Les Sectionals, la compétition intense, les répétitions acharnées. Un esprit de compétition régnait en ville et les membres des chorales adverses s'échangeaient des regards, voire des remarques, plus ou moins bon enfant. Certains prenaient ça extrêmement au sérieux. Comme Joanna par exemple, qui confirmait à la - encore - fraîche recrue des Second Chances qu'elle avait effectivement de fortes tendances despotiques. Et que le monde de la chorale amateur était impitoyable et effrayant. Pourtant, Lexie avait connu la compétition durant ses deux années passées chez les Cheerios et elle s'était d'ailleurs laissée atteindre par une envie de gagner dont elle ne se savait pas capable. Et ce sentiment resurgissait à nouveau, donnant une certaine rage de vaincre et une énergie décuplée à la déjà très dynamique et enthousiasme galeriste. Ce moment de compétition coïncidait avec une nette amélioration de sa situation financière, personnelle et familiale et elle pouvait donc expulser d'une manière relativement saine tout ce qui lui avait pesé des mois durant. Baby Preston s'appliquait donc, rester tard le soir pour répéter quand on le lui demandait, ne contestait pas les décisions plus ou moins farfelues de Joanna ou les choix de Cassandra. Ces derniers s'étaient d'ailleurs avérés, étonnamment, au goût de la rouquine et s'étaient faits de façon plutôt démocratique. Néanmoins, le hasard - ou dans l'esprit de ses camarades, la volonté divine - se devait bien de les aider dans leurs décision. Aussi, une course interne au solo s'était lancée entre les filles de la chorale. Ce n'était nullement ce qui concernait Lexie, qui se savait bien incapable de l'emporter face à des voix comme celles de ses comparses. Non, l'anglaise s'était elle retrouvée emberlificotée dans l'opposition filles/garçons initiée par leur directrice, pour décider de la composition du numéro de groupe. Warren et Larry représentaient bien entendu le côté testostérone de la force mais pour ces dames, il avait fallu trouver deux représentantes. Les voies du Seigneur comme celles de Cassandra Hamilton sont impénétrables et un duo improbable, mais pour le moins représentatif des Second Chances 2.0, s'était formé. Lexie défendait donc l'honneur féminin d'une chorale composée à 90% de filles, dont plus d'une était bien plus talentueuse qu'elle. Mais sa compagne d'infortune était fort heureusement de celles là et puis, la chanson qu'elles avaient choisie allait comme un gant à la pimpante rousse. Elle avait donc accepté avec une certaine joie la mission que les Toutes Puissantes lui avaient confiée, même si elle devait bien admettre qu'elle était un peu nerveuse.

Ce n'était pourtant pas le style de Ginger Spice que de s'inquiéter quand il s'agissait de se donner en spectacle. Elle avait la théâtralité dans le sang et possédait un don certain pour se trouver sur une scène ou derrière un micro à la moindre occasion. D'aucun pourrait crier à la attention whore, mais il se trouvait que le drama et l'exubérance se présentaient à elle plus qu'elle ne les cherchait. Comme ce cher Harry Potter avec les ennuis, c'étaient les paillettes qui la trouvaient et non l'inverse. Toutefois, il y avait là un enjeu et elle ressentait la même nervosité que quand elle se retrouvait à une position stratégique de la pyramide des pompom-girls ou devait accomplir une tâche spécifique durant un enchaînement. Si elle se trompait ou échouait, ça n'impliquait pas qu'elle. Et si la rouquine n'était pas tellement mauvaise perdante, elle avait le goût du travail bien fait et un esprit d'équipe affirmé. Qu'il s'agisse de garces en minijupe ou de bigotes coincées, Lexie Antonia Jane Preston se donnerait à 100%, ferait tout ce qui était en son pouvoir pour faire triompher son équipe et ne pas les laisser tomber. Alors la jeune femme noua sa queue de cheval de combattante - et de Cheerio - pour se donner du courage, prit son grand sac de sport et s'apprêta à quitter la galerie pour répéter. JJ insista pour la déposer, puis la récupérer ensuite, ayant perdu une nette dose de confiance en elle depuis la panne qu'elle avait eu avec Charlie, blâmant apparemment la conduite de son amie pour les défauts de son véhicule. La rousse ne s'en formalisait pas trop et lui piquait les clés en cas de besoin, mais il arrivait à son colocataire d'être particulièrement alerte. Mais bon, s'il voulait s'infliger des allers-retours inutiles par fierté et maniaquerie, c'était son problème. Elle lui déposa donc une bise sur la joue et lui servit un sourire insolent quand il la laissa devant les locaux de la LPA, nouveau quartier général des Second Chances. Et ce n'était pas pour déplaire à Lexie, qui se voyait mal subir les regards courroucés de Grace au temple de la Foi. Mais heureusement, ce soir, point de blonde possédée. Ce n'était pas un jour de répétition collective, mais Caitlin et elle s'étaient donné rendez-vous pour mettre au point leur numéro.

Une fois n'est pas coutume, la rouquine était en avance, mais elle ne s'attarda pas pour autant en discussion avec les quelques bénévoles présents. Elle se dirigea droit vers la salle de répétition, concentrée et gagnée par sa légère nervosité. Evidemment, perdre n'était pas dramatique. Au contraire, cela obligerait le shérif et l'écrivain à chanter le jour de la compétition et la galeriste ne doutait pas qu'ils feraient un show tout à fait digne de ce nom. Et elle et le reste des filles s'éviteraient une pression supplémentaire. Mais le self-sabotage n'était pas dans l'esprit de Baby Preston, qui ne donnait jamais rien de moins que le meilleur d'elle-même. Cependant Caitlin était extrêmement douée et elles allaient devoir faire de sacrés efforts d'arrangement et de mise en scène pour camoufler l'écart de niveau considérable entre elles. Le ridicule n'effrayait pas la londonienne, qui devait être née sans sentiment de honte implanté dans son cerveau, mais elle ne voulait pas embarrasser sa camarade, ni se contenter de la médiocrité. Elle était contente d'être tombée sur la sympathique prof d'arts plutôt qu'une des plus conservatrices jeunes femmes de la chorale, d'autant plus qu'elles avaient déjà eu le loisir de discuter un peu et que miss Rosenberg semblait ouverte à l'idée de sympathiser avec elle et qu'elles avaient plus d'un sujet de conversation passionnant. Lexie se souvenait vaguement de la timide et cordiale CJ de l'escouade en pompons, mais ce passage express chez les Cheerios n'avait pas été propice à l'échange. C'était donc une véritable seconde chance en matière d'amitié manquée, pour le coup.

Lex avait troqué sa jupe et son chemisier de travail contre un legging noir et un large T-shirt à l'effigie de NYU et commençait à s'étirer un peu, dans une routine familière et directement empruntée aux entraînements de Sue Sylvester, quand elle entendit la porte s'ouvrir derrière elle. La rousse se retourna promptement et sourit de toutes ses dents à la jeune professeur, fondant sur elle comme un petit chiot enthousiaste. « Saluuuut Cait ! Tu vas bien? » Elle enlaça brièvement la brunette, dans un geste quelque peu incertain. Si Lexie était du genre à avoir le câlin facile et à les préférer aux bises claquer dans l'air plus que sur les joues, ce n'était pas forcément le cas de tout le monde. Elle ne laissa toutefois pas un silence gênant s'installer et empoigna son sac, qu'elle laissa tomber sur l'estrade au bord de laquelle elle s'assit ensuite, invitant Caitlin à prendre place à ses côtés. Elle fit alors glisser la fermeture éclair le long du tissu gris et se lança dans ses explications « Bon alors, je me suis peut-être un peu emballée mais comme on avait la chanson, j'ai commencé à réfléchir à des costumes et à de la mise en scène, parce que bon, soyons honnêtes, je suis beaucoup plus apte dans ce domaine que quand ça commence à parler technique de chant. » La britannique avait une jolie voix, capable de monter assez haut mais elle ne la maîtrisait que mal. Oh, elle chantait juste, avait un bon sens du rythme, mais c'était bien plus son énergie et les émotions qui faisaient le sel de ses prestations. Elle ne laissa pas le loisir à sa camarade de glisser une gentillesse quelconque, après tout, elle ne chassait pas le compliment mais avait une idée derrière la tête. Tout en parlant, elle dégaina des vêtements de son sac, pour les lâcher sur les genoux de Caitlin ou les siens. « Bon je me suis dit qu'on pouvait jouer le truc à fond, s'amuser quoi. J'ai regardé le clip pour voir si ça pouvait m'inspirer mais euh... » L'image des lunettes de ski et des pantalons en cuir des musiciens, le fond rouge ultra kitsch et la vague très 90s de la chose lui revint en mémoire et elle se contenta d'hocher la tête de droite à gauche et de reprendre avec une légère grimace « On va dire que ça me parlait pas tellement quoi. Donc j'ai préféré aller du côté un peu country de la chose et me baser sur les paroles. Du coup, pour moi j'ai prévu une chemise à carreaux que j'ai emprunté à Jamie, un petit short en jean et des boots. Parce que man shirts tu vois. Et pour les short skirts, je me suis dit que t'aurais pu mettre cette petite robe blanche, qui est pas si short d'ailleurs, avec les boots aussi. Ou alors avoir une tenue comme la mienne, mais bon je me suis dit que tu serais peut-être pas trop à l'aise avec ça. Et puis bon, là c'est représentatif de la chanson un peu. » Lexie s'était peut-être un peu emballée. Mais au moins, Caitlin pouvait constater qu'elle prenait la chose au sérieux et était prête à donner de sa personne et de sa garde-robe pour s'assurer de leur réussite. Ou pouvait la prendre pour une folle, mais c'était un risque que Lexie Preston courrait de toute manière chaque jour.

Joanna était sûrement derrière tout ça. Caitlin s’adossa au mur à côté de la porte d’entrée du quartier général des Second Chances, la respiration sifflante. Pour reprendre ses esprits, elle fléchit légèrement les genoux pour appuyer ses mains dessus et compta les battements de son cœur avec une précision hallucinante, l’index et le majeur collés tout contre son cou. Son enthousiasme lorsque son nom s’était démarqué de ceux du reste de la chorale fut enivrant au point qu’elle avait dû calmer ses tendances enfouies de control-freak. Ayant mis au point un planning des répétitions de suite après l’annonce, elle ne l’avait finalement pas envoyé à Lexie, son binôme savamment désigné, se disant qu’il n’était pas nécessaire de programmer à la seconde près ce qu’elles devaient pratiquer pour monter leur tableau. Mais depuis quelques jours, son fâcheux penchant à s’affoler avait repris le dessus et CJ songea brusquement aux raisons qui avaient poussé le hasard à l’élire meilleure candidate pour obtenir le droit de représenter ses consœurs lors des sectionals, alors qu’il y avait chez les SC de vraies stars, telles que Norah ou Cassandra elle-même. Caitlin ne croyait pas aux coïncidences. Il y avait forcément des raisons justifiées à ce revirement de situation. Douée, elle l’était sans doute, elle n’avait pas la prétention de s’autoproclamer talentueuse. Le problème était que mis à part son insignifiant parcours au sein de l’équipe de pompoms girls de son lycée dans un passé pas si lointain, Caitlin n’avait jamais été mise en avant de la sorte. Elle se contentait d’être prédisposée au chœur, remuant en rythme sans oser changer quoi que ce soit à la mise en scène imposée et jusqu’à présent, elle s’en était très bien sortie. À part évidemment quand Joanna décidait qu’elle n’avait pas donné assez de sa personne et qu’elle l’humiliait devant les autres, personne ne s’était jamais plaint des efforts condensés qu’elle réalisait en faisant partie des Second Chances. Cassandra ne s’étant pas opposée à ce qu’elle concoure lors de cette compétition interne et au plus elle y réfléchissait, au plus Caitlin se disait qu’il y avait quelque chose qui clochait. Car plus d’une des chanteuses officiant dans le glee club étaient plus aptes à fouler le devant de la scène qu’elle ne l’était, jamais elle n’en démordrait. Il y avait anguille sous roche ou elle ne s’y connaissait pas.

L’accueil qu’on lui avait réservé à l’époque de son arrivée dans la chorale avait été frileux. À l’image des élèves qui suivaient sa classe et qui réservaient souvent des farces puériles à leur nouveau camarade, Caitlin avait pensé qu’on la bizutait, ni plus ni moins. Simplement, ça faisait plus d’un an maintenant que ça durait, il était temps de passer à autre chose. Peut-être que ce miracle faisait partie du dernier round d’offenses qu’elle devait subir pour faire officiellement partie des Second Chances, elle ne savait pas tout à fait. Sauf qu’elle ne se sentait plus prête à vivre un nouvel affront, c’en était trop. Ce matin, elle s’était donc réveillée avec la ferme intention de se rebeller. Elle s’était préparée rapidement et avait pris son petit-déjeuner. Croquant dans ses toasts à la confiture d’abricot avec une hargne peu coutumière, elle avait ensuite noué ses longs cheveux en une queue de cheval bien serrée puis avait revêtu ses petites affaires pour affronter la fraîcheur printanière. L'adrénaline la menant à ne pas emprunter sa voiture pour rejoindre le lieu de rendez-vous qu’elles s’étaient fixées avec Lexie, Caitlin avait marché rapidement jusqu’à la LPA, le cœur tambourinant sa poitrine avec résolution. Lexie. Cette pauvre Lexie qui n’avait rien demandé. Elle aussi avait été désignée. Caitlin lui reconnaissait des qualités exceptionnelles – être la gérante de sa galerie d’art préférée lui assurait une place bien spécifique dans son petit cœur d’artiste torturée, sans parler du fait qu’elle était drôlement agréable avec elle, ça lui changeait – elle redoutait qu’elle aussi soit victime de l’humour particulier de l’assistante de Cassie. Elle devait la sauver et c’est d’ailleurs sur cette dernière pensée qu’elle s’engouffra dans l’établissement pour la rejoindre.

Il était maintenant temps d’affronter son destin. Caitlin déglutit difficilement et sans prendre la peine de resserrer sa queue de cheval redescendue légèrement au milieu de son crâne, elle poussa la porte de la salle de répétition en immobilisant la hanse de son sac à main sur son épaule chaudement couverte. Les petits cheveux virevoltant devant son visage à cause du coup de vent qu’elle créa avec le battant de la porte la gênèrent et elle les chassa distraitement avec sa main, s’avançant vers le centre de la pièce. Aussi vite, toute la bonne volonté qu’elle avait emmagasinée pour mettre un terme à tout ceci disparue. Elle se dégonfla comme un ballon de baudruche au moment où Lexie la prit dans ses bras pour la saluer. Toujours enthousiaste, la galeriste avait le don de la faire fondre comme un marshmallow dans un feu de camp, elle était si mignonne à pépier tout le temps ! 
Ce fut avec crispation que la professeure lui indiqua qu’elle allait bien. Lui tapotant le dos avec bienveillance et la gratifiant d’un sourire tendu, elle la suivit pour aller s’asseoir sur l’estrade. La tâche s'annonçait rude, car Lexie semblait aussi déterminée à faire de leur prestation un spectacle dont tout le monde se souviendrait qu’elle l’avait alors été pour s’affranchir de l’autorité implicite de Joanna. Caitlin ne pouvait ruiner cet élan artistique qui prenait la rousse – quelle infamie serait-ce – et se débarrassant de son sac à main qu’elle posa à ses pieds, elle déplia les vêtements que la jeune femme lui déposait sur les genoux. Le concept lui plaisait beaucoup en réalité et le fait de porter des habits différents de son style habituel l’électrisait, même si un petit pincement de trac lui chatouilla l’estomac quand elle déplia la robe blanche qui lui était destinée. Cependant elle se demanda si Joanna ne cherchait pas ce qui était en train de se passer. Sortir des sentiers battus et faire porter à CJ des tenues dans lesquelles elle se sentirait fatalement mal à l’aise, même si elles lui plaisaient beaucoup, la ferait sans doute jubiler et les lèvres de la brunette se pincèrent d’inquiétude tandis qu’elle lançait un regard en biais à Lexie.

Un silence tomba suite à la dernière phrase de cette dernière. Caitlin le fit s’étirer dans le temps et baissant la tête de plus en plus, elle finit par lui avouer timidement « Je ne peux pas faire ça. » Elle soupira doucement, transférant avec désappointement les vêtements posés sur ses genoux sur ceux de Lexie « J’ai une mauvaise, très mauvaise intuition. » Osant à peine affronter le regard de la jolie rousse, CJ plaça ses deux mains à plat sur ses propres cuisses et marqua une pause. Avant de braver sa honte de faire faux bond à quelqu’un qu’elle appréciait assurément, Caitlin tritura ses ongles peints en prune puis enfin, elle leva graduellement le menton pour regarder Lexie qu’elle tenta de rassurer avec douceur « J’aime beaucoup ce que tu as prévu et j’apprécie toujours autant ton engouement quand il s’agit de nous donner en spectacle... le problème n'est pas là. » Elle inspira pour se donner le courage de poursuivre « Je crois que nous ne sommes pas assez qualifiées. Ça sent le piège, cette histoire. Je ne supporterai pas d’être le dindon de la farce une nouvelle fois, ça m’esquinte. » Elle lui offrit un petit sourire triste et les lèvres pressées l’une contre l’autre, elle ajouta tout bas, pétrifiée par sa propre lâcheté « Je suis sincèrement désolée, Lexie. »

La tête légèrement penchée sur le côté, sourcils froncés et bouche entre-ouverte, Lexie offrait sa plus belle imitation du poisson hors de l'eau. Malheureusement, ce n'était pas pour gagner une partie de mimes échauffée, mais bien le pur fruit de l'incompréhension. Elle fixait une Caitlin visiblement tourmentée sans produire un son, ce qui était le signe évident que quelque chose clochait pour qui la connaissait depuis plus d'une heure. Mauvais pressentiment, piège, dindon de la farce. Qu'est-ce que la jolie brune avait été cherché? Pendant un bref instant, la galeriste s'inquiéta de la santé mentale de sa camarade, qui devait souffrir de paranoïa extrême, c'était la seule explication. L'esprit tortueux de Grace Hamilton avait eu une mauvaise influence sur la douce CJ, elle avait insufflé en elle le doute et la folie. C'était évident. Mais contrairement à l'ange blond terrible, miss Rosenberg avait encore une lueur d'espoir et de raison. Toutefois, par un miracle quelconque, l'esprit imaginatif de la rousse interrompit sa course folle suffisamment longtemps pour qu'elle se rende compte de l'absurdité de sa réflexion. Peut-être avait-elle appris à ne pas se fier à ses instincts premiers et à son imagination fertile et trompeuse depuis le désastreux non-mariage de sa soeur... Toujours est-il qu'elle parvint à remettre ses idées en place et secoua lentement la tête, pour chasser la surprise et son flot de pensées saugrenues. Il fallait envisager le problème sous un angle différent et beaucoup plus simple, qui pouvait se résumer à une question : pourquoi? Pourquoi Caitlin s'imaginait-elle qu'on lui tendait un piège? Qu'entendait-elle par "une nouvelle fois"? La nouvelle venue chez les Second Chances avait bien remarqué que l'aimable enseignante faisait office de mouton noir dans cette bergerie de pureté, mais elle s'était toujours imaginé que c'était parce qu'elle ne partageait pas la ferveur fanatique des autres filles. Qu'elle était la rebelle du lot en somme et c'était une des raisons qui avaient poussé la britannique à aller vers elle. Car qui est mal vu d'une grenouille de bénitier ne peut que trouver grâce dans le coeur de Lexie Preston. Mais cette vague tension dans l'air et l'antipathie évidente que Joanna éprouvait pour CJ avaient semblé relativement bon enfant à l'ancienne Cheerio. Peut-être que ces deux années formatrices au sein de l'escouade en pompons l'avaient endurcie et qu'elle ne savait plus reconnaître le harcèlement moral des encouragements un peu rudes. Après tout, entre le cynisme familial qui était un mode de communication par défaut et les horreurs que pouvaient débiter Sue Sylvester, la rouquine avait développé une indifférence totale à la moquerie. Et elle ne se laissait de toute manière pas facilement atteindre par le jugement d'autrui. Sa carapace de bonne humeur ne s'esquintait pas si facilement et c'étant tant mieux. Pour assumer sans honte et mener la vie rocambolesque qui était la sienne, mieux valait ne pas s'attarder trop longtemps sur le regard des autres. Mais tous n'étaient pas comme elle et la douce Caitlin avait une sensibilité indéniable, qui n'était sans doute pas qu'artistique. Quelque chose la retenait, quelque chose que ces horribles mégères lui avaient infligée. Mais Lexie ne la laissera pas baisser les bras. Non, elle l'aiderait à leur montrer de quel bois elle se chauffait et ferait avec elle une impression que ces bigotes n'étaient pas prêtes d'oublier.

Un air déterminé sur le visage, Lexie J se redressa et vint se poster devant sa camarade Second Chance. Elle lui lança un regard plein d'assurance et lui fit un sourire radieux, dans l'intention de dégager une aura de confiance et de bonté. Peut-être avait-elle juste l'air un rien psychotique, mais ce n'était pas comme si les membres de cette chorale n'en avait pas l'habitude. Elle s'agenouilla ensuite face à Caitlin et prit ses mains dans les siennes, plantant ses prunelles marron dans celles de la jeune femme. « Je ne sais pas ce qu'elles t'ont fait Caitlin, mais je devine que tu en as encore des séquelles. Je ne t'oblige pas à me raconter hein ! » Même si c'était tout à fait son genre, la londonienne n'était pas là pour soutirer des confidences à la jeune prof. Cela viendrait en temps et en heure, si ça devait venir. Non, ceci était une pep-talk digne d'une préparation aux JO et la pimpante Preston se devait de donner le meilleur pour remettre du beaume au coeur meurtri de sa partenaire de duo. « Mais ce serait dommage que ça t'empêche de faire ça avec moi. Peut-être que tu as raison, peut-être que c'est une vaste mascarade et que tout est joué d'avance. Mais bon, c'est le cas de toute façon non? Dieu, le destin, tout ça. Alors on va remplir la mission qu'on nous a donné. Et on va la remplir à la perfection. Toi et moi, c'est une alliance incongrue mais ça peut donner quelque chose de génial, j'en suis persuadée. » Avec un nouveau sourire, elle serra un peu plus la main droite de la brunette, essayant de transmettre son énergie et son infaillible optimisme. « Et si tu veux tout savoir, ces filles n'ont pas intérêt à essayer de m'humilier. Surtout pas Joanna, après tout elle a bossé pour moi, je peux envoyer une lettre bien sentie à son futur employeur si elle nous cherche des noises. Et puis, je n'ai honte de rien de toute façon. Tu devrais essayer, ça détend. » Elle fit un clin d'oeil taquin à son interlocutrice, sans interrompre son élan passionné. « Et notre numéro sera tellement époustouflant que personne n'aura rien à redire, tu verras ! Après, si tu es mal à l'aise avec mes idées de costumes ou quoi, on peut tout à fait partir sur autre chose hein. Il suffit de me le dire, je ne me vexerai pas tu sais. » Dépliant ses grandes jambes, non sans un craquement inquiétant de ses genoux, dont elle ne se formalisa pas, Lex se redressa avec un sourire étincelant. Ginger Spice était dans la place et rien ne pouvait l'arrêter. « Je sens bien que tu es nerveuse mais, si on se dit les choses honnêtement et qu'on ne se laisse pas influencer par toutes ces godiches bien pensantes, on peut faire une équipe de choc ! » Ayant épuisé à peu près toutes ses cartouches pour convaincre Caitlin de former avec elle une alliance pailletée pour faire un pied de nez à leurs dirigeantes, la rouquine tendit une main sûre à sa camarade et demanda. « Partante? » Instant de vérité s'il y en avait jamais eu.

Il fallait creuser pour comprendre l’énigme Caitlin Joy Rosenberg, car sous ses traits doux et sa réelle bonté d’âme, il se trouvait qu’elle dissimulait des trésors de complexités qu’elle-même semblait ne pas soupçonner. Toujours aussi honteuse de nuire à l’enthousiasme de Lexie, elle prit un temps pour reposer son esprit et ses grands yeux vadrouillèrent dans l’annexe, s’arrêtant sur les rainures du parquet en bois patiné. Alors, peut-être que le problème de Caitlin était qu’elle ne se lâchait pas suffisamment, c’était d’ailleurs ce que Joanna lui reprochait la plupart du temps. Elle était prévisible, retranchée dans un monde fait de peinture et de sculpture, son apparence physique reflétait sans surprises qui elle était. Elle prenait souvent le parti d’opter pour la raison, l’impulsivité n’étant pas l’un de ses traits de caractère les plus marqués – l’un de ses traits de caractère tout court. Il n’y avait que quand elle dessinait qu’elle trouvait la force de braver tout entendement, faisant toute confiance à son instinct artistique qui ne l’avait jamais déçu. Comme un alter ego invisible, il évoluait indépendamment de Caitlin. Réussir à transposer ces impulsions dans la vie réelle, cette toile mouvante en perpétuel changement, n’était pas chose aisée. Depuis qu’elle enseignait, elle y travaillait dur cependant, poussée par son envie réelle de marquer ses élèves, mais pas seulement à cause de ses conseils chargés en optimisme. S'en remettant au silence, elle préféra baisser la tête quand sa locutrice s’installa en face d’elle, donnant l’impression d’être une enfant prise la main dans le pot de confiture et naturellement, ses longs doigts se crispèrent pour mieux se triturer l’un et l’autre pendant qu’elle écoutait l’avis qu’on lui donnait. Brusquement, CJ se retrouva mortifiée, sa bouche et ses yeux s’arrondirent sous le coup de l’évidence. Mettant enfin le doigt sur le problème qu’elle avait véritablement, elle chassa l’incrédulité de son visage pour froncer les sourcils, la vérité toute crue la heurtant brutalement. Inconsciemment ou non, Caitlin était terrifiée par l’image qu’elle renvoyait et des souvenirs très peu agréables remontèrent à la surface sans crier gare, lui rappelant à quel point cette crainte profonde l’avait détruite à un moment donné.

Lexie lui conseilla implicitement de suivre son exemple : n’avoir honte de rien. Caitlin releva la tête, les lèvres pincées. On ne l’avait pas élevée de cette manière. Très tôt, on lui avait mis des barrières qu’elle n’avait dépassées qu’une seule fois et elle en avait payé le prix fort, de quoi la rebuter pour une vie entière. S’efforçant malgré des convictions qui avaient changé de faire honneur au temps et à l’énergie qu’on lui avait accordés durant son enfance et une partie de son adolescence, elle s'apercevait qu’elle n’était qu’un vaste cliché. Il n’y avait qu’à voir l’environnement dans lequel elle avait évolué ; sa famille, son amitié avec Cassie et même le métier qu’elle exerçait, tout était stéréotypé. La fille de bonne famille qui veut transmettre son savoir pour rendre le monde meilleur, c’était comme si Miss America avait écrit le scénario de son existence et un sourire étonnement amer fendit son visage qu’elle releva pour regarder Lexie, qui comme Norah plusieurs semaines plus tôt, lui faisait subtilement comprendre que le malaise qu’elle ressentait à l’idée de sortir de sa zone de confort ne la tuerait pas. Pas plus que les piques incessantes d’une ancienne gloire déchue qui éprouvait du plaisir à l’idée de régenter à la baguette un monde qui ne lui appartenait pas vraiment. Lexie avait raison. Il était temps de succomber à l’imprévisibilité et sans s’attarder davantage sur les risques qu’elle encourait, Caitlin saisit la main de Lexie pour se lever.

« La robe est sublime, mais j’aime aussi ta tenue. J’hésite. » embraya-t-elle d’une toute petite voix. Gardant la main de Lexie dans la sienne, Caitlin se tourna de trois quarts pour observer le tas de vêtements qu’elle avait posé sur le banc et doucement, elle plissa les paupières, cherchant à visualiser le tableau. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais c’était plus agréable que lorsqu’elle avait cru mourir sur place après sa marche rapide. Caitlin avait la sensation cette fois que quelque chose était en train de changer, qu’en faisant confiance à Lexie, on lui donnerait un crédit qu’elle n’avait jamais eu l’honneur de recevoir. Après ça, elle pourrait faire ce qu’elle voudrait, on ne la prendrait plus de haut. C’était ça, faire des efforts et la gentillesse de sa partenaire de choc la forçait à considérer les options qu’elle lui présentait. En l’occurrence, ne pas se laisser influencer par ces godiches bien pensantes, c’était un nouveau motto qu’elle suivrait avec plaisir. Même s’il y avait beaucoup de travail à accomplir, l’alliance Lexilin avait de l’avenir et un grand sourire sincère vint enfin éclairer son visage et fit pétiller ses iris.
Elle n’était pas à l’aise avec l’idée d’entrer en compétition avec des individus faisant partie de la même chorale qu’elle, mais Joanna ne pourrait lui reprocher d’avoir baissé les bras, et cette pensée la requinqua encore un peu. Lâchant soudain la main de Lexie, Caitlin se pencha pour attraper la chemise et le short en jeans réservés à la rousse – elle laissa la robe blanche de côté « Le blanc, c’est trop virginal. Je crois que tu veux éviter de tomber dans les lieux communs, et face à Warren et Larry, on devrait mettre en avant les atouts que toi et moi avons en notre possession. » Du regard, elle toisa morceau par morceau la silhouette de sa comparse et après cet examen bon enfant, elle ajouta en haussant innocemment une épaule « Et j’aime bien les chemises à carreaux. » Elle déplia ladite chemise devant elle pour observer la coupe masculine, jaugea la taille et la carrure. Elle était grande, mais elle lui irait avec quelques ajustements. Caitlin retira son manteau qu’elle déposa sur son sac à main pour enfiler la chemise par-dessus de sa robe fleurie. Elle en noua le bas trop large un peu en dessous de sa poitrine qui se retrouva compressée sous l’amas de vêtements qu’elle portait et ainsi, elle put se représenter l’allure qu’elle aurait. Pivotant timidement sur ses hanches, elle marqua un temps pour laisser la magie opérer. Charmée par ce que son imagination lui présentait, elle retira rapidement le vêtement qu’elle tendit à Lexie « Tu en aurais une autre dans le même genre ? Parce que moi, je vote pour le total look Jessica Simpson ! » Dieu savait qu’elle était loin d’en être sûre pourtant, mais elle ne devait pas trop réfléchir, c’était son plus gros défaut. Elle le regretterait sans doute une fois sa robe retirée et son nombril mis à l’air, et les toasts à la confiture qu’elle avait pris au petit-déjeuner dansèrent trop vite dans son estomac, mais bien déterminée, Caitlin garda la face.

L'espace d'un instant, Caitlin resta silencieuse et la grande rousse retint son souffle, incapable de déterminer si son speech avait été efficace ou non. Elle avait bon espoir, après tout, cela faisait des années que la londonienne disait qu'elle était prête à se reconvertir dans le life coaching si son business devait courir à sa perte. C'était peut-être un rien arrogant de sa part, mais Baby Preston se savait douée pour parler aux autres, leur donner des conseils qu'elle n'appliquait pas forcément elle-même et les aider à sortir de leur coquille. Bonne oreille, ouverte d'esprit et n'éprouvant aucune gêne à fourrer son nez partout, elle avait le profil idéal pour remplir ce rôle de marraine bonne fée des temps modernes. Ou être celle qui assénait les douloureuses vérités et remettait les pendules à l'heure, suivant les cas. Toutefois, pour ce qui était de sa camarade Second Chance, la galeriste voulait sincèrement l'aider à confronter ses démons et à montrer à toutes ces bigotes qu'elle valait bien plus qu'elles étaient enclines à l'admettre. Elle croyait dur comme fer que CJ avait une voix extraordinaire et qu'avec un peu de coaching made in Lexie Preston, elle avait tout ce qu'il fallait pour faire une performance époustouflante. Entre son talent brut et le génie - tout relatif - de la mise en scène dont était dotée la rouquine, ça ne pouvait que détonner. Et, fort heureusement, la jeune professeur semblait d'humeur à se lancer dans l'aventure, puisqu'elle fit part de ses hésitations quant à sa tenue, non pas pour dire qu'elle la trouvait trop osée, mais plutôt pas assez culottée. Lex haussa un sourcil, étonnée du revirement brutal opéré par sa partenaire. Elle devait être vraiment douée en pep talk. Ou alors, elle avait simplement su viser juste et insuffler un peu de courage à Caitlin. Car il lui semblait qu'elle était déterminée à faire ses preuves, à clouer le bec de ses détractrices et, donc, de Joanna. Elle avait juste besoin d'un petit coup de main, de quelqu'un pour lui essuyer le front et la renvoyer dans le ring quand elle ne se sentait pas assez forte pour renvoyer un bon crochet du droit. Autant dire que cette alliance inattendue était parfaite pour mener à bien la tâche.

Lexie opina joyeusement du chef quand sa camarade suggéra de mettre leurs atouts en valeur, surprise mais ravie d'entendre ce genre de propos dans sa bouche. Après tout, cette chanson célébrait la femme, libre, indépendante et fière. Clairement, Cait et elle étaient sur la même longueur d'ondes et cela faisait plaisir à voir. Avec ravissement, la rouquine battit des mains en voyant la jeune femme essayer la chemise, qui lui irait sans doute à merveille sans l'épaisseur de sa robe en dessous. Mue par son éternel optimisme, la britannique était venue équipée et elle anticipa la question de la brune en fouillant dans son sac. Elle eut un rire à la mention de Jessica Simpson, se demandant si les élèves de mademoiselle Rosenberg auraient été en mesure de saisir cette référence qui commençait à dater. Néanmoins, elle avait une claire image en tête et elle n'était pas déplaisante. Elle tendit short et chemise à Caitlin, un petit sourire aux lèvres. « J'avais prévu un double de ma tenue, pour voir ce que ça pouvait donner. Par contre je vais prendre la bleue, c'est celle de mon meilleur ami et il fait à peu près ma taille. » Ce qui laissait la pimpante prof avec la chemise de bûcheron canadien qu'elle avait dégoté dans l'armoire de Jamie. Bien sûr, les deux vêtements étaient passés à la machine, histoire d'éliminer toute odeur de cigarette et tâches indéterminées et elle tairait soigneusement ces détails sordides à la proprette Rosenberg. Avec un petit saut de cabri, témoignant de son impatience et de son enthousiasme, Lexie se dirigea vers la porte des toilettes et fit signe à sa partenaire de la suivre. « Allez, on va se changer, il faut que je visualise le truc et qu'on répète en costumes. » Car malgré la bonne volonté dont elle faisait indubitablement preuve, la brunette allait sans doute devoir apprendre à bouger de manière plus détendue. Le tout en exhibant plus de chair qu'elle ne l'avait jamais fait. Car si la jupe des Cheerios était fort courte, le haut ne dévoilait pas un centimètre carré de peau. et ce nouvel uniforme permettait certes de ne pas montrer sa culotte à la moindre pirouette, mais demandait une certaine confiance en soi et en son corps.

La rouquine émergea de la cabine avec un large sourire et ébouriffa sa tignasse devant le miroir. La lumière du néon n'était guère flatteuse, mais permettait tout de même d'avoir une idée du rendu de cette tenue. La plastique élancée de la londonienne se prêtait à cette tenue, même si son absence de formes était également mis en évidence. Elle fronça les sourcils et pencha la tête vers sa poitrine si peu généreuse et haussa finalement les épaules. Qu'importe, ses kilomètres de jambes détournaient facilement l'attention après tout. Elle s'adossa contre les lavabos et haussa la voix pour s'informer de l'avancée de Caitlin. « Alors, ça donne quoi? Montre ! » La galeriste sourit de toutes ses dents en voyant sa partenaire apparaître dans l'encadrement de la porte et s'écria. « Tu es magnifique ! Ca met bien en valeur ta silhouette je trouve. » Leurs looks se complétaient bien, à la fois en harmonie et suffisamment individualisés pour ne pas sembler trop lisse. Tournée vers le miroir, elle tritura ses mèches rousses d'un air perplexe. « Une idée coiffure? Pour le maquillage, je suggère rouge sur les lèvres et trait d'eye-liner, simple, efficace. Et ça va bien avec notre teint. » Elle adressa un sourire blancheur à son reflet et se tourna vers Caitlin, radieuse. « J'ai vraiment un bon feeling CJ. On va gérer. »

Parée à montrer de quel bois elle se chauffait, Caitlin obéit docilement à Lexie lorsqu’elle lui indiqua la porte des toilettes pour qu’elle aille enfiler la tenue qu’elle venait de choisir. Un petit pincement d’excitation fit tressauter son cœur dans sa poitrine, et prenant place dans le second cabinet, elle retint un rire en pouffant dans la paume de sa main, la porte se claquant derrière elle dans un bruit aussi mat que l’éclat qu’elle réprimait puérilement. Sa joie fut de courte durée toutefois, car ses doutes se rappelèrent à elle avec une véhémence telle qu’elle dut s’asseoir sur la cuvette des toilettes pour se déchausser et reprendre son souffle qui lui manquait. Elle n’avait pas été confrontée à de telles bouffées d’adrénaline depuis bien longtemps, et la tête lui tourna pendant un court instant avant qu’elle ne se stabilise peu à peu. Elle aurait besoin de tout son équilibre pour danser, elle devait reprendre ses esprits et le plus vite serait le mieux. Rengorgeant ses poumons d’un peu d’air, la brune se mordit les lèvres, ne pouvant s’empêcher de sourire face à l’éventualité que l’exploit qu’elle était en train de réaliser fasse jaser du côté de ses consœurs les plus farouches. En espérant que Cassie elle-même n’en soit offensée, car elle se souvint que la dernière fois qu’elle avait voulu s’émanciper d’une façon similaire, l’aînée du pasteur l’avait plus ou moins reniée. Leurs rapports s’étant apaisés, elle ne tenait pas à rentrer dans une nouvelle guerre froide avec la directrice des Second Chances.
Elle n’était pas la plus à l’aise avec son corps, il n’y avait qu’à voir la longueur de l’ourlet de ses robes qui ne dépassait jamais la limite de ses genoux. Immédiatement, ses vieux démons lui soufflèrent de ne pas trop se faire confiance, car à côté de Lexie Preston, elle risquerait de se rendre parfaitement ridicule. Lui listant tout bas les nombreuses qualités physiques que Lexie avait en sa possession, mais dont elle-même manquait cruellement malgré ce qu’elle avait prétendu quelques minutes plus tôt, elle eut un doute compréhensible en se déshabillant lentement. Elle jouait probablement avec le feu, mais elle ne risquait plus grand-chose en définitive. Après l’épisode du spot promotionnel et les tenues qu’elles avaient été obligées de revêtir, ces apparats de cowgirls n’étaient rien d’autre qu’un déguisement gentillet. Le tableau qu’elles présenteraient s’inscrirait dans une autre légende, elles n’avaient pas besoin de faire de scandale pour qu’on leur accorde un crédit qu’elles, Lexie n’avait pas tort là-dessus, méritaient autant que les autres. Elle mit un peu de temps cependant avant d’enfiler la chemise masculine prêtée par son binôme. Elle frictionnait des pans de tissus l’un contre l’autre quand la voix de Lexie résonna dans l’écho amplifié des commodités, l’obligeant à se hâter de la boutonner et de la nouer un peu plus bas que prévu.

Caitlin sortit des toilettes pieds nus. L’éclat des cheveux de Lexie sous les néons criards lui fit plisser les paupières, se ré-acclimatant doucement à sa rousseur singulière.Toujours est-il qu’elle était sublime, la rouquine. Ses jambes paraissaient encore plus grandes, d’une ampleur presque irréelle et plaquant ses mains sur son ventre noué, Caitlin jaugea l’élancement des siennes. Elle pourrait toujours se trouver des boots avec un talon pour compenser le mince écart entre elles. CJ n’était pas petite, elle avait juste les cuisses saucissonnées par la démarcation du short sur sa peau uniformément halée, un peu de hauteur donnerait tout juste l’impression qu’elle portait un ou deux kilos en moins. Minée, mais déterminée à rentrer dans le vif du sujet, Caitlin s’avança vers le miroir et défit sa queue de cheval pour triturer ses longues mèches brunes. Il ne fallait pas faire dans la sophistication, elle était d’accord avec Lexie et tout en se tournant vers elle, elle lui dit :

« Une tresse relâchée pourrait faire l’affaire. Ça rentre dans le thème, et ce sera rapide. Je peux ? » Elle se mit derrière Lexie pour commencer à rassembler ses cheveux roux qu’elle traita avec beaucoup de soin et de douceur. Séparant les mèches en trois couettes égales, elle en peigna le bout avec ses doigts et reprit sur le ton de la conversation « Norah m’a appris quelques mouvements. Je ne sais pas si ça sera approprié à la musique, mais si ça peut parfaire notre chorégraphie, je te montrerais avant de commencer. Même si je doute que tu aies vraiment besoin de cours de la part de quelqu’un comme moi. » Elle lui sourit timidement en cherchant son regard dans le miroir, continuant à tresser sans se soucier du mouvement rapide de ses doigts. Soudain, son visage se teinta d’un peu de curiosité, et elle détourna le regard pour s’intéresser à ce qu’elle était en train de faire cette fois, lorsque sa voix se fit entendre de nouveau « Je trouve ça curieux que tu aies choisi de rejoindre les Second Chances. Une partie des anciennes Cheerios ont préféré suivre Quinn Fabray chez les Urban Hymns. » Tout comme les anciens Titans, l’un d’entre eux était d’ailleurs à la tête de ce glee club. C’était comme si, après le lycée, les populaires avaient de nouveau crée leur groupe pour se retrouver rien qu’entre eux. C’était le genre de personne à vivre toute leur vie dans la nostalgie, à revivre leurs années de gloire qui n’avaient été qu’éphémères... C’était triste et sournoisement, cette constatation fit se sentir mieux Caitlin qui avait beaucoup souffert du traitement des populaires entre eux. Un petit goût amer se déposa sur sa langue et son sourire devint un peu plus sardonique tandis qu’elle continuait « Je suis contente que tu sois dans cette chorale plutôt que dans une autre. J’ai l’impression d’être plus à ma place, je me sens un peu moins seule et c’est réconfortant. » lui confia-t-elle, et elle serra les lèvres en nouant le bout de la tresse qu’elle venait de lui faire de façon à ne pas avoir besoin d’élastique. La faisant virevolter pour qu’elle lui retombe sur l’épaule, elle passa une main dans ses propres cheveux pour les démêler, puis elle lança en se grandissant du bout de ses orteils nus « A mon tour ! »

Caitlin, visiblement requinquée et prête à suivre sa partenaire de duo dans ses lubies country, proposa de nouer ses cheveux en une natte. Lexie opina vigoureusement du chef et se tourna, laissant la jeune professeur se débattre avec sa tignasse. Pas du genre douillette, elle s'attendait néanmoins à ce que la brunette soit obligée de tirailler un peu brutalement sur sa masse de mèches rousses pour en tirer quelque chose de décent. Mais miss Rosenberg n'était que douceur et dextérité et Baby Preston ne sentit même pas le mouvement de ses doigts fins dans ses cheveux. Elle se laissa faire docilement, observant leur reflet dans le large miroir, ne pouvant s'empêcher de penser qu'elles avaient une certaine classe. Caitlin était vraiment très jolie et sa grâce timide lui donnait un air de princesse égarée dans le monde moderne. Oui, elle était comme Giselle, parcourant les rue de New-York en chantant et fabriquant des robes avec des rideaux. La britannique n'aurait pas été étonnée qu'une flopée de petits oiseaux aident la jeune femme à faire son lit tous les matins. Son maniement si facile de sa longue chevelure appuyait d'ailleurs sa petite fantaisie. Oui, elle formait un bon duo, l'aura de confiance et l'attitude décomplexée de Ginger Spince se mariant à merveille avec la retenue et l'élégance de sa comparse. La trame narrative de leur numéro s'écrivait d'elle-même et n'était pas si éloignée de la réalité. Le thème de la chanson et la chorégraphie enjouée que Lex imaginait déjà donnait un ensemble qui se devait d'être gagnant. Et la jolie Cait avait elle aussi plus d'un tour dans son sac. « Ne dis pas de bêtises, tu as plein de choses à m'apporter. Je ne sais techniquement pas danser, je veux dire, je n'ai jamais rien appris de façon formelle quoi. Et puis, Norah est très douée alors si elle t'as appris quelques trucs, je veux en être aussi ! Tu me montrera ça, je suis sûre que ça nous sera utile d'une façon ou d'une autre. » Et cela la confortait dans l'idée qu'elle devait décidément faire la connaissance de la voluptueuse miss Mann.

Elle esquissa un sourire à sa camarade, par l'intermédiaire de son reflet et ne put s'empêcher de s'interroger sur ce qui rendait Caitlin Rosenberg si peu sûre d'elle. Elle avait entendu des rumeurs bien sûr, quand l'ancienne Cheerio avait quitté le lycée, toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Certains disaient qu'elle avait fait son coming-out et que ses parents ultra conservateurs l'avaient envoyée dans un camp pour la "soigner." D'autres pensaient qu'elle souffrait de dépression, de boulimie, d'anorexie, qu'elle avait fait une tentative de suicide. Et les plus imaginatifs - ou naïfs - croyaient qu'elle était une riche européenne en exil ou un membre de la CIA sous couverture. Lex n'avait jamais vraiment cherché à démêler le vrai du faux mais, du peu qu'elle l'avait connue et au vu de l'environnement dans lequel elle évoluait, elle était plus encline à croire les théories autour d'un quelconque trouble psychologique. Toutefois, elle n'avait nullement l'intention de fourrer son nez dans le passé de la jeune femme ou de s'enquérir de ce qui la rendait si... incertaine. Pour une fois dans sa vie, Lexie avait su quand faire preuve de tact. Mais elle avait néanmoins la ferme intention de booster l'ego malmené de sa nouvelle amie et de l'aider à impressionner ces mégères en culotte de plus en plus courte, qui visiblement alimentaient ses tourments. Toute à ses pensées, la rouquine cligna stupidement des yeux quand la voix douce de CJ résonna à nouveau contre les murs froids des toilettes. Elle parvint à se concentrer sur ce qu'elle disait à temps pour saisir l'essentiel du propos. Pourquoi avait-elle rejoint les Second Chances? C'était une excellente question, que ses colocataires lui avaient posé de dizaines de façon différente. Et jamais avec la délicatesse de la prof d'arts plastiques.

Après s'être autorisée un temps de réflexion, la londonienne esquissa un léger sourire. « Pour être honnête, je ne sais toujours pas vraiment pourquoi j'ai auditionné pour les SC. Enfin, si, parce que Charlie m'a fait une vie pour que je la rejoigne et que comme elle vivait chez moi à l'époque, c'était difficile de lui échapper. » Elle s'esclaffa moins bruyamment qu'à son habitude, un rire plus franc étouffé par le souvenir de l'épave qu'était sa petite Gangsta durant cette période. La rouquine avait cédé, parce que les répétitions et la perspective de les partager avec elle étaient les seules choses qui semblaient rallumer l'étincelle dans les yeux de son amie. Mais elle ne pouvait pas vraiment confier quelque chose d'aussi personnel à Caitlin, même si elle l'appréciait de plus en plus à chaque minute. « Elle m'a eu à l'usure. Et puis je me suis dit que ça pourrait être amusant. Et franchement, j'aurais sûrement pu atterrir dans n'importe quelle chorale, c'est juste que Charlie m'a eu avant mes amis chez les AV ou les UH. » Elle sourit plus franchement et ajouta d'un ton chaleureux. « Et je suis contente d'être là au final, c'est une expérience pour le moins intéressante et j'ai rencontré des gens super chouette. » Lex glissa un clin d'oeil à la brune, qui faisait cascader sa chevelure, prête à se faire coiffer à son tour. La galeriste s'avança vers elle commença à séparer ses cheveux soyeux, non sans lui donner un avertissement. « Je te préviens hein, je suis moins douée que toi, mes tresses sont toujours un peu... sauvages. » Cela commençait plutôt bien néanmoins et, sa langue pointant entre ses dents de devant et les sourcils froncés, Baby Preston se concentrait ardemment sur sa tâche. Accaparée par sa mission et son soucis de bien faire, elle fut silencieuse un long moment. Elle dressa finalement la tête, pour regarder Cait dans le miroir et lui faire un sourire rayonnant, qui prouvait bien sûr qu'elle contrôlait la situation.

Elle voulut alors reprendre le fil de la discussion, mais la seule question qui lui vint à l'esprit était sans doute bien trop invasive. Et elle ne voulait pas brusquer sa camarade ou paraître sans gêne. Ce qu'elle était certes, mais même Lexie Antonia Jane Preston était capable d'enfouir sa nature de sale gosse trop curieuse quand il le fallait. Enfin, de temps en temps. Elle tut donc ses questions quant à ce qui liait CJ à la chorale. Clairement, elle avait été malmenée ici et elle avouait elle-même qu'elle s'était sentie seule avant l'arrivée d'un nouveau lot de chair fraîche. Pourquoi donc rester, si c'était pour se sentir aussi peu à sa place, subir des critiques et des injustices? Car Lexie avait vu comment Joanna parlait à la jeune professeur, l'indifférence de Cassandra, les regards furibonds de Grace... Il y avait quelque chose d'insidieux dans cette joyeuse troupe de nonnes dansantes, quelque chose sur lequel la petite anglaise ne saurait mettre le doigt. Du moins, pas sans se lancer dans une investigation qui n'aurait rien de subtil et risquerait de créer plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Aussi, elle s'était contentée de choisir implicitement son camp, de procurer à Caitlin ce soutien dont elle avait apparemment besoin. La jeune femme était talentueuse, aussi bien en chant qu'en danse et méritait de faire plus que de la simple figuration. Et tout ce qu'il lui fallait, c'était un petit coup de main. Et si quelqu'un savait comment donner une impulsion, c'était Tata Lexie, même si ses méthodes avaient pu s'avérer un rien brutales par le passé. Finalement, dans un silence qui n'était presque pas gênant, elle termina la tresse, tirant un fin élastique transparent de la poche de son short. « Tadaaaa ! » s'écria-t-elle avec un rire léger. S'affairant alors près de la trousse turquoise près d'un des lavabos, elle en sortit un tube et un crayon noir. Elle tendit ce dernier à Caitlin, tandis qu'elle-même entreprit d'étaler le rouge sur ses lèvres. Les deux jeunes femmes échangèrent ensuite leurs instruments et Lexie traça un trait aussi fin et régulier sur ses paupières. « Attends, il nous manque un truc. Enfin toi je sais pas, mais là on dirait que j'ai pas de cils. » Sa chevelure de feu avait un prix. Elle appliqua rapidement un peu de mascara et s'estima fin prête. Sans gêne aucune, la galeriste jaugea sa partenaire de la tête aux pieds, clairement appréciative. Elle hocha la tête avec un large sourire, puis jeta un rapide coup d'oeil à sa propre image. « Moi j'dis, on est canon ! » Elle tendit alors la main vers CJ et ajouta. « Maintenant, faut qu'on monte un numéro qui nous rende justice. Viens, on va commencer par ces mouvements que Norah t'as appris. » La rouquine entraîna sa camarade à sa suite, vers l'estrade, où les choses sérieuses pouvaient donc commencer.