Si Esme n’avait jamais décidé d’aller à la pâtisserie acheter une tarte, elle n’aurait jamais commencé à tenter de cuisiner par elle-même. Non pas qu’elle se soit rendue compte qu’à force, ça revenait cher, ou qu’on n’était jamais mieux servi que par soi-même. Non, elle avait juste rencontré quelqu’un, grâce à une interversion de tartes, qui, malgré que sa tarte soit tombée par terre à cause du Dieu des talons aiguilles, qui n’avait pas donné à ceux-ci la capacité de porter correctement une humaine légèrement empotée qui courrait. Bien sûr, elle avait été fortement désolée que ses talons se soient brisés et que la tarte de Mônsieur ait par conséquent atterri sur le sol. Et elle avait donc voulu inviter cette personne à manger, se retrouvant, comme à chaque fois qu’elle invitait quelqu’un, à court de vivres, puisque son hamster avait dû sortir de sa cage en pleine nuit pour finir le paquet de Curly. Mais fort heureusement, Unnamed n’avait pas réussi à ouvrir la bouteille de tequila et n’avait pas pu en boire le fond, qu’Esme avait donc pu proposer à son invité. Se retrouvant dans un embarras total, bien qu’habituel, la jeune femme avait jugé utile de commander une pizza, qu’ils s’étaient fait livrer directement à son van, sur le parking de McKinley. Puisque non, bien sûr, elle n’aurait pas pu démarrer le moteur de sa maison et aller chercher la pizza elle-même. C’était trop compliqué, autant payer le supplément pour la livraison à domicile, c’était plus efficace, et les pizzas avaient le temps de refroidir. Un peu trop, même. Et voilà donc Esme et Glenn, c’était ça son nom, en train de discuter de leurs fantastiques talents culinaires respectifs. Racontant la fois où untel avait cramé des lardons, et où untel avait voulu faire des crêpes sans farine.

Depuis ce jour, les deux compères s’étaient entraînés à cuisiner. Pour Esme, il s’agissait surtout d’un exploit, de ressortir la bouteille de gaz et le réchaud, qui n’avaient pas servi depuis très longtemps. En effet, elle se contentait généralement d’un gros repas à McKinley High le midi, puis des gâteaux apéritifs qu’elle partageait avec son hamster le soir. Ce mode de vie convenait parfaitement à son corps qui n’avait ni gagné, ni perdu de la graisse depuis qu’elle avait commencé ce régime alimentaire plus ou moins sain. Elle maîtrisait maintenant la cuisson des pâtes, plat qu’elle réussissait le mieux, même à l’époque où elle cuisinait. Ce qui remontait à fort longtemps, puisque depuis qu’elle avait quitté la maison familiale du Montana dans son premier van – bien vieux, et qui l’avait lâché au bout de quatre ans, paix à son âme – elle s’était nourrie presque exclusivement de plats micro-ondes, de céréales, de biscuits et de gâteaux apéritif. Elle faisait des économies considérables, et son compte épargne retraite était déjà bien gonflé, si tant est que celui d’un professeur de mathématiques puisse l’être. Elle était loin d’être millionaire, mais elle avait sans doute aucun, plus d’argent que la plupart de ses collègues de son âge, puisqu’elle n’avait jamais eu de loyer à payer, qu’elle se nourrissait peu, et qu’elle ne recevait pas non plus de factures d’eau ou d’électricité. Peu dépensière, la brune avait tout mis de côté au fil des années, pour être à l’abri en cas de coup dur. Elle ne s’était jamais privée de rien, cependant. Les décorations sans cesse refaites de son habitat le prouvaient. Elle n’hésitait jamais à dépenser un dollar quand elle avait envie de quelque chose. Mais, les achats alimentaires étaient bien quelque chose qu’elle n’arrivait pas à faire. En grande partie parce qu’elle ne savait jamais quoi cuisiner.

Cependant, sa mésaventure nocturne au centre-ville de quelques jours plus tôt lui avait donné une idée. Avoir balancé des œufs moisis sur la façade de l’hôtel de ville lui avait rappelé qu’apparemment, les yeux étaient faciles à cuisiner. Ce n’était bien sûr qu’apparemment, puisqu’elle n’avait jamais réussi à en cuire un seul. Elle avait donc profité de passer dire bonjour à Jillian à la bibliothèque pour imprimer quelques recettes. Puis, elle avait acheté un classeur à la papèterie, dans le lequel elle avait mis cinq intercalaires soigneusement décorés, séparant les recettes par niveau : facile, moyennement facile, pas trop facile, difficile, vraiment difficile. Elle avait donc placé toutes les recettes à bases d’œufs, les seules qu’elle possédait pour l’instant, dans la catégorie vraiment difficile. Elle avait ensuite appelé Glenn pour convenir d’un meeting d’apprentis cuisiniers chez lui, pour tester les recettes à base d’œuf. En se rendant à l’appartement du jeune homme, elle s’était arrêtée à l’épicerie acheter trois douzaines d’œufs – on n’est jamais trop prudents – et des lardons, au cas où que l’envie les prenne de faire des pâtes carbonara avec un œuf dessus, les prenne. Elle avait prévu sa liste de numéros d’urgence, les choses pourraient mal tourner et sa chevelure brune pourrait se retrouver en flammes, pour une quelconque raison que ce soit. C’est donc avec un cabas à roulette rempli qu’elle monta les escaliers qui la mèneraient chez Glenn. Elle frappa très fort à la porte, ne remarquant pas la présence d’une sonnette, petit objet auquel elle n’avait jamais été habituée. Lorsque celle-ci s’ouvrit enfin, elle sourit de toutes ses dents. « Salut Glenn ! La forme ? Prêt à te mettre aux fourneaux ? ». Elle désigna ses emplettes de la main. « J’ai acheté des œufs, pour qu’on puisse faire des œufs durs, des œufs à la coque, et même des omelettes ! ». Elle trépigna d’impatience. « Je pense qu’on devrait garder l’omelette pour la fin, ça risque d’être le plus difficile ». Elle rentra dans l’appartement sans attendre, en terrain conquis. « Je peux mettre mes lardons au frigo ? » demanda-t-elle par pure formalité, puisqu’elle était déjà en train d’ouvrir la porte et de fourrer lesdits lardons là où il y avait de la place.