elle les associait à sa personne, ils semblaient parasités, porteur de tuberculose, des tumeurs hallucinogènes rejetées par son organisme. Ce n’était pas volontaire. C’était une question de survie.

«Mais la véritable offense c’est de ne pas partager ce que tu penses de manière sincère.»

La blonde se figea sur son siège. Son dos encore un peu plus raide. Badshandra parlait d’offense. C’était un peu comme si Maïté s’étendait sur le cassoulet.

« C’est mentir. À ta sœur, et à toi-même. »

-Mentir ?

Le ton de Grace ne pouvait plus dissimuler la panique qui lui étranglait l’âme et la gorge. Le mensonge avait toujours fait partie de ses péchés free-lance, ces petits manquements à la vertu qui pouvait s’avérer finalement profitable à celle-ci, ces erreurs cosmiques qu’elle effleurait de temps en temps, quasiment, du moins l’espérait-elle, par hasard, selon les besoins nécessairement pieux qui les demandaient.

Elle avait toujours cru que Dieu, dans sa mansuétude compatissante à l’égard d’une de ces fidèles si fervente, prenait soin de dissimuler ces entorses au règlement biblique aux yeux du reste du monde théologique. Un peu comme une bonne couche de maquillage chrétien par-dessus un bouton d’acné détesté mais inévitable. Apparemment, Garnier était en rupture de stock.

-Je… Tu…

Ses cartouches semblaient épuisées. Son arsenal évaporé dans une constatation qui tarda à s’échapper de ses lèvres. Elle continuait à fixer l’instrument, comme pour faire diversion de sa bouche qu’elle ne faisait pourtant pas remuer.

-…As raison ?, sa voix grinça d’une surprise à la limite du traumatisme à la vue de l’expression d’horreur qui tordait chaque seconde un peu plus ses traits. Son timbre prit soudainement des accents précipités de justification. Mais parfois les mensonges sont… plus faciles. Pour tous le monde. C’est comme le Père Noël, l’intention n’est pas mauvaise. Les enfants n’en veulent pas à leur parent de leur avoir menti quand ils apprennent la vérité. C’est pour eux. Pour leur bonheur. Les enfants comprennent ça.

L’exemple n’était peut-être pas forcément le mieux trouvé compte-tenu de sa phobie enfantine vis-à-vis l’homme en rouge. Et de l’absence totale de logique qui émanait de sa personne.

Elle secoua doucement sa tête, troublée.

« Je sais que si elle le lit, elle pensera la même chose que moi et qu’elle t’encouragera aussi.»

Sous le coup de ce qu’elle prenait pour une accusation d’une gravité blasphématoire, Grace se redressa, ignorant difficilement le haut-le-cœur vertigineux qui lui succédait et, violent, la contraignit pourtant au silence, elle braqua ses yeux à peu près aussi engageant qu’une flaque d’acide, sur le regard qu’elle avait fuit avec tant d’application.

-N’essaye de pas dire que tu connais mieux ma sœur que moi.

Debout , elle avait relevé son menton, la technique des enfants de quatre ans pour paraître forte. Comme si une mâchoire proéminente était symbole d’invulnérabilité. Sa voix tremblait. Mais, désormais, c’était un trémolo blanc, haché, glacé qui prenait place, totalement délesté de la crainte qui pourtant la pétrifiait encore. Elle perdait toute cohérence, absorbée par des pensées répugnantes.

-Car ce n’est pas vrai.

Elle encaissa un silence soudain, ses propres propos montant lentement jusqu’au département de décryptage de son cerveau embrumé par une sorte de violence glaciale.

-Et ça ne le sera jamais.

Plus jamais.

Yeux plissés. Yeux fermés. Tête qui tourne. Equilibre. Gravitation.

Boum. Boum. Badaboum.

Blessée.

Blessées. Elle. Elles. Elles-deux. Trois. Quatre. Cinq milliard.

Des cellules qui se multiplient autant qu’elles se haïssent. Qui renouent malgré l’avis, gardé pour elles, d’autres cellules. Et la division continue. Cellule souche. Cellule sœur. Cellule familiale. Pareille mais différentes. Immanquablement différentes.

Debout. Assise. Couchée. Obéir. Obéir. Mordre. Mordre la lèvre. Serrer les poings. A moins que ça ne soit l’inverse ?

Un regard. De la Haine ? De la Force ? De la droiture ? Oui.

Alors, qu’est-ce que foutait cette larme sur sa pommette ?

Quoi ? Faux ? Non ? Peut-être ? Indéterminé.

Preuve lacrymale. Démonstration par l’absurde. C’était exactement ce qu’elle faisait. Elle appliquait un axiome Biblique. Elle ne s’effondrait pas. Non. Pas du tout. Elle faisait des maths. Nouveau Théorème. Toute Grace n’étant pas solide, ce qui est Grace ne peut attaquer. Ne peut défendre. Ce qui est Grace sourit, cède et pleure. Pleure sur elle-même, sur les blessés des guerres qu’elle ne joue pas.

Sur les blessées.

Blessée.

Yeux ouverts.

-Je ne sais pas.

L’aveu sonnait comme une sentence. Une mise à mort autoproclamée. Cela aurait mieux valu, sans doute.

-C’est différent. De qui je suis. De ce qu’elle voit. De ce qu’ils voient tous.

Ses yeux définitivement émigrés dans un néant qu’elle seule pouvait contempler, sa voix tendit à les rejoindre.

-Ils aiment ce qu’ils voient. Pourquoi tenter de le changer ?
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptySam 9 Mar - 0:05

D’abord surprise par la décision de la jolie blonde de la contourner pour s’installer sur la petite banquette molletonnée, les premiers sons levèrent le doute sur cette tactique de diversion. Les notes plaintives et hésitantes du piano semblaient être autant de preuves que Grace cherchait à fuir ses arguments, et qu’elle avait touché en plein dans le mille avec ses allégations presque virulentes, si l’on considérait son manque de pratique en matière de débat. Si la jeune femme n’avait pas eu l’air aussi perdue et presque torturée physiquement par ce qu’elle essayait de lui faire comprendre, Ashandra en aurait presque ressenti une infinie satisfaction. C’était sans doute la première fois de sa vie qu’elle ébranlait quelqu’un par ses paroles, et elle aurait presque été désarmée par la franchise soudaine des réactions de l’étudiante. Ses élèves l’écoutaient à peine pour la plupart, ce qui la sauvait au moins des remarques antagonistes, mais l’empêchait d’aiguiser ses armes en matière de répondant. Passée la limite du second rang, ses commentaires méticuleux sur les grands textes de la langue anglaise se perdaient aux oreilles d’élèves qui se faisaient passer de petits mots d’amour ou de haine et n’étaient pas intéressés par son avis d’assistante. Pas plus que par celui de leur titulaire par ailleurs. Elle appréciait en un sens cette paix relative de ses salles de classe, mais elle se sentait tellement plus vivante en tenant tête à Grace. Cette petite victoire ne devait pas la détourner de son objectif principal. Perdre pied à un moment aussi important de la conversation aurait été stupide. Ivre de cette victoire, elle insistait donc. Et sabotait bien sûr une fois de plus son propre argumentaire en mentionnant le nom de sa sœur aînée. Les iris bleutés de Grace semblèrent se déformer sous le coup de la surprise et de la désapprobation, dévisageant la choriste comme si elle venait de dire une énormité digne du châtiment capital. Ses dents se resserrèrent une fois de plus sur la membrane pulpeuse de sa joue et elle se força à camper sur ses positions, changeant néanmoins de sujet. Elle avait peut-être réussi à percer la défense de la cadette Hamilton, mais il était clair qu’elle avait plus d’un mur pour se protéger de ses attaques. Ashandra rougit et baissa les yeux un moment alors qu’elle l’accusait de ne pas savoir se satisfaire de ce que Dieu lui avait offert. Vilain coup de griffe que celui-ci. En plein dans sa crise de foi. Depuis quelques temps, elle n’avait plus un contact aussi régulier avec le Seigneur. Bien sûr elle ne manquait jamais un office du pasteur Hamilton, mais elle ne se rappelait plus avec exactitude la dernière fois qu’elle avait prié au pied de son lit, sa croix en argent fermement serrée dans l’espace de ses mains jointes. Elle lui avait parlé pendant des années presque quotidiennement, pour qu’il lui donne la force, qu’il l’assiste sur la voie qui la mènerait au bonheur, à la paix intérieure. Elle lui avait confié ses peurs, ses faiblesses, ses espoirs. Il avait été plus présent pour elle que sa mère. Elle lui avait été fidèle. Et il ne lui avait toujours pas fait signe. Elle n’avait rien reçu d’autre que des épreuves, encore des épreuves, toujours des épreuves. De la douleur et de la peine, mais pas de libération. Alors oui, peut-être que ça ne lui suffisait plus... Et elle ramenait tout à elle.

Ses yeux s’embrumèrent de tristesse alors que Grace évitait soigneusement de la regarder pour dévisager le clavier de son instrument. Nul besoin d’être aussi cruelle. Il ne s’agissait pas d’elle. Elle s’était mal exprimée. Tout ce qu’elle voulait... Tout ce qu’elle voulait c’était l’aider. L’aider parce qu’elle n’avait pas réussi à aider son frère. Parce qu’elle avait du talent, et qu’elle méritait de sortir de l’ombre de sa sœur pour exister. Elle méritait une chance de reconsidérer ce que le Seigneur lui avait offert. Tout ce qu’elle espérait c’était que ses propres erreurs lui serviraient de leçon, comme une grande sœur... Sa voix se fit plus ferme et rauque pour cacher le chagrin causé par cette remarque soufflée sans même avoir la décence de la regarder. Ashandra ne comprenait pas cette hargne dont la blonde faisait montre pour se battre contre elle. Les rumeurs étaient une chose, mais ne faisait-elle pas un peu confiance à Cassie dans le choix de ses amies ? Elle n’était pas parfaite, elle avait trahi sa confiance une fois et fait nombre d’erreurs, mais si elle avait pu lui pardonner c’est qu’elle avait plus de valeur qu’un bruit de nef, non ? Si elle voulait jouer à celle qui serait la plus cassante, l’afro-américaine avait plus d’amertume dans sa marotte que ce qu’elle pouvait imaginer. Implacable cette fois, elle l’accusa de mensonge sans ciller. Et la violence de ses paroles sans détour sembla fonctionner. L’espace d’une seconde elle avait cru que Grace se laisserait convaincre. Rien qu’une seconde. Et une fois de plus elle était noyée de tout le déni dans lequel la jeune femme se laissait flotter. Le coin gauche de sa bouches se leva en un sourire presque mesquin à son exemple. Réalisait-elle qu’elle ne rendrait personne heureux en se rangeant à l’avis général, ou à l’avis de sa sœur ? Que ses parents n’étaient pas des enfants qui préféraient qu’elle s’empêche de vivre plutôt que de leur dire ce qu’elle voulait vraiment ? Ce n’était pas l’image qu’elle avait des Hamilton. Ça ne pouvait pas être le cas. Elle connaissait Cassandra. Elle l’encouragerait à poursuivre dans sa voie. Elle n’avait pas aidé à la fondation de la LPA pour empêcher sa propre sœur de prendre son envol.

Ses dents se serrèrent lorsque le regard de Grace trouva enfin le sien, mais elle ne détourna pas la tête. La pianiste était un peu plus grande qu’elle et la dominait de toute sa hauteur, gardant la tête haute et un regard méprisant, mais elle s’accrochait à la froideur glaciale de ses traits. Ses doigts se crispèrent en deux poings qui faisaient blanchir ses phalanges le long de son corps tendu alors que les mots la heurtaient de plein fouet. Ils avaient beau être tremblants et presque pathétiques, ils n’en faisaient pas moins mal. Mais elle ne décrocherait pas. Elle la regardait comme une adversaire sur le ring, prête à monter sa garde pour esquiver le prochain coup. Et Grace craqua la première, ses paupières se refermèrent, dissimulant au regard toute l’ampleur de ses doutes. Une fois le contact brisé, Ashandra sentit sa détermination vaciller et c’était comme si le silence qui flottait entre elles entérinait finalement la vérité implacable de son énoncé qui faisait plus mal qu’un coup enfoncé sous ses côtes. Elle ne pouvait pas imaginer un seul instant qu’elle se trompait au sujet de Cassandra. C’était la femme la plus tolérante et la plus aimante qu’elle ait jamais connue. Elle avait tellement grandi depuis le lycée. Elle s’était ouverte aux autres. Elle restait secrète, refusait d’exposer ses faiblesses et donnait l’impression d’être toujours irréprochable, mais ce n’était qu’une façade. Ça ne pouvait être qu’une façade. Est-ce qu’elle ne la connaissait pas ? Est-ce que ces années d’amitié ne lui avait pas donné une place spéciale, une meilleure compréhension de qui elle était vraiment ? Elle ne connaissait pas Grace, mais Cassie ? Incapable de répliquer, elle restait frappée de mutisme jusqu’à ce que ses yeux toujours fixés sur le visage livide de son interlocutrice trouvent une larme sur sa joue. Aspirant brutalement une bouffée d’air, Ashandra relâcha immédiatement ses poings et sa bouche s’entrouvrit sous le coup de la surprise. Qu’avait-elle fait ? Le regard brouillé de Grace ne fit qu’empirer la panique qui la submergeait tout à coup face à cette réaction inattendue et elle ne put qu’entendre impuissante son gémissement plaintif. Cette fois-ci, son corps réagit plus vite que son esprit et avant qu’elle ne le réalise, elle s’avançait vers ce corps tremblant qui semblait ne se soutenir que par la force de l’habitude et l’attirait dans son étreinte. Ses mains glissèrent sur le dos de Grace, l’une d’elle remontant jusqu’à la base de son cou fragile, pressant son visage défait contre le creux de son épaule pour étouffer sa respiration saccadée. Parfaitement immobile à l’exception de cette caresse qui se voulait apaisante le long de sa colonne vertébrale, elle reprit dans un murmure à peine audible au creux de son oreille : «Ce n’est pas mal d’être différent, Grace. Ce n’est pas mal d’être toi. Même si ce n’est que quelques mots au dos d’une partition.» Ses paupières se fermèrent alors que sa respiration était redevenue étrangement calme et régulière. L’hostilité évidente de la pianiste, ses mots durs, son rejet pressant, tout ça n’avait plus la moindre importance. Sa poitrine n’était plus gonflée de sa propre peine, mais de cette détresse qui avait finalement échappé au contrôle de la petite Hamilton qui semblait enfin plus jeune qu’elle, plus vulnérable. Relâchant son emprise sur la jeune fille, elle rétrocéda d’un pas, ses lèvres pressées en une ligne. «Je ne le dirai à personne.» dit-elle avec patience. «Personne n’a à le savoir si tu n’es pas prête.» Peu sûre d’elle, Ashandra sentait malgré tout le besoin de lui dire ces mots, pour combler le silence. «Mais tu ne pourras jamais être heureuse si tu te caches. Tu as une famille merveilleuse... Pourquoi ne pas leur offrir le bénéfice du doute et leur laisser une chance d’aimer aussi cet aspect de toi ?» L’amertume de ses propos était mal dissimulée par un sourire pincé. Sa famille n’existait plus. Elle avait éclaté quand son père avait été emprisonné, qu’ils avaient déménagé en laissant son frère aîné à Des Moines, que sa mère avait commencé à boire plus de vin que d’eau à table, que son frère avait abandonné tout espoir après sa blessure avant de finalement disparaître laissant derrière lui des cadavres de bouteilles et des flacons de pilules vides. Sa famille n’était qu’un souvenir, et personne ne la regarderait grandir maintenant. Mais elle pouvait regarder grandir les autres, les aider, les pousser hors des chemins où elle savait que les ronces étaient trop nombreuses. Un instant, elle hésita, puis finalement tint sa langue. Grace n’accepterait probablement pas son aide, et ce texte qu’elle avait découvert par hasard serait sans doute le dernier, mais elle réessaierait un jour...
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Grace Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. Hey little sister   06. Hey little sister EmptySam 16 Mar - 23:44

Trop choquée pour tomber sur le sol, dans l’inertie hébétée de la cassure, Grace n’existait qu’à demi. Elle était là ou presque. Elle endurait sans doute. Elle ne voyait plus rien, effet secondaire des larmes qui colonisaient honteusement son espace vital.

Immobile dans le néant qui s’offrait à l’infini de ses environs, elle ne s’entendait même plus respirer.

Comme dans un vieux dessin animé, un mur apparu. Il y avait toujours un mur qui apparaissait. Ou un piano qui tombait du ciel.

Mais ici, c’était un mur. Jailli du vide sans mot d’excuse, présenté face à son corps chétif, elle s’écrasa sur lui. Ou l’inverse. Qu’importait ? Au moins, ça la tenait occupée. Le silence auquel elle était livrée n’avait rien de doux, et, quoiqu’il ne fût pas rêche, se prendre une masse de brique cosmique sur le front lui était infiniment préférable.

Elle attendait la commotion, comme un pauvre réclame fiévreusement sa place au Paradis.

Son corps disloqué était prêt à encaisser le choc avec un sourire de caissière expérimentée. Il ne vint pas.

Presque déçue, elle se résigna à se rendre compte que le mur se révélait étrangement tendre, d’autant qu’il semblait muni de bras, et que ceux-ci préféraient l’étreindre à la broyer. Elle n’était pas vraiment en mesure de se plaindre, mais elle ne put retenir un cri de surprise. Ou était-ce un soupir de soulagement ?

La vitesse du son était ralentie, altérée. Sa conscience était devenue une anomalie génétique, hérésie désoxyribonucléique propre au genre humain, qu’elle dénigrait au rang d’instinct enfui.

Elle ne savait plus.

De même que son système lacrymal partait en vrille, la cécité semblait aussi psychique. Incapable de distinguer ces émotions inconnues, le brouillard liquide qui bordait ses cils blonds paraissait limpide face à la purée de poids qui bouillonnait en grumeaux dans sa boîte crânienne.

Réduite à l’état catatonique d’un animal apeuré, et définitivement pas d’une espèce dominante, elle glissa ses membres longilignes jusqu’aux prises que lui laissait cette masse solide qui était apparue dans son univers en ruine, comme on enfile un gilet de sauvetage.

Elle sentit une main sur sa nuque.

Caresse inutile mais tellement nécessaire.

La friction opérée lui fit comprendre qu’elle tremblait. La vision rocambolesque d’un bichon frisé libéré du congélateur où une enfant obèse et malveillante l’avait enfermé lui arracha un sourire absurde.

Elle avait toujours préféré les Saint-Bernard.

Elle frissonna. Elle ne savait si c’était de chagrin ou de réconfort. Elle préféra y appliquer le courant d’air continu que la porte entrebâillée des lieux laissait entrer. Qu’importe si tous les thermomètres de Lima devaient littéralement fondre sur place à l’instant-même, elle avait bien le droit d’avoir froid. Et de s’éviter des aveux déjà bien trop avancés.

Elle comprit que ce qui avait remplacé sa colonne vertébrale n’était autre qu’Ashandra.

A cette constatation, elle se raidit, comme soudainement gênée de sentir les mains de la jeune femme sur son corps, comme si ces doigts bruns laissaient s’écouler sur sa peau laiteuse le sang coagulé de ses victimes présumées.

Puis, elle comprit qu’elle était bien trop épuisée pour tenir le change. Bien trop faible. Bien tout court.

Signe de Rédemption. Elle se détendit et pressa son front contre le cou de la choriste.

Son sanglot était muet. Ridicule. Comme le reste. C’était comme si jusqu’à ce point elle tentait encore de se contrôler. La socialisation est une chute statique, c’est s’accrocher aux fils que le marionnettiste agite pour nous et faire semblant de ne pas les voir. C’est garder l’illusion qu’amène l’enfance et la liberté qu’on croit acquérir à l’âge adulte. C’est la stupidité.

Elle était un piano désaccordé. Ashandra était un étui à guitare vide. Les pièces du puzzle ne correspondaient pas, elles étaient incompatibles dans cet univers. Et pourtant, l’espace de ces secondes presque figées, ça leur était suffisant. Qu’importait les rumeurs. Les morts potentiels. Les blasphèmes et les attaques. Elles avaient du traverser une dimension par hasard, inconsciemment. Sans s’en rendre compte. Les mains trop occupées par leur étreinte pour retenir la réalité qui fondait peu à peu, comme sous l’effet de la chaleur tropicale qui s’abattait sur Lima.

Qui était Ashandra ? Finalement, qu’est-ce qu’elle en savait ? Est-ce que ça importait encore vraiment ? Pour l’instant, elle en était réduite à deux bras qui l’entouraient d’une affection inattendue, reniée, un corps auquel elle s’accrochait comme à un pilier, bancal, certes, mais qui tenait encore, contrairement à elle.

Ou, plus sobrement, à un Kleenex.

«Ce n’est pas mal d’être différent, Grace. »

Cela sonnait comme une expérience personnelle. Le genre de déclaration qu’on fait à quarante ans quand l’envie vous prend de faire une cure de désintoxication à la malbouffe en pensant que ça éloignera le spectre honnis de la ménopause. Mais ça, Grace ne s’en rendait pas compte. Blottie, elle se laissait border sans dignité, éloignée de toute forme d’intelligence active.

« Ce n’est pas mal d’être toi. Même si ce n’est que quelques mots au dos d’une partition.»

Les muscles de son dos se crispèrent. Elle ferma ses yeux plus fort, comme pour éloigner une pensée déplaisante.

-Le Bien, le Mal… C’est tellement relatif. Tellement flou.

Son murmure était rauque. La situation ne démontrait-elle pas exactement ces paroles ? La Moon était ce qui devait le plus s’apparenter au Mal dans sa petite vie immaculée à peine une paire de minute plutôt, et voilà qu’elles se la jouaient le record du monde du plus long câlin en toute impunité. Les perspectives évoluaient.

«Je ne le dirai à personne.»

Grace hoqueta avec terreur, comme si ses réactions n’étaient plus coordonnées à ses ressentis.

«Personne n’a à le savoir si tu n’es pas prête.»

Elle hocha la tête violemment, entre gratitude et déni.

«Mais tu ne pourras jamais être heureuse si tu te caches. »

-Je suis heureuse, assura-t-elle d’une voix presque brisée, de nouvelles perles salées s’étalant sur ses pommettes.

« Tu as une famille merveilleuse... »

-Oui.,admit-elle avec avidité, son trémolo réclamant d’autres vérités acceptables.

Ashandra du faire sourde oreille à ces notes fébriles.

« Pourquoi ne pas leur offrir le bénéfice du doute et leur laisser une chance d’aimer aussi cet aspect de toi ?»

Elle releva la tête, comme pour respirer à nouveau. Sortir de l’eau où elle était transie, immobilisée, et reprendre son existence au sec. Et ne plus jamais glisser. Ses lèvres

-Parce que les seuls qui peuvent douter, ce sont qui ne croient pas.,affirma-t-elle avec une douceur lassée. On ne négocie pas avec Dieu. Il m’a faite telle que je suis. Pour le Mieux. Mais Il n’a pas révélé cette partie-là au monde. Tu penses peut-être que c’est mon rôle de le faire à Sa place. Moi pas.

Chez les Hamilton, pour qui l’omniprésence divine dans leur vie était un peu l’équivalent métaphysique de l’oxygène dans l’air, la croyance était une chape plomb qui enserrait le cœur et l’âme dans une étreinte étouffante. Croire en Dieu était certes réconfortant. Mais plus cette Foi était grande, plus le tribut était lourd à payer. Et si l’amour divin leur servait de ticket de réduction de peine, leur conviction individuelle restait la TVA.

Elle sembla se figer dans une réflexion qui dura trois minutes aussi longues que des décennies, sembla finalement revenir sur Terre avec chuintement, tenta d’affermir son regard et se détacha lentement des bras qui la soutenaient, comme à contrecœur, à contre-sens des flux astraux de son Seigneur. Evitant les prunelles certainement accusatrice de la Moon, elle cacha les rougeurs de honte qui colorait son visage d’un rapide demi-tour. Sans un mot. De son allure pressée, elle fuit littéralement les lieux, quasiment en apnée pour couvrir sa respiration difficile.

Ses pas martelaient le silence en rythme. TapTapTap. TapTap. TapTap. Tap. Tap. Tap.

Rien.

Elle s’était arrêtée juste à la porte, sa silhouette découpée dans le rai de lumière qui pénétrait l’annexe de la chapelle.

Grace ne pensait pas devoir dévoiler son écriture. Peut-être parce que c’était déjà fait.

Se tournant une dernière fois, elle posa son regard bleuté sur l’afro-américaine, pensive.

Peut-être parce qu’elle l’avait déjà fait.

Elle parla bas. Très bas. Et pourtant, elle était persuadée que Ashandra l’entendit lorsque, avant de gambader jusqu’au perron et se dissoudre dans la chaleur étouffante de la ville, elle laissa s’échapper un impromptu et inaudible :

-Merci.
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