Megan défit la fermeture éclair d’un gros sac de sport dont elle sortit une pile de linges pliés au carré. Les yeux à peine bouffis par la nuit courte qu’elle avait passé, elle inspira une rasade d’air matinal pour s’attribuer une dose nécessaire de courage. Car si ce qui l’attendait était né de sa propre initiative, elle savait que la sueur et les larmes – voire le sang, qui sait – viendraient souiller la beauté de sa démarche. L’aube peinait à percer à travers le ciel d’encre se déployant au-dessus de sa tête. Accroupie devant son équipement, Megan se hissa sur ses deux pieds pour observer les nuages translucides valser sous la force immatérielle du vent d’avril. L’éclairage du complexe sportif de la ville lui donnait assez de rayonnement pour qu’elle puisse apercevoir les silhouettes flasques des membres des Awesome Voices et lorsque le bourdonnement déplaisant d’un long et pénible bâillement vint perturber le fil de son raisonnement béat, elle regretta de s’être retournée aussi vite.

Ils étaient huit. Tous mollement plantés en ligne derrière la première rangée de gradins du stade. Megan s’imaginait qu’ils devaient se demander ce qu’ils avaient bien fait au monde pour être réveillés à 4 heures du matin par un coup de clairon. C’était bien simple : les Sectionals étaient sur le point de débuter. Ce qui signifiait qu’ils avaient du pain sur la planche. Se reposer sur l’alchimie musicale de Wyatt et Ruby – alchimie musicale était une jolie façon de définir le vice latent qui leur suintait des oreilles – ne suffirait plus à leur faire remporter la victoire, ses nombreuses tentatives de faire exploser le scandale dans la presse locale ayant lamentablement échouées. L’ex-Fairy Dust était certaine que chacun des directeurs des chorales engagées dans la compétition devait avoir une idée précise de la suite des événements. Les moindres détails du numéro qu’ils proposeraient à leur public, ils les peaufinaient depuis des mois et ça tombait bien car Megan elle aussi avait une vision nette de ce qu’il se passerait ce soir-là. Seulement, ses rêves de grandeur s’amenuisèrent au moment où elle s’avança vers ses recrues endormies et sans crier gare, se donnant à elle-même un coup de booste avant la bataille, elle lança le premier paquetage de linges à Peyton – un simple t-shirt mauve au nom de la chorale, un sweat duveteux à capuche de la même couleur et un short noir pour les filles tandis que les garçons porteraient eux un pantalon.

« Les choses sérieuses sont sur le point de commencer. » annonça-t-elle d’un ton ferme «  Les Sectionals auront lieux le mois prochain et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous êtes loin d’être prêts. » Un sourcil arqué, Megan continua sa marche en attribuant à chaque fois à la personne en face d’elle un regard aussi noir que le ciel de fin de nuit. Ezrael fut celui à qui elle donna ses affaires en deuxième « Question chant, je n’ai absolument rien à dire. Les nouveaux arrivés dans le groupe ont apporté une harmonie supplémentaire à notre diapason. Mais si nous voulons avoir une chance de nous démarquer au milieu des autres, il va falloir réveiller le danseur qui sommeille en chacun d’entre vous. » Elle les désigna tour à tour avec son index, puis elle pila devant Ruby. Meg s'en rapprocha pour lui murmurer avec indulgence « Tu aurais dû être exemptée de cette petite réunion, sauf que je vais avoir besoin de toi. Reste attentive. » lui conseilla-t-elle dans un clin d’œil qui se voulait complice et elle posa dans les mains de sa choriste préférée sa tenue de sport tout en poursuivant plus fort « Il est évident que maintenant qu’elle est à la droite de Finn, Brittany va se charger d’élaborer des chorégraphies à couper le souffle pour les Urban Hymns. Et les Second Chances ont toujours été doué pour remuer leurs saints fessiers. » Elle plongea ses prunelles insistantes dans celles de Wyatt, lui donnant ses habits avec un soin tout particulier. Elle le toisa à peine une seconde avant de reprendre « Je ne vais pas nous faire l’affront de craindre les New Directions qui n’ont pour eux que le compte en banque de la mairesse – ou plutôt celui de ses électeurs. » Elle secoua la tête pour feinter la compassion. Cependant cette comédie ne réussissait pas à chasser la lueur mépris qui dansait dans ses iris « A vouloir jouer dans la cour des grands, les enfants se perdent. Je ne serai pas celle qui sèmera les petits cailloux pour qu’ils retrouvent leur chemin. J'ai passé l'âge de faire du baby-sitting. » Un sourire en biais vint étirer sa bouche pendant qu’elle dépassait Peter.

Megan n’aimait pas les longs discours. Pourtant elle appréciait ici l’incertitude qu’elle lisait dans les yeux des Awesome Voices. C’était jouissif de les faire patienter, ça s’apparentait presque à de la torture psychologique. Détrompez-vous, Megan n’était pas une tortionnaire ; elle aimait juste que l’attention soit tournée vers elle. A cet instant précis, il n’y avait qu’elle qui comptait pour ces chanteurs amateurs qui, elle en rêvait, étaient suspendus à ses lèvres. Elle avait de grands projets pour chacun d’entre eux, elle réussissait à les voir se mouvoir dans les costumes qu’elle avait en tête, elle voulait leur apprendre à glisser sur le parquet au rythme de la musique qu’ils joueraient. Un bien-être la transperça de toute part, la faisant sourire avec une sincérité qui ne lui ressemblait pas. UH, ND, SC… Ils allaient tout faire pour les écraser.

« Je ne vous demande pas de devenir des danseurs professionnels, je sais que ce n’est pas possible. » admit-elle avec regret, son regard intransigeant se posant de lui-même sur la canne de Tate à qui elle remit sa tenue. Cette fois encore, elle s’approcha de son chanteur et lui souffla en aparté « J’ai quelque chose de prévu pour toi, sois sans crainte. » Et elle lui tapota sur la poitrine en passant au suivant, ne cachant pas l’expression mutine qui passa sur son visage « Je veux simplement que vous soyez en forme pour le jour-J. Et être en forme, c’est donner de sa personne en transpirant. Pour m’en assurer, je vous ai préparé une surprise. » Elle donna les deux tenues qui lui restaient à Ryder puis à Andrew et se dirigea aussitôt sur l’herbe humide de rosée.

Megan les regarda une dernière fois tour à tour, jaugeant le moindre tressaillement qui trahirait une quelconque anxiété et tout en gonflant la poitrine, elle posa les mains sur ses hanches. Elle se montrait relativement douce contrairement à d’habitude. Les mots qu’elle choisissait s’avéraient limpides toutefois. Elle estimait qu’il était inutile de les malmener car ce qu’elle avait prévu pour eux se chargerait de leur faire passer le message avec plus de brutalité. Doucement, son visage se fendit d’un sourire presque attendri tant la perplexité était palpable sur le terrain et alors qu’elle pivotait sur les talons de ses tennis, elle tapa trois fois dans ses mains.
Les lumières du complexe s’intensifièrent brusquement et l’aveuglèrent si violemment qu’elle mit sa main droite en visière pour se protéger de cette clarté artificielle. Sur le terrain rehaussé, celui qui surplombait l’artère principale de ce lieu d’exercice, un parcours du combattant avait été installé au milieu de la piste de course en terre rouge. Megan se pencha pour venir prendre quelque chose dans son sac de sport : un mégaphone qu’elle actionna sans attendre.

« Bienvenue au camp d’entraînement MM ! » Sa voix se fit entendre dans toute l’enceinte du complexe et peut-être même au-delà. Elle le baissa soudain en faisant quelques pas pour se repositionner devant ses choristes et les informa sans l’aide de son porte-voix cette fois « Celui ou celle qui transpirera le plus au cours de ce premier boot-camp aura le privilège de faire le spectacle lors des Sectionals. En d’autres termes… Bartowski ! » Avec sa main repliée, Megan fit signe à Tate de la rejoindre au milieu de l’étendue d’herbe qu’elle rejoignit en petite foulée et après s’être penchée sur son sac, elle lança deux pompons mauves au visage du jeune homme qu’elle gratifia de son éternel faciès sardonique « Tu seras chargé d’encourager tes petits copains. Toutes les équipes ont leurs cheerleaders, pas vrai ? » Meg n’attendit pas sa réponse, elle brandit son mégaphone devant ses lèvres et hurla en direction des autres « VESTIAIRES, MAINTENANT ! TERRAIN, 5 MINUTES ! »

Peter ne savait même pas comment il tenait debout.

Certes, il avait suivi des cours de médecine pendant de très longues années et il savait ainsi que le corps humain pouvait supporter beaucoup, beaucoup, de choses. Mais tout de même, là, il avait atteint ses limites, que ce soit sur le point physique ou même sur le plan émotionnel. Peut être que cela ne se voyait pas parce qu'il avait toujours son sourire de Peter Grayson toujours bien en place sur son visage, mais c'était sans compté ses pupilles dilatées, ses deux joues rosies et ses mèches blondes beaucoup plus en bataille que d'habitude. Et n'importe qui à côté de Peter se serait rendu compte qu'il tenait pas droit sur ses deux pieds, à dire vrai, il penchait légèrement sur la droite et... Non, Megan se rapprochait, semblant presque s'adresser à lui et il retint son souffle, fixant un point quelconque loin devant lui, pour paraître décontracté et normal. En d'autres termes: naturel. Okay, il devait se concentrer et mettre de l'ordre dans ses pensées. De quoi se souvenait-il? Oui, il avait fini sa journée à l'hôpital comme d'habitude et il avait attrapé les clés de sa voiture et il était allé dans le parking et ... Il était tombé sur Wyatt et Tate. Et c'était là que tout devenait confus.
"Allez Pete, monte dans la voiture."
"Où est-ce qu'on va?"
"Ça tu verras plus tard, mais ce soir Grayson, tu vas devenir un homme."
Il se souvenait de la panique, il se souvenait avoir repoussé ses lunettes sur son visage, lunettes qui avaient été jetées sur le sol par Tate en personne avant que Wyatt ne l'invite gentiment à monter dans la voiture. Il avait vaguement mentionné Summer, oui, sa fille de huit ans qui comptait sur lui et le gynécologue lui avait assuré qu'il s'en était chargé. Et, peut être que c'était l'air de Peter (panique? confusion? peur viscérale? tout ça à la fois? probablement), mais le Pillsbury lui avait dit que Summer se trouvait avec Emma donc aucune raison de s'inquiéter. Oui bien sûr, aucune raison de s'inquiéter alors que Wyatt avait enfin freiné devant l'aéroport ou même quand Tate avait révélé leur destination.

Las Vegas.

Le reste était un épais brouillard qu'il ne parvenait pas à analyser: trop lumineux, trop bruyant, trop embarrassant et... Mon dieu combien de verres d'alcool avait-il ingurgité? La réponse lui apparut très clairement alors qu'une lumière vive et blanche éclaira le complexe sportif, forçant Peter à fermer ses paupières et à se protéger du mieux qu'il pouvait avec ses mains. De toute évidence, il avait encore beaucoup d'alcool dans son sang et... Comment était-il censé marché jusqu'au vestiaire déjà? Zut, comment fonctionnaient ses pieds, zut, non, il savait ça, il savait comment faire pour marcher on lui avait appris. Et, tandis que les choristes commençaient à se diriger vers les vestiaires, le neurologue fixa pendant une longue minute ses chaussures, son coeur battant la chamade dans sa poitrine, le bruit beaucoup trop fort parvenant à ses oreilles.
"PETER GRAYSON TU VAS ME FAIRE LE PLAISIR DE SORTIR DES TOILETTES."
"Je. Ne. Peux. Pas. Je crois que quelque chose cloche chez moi... mon dieu, appelez une ambulance, peut être que c'est l'alcool, peut être je crois..."  

Sa mémoire lui jouait des tours à présent et Peter tourna la tête, regardant les alentours à la recherche de quelque chose de familier, quelque chose de... Andrew. Mais oui, Andrew, c'était son porte bonheur, il allait le sortir de cette situation infernale. Ayant soudainement retrouvé l'usage de ses pieds, Peter se rapprocha de l'autre choriste, posant une main sur une de ses épaules. Et, c'était bien le geste de quelqu'un de désespéré et qui manquait cruellement de sommeil et qui ne savait pas où il était. Peter regarda par dessus son épaule, pas de Wyatt, ni même de Tate ou Megan en vue, avant de reporter son attention sur Andrew, tirant littéralement et véritablement sur les pans du t-shirt de l'autre Awesome Voice. "Andrew, Andrew, il faut que tu m'aides..." chuchota rapidement Peter, tournant une nouvelle fois frénétiquement la tête à droite puis à gauche. Il lança un chut! à Andrew, posant son index sur les lèvres de ce dernier avant de coller son front contre celui du brun. "J'ai un message très important pour toi... Qui va s'auto détruire dans trente secondes. Non écoute, écoute moi, écoute moi...  il ne me reste pas beaucoup de temps alors qu'il faut que tu m'écoutes. Il faut que tu ailles chercher Summer et que tu... Ils ne doivent pas nous voir okay... Vite baisse toi!" Et si Peter doutait avant, maintenant il en avait la certitude, il y avait de toute évidence encore de l'alcool dans son système sanguin. Maintenant il n'avait plus qu'à survivre pendant que son foie se chargeait d'éliminer tout ça. Facile pas vrai?

Un grand philosophe avait dit un jour : « Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre. » Alors Andrew était devenu la guerre, depuis tôt le matin. Si un jour on lui avait dit qu’il penserait à Rambo à Quatre heures du matin. Il était sorti du lit en douce, réveillant à peine un Kurt qui avait gémi dans son sommeil. Une jambe hors des draps blancs, un bras passé autour de l’oreiller, le garagiste maugréa face au vide que laissait Andrew derrière lui. Les écouteurs sur les oreilles, The Eye of the Tiger dans les tympans, le serveur enfila rapidement un jean sombre et un t-shirt qu’il couvrit d’une veste. Il faisait encore froid le matin, et pas la peine de chopper la crève avec le froid matinal. Et grand bien lui en avait pris. En t-shirt griffé Megan Morgan, il se les caillait. Vraiment. Il avait senti le regard de la jeune femme sur lui, glissant sur son corps comme si elle examinait le potentiel du garçon. Non, pas comme si. Son analyse chirurgicale avait le don de troubler le jeune homme au plus haut point. Oui, il devait avoir l’équivalent d’un pot de gel sur le crâne. Si en plus elle devinait que ses prétentions en dance frisaient le zéro absolu, il était foutu. Le même philosophe de la guerre, toujours aussi distingué, avait dit ensuite : « Ce que vous appelez l’enfer, elle appelle ça chez lui. » Et il devait déjà connaître MM, le Rambo. Même une mitraillette automatique et un char d’assaut n’aurait pas interrompu l’entrainement de la prêtresse des AV.  Mais le mot « vestiaire » ne cessait de tourner dans la tête du garçon. Les vestiaires avaient toujours été le supplice du jeune homme. Le lycée, les corps dénudés des garçons, les blagues viriles, les douches, toutes ces choses qui mettaient mal à l’aise l’adolescent qu’avait été Andrew. Il prenait le parti de s’habiller au plus vite et de filer de la chambre des tortures. Alors s’imaginer se changer avec les hommes des AV… Avec Peter. Non ne surtout pas y penser, c’était malsain. Peter, et sa main qui s’abattit sur l’épaule d’Andrew. A croire qu’il lisait dans ses pensées celui-là.

Andrew scruta le visage du blond. Cernes, ce qui était compréhensible quand le jeune homme regardait l’heure sur sa montre. Non, mais c’était vraiment humain de faire venir les gens si tôt ? Heureusement qu’il n’avait pas été de service juste avant. A peine coiffé, le regard furtif, et la langue pâteuse. Se rendait-il compte qu’on ne comprenait rien à ce qu’il disait ? Il planta son regard mordoré dans les yeux du blond, et articula avec patience : « Peter, tu as bu ? » Oui, bien sûr qu’il avait bu ? Andrew savait bien que le neurologue avait eu des soucis avec l’alcool lors d’un de ses passages sur la scène du karaoké. L’angoisse de cette matinée l’avait peut être forcé à boire pour se détendre. Mais le serveur ne pouvait pas imaginer que le médecin pouvait avoir des soucis d’alcoolémie. C’était épisodique, rare. « Peter, je n’ai strictement rien compris à ce que tu as dit. Et tu fuis qui comme ça ? » Mais la réponse était évidente. Megan Morgan. La fille de Rambo et de GI Jane. La sœur de Terminator. La nièce de Chuck Norris. Au moins. Finalement, elle méritait sa réputation de femme forte et implacable. Malgré ses sourires du début et son ton aimable. Une terreur. Elle ne devait pas dépareiller dans un état totalitaire. Andrew plaça sa main sur le dos de Peter et le traîna jusqu’aux vestiaires. « En avant mauvaise troupe, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. » Et Andrew avait tellement plus les vestiaires en tête que l’entrainement.

On ne pouvait nier le talent de comédienne de la diabolique MM. Si le diable s’habillait en Prada selon l’un des films qui trônait dans la vidéothèque du jeune homme, il venait de se réincarner avec goût. Le supplice du vestiaire passé, Andrew avait traversé les longues minutes à se changer avec les yeux rivés sur ses yeux, évitant soigneusement de croiser ceux des autres, il admirait le complexe sportif devant lui. Elle avait le don de se mettre en scène, la chef des AV, et Andrew aimait ce talent. Piste rougeâtre, parcours polyvalent, le serveur s’attendait déjà à devoir se trainer par terre comme dans les films d’action. Seul sur le gazon qui bordait ladite piste, l’un des avantages de fuir les vestiaires, il attendait patiemment de savoir à quelle sauce il allait être mangé. Et accessoirement de trouver une excuse qu’il donnerait à Kurt. Quand on cachait à son petit-ami qu’on était dans une chorale adversaire de celle de son frère, tout devenait un peu compliqué.

Ryder n’était pas matinal. Il ne l’avait jamais été et ne le serait probablement jamais. La seule raison pour laquelle il se levait tôt, c’était parce qu’il avait une boutique de musique à faire rouler et à faire prospérer. Autrement, il aurait choisi un emploi avec un quart de soir. Il avait toujours été plus actif et productif une fois le soleil couché. C’est donc un Ryder Crawford de mauvaise humeur qui se présenta à quatre heures du matin, oui oui QUATRE heures  au complexe sportif. Pourquoi aussi tôt? Il s’était enfilé trois cafés avant d’arriver. Ce n’était pas parce que certaine personne n’avait pas d’emploi et était déchue, que c’était le cas de tout le monde! Les chorales n’étaient pas supposées être une activité pour se détendre, s’amuser et décompresser? Il y en avait qui prenait cette compétition beaucoup trop au sérieux. Ce qui n’était pas le cas du jeune brun. Un peu plus et il n’aurait pas pris la peine de se lever et aurait sauté ce rendez-vous du matin. Puis, il s’était rappelé que la directrice des Awesome Voices était la fille folle de Satan et qu’il ne se présenterait pas, elle ferait de sa vie un Enfer et ce pour le restant de ses jours. Que ce soit lors des pratiques et en dehors. Elle n’allait pas se gêner. Déjà que le jeune garçon n’était pas le plus doué ni en chant ni en danse et que MM lui en faisait la remarque dès qu’elle le pouvait et ce, assez fort pour que tous les autres membres le sache. Ce n’était pas faute d’essayer. Ryder se pratiquait dès qu’il avait un petit moment de libre et il trouvait qu’il s’était beaucoup amélioré depuis son audition, mais Mercredi de la Famille Adams ne semblait pas s’en apercevoir. C’était décourageant. Elle était décourageante! C’était la seule qui était fraîche comme une rose et qui avait son aplomb habituel. Ses esclaves étaient soit endormis ou saouls. Le musicien écoutait d’une oreille distraite le discours de Megan, les mains dans les poches de son pantalon en coton très confortable, trop occupé à bailler sa vie et à penser à son lit douillet. Il grogna en acceptant les nouveaux vêtements de sport mauves à l’effigie de leur chorale. Il n’aimait pas qu’on le voit ainsi, lui qui avait de l’habitude d’être souriant et de rire de lui-même lors des répétitions. Là, Ryd n’avait aucune envie de rire, mais de dormir. Et pourquoi diable Peyton avait-elle apporté son chien? Chaque jappement aigu de la petite bête lui donnait un coup à la tête Ryder se frotta les tempes avec ses doigts. Jack était bien mignon, mais un petit coup au derrière ne se serait pas de trop.  

À l’ouverture des néons, Ryder cru devenir aveugle et plissa les yeux pour s’accommoder à la lumière. Un parcours à obstacles. Bien sûr. Pourquoi était-il aussi surpris? Ils se trouvaient au complexe sportif après tout. Ils n’étaient pas dans l’armée tout de même! En quoi cela allaient-ils les aider à devenir de meilleurs danseurs? Ryd ne voyait pas le lien, mais décida de ne pas poser de questions. Au fil des mois, il avait appris que Megan avait toujours une réponse bien préparée pour toutes les questions qu’elle pourrait avoir et le ton qu’elle prenait pour répondre était loin d’être conciliant et plaisant. Le guitariste n’avait pas envie qu’on le rabaisse. Pas dans cet état de semi-conscience. Il allait se changer dans les vestiaires avec les autres en râlant tout seul dans sa barbe et en profita pour s'acheter une bouteille de Gatorade dans une des machines distributrices. Il en proposa un peu à Peter qui semblait mal en point et il s'agissait d'un bon remède contre les gueules de bois. Il se disait que ce dernier  devrait se reprendre, sinon leur lieutenant lui tomberait inévitablement dessus et valait mieux se serrer les coudes.

En ressortant des vestiaires, il eu le temps d’assister à l’attaque de petit chien contre la directrice. Il ressentit une petite satisfaction et esquissa un sourire en voyant la scène. Karma. Pour les avoir fait lever avant le lever du soleil. Se sentant mal d’avoir pensé à cela, il s’avança en trottinant vers le duo et machinalement se positionna entre les deux femmes. On ne savait pas comment Meg pouvait réagir. "Ça va Megan? Tu as apporté une trousse de secours? "

« Peter, tu as bu ? »

Peter, Peter, c'était le nom que son professeur avait donné au hamster de la classe quand le vrai Peter était encore à l'école primaire. Quand c'était sa mère qui choisissait encore ses vêtements, merci maman au passage, les chemises et les cravates c'était super pour s'intégrer. Lui sarcastique? Absolument pas. Bref, qu'est-ce qu'il était devenu ce Peter-là? Combien de temps vivaient les hamsters? Peut être qu'il était mort, et il n'avait même pas été invité à l'enterrement, lui, le vrai, le seul et unique Peter. Mais non... Il n'avait pas bu, non, il n'était pas du tout en train de laisser Andrew le guider vers les vestiaires, pas du tout. Non, il n'avait pas bu. Il ne buvait pas lui, non, il était sage, sage comme une image. Soupir. Il se laissa tomber sur... qu'est-ce que c'était que ça, si, il connaissait le mot. Peu importe, lui il connaissait par coeur tous les symptômes de la maladie de Parkinson, alors on pouvait l'excuser s'il ne se rappelait pas du nom de l'objet sur lequel reposait ses fesses. Très confortable soit dit en passant. "Je vais bien." murmura le médecin en fixant Andrew. Oui. Sans vraiment s'en rendre compte, Peter était déjà debout, sur ses deux pieds. Wow, le monde, on arrête de tanguer, merci. Voilà qui était beaucoup mieux, il devait se changer, il pouvait le faire, certes ce n'était pas sa mère qui avait choisi ce t-shirt, non Mrs Grayson n'était pas une grande fan du violet, mais il pouvait s'habiller. "Je vais bien, je vais bien... Je vais bien, regarde Andrew je vole. Je vais bien. Je suis médecin alors si je te dis que je vole... c'est que je vole!" Non il ne volait pas, en réalité, il se tenait sur un seul pied, à montrer à Andrew comment il pouvait défier les lois de la gravité. Et il en était là au moment où il approcha.

Ryder. Bien entendu, Peter l'avait déjà remarqué, comment ne pas le remarquer, il était tellement grand, tellement grand et il avait les yeux bleus. Non, ce n'était pas des yeux, c'était des portes vers l'océan, vers l'univers. The bluest to ever blue. "Merci." murmura Peter alors que l'autre choriste lui tendait une bouteille d'une boisson énergisante. Peter adorait la couleur. Orange. Oui ça serait leur couleur. Et il bougeait, il ne se rendait même pas compte que ses pieds s'étaient mis en mouvement, au revoir le vestiaire, cette fois-ci, la vive lumière du complexe sportif ne l'aveugla pas, non. Il ignora le chien, il ignora Megan et Peyton, il n'y avait que Ryder. Sur la pointe des pieds à présent, le médecin posa une main sur l'épaule de l'autre blond, histoire d'attirer l'attention du jeune homme. "Merci Ryder, non vraiment, merci, tu sais combien de gens meurent de déshydratation chaque jour? Moi je sais, je suis très intelligent, mais ce n'est pas important, le plus important c'est toi Ryder. Je t'ai vu en train de regarder tu sais qui et je crois qu'elle t'aime bien aussi... mais ce n'est pas le plus important." Peter ne réfléchissait pas non, depuis la nuit dernière, la partie rationnelle de son cerveau avait été réduit à néant par d'abord la panique, ensuite l'excitation, puis des litres de tequila, des verres de champagne et ce truc qu'il était persuadé que Tate avait mis dans son verre. Ce n'était pas Peter Grayson qui parlait là tout de suite, ou peut être... Sachant qu'en théorie l'alcool permettait à un humain lambda de faire tout ce qu'il n'osait pas faire, cela voulait donc dire qu'il y avait une part de Peter, minuscule et ridicule part de lui qui voulait agripper les pans du t-shirt de Ryder de la sorte... Hmm, théorie intéressante.

"Tu m'as sauvé Ryder, tu es mon nouveau héro et je ferai un duo avec toi quand tu veux... PARCE QUE JE T'AIME RYDER." Voilà, c'était sur la table, la plus grande déclaration d'amour de tout les temps. Et tout ça grâce à cette bouteille de Gatorade. Oui, il y aurait beaucoup d'orange à leur mariage. Mariage? Oui, il devait faire comme Grace et toujours être prêt pour la belle et grande cérémonie, qui devait se terminer sur un baiser. Et comme il était prêt, Peter sauta, oui il sauta sur les lèvres de Ryder, attaquant ce dernier pour un baiser improvisé. Ils étaient officiellement mariés. S'écartant enfin et avec un sourire aux lèvres, Peter fixa Peyton et ensuite Megan et lança d'un ton enjoué: "COME ON GUYS LET'S DO THIS. I'm so ready chief." Sur ces bonnes paroles, Peter se mit dans la position parfaite pour commencer à faire des pompes, il commença même, une et... Oh autant rester sur le sol, pourquoi devait-il faire des efforts alors que les autres Avesome Voices n'étaient pas encore là? Il n'avait qu'à s'allonger un peu. "God the floor feels so nice." murmura le neurologue en fermant les yeux, le visage pressé contre l'herbe encore humide.

Et oui, oui, pour répondre à la question d'Andrew, il avait bu.

Tate avait à peine fermé l’œil—du moins, c’est l’impression qu’il en gardait—lorsque des coups avaient commencé à pleuvoir sur la porte de son appartement, et résonné contre son crâne dans une migraine carabinée. Il s’était redressé sur un coude en maugréant, avait vaguement envisagé d’enjamber Wyatt, avant de se laisser retomber entre les coussins mœlleux de son canapé en n’aspirant qu’à s’y enfoncer jusqu’à disparaître. Il avait grogné quelque chose d’inintelligible, avec l’impression désagréable d’avoir du papier mâché dans la bouche; avait laissé passer quelques secondes, avant de s’exprimer plus clairement: “Peter, bouge tes fesses”.
Et maintenant, ils se trouvaient tous là, sous un ciel encore violacé par la nuit, à attendre que Megan Morgan ne daigne éclairer leurs lanternes quant à l’utilité de cette convocation musclée. Convocation était un drôle de choix de vocabulaire lorsqu’on observait l’inexistence de libre-arbitre qu’ils avaient tous eu sur le sujet. Ils avaient pu se regrouper sur le terrain du complexe sportif, où se dressait un parcours d’obstacles grandeur nature. Il avait tiqué.
Alors, c’était pour cette bêtise qu’elle les tiraient du lit à une heure pareille? Au diable Megan Morgan et ses inepties. C’était à se demander comment elle avait pris la direction de cette chorale. Tate coula un regard sur ses camarades; aucun ne semblait particulièrement disposé à se soustraire à l’initiative abusive de leur directrice, à sa plus grande exaspération. Il soupira furieusement par les narines, en écoutant son speech d’introduction vis-à-vis duquel il n’aurait pu se sentir moins concerné. Depuis qu’il avait rejoint cette chorale, l’intransigeance de Megan vis-à-vis des qualités de danseurs qu’elle cherchait parmi ses choristes n’avait réussi qu’à souligner le handicap de sa jambe. Non seulement sa cuisse estropiée n’était pas supposée pouvoir supporter ce genre d’exercices stupides, mais en plus, Tate était une personne relativement statique à la base. Il n’aurait aucune chance de prendre la tête du concours, dans une situation aussi physique. Il la détestait pour ça, entre autres choses.
Ses pensées s’égarèrent tandis que Megan prenait le temps de s’adresser individuellement à chacun de ses choristes. Il eût donc tout le loisir de regretter la quantité d’alcool herculéenne qu’ils avaient avalé la nuit dernière, lorsqu’ils se trouvaient encore à Las Vegas, la ville des pêchés. Deux jours plus tôt, Wyatt et lui s’étaient attardés sur le parking de l’hôpital pour récupérer Peter à la fin de son service avant de faire route jusqu’à l’aéroport de Columbus. À vrai dire, Tate n’avait pas compris pourquoi ils devaient s’embarrasser de Bambi au cours du week-end que Wyatt avait assuré ‘sans limites’, mais il avait insisté, alors bon.

“PETER GRAYSON, TU VAS ME FAIRE LE PLAISIR DE SORTIR DES TOILETTES” s’était exclamé Wyatt en tapant vigoureusement contre le panneau de la porte. Tate avait roulé des yeux. C’est comme ça que les choses tournaient lorsqu’on s’accompagnaient d’inhabitués. “Je. Ne. Peux. Pas. Je crois que quelque chose cloche chez moi… Mon dieu, appelez une ambulance, peut-être que c’est l’alcool, peut-être je crois…” leur avait répondu le concerné d’une petite voix qui avait terminé d’exaspérer un Tate sans patience. “T’as la trique. Je sais, ça fait un moment, mais t’as sans doute déjà vu ça en fac de médecine !” avait-il râlé en croisant le regard de Wyatt. Il s’était revu entrain de glisser un comprimé de Viagra dans le verre de Peter une demi-heure plus tôt : “C’est à se demander comment sa gosse est venue au monde” avait-il chuchoté rapidement, exacerbé par l’attitude de petit garçon de Peter. “Allez, dehors Pete !” l’avait-il pressé en tapant contre la porte à son tour. Autant raisonné avec une pierre. Tate avait fait signe à Wyatt de lui donner le téléphone de Peter, et avait fait défilé les derniers numéros contactés. Il avait trouvé la photo de contact d’une jolie brune au teint d’albâtre, et avait commencé à rédiger un message. “Qui c’est Caitlin? On devrait peut-être lui envoyer un message pour toi” avait-il lancé d’un ton innocent. What r u wearing? I’m so horny right now. Sent. La porte s’était ouverte presque instantanément.

“Me voilà complètement rassuré !” ironisa-t-il après que Megan lui eût remis sa tenue. Il détailla celle-ci avec curiosité pendant une fraction de seconde, avant de pousser un soupir volontairement sonore.
Tate avait tiré une chaise jusqu’au milieu de la pelouse d’où Il pourrait observer l’avancée de l’entraînement sans peine. Maudissant furieusement Megan et ses idées loufoques, il avait abandonné ses pom-poms à ses pieds, et s’était contenté d’enfiler sa veste de jogging pour se protéger de la fraîcheur du terrain. Il avait attendu que ses camarades se prépare à perdre leurs calories, chevilles croisées.
Quelques minutes plus tard, il vît un chien s’élancer en direction de Megan, Peyton sur ses talons. Un sourire triomphant se dessina sur ses lèvres, et il agita vigoureusement l’un des deux pom-poms que la directrice lui avait confié lorsque l’animal réussit à lui subtiliser une chaussure. “Bon chien” commenta-t-il, claquant des doigts pour que Jack le rejoigne. Mais Peyton le tenait fermement par le collier, en s’excusant auprès de Megan pour l’incident. Lorsqu’elle eût terminé, Tate lui fit signe de lâcher l’animal sous sa surveillance, et le chien vint se frotter contre ses jambes. Tate cajola sa mâchoire, avant de porter son attention sur l’arrivée de Peter. Il plissa les paupières.
“Pour l’amour du ciel, que quelqu’un lui en colle une” râla-t-il en portant une œillade mécontente sur un Peter manifestement encore alcoolisé.

Bientôt, il ne resta des images nettes dessinées dans son esprit que des pensées vaporeuses avant qu’elles-mêmes finissent en mirage déjà oublié. Un violent soubresaut agita le corps de la jeune femme, entraînant la désagréable impression d’être jetée du haut d’un immeuble sans avoir eu le temps d’appréhender la chute. Soudain alarmée, Ruby tenta d’observer les environs avant de réaliser que ses orbites roulaient derrière des paupières toujours fermement scellées. Elle fronça les sourcils, comprenant enfin ce qui lui arrivait. Dans un grondement animal, elle décolla ses bras de son corps allongé, lui confirmant de part l’aspect duveteux de ce sur quoi elle reposait qu’elle se trouvait encore sous ses draps. Elle ouvrit les yeux, un à un, puis parvint à se convaincre de glisser de l’autre côté du lit afin d’avoir accès à son réveil quand un grésillement interrompit son élan. Elle eut cependant le temps d’apercevoir les chiffres bleus électriques, et battit des cils plusieurs fois en pensant être toujours en train de rêver. Une autre vibration. Ayant le sentiment d’être avachie sous une tonne de sable qui la maintenait immobile, elle dut recourir à une force imaginaire afin de se lever à demi et saisir son téléphone. Un appel manqué et un message. De Megan.
À quatre heures du matin.

***

D’après l’aspect défraichi de chaque membre des Awesome Voices, à l’exception près de la coach au teint si rayonnant que s’en était inquiétant, aucune raison n’était assez valable pour que tous se trouvent convoqués à une heure si matinale - d’autant plus que le choix du lieu de rendez-vous ne pouvait rien avoir d’arbitraire, et les ombres géométriques se détachant dans l’obscurité avaient de quoi préoccuper une Ruby maintenue éveillée grâce trois grandes tasses de café, ainsi que par la certitude que tout cela avait à voir avec la compétition entre chorales. L’adrénaline provoquée par sa motivation permettait de conserver intacts les effets de la boisson. Ce qui ne semblait pas être le cas de tous. Ces retrouvailles quasi nocturnes n’avaient pas incité les choristes à échanger de grandes paroles, si bien que chacun gardait leurs suppositions sur la tournure prochaine des évènements pour eux. À moins que tout cela leur soit bien égal. Sachant comment trouver un regain d’énergie supplémentaire, Ruby coula un regard en biais à Wyatt qui se montrait d’ordinaire toujours aussi animé qu’elle par la soif de vaincre. Elle ne put cependant que remarquer ses yeux rougis et gonflés par la fatigue à l’instar de leurs autres camarades. Dépitée, la blondinette releva les yeux vers la directrice absorbée dans un discours dont elle avait visiblement manqué une partie. Une pile de vêtements mauves entre le bras, Megan s’approcha de chacun des choristes, distribuant ce qui semblait être des tenues de sport. Évidemment.
Sans prendre la peine de répondre à la remarque de la meneuse, la jeune femme émit tout de même un rictus narquois. Ainsi, elle aurait dû être exemptée. Quelle bonne nouvelle, peut-être devait-elle la remercier? En attendant, elle se trouvait assise comme tous les autres sur les gradins du stade à attendre leur sentence. Elle avait beau apprécier Megan, l’admirer presque, et lui être secrètement reconnaissante de lui apporter tant de considération en dépit de son insignifiance, son opinion concernant la démence de la brune était clairement établie. Elle n’était pas qu’une tigresse. Elle était une tigresse enragée.
Dans une synchronisation parfaite, les lumières crues du complexe sportif s’allumèrent sur ce que Ruby qualifia immédiatement d’inhumain. Des haies, des murs immenses, des filets. Megan avait préparé un parcours du combattant. Les muscles de la blondinette se liquéfièrent d’emblée. Les instruments de torture qui surplombaient le terrain n’avaient rien à voir avec le jogging matinal auquel elle s’était attendue. Si elle avait conservé sa forme d’ancienne danseuse, la jeune femme doutait que son endurance soit opérationnelle à quatre heures. Sidérée, elle resta face au parcours quelques secondes, le temps que la moitié des choristes ait trouvé le courage de se lever et de prendre la direction des vestiaires. Avec un peu de chance, tout ceci n’était encore qu’un rêve, et elle se réveillerait tout à fait naturellement dans sa chambre d’ici quelques heures. Cela expliquerait en partie ses hallucinations concernant les aboiements incessants venant de nulle part. Quoique pas de nulle part puisque qu’une créature à quatre pattes se ruait en direction de la coach, suivie de près par une Peyton affolée. Forcée d’accepter que tout ceci était bien réel, Ruby fit volte-face dans un long soupir puis tourna la poignée de la porte des vestiaires qu’elle ouvrit en grand avant d’avancer d’un pas. « Qu’est-ce que… » D’ouvrir de grands yeux ronds. « Je… » De reculer d’un pas. « Pardon. » Et de la refermer prestement. Trouvant appui contre le mur, pétrifiée, elle leva lentement le menton vers le sigle qu’elle avait malencontreusement ignoré en voulant pénétrer dans la pièce : soit celui indiquant qu’elle s’était trompée de vestiaire. D’une démarche flageolante, elle gagna la loge qui lui était logiquement attitrée sans parvenir à défaire de son esprit l’image du buste étonnamment bien sculpté de Ryder et des muscles dorsaux saillants d’Andrew.

À côté de cet antre de dieux grecs, son vestiaire semblait ridiculement vide. Jamais avant aujourd’hui Ruby n’avait à ce point réalisé que sa chorale était quasi exclusivement masculine, et encore moins soupçonné être entourée de si beaux spécimens. Honteuse de nourrir de telles pensées, elle appliqua ses paumes fraiches contre ses joues pour en dissiper la chaleur en espérant que la teinte rouge vif qu’avait prise son visage aurait disparu avant qu’elle n’entreprenne de sortir. Après plusieurs longues aspirations, elle estima qu’il était temps pour elle de retrouver l’extérieur. Grave erreur. Alors que des exclamations alertèrent la blondinette, celle-ci décida de s’approcher vers leur source lorsqu’une scène irréaliste se déroula devant ses yeux.
En une fraction de seconde, son visage se décomposa. Il n’y avait plus aucun doute, elle était en train de rêver. Car aucune explication logique ne pouvait légitimer cet acte. Peter, le Peter qu’elle connaissait comme étant l’un des hommes les plus timides et les plus maladroits existant sur Terre. Celui-ci… venait de se jeter sur Ryder. Son Ryder. Piquée à vif dans sa jalousie alors que l’autre homme de sa vie se trouvait actuellement dans ses vestiaires, Ruby avança à grands pas vers le groupe avec l’envie cuisante de frapper le neurologue, ce qui aurait manifestement été une perte de temps compte tenu de l’état pitoyable dans lequel il se trouvait. Il était sous l’emprise d’une substance quelconque, c’était clair. Ainsi, ce ne fut pas vers lui qu’elle décida de se ruer, mais vers l’autre jeune homme, ignorant superbement les deux femmes à côté d’elle ainsi que le docteur désormais allongé par terre tel un poisson mort et profitant de la consternation du colosse pour l’agripper par le col avec deux doigts. « Veuillez m’excuser. » siffla-t-elle entre ses dents, partagée entre la colère et une émotion indescriptible. Sans tenir compte des exclamations du jeune homme contraint à trottiner à reculons, ne réalisant pas qu’elle s’approchait de son vestiaire à une vitesse impressionnante, elle ouvrit la porte rose avec une force herculéenne puis la claqua derrière eux. Là, se sentant plus puissante que jamais, elle plaqua Ryder contre les parois dans un fracas sonore et sans une once d’hésitation, saisit entre ses poings fermement serrés son t-shirt pour se hisser sur la pointe des pieds jusqu’à ce que ses lèvres atteignent furieusement celles du jeune homme. Elle seule avait le droit de se les approprier. Elle et personne d’autre. Lorsque son cœur semblât prêt à la lâcher, elle se détacha de lui aussi rapidement qu’elle était arrivée, passa sensuellement son pouce sur ses lèvres pulpeuses puis, après un dernier regard brûlant d’envie et de rage, elle rejoignit le gazon comme si rien ne s’était produit. De toute manière, puisque tout ceci n’était qu’un rêve, elle pourrait aisément se pardonner le lendemain.

Tout était allé trop vite. Megan n’avait rien vu venir, captivée par la promesse d’une matinée à s’égosiller sur le sort des carcasses mollassonnes qu’elle avait envoyé se changer dans les vestiaires du complexe sportif, sa nouvelle salle de torture en plein air. Projetée brutalement sur le dos, l’arrière de sa tête avait heurté le sol avec tellement de violence qu’elle avait cru perdre connaissance, et Megan avait bel et bien perdu connaissance. Pendant un laps de temps si court toutefois, qu’elle n’avait même pas eu le temps de se féliciter d’avoir engagé un neurologue dans sa chorale. Un neurologue alcoolique, à en juger par l’état déplorable dans lequel il était lorsqu’elle l’avait vu revenir à moitié titubant, agrippé au cou d’un Ryder interdit devant sa surprenante déclaration d'amour, une seconde seulement avant qu’elle ne soit plaquée au sol par une entité invisible. En réalité, la façon dont il progressait sur le gazon humide de rosée, marchant de travers en déblatérant des inepties, ressemblait à s’y méprendre à la façon dont il bougeait en musique et en y songeant, le petit cœur fragile de la directrice manqua une pulsation. Pendant sa chute, elle se demanda ce qui lui avait pris d’engager des énergumènes pareilles, car entre l’handicapé et le soûlot, les Awesome Voices remportaient aisément la palme de la chorale de bras cassés par excellence. Si elle en avait eu, des larmes de dépit se seraient écoulées sur son visage tordu par la douleur provoquée par son atterrissage incontrôlé. La dernière chose qui s’inscrit dans son champ de vision cependant fut les silhouettes entrelacées de Ryder et Ruby et bêtement, se raccrochant à la seule recrue en qui elle avait véritablement confiance malgré ses déclarations, Megan chercha Wyatt du regard. À croire que le destin aimait s’amuser avec elle et qu’il avait prédit ce qui était en train de se passer. Le karma se rappelait à elle et Megan n’aimait pas la façon avec laquelle il s’y prenait.

Sa vie avait défilé derrière le rideau de ses paupières comme un très mauvais biopic. Dès la première scène, elle avait froncé les yeux pour ne laisser aucune lumière venir perturber son étonnante sérénité à faire son introspection. L’écho lointain des voix des recrues des AV lui parvenait par intermittence et par souci de tranquillité, Megan ferma ses oreilles pour de bon. L’aube pointait à peine, les derniers frissons de la fraîcheur nocturne lui picoraient le visage et quand un soufflet putride et humide vint s’abattre sur sa joue délicate, elle grimaça par réflexe. Ça lui rappelait cette nuit qu’elle avait passée à l’arrière de la limousine de Justin Timberlake. C’est qu’il avait la même haleine en fin de soirée et cette façon très étrange de respirer quand il était émoustillé – par le nez, langue pendue en grognant pour évacuer le démon en lui. À l’époque, Jessica Biel n’était pas encore officiellement passée par sa boîte à outils et le jeune homme se remettait difficilement de ses années passées avec la peau acnéique de Cameron Diaz. Par bonheur, Megan s’était vu proposer de présenter un prix en sa compagnie lors d’une cérémonie hollywoodienne, lui faisant miroiter un avenir certain dans la ville où tout est permis. Un rôle au cinéma lui avait été promis et Justin se trouvait en bonne position pour obtenir le rôle principal. Megan avait insisté pour tester leur alchimie avant leur test commun, et Dieu savait que l’alchimie entre eux était aussi transcendante que celle de Wyatt et Ruby ! Il n’avait fallu qu’une douce nuit à Megan pour graver dans sa mémoire – pas sa mémoire mentale, si vous voyez ce que je veux dire – le passage de Justin.

Ses yeux se rouvrirent d’un coup d’un seul, réduisant en d’insignifiants souvenirs la poignée de minutes qu’elle venait de passer à ressasser ses erreurs de jeunesse. Tel un diable sorti de sa boîte, Megan sauta sur ses deux pieds pour affronter l’apocalypse selon les Awesome Voices et tandis qu’elle ignorait l’étourdissement relatif qui se joua d'elle au moment où elle se retrouva à la verticale, prête à reprendre en main la situation, elle embrassa le terrain d’un regard mi-concerné mi-lointain. C’était les Second Chances qui devaient bien rire dans leurs moustaches décolorées, parce que ce qu’elle avait sous les yeux ressemblait à un tableau biblique, les toges et les sept plaies en moins – quoi que. Peter était allongé de tout son long sur l’herbe fraîche, Tate entretenait une conversation avec le seul ami qu’il pouvait se faire sur cette pauvre Terre, et alors qu’elle faisait lentement basculer ses iris bicolores de long en large du complexe, elle lut ce qui ressemblait à du désarroi dans les yeux de Peyton. Et puis soudainement, au moment où le premier rayon du soleil perça le ciel chargé en électricité, tout comme l’atmosphère entre elle et ses recrues, Megan fut frappé par un éclair de génie. Justin Timberlake, c’était lui la solution.
Se redressant sur ses semelles, Megan tourna brusquement la tête vers le chien de Peyton pour qu’il cesse ses jappements intempestifs et son entreprise fonctionna mieux qu’elle l’avait imaginé. La queue entre les jambes, l’animal s’assit sur ses pattes arrière en pleurant, avant de se réfugier dans les jambes de Bartowski pour chercher un peu de réconfort. Après avoir vérifié que ses cheveux étaient toujours bien attachés, Megan posa ses deux mains sur ses hanches bien dessinées et a capella, elle entonna :

« I can't wait 'til I get you on the floor, good-looking. » Elle fit un premier mouvement, glissant avec grâce sur le sol mouillé pour s’approcher de Ryder posté sur sa gauche, et elle vint poser une main sur son épaule en roulant des siennes « Going hot, so hot, just like an oven, and I'll burn myself but just had to touch it… But it's so fine and it's all mine. » Lui touchant le menton avec l’index, son regard se faisant complice et un tantinet entreprenant pendant que sa voix devenait de plus en plus mielleuse, elle fit un tour élégant sur elle-même pour tendre la main vers Andrew qu’elle rejoignit dans une démarche chaloupée, changeant tour à tour sa jambe d’appuis. Elle l’invita du regard à la faire pivoter, remuant ses doigts jusqu’à ce qu’il l’empoigne avec distinction en continuant sans musique « Hey baby, we don't mind all the watching, ha. » Elle se redressa et se colla dos à lui en remuant les hanches et faisant danser ses bras au-dessus de sa tête au maintien impeccable « Cause if they study close, real close, they might learn something. She ain't nothing but a little doozie when she does it… » Elle se retourna doucement et se pencha sur lui pour lui déposer un baiser – du bout des lèvres – sur la joue, et tout en tardant à révéler la chute de ce premier couplet, elle se dirigea en claquant des doigts vers la chaise sur laquelle Tate était assis, et sans lui demander quoi que ce soit d’autre que de la fermer en lui clappant la bouche avec ses doigts, elle vira Jake le chien d’un coup de pied, puis s’installa sur les genoux de son choriste. Passant ses bras autour de son cou, elle s’approcha dangereusement de son visage pour finir par feinter au dernier moment et lui susurrer à l’oreille « She's so fine tonight. »

Ni une ni deux, Megan cessa de l’enlacer et, yeux dans les yeux, elle l’interrogea « Je crois que tu sais jouer d’un instrument. Lequel ? » Elle se leva brutalement, sans aucune pitié pour sa patte folle, et désignant avec intransigeance les contours du corps de Peter avachi sur le sol, elle ordonna « Que quelqu’un le réveille, j’ai besoin de l’attention de tout le monde maintenant. On laisse tomber le boot-camp, j’ai une bien meilleure idée. » En parlant d’attention. Megan se désaxa pour regarder autour d’elle, et d’un ton étonnamment inquiet, elle demanda à Ruby vers qui elle s’avança, les bras croisés sur sa poitrine « Tu sais ce que fiche Wyatt ? Il s’est perdu dans les vestiaires ? Tu vas avoir besoin de lui. » Jaugeant la jeune femme du regard, Megan se souvint des dernières images qu’elle avait aperçues avant de tomber à la renverse, et aussitôt, son ton permuta pour devenir glacial et plein de sous-entendus « Il va falloir qu’on discute, toi et moi. »

Il était difficile de mettre le doigt sur la cause exacte, mais le fait était qu’il y avait une aura particulièrement bizarre qui flottait au-dessus du petit groupe de choriste. Peut-être était-ce l’heure inhumaine qui faisait ressortir un autre visage de chaque personne et qui les rendait fous. N’empêche qu’on était bien loin de l’atmosphère et l’harmonie qui régnait habituellement lorsque les Awesome Voices se rencontraient pour répéter. À commencer par leur meneuse. Megan Morgan était encore plus folle, si c’était possible. Avec ce bootcamp aux aurores, elle avait battue des records. C’était des choristes, pas des soldats de l’armée, bon sang! Un peu plus et elle leur demandait à tous de se raser la tête. Ryder s’était inscrit dans une chorale pour s’amuser et décrocher de son petit quotidien. Il avait voulu essayé quelque chose de nouveau. Il n’avait pas envie d’avoir de pression et de se sentir mal chaque fois qu’il ratait un pas de danse. Il comprenait que les Sectionnals approchaient à grands pas et que la troupe avait beaucoup de travail à faire, mais de là à les faire lever aussi tôt pour une bêtise et parce que Megan avait un manque de contrôle à combler. Il fallait vraiment qu’elle se fasse soigner celle-là. Il allait mettre des jours à se remettre de cette nuit écourtée. Il travaillait et avait une boutique à faire rouler. Il ne pouvait pas se permettre de manquer une journée et de mettre le bazar dans son cycle de sommeil, comme certaine! S’il avait su, il serait allé chez les Urban Hymns. Puis, il y avait Tate qui faisait aller ses pom-pom. Sur le coup, Ryd trouva injuste que l’avocat n’ait pas à participer à la course aux obstacles. Peut-être pourrait-il trouver un moyen de se faire mal volontairement…Ensuite Peter. Qu’est-ce qui lui prenait? D’ordinaire, calme, timide et attentif, le voilà qu’il ne cessait de gesticuler et de s’égosiller qu’il volait. Le gérant secoua la tête. Il était quand même drôle, il fallait l’avouer. C’était juste surprenant de le voir dans cette posture, mais il avait bien le droit de s’amuser un peu de temps en temps. Andrew, par contre, semblait un peu plus embêté. Le grand brun n’aurait pas voulu être à sa place. S’occuper de quelqu’un bien avancé alcooliquement n’était jamais très plaisant. En espérant que la boisson énergisante que Ryder avait donné au médecin puisse l’aider un peu à passer au travers de la folie de Megan.

Ryder était sur ses gardes lorsque Megan avait chuté sur le sol et s’attendait à une explosion nucléaire d’une seconde à l’autre. Humilier la grande diva des mauves, c’était une ticket gratuit pour une mort. Sanglante. Le jeune homme se demandait s’il n’était pas mieux de s’emparer du chien et d’aller le porter loin. Très loin dans une autre ville. Avant qu’il ne puisse décider quoi que ce soit, il senti qu’on lui agrippait, non qu’on lui arrachait l’épaule. Il se retourna vivement sur le visage d’un Peter au sourire béant et aux yeux dans le même trou. Il le remerciait  simplement pour son geste."Hé. Ça me fait plaisir Pete. J’espère que ça va aller mieux." Il lui tapota doucement l’épaule de façon fraternelle, mais le neurologue insistait et il mentionna même Ruby. Ryder fronça les sourcils et machinalement son regard glissa vers la porte du vestiaire des filles, où se trouvait sa belle et à cette pensée son cœur s’affola. D’accord, son béguin pour la jolie brune n’était pas un secret de polichinelle, mais il n’y avait aucune évolution depuis plusieurs semaines. Pourquoi lui en parlait-il? Et que savait-il exactement? Lui en avait-elle parlé? Le musicien aurait voulu lui poser un tas de question et avait même enclenché le mouvement de l’amener un peu plus loin, mais Peter décida d’insister et continua de le remercier et de le louanger. Il en faisait même son héro. Ryder éclata de rire. "Pete, c’est juste une bouteille de Gatorade. Ce n’est rien! Pas la peine de…mmm" Il ne le vit pas venir. Sa phrase n’était pas terminée que les lèvres du médecin se retrouvèrent sur les siennes. Ryder resta droit, les yeux grands ouverts et il ne fit aucun mouvement pour éloigner Peter. Trop surpris. Il ne s’était vraiment pas attendu à cela. Depuis qu’ils se côtoyaient, ils n’avaient jamais échangés plus que quelques phrases d’usages de politesses et concernant la chorale et là, le médecin était accroché à lui et lui faisait une déclaration d’amour. "Je…Je t’apprécie aussi Peter." Il lui donna une petite tape dans le dos. Ce n’était pas la peine de se mettre en colère. Pete était loin d’être dans son état normal. Valait mieux en rire. Ryd se demandait seulement si le docteur allait se souvenir de son baiser le lendemain. À le voir étendu et endormi sur le sol, sûrement pas. Il était mieux dans cette position. Il n’aurait pas passé le premier obstacle.

Son regard s’alluma, bien malgré lui, lorsqu’il aperçut le minois de Ruby qui s’avançait comme une furie vers lui. Par réflexe, il recula se demandant ce qu’il avait bien pu faire pour la mettre dans un tel état. Avait-elle assisté au baiser de Peter? "T’as vu ça? Il est dans un état lamentable et…oh" La jeune fille ne le laissa pas parler et l’empoigna par le col et le força à marcher de reculons. Ryder ne s’objecta pas. C’était la première qu’elle le touchait depuis la soirée de la Saint-Valentin où ils s’étaient embrassés et où il avait avoué qui il était. Depuis cette soirée, Ruby lui avait très peu adressée la parole et le jeune homme avait même cru que son chien était mort, même s’il continuait d’espérer. Il n’avait pas insister pour lui parler et il avait préféré lui laisser le temps et de la place. Il s’était fait tout petit. Alors il voyait très mal ce qu’il aurait pour dire ou faire pour l’énerver. Il n’avait aucune idée de où elle l’amenait. Il se laissait guider et par une quelconque force, il arrivait à ne pas trébucher. Il devait avouer que c’était assez excitant et avec ce regard perçant à en donner la chair de poule, Ruby était très sexy. Il frappa finalement un mur, lui faisant perdre le souffle une petite seconde. Les papillons dans son ventre étaient en plein délire et ils explosèrent en un milliard d’autres bestioles lorsque sa belle l’embrassa furieusement. Même si cela le surprenait, il se laissa aller et répondit avec fougue. Au contraire du baiser de Peter, celui-ci était désiré. Rêvé. Il ne comprenait pas, mais il s’en fichait. Ruby l’embrassait. La fille qu’il aimait était en train de l’embrasser et dieu que c’était bon. Il ne voulait plus retourner sur le terrain. Il voulait rester là pour toujours. S’il avait été endormi quelques instants auparavant, à présent, il était bien éveillé. Une énergie nouvelle venait de l’envahir. La jeune fille rompit finalement le contact brusquement. Puis sans rien dire, lui lança un regard rempli de sous-entendus, se retourna et le laissa dans le vestiaire. Cela pris une bonne minute au grand gaillard pour se remettre de ce qui venait de se produire. Il ne savait pas ce que cela signifiait. Il était clair que ce n’était pas prévu, mais comment devait-il prendre ce geste ô important pour lui. Lui pardonnait-elle son mensonge? Lui donnait-elle une seconde chance? Ryd inspira et expira un bon coup et retourna auprès de ses compères. Peter était toujours bien étalé sur le gazon. Il avait l’air bien et serein.  Après ce qui venait de se passer, Ryder aurait dû se trouver dans le même état d’esprit, il était plutôt sceptique et en grand questionnement avec lui-même.

Sans crier gare, Megan, qui s’était relevée sans trop de dommages entre temps, entama un solo digne d’un film ou d’un videoclip. Ryder ne pouvait s’empêcher de sourire. Du grand Megan Morgan. Surprenante. Il s’était attendu à ce que son taux de follerie triple avec son humiliation, au lieu de cela, elle chantait et se dandinait comme si de rien était. Elle était très impressionnante et avait toute une voix. Après son petit numéro sur Justin Timberlake, elle leur signala qu’elle avait changé d’avis et qu’il n’y avait plus de bootcamp. Ryder regarda les autres en haussant les épaules. Il s’attarda sur sa belle. Eux aussi devraient discuter.

Plus Peter y réfléchissait et plus il se disait que oui, peut être, effectivement, il était peut être encore sous l’emprise de l’alcool. Ce n’était qu’une théorie, une théorie formulée par la seule petite et infime partie de son cerveau qui n’était pas noyée sous l’alcool. Peut être qu’il était au bout du rouleau mais en tout cas, peu importe l’endroit où il se trouvait, il était très bien allongé dans son lit. Mais non Peter réfléchis, tu n’es pas ton lit.

Ah bon? Où était-il alors? Il n’avait pas pu s’endormir sur son canapé, ce n’était pas aussi confortable, et ce n’était définitivement pas sa chaise de bureau à son travail qui était aussi confortable. Au volant de sa voiture alors? Non, ça c’était trop dangereux et il était connu pour être plutôt intelligent. Le blond ne savait toujours pas quel était ce mystérieux endroit, mais une chose était certaine, il ne bougeait plus et le monde tanguait autour de lui. Ou non, non, il était le centre de l’univers et l’univers bougeait tout autour en parfaite harmonie. … Ce n’était pas le slogan d’un Disney ça d’ailleurs? Il devait demander ça à Summer, où était donc Summer, la petite Grayson n’aurait jamais laissé autant dormir son père. Il devait se concentrer et tendre l’oreille, il distinguait des voix, des bruits de pas autour de lui. Ryder. Oui, peut être que Ryder était là, le médecin se souvenait au moins de cela, l’autre homme avait quelque chose de rassurant et pas de doute qu’on lui aurait collé l’étiquette de prince charmant dans un Disney. Mais la vie n’était pas un film, pas vrai Pete? Non, si la vie était un film, il aurait un flashback à ce moment précis pour lui expliquer le pourquoi du comment alors…. Peter ferma ses paupières aussi fort qu’il le pouvait, comptant jusqu’à trois et attendant une inspiration quasi divine. Mais au final, il s’imaginait, là sur le sol, et pour une raison inconnue dans son pyjama (oui, quitte à être allongé quelque part, autant être en pyjama, pas vrai?) et peut être que Ryder était dans les parages. Ryder devait très certainement être dans les parages, à veiller sur lui. Et si on lui avait jeté un sort et qu’il s’était endormi pour au moins un million d’années ou alors douze mille cent ans, au moins, et que c’était Ryder qui était chargé de sa surveillance. Ou alors la tour était gardée par un dragon.

Et dans ce cas là cela voudrait dire que Peter était une … princesse? « Hmm… Je crois que je ferai mieux de me lever. » Qui avait dit ça? Sûrement la partie rationnelle de son cerveau et ce fut sans doute elle qui envoya des ordres aux restes de son corps afin qu’il bouge, le médecin désormais assis en tailleurs là, dans le complexe sportif de la ville. T-shirt violet, Tate et Peyton dans son champ de vision, et Megan. Ah oui, répétition, Sectionnals, le Peter était reparti. « Il faut qu’on les écrase. » Le médecin parlait sans vraiment s’en rendre compte, son regard passant sur les membres des Awesome Voices, avec un air plutôt déterminé sur son visage. Voilà, qu’on lui rende ses souvenirs, il avait passé la nuit à boire et à batailler avec Tate et Wyatt, et il était désormais convaincu qu’il pouvait tout faire. Oui, absolument tout et il pouvait même donner des conseils plutôt utiles à sa supérieure direct. Dans la chorale. Pas à l’hôpital. Bref, Peter était plutôt content de son petit éclair de lucidité et il était aussi content de voir qu’il ne bégayait pas et qu’il ne rougissait pas. Attendez en fait le Peter qui avait plus de 5 mg de tequila dans le sang, était un Peter plutôt confiant? Bon à savoir, le blond se passa une main dans les cheveux et reprit lentement.

« Sans vouloir outre passer ma juridiction chef, on est quand même moins nombreux qu’un bon nombre de chorales. Je ne pense pas qu’une bande de lycéen à la voix encore en train de muer peut nous surpasser mais moi je dirai qu’il faut surveiller les deux autres chorales. En plus les Second Chances ont Caitlin. »  Est-ce qu’il avait le regarde perdu dans le vide et est-ce qu’il s’écartait du sujet? Oui, vraiment. Il ne savait pas pourquoi le sourire de la brune lui était revenu en mémoire à cet instant précis mais c’était ainsi et il eut même un sourire qu’on pouvait qualifier d’idiot pendant une fractions de secondes avant de reprendre ses esprits. Et de se mettre sur ses deux pieds. Un peu trop rapidement, beaucoup trop rapidement, il tangua dangereusement avant de se rattraper sur l’épaule de la personne qui se trouvait sur sa droite, qui lui apparaissait un peu floue vu la vitesse à laquelle il avait finit par se lever, bref reprendre depuis le début, il avait des arguments, il était intelligent. « Sauf que nous on a un atout… enfin je veux dire… On est tous super beaux, Tate y compris, mais on va faire comme si je n'avais rien dit vu que mon coeur est réservé à Ryder. Ce que je voulais dire c’est que je devrais chanter… quelque chose, avec Ryder, quelque chose pour toucher le public féminin, comme ça on a déjà une bonne partie du jury dans la poche. » Il s’arrêta pour respirer et haussa les épaules, tout ceci lui paraissait logique.

La nonchalance manifeste de ses recrues n'était pas là pour rassurer Megan concernant leur timide avancée sur le chemin de la victoire. S'ils maintenaient cette cadence jusqu'à la fin de la compétition des chorales, la directrice de donnait pas cher de leur peau et s'il le fallait, une fois que les charognards auraient dévoré ce qu'il resterait de leur carcasse répugnante, elle s'engageait à gober leurs os comme pénitence pour avoir osé faire confiance à des mouflets pareils. Des mouflets qui, pour la plupart, avaient quelques années de plus qu'elle, mais pas ses compétences ni son expérience. Megan soupira furieusement par le nez. Son souffle chaud dessina des volutes de fumée au-dessus de sa tête, si bien que l'envie d'une cigarette s'imposa à elle. Elle se mordit les lèvres de rage, roulant des yeux face à sa dépendance, et au lieu de craquer, elle préféra marcher un peu pour rejoindre les autres membres de sa chorale, laissant ainsi Tate, Ryder et Andrew derrière elle.
À l'exception du Ryder et de Peter, qui venait à peine de se réveiller d'entre les morts avec un teint aussi frais qu'un figurant de The Walking Dead, mais plein d'une ardeur qu'elle n'avait jamais décelée chez lui auparavant, les autres Awesome Voices restaient mollement retirés dans la partie la plus endormie de leur semblant de cerveau, et cela malgré sa petite prestation improvisée. Une prestation qui méritait les honneurs, d'après elle, car elle avait approché Tate avec la ferme intention de captiver sa vigilance pour mieux obtenir ce qu'elle désirait après coup, c'est-à-dire, le contraindre à manier son instrument de prédilection pour la contenter – un petit sourire licencieux étira sa bouche pulpeuse, tandis qu'elle s'approchait enfin de Ruby, et que toute envie de nicotine lui passa, tant la vision de sa petite préférée lui retourna l'estomac. Sans tarder, elle la gratifia d'une œillade très peu amène. Même elle, sa chère Ruby, ne semblait pas encline à se joindre à l'engouement soudain de la directrice. Un regard à gauche, puis un regard à droite, et cette dernière constata pour la énième fois depuis leur arrivée que Wyatt se tenait à l'écart du groupe. Croisant son regard vert perçant, elle espéra que la lueur de dépit qu'il pourrait lire dans le sien le contraindrait à lui venir en aide, au moins pour cette fois. Mais le docteur était occupé ailleurs, et Megan le soupçonna en réalité d'éviter tout contact visuel avec elle pour mieux la déstabiliser. Après tout, suite à leur dernier entretien en tête à tête, elle ne pouvait pas lui en vouloir de chercher à se venger, et c'est avec une étonnante sagesse que la brunette accepta sa décision, même si dans un coin reculé de sa tête, elle s'imaginait lui faire subir les pires sévices pour un mâle digne de ce nom. Piétiner les bijoux de famille d'un homme avec des talons aiguilles semblait être la chose la plus satisfaisante qui soit pour une femme comme elle.

La voix de Peter résonnait maintenant dans tout le complexe sportif. Pâteuse, mais non moins puissante, elle réveilla Megan de ses pensées sournoises, et lui fit ébaucher un sourire en coin qui fit remonter ses pommettes d'une façon étrange, donnant à son visage une difformité inhabituelle. Finalement, elle avait sous-estimé le neurologue. Sous ses grands airs de timide maladif, il cachait une détermination qui fit battre son cœur, et la fit se sentir toute chose, et pas que dans ses parties les plus intimes ; la rage de vaincre, c'était comme la nicotine. On y devenait dépendant à la minute où on la sentait s'introduire dans notre organisme, et même si celle du jeune homme semblait encouragée par ses excès de la veille, elle donnait à Megan en revanche le courage de reprendre les choses en main, et de laisser une chance aux autres recrues qui se contentaient de faire acte de présence, par crainte, sans doute, de vivre avec une malédiction au-dessus de leur tête toute leur vie durant.

« J'aime cette attitude. » susurra Megan en pointant Peter d'un index intransigeant. Ce qu'elle aimait moins en revanche, c'était la convoitise qu'elle lisait dans les yeux de son choriste à l'évocation d'une des bigotes de Cassie Hamilton. La seule qui avait le droit de coucher avec l'ennemie, c'était elle, et à cette pensée, elle lança un autre regard, mais plus sévère celui-ci, à Wyatt qui s'était rabiboché avec sa Marie-Madeleine personnelle. En y réfléchissant, c'était sans doute ça qui poussait Ruby à aller rouler des patins à tout va pour prouver son mécontentement. Soit. Ce coup-ci, Megan avait d'autres chats à fouetter, elle s'en occuperait plus tard, et c'est en balayant chacun de ses choristes du regard qu'elle continua pendant qu'elle s'approchait doucement de Peter en roulant des hanches « Je t'ai sous-estimé, toi. Pour me faire pardonner, tu l'auras, ton numéro avec Ryder. » L'amour véritable se devait d'être encouragé, songea-t-elle, dans toute sa bonté d'âme « Et Tate ! » Se retournant tout en souplesse,  elle vint poser son avant-bras sur l'épaule de Peter pour mieux s'y appuyer, et y mit tout son poids pour se donner une allure des plus détachées sans en avoir l'air. Se touchant alors les lèvres avec son index pour estomper un rouge qu'elle n'avait plus depuis un moment déjà, elle pencha la tête sur le côté, et ses cheveux attachés en chignon qu'elle ne sentit pas dégringoler sur son épaule la troublèrent, mais pas assez pour qu'elle en oublie ce qu'elle avait à faire. Megan changea son doigt de trajectoire pour le diriger vers Tate « Peter a raison, laisse tomber les pompons. Tu sais comment je te préfère ? » Elle fit danser ses sourcils parfaitement dessinés sur son front, ne cachant pas l'envie qui passa subrepticement dans ses iris bicolores, et murmura après un clin d’œil dans sa direction « En costume, bébé. » Brusquement, Megan tourna la tête vers Peter pour lui sourire, mais son haleine chargée en tequila lui arriva en plein visage ; elle déchanta rapidement. C'est donc grimaçante qu'elle se redressa avec une grâce de danseuse et claqua fort dans ses mains pour annoncer d'une voix tonitruante « Rassemblez vos affaires, les AV ! On rentre au quartier général ! »

- Scénario terminé