Affalée sur la pelouse bordant le macadam, Brittany suivit des yeux les feux arrière de sa voiture jusqu’à ce qu’ils disparaissent au prochain tournant. Le silence retomba alors sur la petite route de campagne, à quelques centaines de mètres des premiers quartiers de banlieue. Le souffle court, elle resta les yeux dans le vide de longs instants, jusqu’à ce que l’adrénaline s'estompe et que la douleur se rappelle à son souvenir. Elle ramena alors ses jambes contre elle, serrant ses genoux contre sa poitrine dans l’espoir d’apaiser ses tremblements – en vain. Elle enfouit son visage dans le tissu rugueux de son jean et inspira profondément pour retenir ses larmes et sa panique. Il lui fallut plusieurs minutes pour se reprendre et trouver une réponse appropriée à la situation. Il y a quelques semaines de cela, elle aurait appelé Santana sans réfléchir, comptant sur sa meilleure amie pour la conseiller et la réconforter. Mais, comme sa visite infructueuse à la Pension Preston venait de le prouver, ce n’était plus à l’ordre du jour.

Elle fouilla dans son sac pour en sortir son téléphone portable et dut s’y reprendre à deux fois avant de composer le bon numéro. Sa prise était malhabile et ses doigts se serraient compulsivement sur le combiné.
« Police de Lima, en quoi puis-je vous aider ? »
« H-hey, Jenny, c’est Brittany, » réussit-elle à dire avant de devoir reprendre une profonde inspiration. « On m’a volé ma voiture. »
« Êtes-vous sûre de ne pas vous être trompée de place de stationnement, Madame ? » demanda patiemment la standardiste.
« Non. Je veux dire… Si, j’en suis sure parce que… parce que j’étais au volant quand ils sont apparus au milieu de la route en pointant leurs armes sur moi et… ils m’ont forcé à sortir et à leur laisser la voiture. »
« Oh, » fit Jenny, tout de suite plus alerte. « Êtes-vous blessée Madame Pierce ? »
 Brittany porta une main à son visage et toucha délicatement ses lèvres puis son œil droit. Elle sentait du sang sur sa langue et sa peau se réchauffait autour des zones sensibles. Le lendemain, elle serait probablement incapable d’ouvrir l’œil. « Oui... Mais, rien de très grave. » s’empressa-t-elle d’assurer.
« D’accord. Je vais vous envoyer une patrouille, Brittany, ne vous inquiétez pas. Pouvez-vous me dire où vous vous trouvez ? »
« Je… » Elle observa la campagne l’entourant, incapable de se souvenir d’un quelconque nom de route. Elle dut décrire le chemin qu’elle avait emprunté pour que Jenny la situe d’elle-même. Dès qu’elle eut raccroché, même avec l’assurance qu’on venait la chercher sous peu, Brittany se laissa rattraper par la peur panique et irrationnelle que ses agresseurs reviennent.

De nouveau, elle chercha son sac pour en retirer son lecteur MP3. Elle s’enfouit fébrilement les écouteurs dans les oreilles et écuma son répertoire pour trouver quelque chose qui la rassurerait, l’apaiserait, lui permettrait de ne pas hyper ventiler… La chanson préférée de son défunt époux s’imposa à elle-même tandis que la voix de Liza Minelli s’élevait et noyait toute source extérieure de stress. Il lui fallut les deux premiers couplets pour mettre de côté le fait qu’elle était seule, au milieu de nulle part, après un évènement aussi traumatisant qu'un carjacking. Quelques vers plus tard, elle murmurait les paroles qu’elle avait si facilement mémorisé durant ces dîners où Hendrik les passait en boucle. Elle était incapable de danser en cet instant, mais sa voix reprenait peu à peu plus d’assurance tandis qu’elle chantait les derniers couplets ventant sa ville d’adoption :

« (…) My little town blues
Are melting away
I’ll make a brand new start of it,
In old New York
If I can make it there,
I’d make it anywhere
It’s up to you,
New York, New York

New York, New York
I wanna wake up,
In the city that doesn’t sleep,
To find I’m king of the hill,
Head of the list
Cream of the crop
At the top of the heap

My little town blues
Are melting away
I’ll make a brand new start of it,
In old New York
If I can make it there,
I’d make it anywhere
Come on,
Come through New York, New York »

Le bruit d’une voiture se rapprocha lors des derniers vers mais Brittany n’osa pas ouvrir les yeux. Lorsque le véhicule s’arrêta non loin, elle se tendit, crispée, la respiration s’accélérant mais, trouillarde comme elle l’était, elle ne releva pas la tête. Ce n’est qu’en sentant quelqu’un s’accroupir à ses côtés et l’appeler gentiment qu’elle osa quitter sa position de hérisson roulé en boule, dévoilant alors son visage tuméfié. A peine reconnut-elle la tignasse blonde du sheriff adjoint qu’elle se jeta à son cou, s’agrippant à lui comme à une bouée de sauvetage. Elle tremblait comme une feuille mais ne prononça pas un mot.

"Vous savez... On pourrait peut être parier autre chose que des cookies et des donuts."

Warren, qui il y a de ça quelques secondes avait les yeux rivés sur la paire de dames qu'il avait dans les mains, releva la tête et fronça les sourcils. Oui, c'était une de ses journées mornes et ennuyeuses à Lima, il n'y avait strictement rien à faire, mais, car c'était le protocole, il fallait des hommes à la station pour assurer la sécurité en cas d'urgence. Depuis l'incident de la bijouterie, toute la station était en alerte, chose que Warren ne comprenait vraiment pas. Il faut que je me fasse tirer dans le bras pour que vous réalisiez la véritable nature de votre métier? Bande d'abrutis... Cependant Warren s'était bien gardé de dire ce qu'il pensait, en somme, une première pour lui et il avait continué d'agir comme si de rien était. Il avait fait son job, la douleur occasionnée par sa blessure était quasiment partie à présent et il arrivait à tirer correctement, et ce malgré les dires de son grand frère qui continuait de le taquiner au téléphone, juste pour le plaisir. C'était sa façon à lui de s'inquiéter et Warren y était beaucoup trop habitué pour faire y prêter attention. Quoi qu'il en soit, blessure ou pas, la vie continuait, des criminels devaient être mis derrière les verrous, etc, etc... Mais pas aujourd'hui semblait-il, ce qui pouvait expliquer pourquoi Warren et ses collègues étaient réunis autour du bureau de ce dernier à jouer au poker. Et comme venait de le faire remarquer l'un d'entre eux, Matthew, ils auraient pu véritablement miser et pimenter un peu le jeu.

"Parce que sinon Delacroix nous dépouillerait tous... Crois moi je préfère perdre des donuts que mes sous."

"Ce n'est pas comme si je gagnais à chaque fois." mentit Warren, un sourire aux lèvres.

"Oh tais toi." répliqua Jenkins, donne un coup dans la chaussure de Warren. Le blond ne s'offusqua pas pour autant et se contenta d'éclater de rire, reportant son attention sur les cartes qu'il tenait toujours. Il avait joué au poker tellement de fois avec Peter et Louis, ses deux grands frères lui apprenant absolument tout ce qu'ils savaient sur ce jeu, des conseils qui s'avéraient être utiles. "Bon allez montrer vos cartes!"

Et quelques secondes plus tard, ce fut bien Warren qui ramassa son butin sur la table, un énorme sourire aux lèvres, ses collègues lui jetant un regard noir. "Bon okay, je gagne à chaque fois, mais vous êtes nuls vraiment..." marmonna Warren avant de mordre dans un cookie.

"Et tu voulais parier des sous hmm? Si on jouait vraiment, Delacroix aurait assez d'argent pour se faire construire une nouvelle maison."

"Hmm... nan... Je pensais plus à une piscine, histoire de vous inviter chez moi et de vous narguer." corrigea Warren. Il s'apprêtait à en rajouter plus, histoire de faire durer le plaisir et que de toute façon, il n'aurait pas d'autres distractions aujourd'hui quand Jenny fit son apparition dans son bureau.

"Warren, tu te souviens que tu m'avais dit de te prévenir immédiatement si Mme Pierce nous contactait?"

"Qu'es-ce qui s'est passé?" Alors qu'il posait la question, Warren était déjà sur ses deux pieds, déjà prêt à partir. Brittany était bien connue de tout le service de police, surtout pour sa maladresse et son don à se garer où il ne fallait pas. Warren se souvenait d'une fois où elle avait débarqué ici, avec des pâtisseries pour tout le monde, et qu'il avait poussé un soupir exaspéré avant de déclarer qu'il lui donnerait des leçons de conduite. Cependant, Warren n'était pas du genre à se fâcher contre la demoiselle, non, il voyait bien qu'elle faisait des efforts et que dans un sens, elle s'en voulait de faire travailler la police de Lima. On est tous des bons à rien, répétait Warren à chaque fois, crois moi, tu nous sauves la vie en nous obligeant à nous plonger dans de la paperasse. "Encore un accident de voiture?"

"Non c'est plus sérieux cette fois-ci, apparemment des hommes ont pris le contrôle de son véhicule en pointant une arme sur elle et... "

Warren n'avait pas besoin d'en savoir plus. "J'y vais, envoie moi les coordonnées et fait venir aussi une autre voiture, qu'on voit si on peut les rattraper, elle n'est pas blessée au moins?" Il demandait tout ceci tout sortant son arme de service de son tiroir, il la chargea, attrapa ses clés de voiture et sortit du poste de police tandis que Jenny continuait de lui parler. Il démarra en trombe et commis au moins une vingtaine d'infractions avant d'arriver au lieu indiqué. "Allez Brittany où es tu?" murmura t-il en sortant de sa voiture, cherchant la blonde des yeux. Warren espérait vraiment qu'elle soit en un seul morceau, sinon, il ne se le pardonnerait jamais. Dans un certain sens, Brittany représentait la petite soeur que Warren n'avait jamais eu, il était certain qu'elle pourrait trouver sa place dans le clan Delacroix, avec Amelia et Alba qui la traîneraient pour une bonne vieille séance shopping et Peter qui se moquerait d'elle car elle était trop petite. Il finit par l'apercevoir et il poussa un soupir de soulagement avant de se diriger à grand pas vers elle, et il s'accroupit à ses côtés. "Brittany ça va?" Warren ne fut pas surpris quand elle se jeta littéralement sur lui et il passa ses deux bras autour de sa taille avant de se redresser, Brittany toujours dans ses bras. "Tu es blessée quelque part ou pas? Si tu as mal, mais si ça ne te paraît rien là tout de suite, il faut que tu me le dises pour que je t'emmène aux urgences d'accord?" Le ton de Warren se voulait rassurant et il sut qu'il ne pouvait pas laisser Brittany toute seule même s'il avait juste envie de rattraper ceux qui lui avaient fait cela et leur faire passer un mauvais quart d'heure.

L’étreinte ferme et rassurante de Warren lui fit un bien fou. Cette tension qui l’habitait jusque-là commença à s’apaiser, quelques nœuds musculaires se déliant au creux de ses épaules, lui permettant de se lover encore un peu plus dans cet endroit rassurant, protégé, qu’étaient les bras du sheriff adjoint. Sa voix basse, profonde, était revigorante. Sous ce traitement combiné, il ne fallut que quelques courtes minutes à Brittany pour reprendre le contrôle de sa voix.

« Juste… au visage, » répondit-elle avant de froncer les sourcils. Maintenant qu’elle y réfléchissait, aiguillée par les questions de Warren, ce n’était pas tout à fait exact. « Et à la hanche… probablement un bleu… » Elle jeta un coup d'oeil distrait à son pantalon râpé et sali. « Il m’a frappé à la tête en m'agrippant par le poignet pour me faire sortir de la voiture, » expliqua-t-elle en montrant sa tempe, où un peu de sang avait séché le long de griffures, sans cacher pour autant l’œil au beurre noir naissant. Son poignet, fin et si visiblement délicat, était rouge et afficherait probablement des traces de doigts bleuâtres le lendemain. « Je suis tombée par terre sur la hanche, et puis il m’a donné un nouveau coup de pied. » Elle leva une main tremblante à l’arrière de sa tête, où une douleur lancinante se rappelait à elle. Ses membres étaient tant raidis par la peur et le choc que ses doigts flageolants n’atteignirent pas leur cible : une bosse en devenir. Vide de toute énergie, elle laissa ses bras retomber sur les épaules de Warren. « Je me suis cognée la tête je crois… je ne suis pas sûre, je suis peut-être tombée dans les poires quelques secondes… »

Distante, étrangement détachée de la situation maintenant qu’elle pouvait compter sur Warren pour prendre les décisions qui s’imposaient, elle laissa son regard dévier dans le vide, ayant un peu de mal à se concentrer sur son interlocuteur, la voiture de police ou quoi que ce soit d’autre. Ce ne fut que lorsque sa bouée de sauvetage se recula légèrement, son étreinte se relâchant subtilement, qu’elle sortit de sa torpeur. Elle tituba et resserra sa prise (faiblarde) sur Warren. Ses yeux s’écarquillèrent, humides.

« Ne me laisse pas ! » s’exclama-t-elle d’une voix aigüe, paniquée. Plus faiblement, elle marmonna : « Ne les laisse pas… » Mais elle se reprit, l’affolement ayant produit un peu d’adrénaline, l’aidant à se ressaisir. Après une profonde inspiration, elle murmura : « Pardon, je suis encore un boulet… »

Une grande lassitude l’envahissait, noyant toute éventuelle colère ou outrage suite à ce qu’elle venait de vivre. C’était un coup de plus que lui réservait le destin dans cette descente aux enfers qu’elle avait entamé depuis sa dispute avec Santana. La peur l’avait envahi sur le coup, lorsque ces deux hommes l’avaient pris à parti, mais c’était désormais la fatigue, le contrecoup, qui la rattrapait. La tête étrangement légère et les jambes flageolantes, Brittany était à deux doigts de tomber de nouveau dans les poires (les pommes ou les agrumes, tout ce que vous voudrez…).

En tant que dernier membre du clan Delacroix, Warren avait toujours été le petit frère que l'on devait défendre et protéger du reste du monde. Plus jeune, cela avait le don de l'irriter, même s'il savait bien que ses grands frères et ses grandes soeurs le faisaient uniquement parce qu'il comptait beaucoup pour eux tous, mais c'était tout de même rageant. À l'école primaire, c'était sa grande soeur Amelia qui se chargeait de remette les gens à leur place pour lui et au lycée, c'était son frère Peter, si bien que les seules bagarres auxquels il avait pu participer s'étaient déroulées bien loin de la surveillance de ses frères et soeurs. Avec Brittany, toute la dynamique était inversée et en la voyant ainsi, si apeurée et tremblante dans ses bras, il se sentait plus que responsable. Et il pouvait déjà entendre la voix de son patron, qui ne le laisserait probablement pas être sur l'affaire parce qu'il était trop proche de Brittany. Well screw that. Comme si Warren allait s'écraser sans rien dire, non, il allait trouver les personnes responsables de tout ceci, et il leur ferait comprendre ce qui arrivait quand on touchait à quelqu'un qui comptait énormément pour lui. Et tant pis s'il devait recevoir une mise à pied pour ça.

Son regard se porta sur les alentours, il y avait sûrement d'autres indices à relever mais il ne pouvait pas le faire avec Brittany dans les bras, chaque chose avait son temps et même temps, il devait agir le plus rapidement possible. Et sans doute conduire Brittany à l'hôpital, d'après ce qu'elle venait de lui dire, elle n'avait pas de blessures sérieuses, et par sérieuse Warren entendait une blessure causée par une balle. Okay, déjà, retourner à sa voiture. Il doutait sincèrement que la blonde soit en état de marcher, il devait donc la lâcher quelques secondes pour... Cependant, cette partie là ne se déroula pas comme prévu, Brittany s'accrochant faiblement à lui, le priant de ne pas la laisser toute seule. Ce fut seulement là que Warren réalisa que Brittany avait pleuré, évidemment, quel idiot il était... "Okay, je ne te lâche pas, ne t'inquiète pas, je suis là." murmura t-il se rapprochant d'elle. Il ne pouvait pas la laisser ici et ce même s'il avait envie de suivre la piste encore toute fraîche, son arme de service à la main. "Hey Brit', tu n'es pas un boulet tu m'entends? Et je t'interdits de penser ça, les boulets ce sont ceux qui t'ont fait ça, et crois moi, on va les trouver..."

Pour ce qui était de remonter le moral des gens, Warren était plus que nul et il le savait, en temps que policier, il savait comment gérer la situation actuelle: conduire Brittany ailleurs, la laisser se remettre de ses émotions, prendre sa déposition, appeler ses collègues, etc... Mais en tant qu'ami? Il n'en avait pas la moindre idée. Cependant une chose était certaine, il refusait de voir des larmes sur le visage de Brittany, surtout s'il pouvait l'empêcher."On ne peut pas rester là par contre, il faut qu'on aille jusqu'à ma voiture pour que j'appelle des renforts et que j'envois une patrouille pour retrouver tes agresseurs. Au moins on sait déjà dans quelle voiture ils sont..."Warren eut un maigre sourire, tentant de chercher un côté positif à toute cette situation. "Tu crois que tu peux marcher? Non oublie ça, je vais te porter." Sans attendre l'avis de la jeune femme, il la fit basculer dans ses bras et la souleva de terre avant de la conduire jusqu'à sa voiture. Heureusement, il avait laissé la porte ouverte dans sa hâte, il déposa Brittany sur le siège conducteur, avant de s'agenouiller devant elle, prenant ses mains dans les siennes, lui montrant qu'il n'allait nul part. "Voilà... comment tu te sens?"

Il était difficile, voire impossible, pour Brittany de se souvenir d’une personne lui ayant apporté autant de rassurances et de protection que Warren. Son défunt époux, lorsqu’il avait encore assez de force pour se faire ? Santana, lors de ses moments de compassion au lycée ? Oxanna ou Quinn, à leurs heures perdues ? Ou son père, quand elle était encore petite et qu’il n’avait pas perdu toutes ses illusions sur son ainée ? Dans tous les cas, ce n’avait été que des passades. Elle l’attendait donc, ce point de rupture, ce moment où Warren réaliserait qu’il avait bien mieux à faire que de se préoccuper d’une idiote comme Brittany. C’était inéluctable. Elle ne faisait preuve que d’égocentrisme et d’opportunisme en profitant de la bonne volonté du shérif adjoint, et risquait d’user d’autant plus vite sa patience. Elle s’en rendait compte, parfois, et faisait machine arrière, comme en cet instant, pour ne pas abuser de sa chance. Mais en vérité, elle n’aurait aimé qu’une chose : lui coller aux basques telle une sangsue et s’assurer qu’il était constamment entre elle et le danger, quel qu’il soit. Le bonus serait de rester à portée de bras, pour qu’il puisse l’étreindre dans cette même accolade rassurante qu’il venait de lui octroyer.

La voix de Warren et ses paroles charitables (elle ne devrait pas profiter de sa gentillesse, c’était mal, mais elle avait toujours fait de son mieux pour être quelqu’un de bien, alors pour une fois, elle voulait s’accorder cet abus) aidèrent Brittany à se détendre peu à peu. Ainsi, lorsqu’il la hissa dans ses bras, elle put éviter l’embarras et se laisser faire docilement, sans un bruit. Intérieurement, elle était aux anges. Quoi de mieux qu’une étreinte pour lui rappeler qu’elle n’était pas seule et qu’on prenait soin d’elle ? Se faire porter comme une princesse, clairement.

Lorsqu’il la déposa sur le siège conducteur, Brittany se sentait plus légère (et pas seulement parce qu’il l’avait porté comme elle porterait un oreiller en plumes). L’attention prévenante qu’il lui portait lui rappelait que, malgré les difficultés qui ne semblaient cesser de lui tomber dessus ces derniers mois, elle n’était pas aussi seule qu’elle semblait le penser. Quels que soient ses doutes et ses réserves sur le futur, peut-être devrait-elle se contenter de cette certitude pour l’instant.

Elle baissa les yeux sur Warren lorsqu’il s’accroupit devant elle et serra ses mains. Brittany avait repris un peu de couleurs et son regard était légèrement plus vif. Lentement, comme si elle n’était pas bien sûre de se souvenir comment faire, elle esquissa un sourire pour son ami (car il l’était, envers et contre tout). « Mieux, je me sens mieux, » avoua-t-elle très sincèrement. La crise de panique qu’elle avait frôlée s’était bien envolée. « Merci Warren, je… » Incapable de convier ses sentiments, elle inclina la tête et espéra que son regard, son expression, se chargeaient du travail à sa place. « Juste… merci. » Elle pressa gentiment ses doigts pour souligner l’importance de ce mot. Elle le prononçait souvent, tout particulièrement lorsqu’elle s’adressait à lui, mais elle ne l’avait jamais autant pensé qu’aujourd’hui.

Lorsqu’il se releva finalement, Brittany jeta un coup d’œil à l’intérieur du véhicule, cherchant une distraction et la trouvant facilement. « Je n’ai jamais été dans une voiture de police, » souligna-t-elle distraitement. Parce qu’elle n’était peut-être pas un citoyen modèle mais on ne lui avait jamais passé les menottes pour autant, après tout. Si elle n'avait pas craint de casser quelque chose, elle jouerait probablement avec tout ce qui lui passait sous la main comme une gamine de six ans.

Accroupi devant la jeune femme, Warren surveillait la moindre de ses réactions et il ne put empêcher le sourire qui se forma sur son visage en constant qu'elle semblait bien plus à l'aise et en sécurité, là assise dans sa voiture de police. Le blond avait toujours été plutôt doué pour lire les gens comme personne et il devait admettre que c'était d'autant plus facile avec Brittany car elle cachait rarement ce qu'elle ressentait et c'était quelque chose qui lui plaisait beaucoup chez la jeune femme. Son sourire s'agrandit quand elle le remercia et pendant un bref moment, il sut qu'il avait à faire à la Britanny souriante, celle qui lui apportait souvent du café à la station de police et qui oubliait parfois qu'il avait horreur du sucre dans son café mais qui se rattrapait en lui gardant les meilleures pâtisseries. Warren espérait la revoir bientôt, mais il savait également qu'il fallait un certain temps pour oublier ce genre de choses. Bien entendu, on proposerait à Brittany de faire appel au psychologue d'état recommandé par la police de la ville. Peu de personnes prenaient de rendez vous et il y en avait encore moins qui utilisait le numéro vert pour parler à quelqu'un quand ils en avaient besoin. Warren pouvait le comprendre, son job s'arrêtait à suggérer une telle aide et à donner tous les renseignements, il ne pouvait pas forcer les gens, il avait horreur de parler de lui même alors si c'était pour raconter ce genre d'expérience, c'était tout simplement hors de question.

"Pas la peine de me remercier, je fais juste mon boulot tu sais..." Finit par répondre le blond. Il était rarement modeste, non, il n'était jamais modeste mais il ne voulait pas que Brittany le remercie pour avoir répondu à son appel. C'était son métier, certes, même s'il n'était pas policier, il aurait trouvé le moyen de venir ici, pour lui c'était clair, Brittany était sa responsabilité voilà tout. "Oh ce n'est pas vraiment différent d'une voiture normale..." dit-il en réponse à la remarque de la jeune femme. Sa voiture n'était pas remplie des gadgets les plus cool, pas de bouton pour pouvoir aller sous l'eau, d'ailleurs en comparaison à sa propre voiture personnelle, celle-ci ne faisait pas le poids. Cependant, tout était bon pour distraire Brittany pendant quelques minutes de plus, Warren ne pouvant se résoudre à poser les bonnes questions et à faire son job. Quelqu'un d'autre devrait prendre la déposition de Brittany car il n'en aurait tout simplement pas le courage. "Quoi que si je me gare mal personne ne me piquera cette voiture-ci." ajouta t-il dans un espoir de la faire rire. Peut être que c'était un peu trop tôt? Il pouvait toujours tenter autre chose.

"Et si tu presse ce bouton, tu peux déclencher la sirène." Warren se pencha légèrement pour lui montrer l'appareil en question puis il lui pointa du doigt la radio. "Ça c'est la radio... d'ailleurs il faudrait que tu me la passe, que je puisse prévenir les autres." Les renforts ne devraient pas tarder mais Warren voulait trouver une bonne raison de crier sur le reste de son équipe et leur dire se bouger. "Et ensuite on fera un détour par l'hôpital, parce que quoi que tu en dises, je veux que tu vois un médecin... et puis après si tu veux, tu pourras venir chez moi, je veux dire... J'ai deux grandes chambres que je n'utilise pas et il faut que tu te reposes après... tout ça." Et aussi parce que Warren ne pourrait pas fermer l'oeil de la nuit s'il la savait toute seule ce soir.

BUG

Warren réprima un rire quand la jeune femme suggéra qu'il lui prête sa voiture. Hmmm... Le shérif adjoint avait déjà vu Brittany conduire et il avait même essayé de lui donner quelques leçons en espérant améliorer les compétences de la jeune femme, surtout quand il s'agissait de choisir ses places de parking. Le résultat avait été... Plutôt comique dira t-on. Warren était dû genre à perdre son sang froid rapidement. Très rapidement. Cependant, face à Brittany, il avait été incapable de s'énerver et avait tout simplement fini par déclarer qu'elle n'aurait qu'à l'appeler si elle avait encore des problèmes à l'avenir. Il était tout simplement impossible de se fâcher contre elle, enfin selon Warren. Pour elle, la blonde était l'innocence même et il était évident qu'elle ne ferait absolument de mal à personne. Et évidemment, car la vie était tout sauf juste, il fallait que quelque chose d'aussi tragique lui arrive à elle. C'était ce genre de petits incidents qui faisaient que Warren avait parfois envie de tout laisser tomber, se disant que son job ne servait à rien s'il ne pouvait même pas protéger les gens qui vivaient leur train-train quotidien sans rien demander à personne comme Brittany, alors quoi bon... Elle accepta sa proposition et Warren ne put s'empêcher de sourire. Peut être que plus tard dans la semaine, il l'emmènerait s'acheter une nouvelle voiture et il pourrait probablement lui donner quelques conseils. Pas de doute qu'elle avait besoin d'une voiture solide mais une voiture pas trop tape à l'oeil après l'incident de ce soir. En même temps, Warren voyait mal Brittany dans un 4x4, quoi que, le contraste entre l'image menaçante du véhicule et le sourire de la jeune femme pourrait être plus que marrant.

«Non ça ne me dérange pas, et puis pour être tout à fait honnête, je serai plus rassuré ici. Et puis comme je te l'ai dit, j'ai beaucoup de place chez moi et un frigo un peu trop rempli... Et oui, c'est moi qui vient de dire ça. » Brittany ne le savait peut être pas, d'ailleurs peu de gens le savait, mais Warren était plutôt doué derrière les fourneaux et quand il s'ennuyait, il était pris d'une véritable frénésie et passait tout l'après-mid dans sa cuisine, le livre de recette de sa mère dans une main. Cela se terminait généralement par une cuisine en très mauvaise état, un frigo trop rempli et un shérif adjoint qui s'effondrait sur son canapé en rêvant de cette tarte aux pommes qu'il aurait dû faire. Il voyait sans problème Brittany déambuler sa cuisine à la recherche d'une tasse à café ou même d'une petite cuillère. Il ne put s'empêcher de rouler des yeux quand elle lui dit qu'il était le meilleur parce que franchement, Warren n'en avait pas l'impression, il attrapa la radio qu'elle lui tendait et il se redressa pour essayer de contacter la station de police. « Allô ici Warren, j'aurais besoin de renfort et vite. » dit-il en articulant le plus possible, sachant très bien que ces vieux appareils pouvaient défectueux parfois. Oui, il n'y avait qu'à Lima en Ohio qu'ils utilisaient des modèles pareils et oui, Warren s'était déjà plein d'une fois. Il était prêt à laisser tomber et à prendre son téléphone portable, parce que soyons honnête, il irait plus vite ainsi quand la voix de Matthew s'éleva. Génial, tout espoir n'était pas perdu pour la police de Lima.

« On est en chemin Warren, on devrait être la d'ici cinq minutes. »

« Mettez le turbo alors... En plus j'ai quelqu'un de blessé. » répondit aussitôt Warren, son regard se promenant sur les alentours. Y avait-il un témoin ? Le shérif adjoint en doutait légèrement et puis qui aurait été assez stupide pour laisser Brittany seule et apeurée sans lui venir lui porter de l'aide... Qui ?

« Tu veux une ambulance ou... » Warren s'apprêtait à répondre quand le bruit d'une sirène de police se fit entendre. Il était tellement habitué qu'il ne sursauta même pas, pivotant sur lui même, ses yeux bleu tombant sur Brittany, elle était légèrement rouge et paraissait gêné. Cette fois-ci, Warren ne put retenir le rire qui franchit ses lèvres. « Warren ça va ? » La voix à l'autre bout de la radio le ramena à la réalité et il secoua la tête, finissant par répondre. « Oui, ce... Non laisse tomber pour l'ambulance, je vais la conduire moi même à l'hôpital. » Il revint vers la voiture, remettant la radio à sa place. « C'est officiel, tu restes à la maison ce soir. »

Brittany leva sur sa nouvelle idole le regard adorateur qui lui était dû. Le rire qu’il avait laissé échapper suite à ses facéties était la dernière confirmation dont elle avait besoin : il était digne d’être vénéré comme l’ange-gardien qu’il était. Elle n’irait pas jusqu’à lui écrire un psaume (ce dont il devrait lui être reconnaissant, il échappait à une horrible torture) mais les offrandes s’imposaient certainement.

« Génial, » dit-elle, enthousiaste à l’idée de rentrer avec son super-héros favori. « Tu as de la glace ? Il va me falloir de la glace – de préférence Ben & Jerry's, c’est les meilleures, mais je ne suis pas très difficile - et du chocolat chaud, j’en ai toujours besoin après avoir pleuré, c’est toute cette eau qu’il faut bien remplacer… En tout cas, ne t’inquiète pas, je t’aiderais pour ton problème de frigo ! »

Elle lui adressa un sourire radieux et, devinant qu’ils ne tarderaient plus à partir pour l’hopital, elle glissa son sac sur le tableau de bord côté passager avant de passer par-dessus la console centrale pour se glisser dans le siège de l’autre côté. Faire le tour de la voiture aurait certainement été beaucoup plus simple et moins douloureux, mais elle se sentait bien ici et sortir, ne serait-ce que pour quelques courts instants, aurait demandé trop d’efforts émotionnels. Si elle devait se dandiner et tirer légèrement sur ses égratignures, ce n’était pas un bien grand mal, tant qu’elle gardait le sourire.

Elle bouclait sa ceinture au moment où une nouvelle voiture de police s’arrêta à leur niveau. Elle observa Warren tandis qu’il parlait à ses collègues, les mettant au courant de la situation. Les deux nouveaux policiers arrivés sur place jetèrent un coup d’œil – se voulant discret – par le parebrise. Brittany leur fit un signe de la main, ils se connaissaient tous au moins de vue : elle était une véritable légende urbaine après tout ! Ils lui retournèrent un sourire plus ou moins gêné avant de se retourner face à leur supérieur.

Un frisson d’angoisse la saisit tout d’un coup, malgré la protection assurée par ce fier équipement des forces de l’ordre qu’était la voiture-qui-ne-serait-jamais-remorquée-à-la-fourrière. Elle glissa son sac sur ses genoux et se plia en deux pour pouvoir entourer ses genoux de ses bras. Elle prit plusieurs inspirations profondes pour se calmer. Lorsque Warren s’installa à la place du conducteur quelques instants plus tard, elle se redressa, de nouveau l’exemple même de la joie de vivre (ou presque).

« J’aurais le droit à des bonbons si je me tiens bien à l’hôpital ? » demanda-t-elle avec un sourire malicieux, déterminée à aller de l’avant et rendre les choses plus faciles pour son idole. Ses enfantillages innocents, il en avait l’habitude.

Warren ne put s'empêcher de rire une nouvelle fois face aux requêtes de Brittany. Au moins, elle ne semblait plus déprimée ou même au bord du rouleau comme il y a quelques minutes... « Pas de soucis pour la glace, ni même pour le chocolat chaud. On a vraiment les mêmes goûts. » La blonde avait de la chance d'ailleurs, quoi que cela n'aurait pas arrêté le shérif adjoint, il se voyait bien dans un supermarché à cette heure si tardive en train d'acheter de la glace Ben & Jerry's et du chocolat en poudre. Car oui, quand il s'agissait de mettre un sourire sur le visage de quelqu'un qui comptait pour lui, Warren ne reculait devait rien. Là tout de suite, il aurait été capable de pointer une arme sur un marchand de glace et ce juste pour Brittany. Et non Warren n'avait pas du tout des réactions excessives... (N'importe quoi.) « On pourrait passer chez toi aussi récupérer quelques affaires. » ajouta rapidement le shérif adjoint en reportant son regard sur la route, cherchant des yeux l'autre voiture de police. « Enfin je peux toujours te prêter des vêtements mais ils seront trop grands et je doute que tu sois une très grande fan de mon style. » Quel style ? C'était bien la grande question car lorsqu'il rentrait dans une boutique de vêtements, les seules et rares fois où cela lui arrivait, Warren prenait juste tout ce qui lui tapait dans l'oeil et surtout qui était à sa taille. Son dernier achat remontait à presque un an, son jean préféré l'ayant lâché, Warren incapable de faire partir la tâche de sang qu'il avait sur le genou. Les risques du métier dira t-on.

La seconde voiture finit par apparaître et Warren indiqua à Brittany qu'il revenait dans un instant, se dirigeant vers ses collègues. Il n'aimait pas trop l'idée de la laisser toute seule, et ce juste pour quelques minutes. Il l'observa boucler sa ceinture, penseur, puis il se dit que de toute façon, elle savait comment activer la sirène alors... Warren se tourna donc vers ses collègues, ces derniers saluant Brittany de loin, oui, elle était un peu une sorte de légende à la station de police, elle ne le savait peut être pas mais les policiers faisaient régulièrement des paris entre eux pour savoir si elle allait avoir un accident dans la semaine ou pas. Ce n'était rien de bien méchant, Warren y veillait, mais il serait un bien piètre menteur s'il disait ne pas avoir participé lui-même. La conversation avec Matthew fut plutôt rapide. En fait, Warren se contenta de donner des ordres plutôt directs et précis, il était un peu sur les nerfs et plus qu'affecté par toute cette affaire. Et la remarque de Matt n'arrangea rien. « Tu connais la victime, tu sais que tu ne peux rien faire, pas vrai ? » Warren lui jeta un regard meurtrier avant de répondre à sa question. Lima avait beau être une petite ville où tout le monde connaissait plus ou moins tout le monde, ou du moins en avait déjà entendu parler d'un tel ou un tel. Cependant la loi était la loi et ce n'était pas parce que Warren avait un badge et une arme qu'il était au dessus de tous. Donc oui, il connaissait les règles et il espérait qu'avec ou sans lui, ils parviendraient à attraper ceux qui avaient fait cela à Brittany. « Et si tu penses que je vais juste me tourner les pouces, tu me connais mal Matthew... Allez je vais la conduire à l'hôpital, appelez moi si vous trouvez quelque chose okay ? »

Sans attendre une réponse de la part de ses collègues, Warren se dirigea vers sa voiture et il s'installa dans son siège, mettant sa ceinture lui aussi.« J’aurais le droit à des bonbons si je me tiens bien à l’hôpital ? »  Il se tourna vers Brittany, tournant distraitement la clé pour démarrer la voiture. Avec cette simple phrase, elle redevenait elle-même et Warren espérait bien qu'elle ne perdrait jamais ça, ce petit truc qui faisait qu'elle était Brittany et personne d'autre. « Bien sûr. » Il reporta son attention sur le pare-brise, appuyant sur l'accélérateur. « Et si le médecin refuse de t'en donner... Je lui mettrai mon poing dans la figure et il changera d'avis... Tu verras. »