« Signez ici et tout sera bon Monsieur Weatherly. »

Monsieur Weatherly. C’était la première fois qu’on l’appelait ainsi et maintenant qu’Aidan y pensait, il se dit qu’il pourrait s’y habituer. Et dans n’importe quelle autre situation il se serait permis de le faire remarquer à l’employé de cette banque avec un sourire aussi grand que le Texas sur ses lèvres, avant de se passer une main dans les cheveux. Mais là, il se contenta juste de la main dans ses mèches blondes avant de s’emparer du stylo qu’on lui tendait. Juste une toute petite signature pas vrai ? Pourquoi est-ce que ses mains tremblaient alors ? La dernière fois qu’il avait été comme ça, Jeremy avait été dans les parages. Mais pas de Jeremy aujourd’hui (ni même pour les prochains jours d'ailleurs), juste lui et cet employé fort sympathique. Qui lui faisait un sourire, comme tous les fonctionnaires du monde probablement, enfin ceux qui étaient aimables. Bref, une toute petite signature et il serait libre. Du moins, financièrement. Enfin pas vraiment, il ne serait pas obligé de refaire ses comptes tous les soirs déjà, enfin... Enfin c’était compliqué, si on lui avait dit qu’il mettrait les pieds dans une banque un jour, Aidan aurait probablement encore éclaté de rire, il était superstitieux et parano envers les distributeurs à cause de sa mère et pourtant c’était à cause d’elle qu’il était là aujourd’hui. Que dire ? Ils s’étaient encore disputés, quoi que, ces temps-ci leur dispute ressemblait plus à Aidan qui commençait à faire une liste de toutes les choses qui n’allaient pas dans leur vie. Et non il ne jeta pas la pierre sur Moïra, ou peu importe, pas besoin d’être un génie pour voir qu’il y avait quelque chose qui clochait pas vrai ?

« You want to leave ? FINE ! Then do it. »

Pourtant c’était la première fois en dix neuf ans que le blond entendait cette ligne là. La première fois et quand on savait que cela venait de la femme qui l’avait littéralement arraché de son premier et unique foyer, c’était plus que risible. Mais elle ne le pensait pas, pas vrai ? Elle était encore bourrée, encore déprimée parce qu’elle avait fini par se faire renvoyer du Breadsticks et... Et Aidan ne pouvait pas vraiment croire ce qui s’était passé ensuite, pas du tout, il ne s’attendait pas à ce que sa mère sorte de son sac une poignée de lettres qui lui étaient adressées à lui. L’expéditeur ? Son père, c’était lui le Monsieur Weatherly, lui qui ne connaissait pas son fils et qui avait fini par perdre espoir et qui n’envoyait plus que des chèques... Au nom de son fils. C’était tout ce qu’Aidan avait besoin de savoir dans le fond, peu importe les mensonges, peu importe l’absence, il n’avait besoin de rien d’autre, voilà pourquoi elle ne l’avait jamais laissée partir. Il avait juste regarder sa mère avant de s'emparer des lettres et des chèques à l'occasion et de déguerpir.
Et maintenant, il venait de signer ce papier pour l’ouverture de son tout premier  compte et qu’il espérait vraiment que les choses allaient changer.

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Ce qui en soit n’expliquait toujours pas ce qu’il fabriquait avec une paire de lunettes volées sur le nez, à un arrêt de bus qui devait le ramener à Lima. Lui et Kara. Là encore autre surprise, lui et Kara Sparks. Pourquoi ? Ils n’avaient absolument rien en commun, dans l’univers plus qu’horrible du lycée, les règles étaient simples, chacun restait dans son groupe et à sa table à la cafétéria et tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et le moins que l’on puisse dire c’était que si Aidan avec son plateau et sa caméra avait tenté de s’asseoir avec les cheerios, on lui aurait adressé des regards plus qu’étrange. (You can't sit with us, aurait lancé quelqu'un) Certes Andie l’appréciait ou plutôt le tolérait mais sans doute l’exception qui confirmait la règle. Quoi qu’il en soit, ces deux-là n’avait absolument rien en commun et il était vraiment étrange de penser qu’ils avaient pu passer leur samedi après midi... Ensemble. Là encore, il fallait dire merci à la précieuse caméra d’Aidan. Il y a quelques semaines de cela il s’était lancé dans une vidéo dans le style reportage animalier afin d’exposer la bêtises flagrante qui régnait à McKinley. Entre les guerres de chorales et les slushy qui volaient à volonté, lui, du haut de son mètre 80, avait tenté d’apprivoiser la faune sauvage du lycée de Lima. Et si beaucoup lui avait adressé des regards noirs ou des « new kid, you suck », personne n’avait fait autant d’effort que Kara pour éviter ce fameux objectif. Il n’avait même pas eu le temps de lui assurer que non, il ne s’agissait pas d’un film pour adulte et ce même si cela pouvait paraître « louche » qu’il choisisse de filmer tous un groupes d’adolescentes en mini-jupe.

« You’re not even my type, relax. » avait assuré Aidan à Kara, refusant de baisser sa caméra. Mais non, n’y faisait, visiblement, la brune ne tenait pas à ce que le monde entier la voit se trémousser avec des pompoms, chose qu’Aidan pouvait respecter. (Ou pas, pas de doute que si lui avait un uniforme de cheerleader... Bref.) Sauf qu’Aidan n’avait pas supprimé la vidéo, loin de là, il avait décidé de la garder et de s’en servir pour s’assurer que l’adolescente l’aiderait de temps à autre. Car oui, manquer de se faire attraper au centre commercial de Lima n’avait pas refroidi ses envies de vol, certes, cela avait été une tentative plus que raté mais même Aidan Weatherly apprenait de ses erreurs. Et embrasser Andrew (définitivement, Harry lui allait mieux), lui avait en autre appris que faire diversion était une bonne chose et c’était là que Kara et son joli minois entrait en action pour distraire pendant qu’Aidan se servait. Le lieu du crime ? Le centre commercial de Columbus, là où personne ne les connaissait et ils étaient juste deux étudiants qui trainaient au centre commercial le week end. Le crime parfait et un très bon moyen de conclure cette période de sa vie se disait Aidan. Oui, peut être qu’il devenait sage.... Enfin, ou peut être qu’il avait bien fait de piqué cette paire de lunettes... rose. Le blond tourna la tête dans tous les sens, l’étiquette avec le prix de la monture lui tapotant le nez tandis qu’il se tournait vers Kara. « Je persiste... Le rose n’est vraiment pas ma couleur... Au fait c’est toi qui a les tickets de bus pour le retour ou pas ? » Ceci étant dit, le jeune homme se mit à fouiller dans son sac à dos. Il eut un maigre sourire face aux lunettes de soleil, porte clés et tubes de mascara et autres accessoires volés. Le mascara était plus pour Kara que lui mais ils se partageraient leur butin une fois qu’ils seraient de retour à Lima.

Ce n’était pas cela que le jeune homme cherchait dans l’immédiat non. Mettant enfin les mains sur sa caméra, il la sortit de son sac, regardant Kara.  « Et on va dire qu’on est quitte Sparks... » Parce que même si Aidan comptait bien mettre blackmailing sur son CV un jour, même lui connaissait les limites d’une bonne blague et la brune avait assez souffert. (Et ce même si le jeune homme devait admettre que lui donner des ordres avaient été marrant, surtout face à l’air furibond de la jeune fille). Le blond ouvrit sa caméra, rejouant la fameuse vidéo avec la Sparks et ses pompoms en action. « Tu veux presser le bouton delete toi même ou... ? »

Avec un sourire enjôleur, la jolie brunette entra d'un pas fier dans la boutique d'accessoires. Le centre commercial de Colombus était vraiment immense et Kara se fit la réflexion qu'elle devrait venir plus souvent ici, le choix étant tout de même plus large qu'à Lima. Et il y avait une boutique MAC ici. Dans laquelle elle avait d'ailleurs forcé son camarade de shopping à aller, avec force de persuasion et de menace de tout arrêter et de le dénoncer. Cela avait donné un côté film de gangsters des années 70 à leur journée de petite délinquance. Et en échange de leur razzia de cosmétiques, la voilà dans ce magasin d'accessoires, principalement pour hommes, des plus clinquante par ailleurs. Elle se retint de froncer les sourcils en voyant un ridicule assortiment de bonnets sur un présentoir. On était en plein de mois de mai bon sang. Une lueur espiègle dans les yeux, elle s'approcha de l'agent de sécurité, qui regardait dans le vide avec un vague air bovin. Elle doutait qu'une distraction soit nécessaire, d'autant que l'unique caméra de surveillance pointait en direction de la caisse. Néanmoins, little K entendait bien remplir sa mission pleinement et mettre toute cette affaire derrière elle. Le pourquoi du comment elle se retrouvait là, à minauder devant ce type qui fixait sa poitrine d'un air libidineux, était ridicule. Et pourtant, elle était là. Parce que cet abruti d'Aidan s'était mis en tête de filmer une session d'entraînement des Cheerios et que malgré les efforts considérables qu'elle fournissait, la jeune Sparks ne pouvait lâcher prise de sa paranoïa. Et l'idée que la vidéo circule dans la petite ville, que sa mère tombe dessus par un quelconque coup tordu du hasard, était tout bonnement impensable. Alors Kara s'était laissée entraîner dans cette aventure, tout bonnement soumise au chantage du blondinet. Ca aurait pu être pire, elle le savait bien. Mais il prenait un malin plaisir à la faire tourner en bourrique et s'amusait clairement de la situation, en lui donnant des ordres avec une mine taquine et brandissant sa camera comme une arme menaçante quand elle traînait des pieds. Alors elle tortilla une mèche de ses cheveux, tout en se lançant dans un récit sans intérêt, voix traînante et mâchonnement de chewing-gum vulgaire en bonus. « Vous voyez, ma copine Cindy est venue la dernière fois, elle a voulu signaler un type suspect et après, c'est elle qu'on est venu embêter. Y a un type qui a voulu fouiller son sac quoi, vous vous rendez compte? Ca se fait trop pas, en plus il l'a accusée de vol. Cindy, voler? Genre. C'est pas possible, la meuf elle est trop sage. » Elle jeta un oeil à la chevelure blonde d'Aidan qui réapparut dans son champ de vision et qui lui fit signe que tout s'était bien passé. La brunette fit une pause, pour gonfler une bulle imposante qui éclata bruyamment, le temps que son complice quitte la boutique. « Enfin voilà quoi, c'était juste pour vous dire que c'est grave pas cool et que je dirais à toutes mes copines comment ça se passe ici et elles viendront pas. » Dressant le menton d'un air insolent, elle lança un dernier regard noir à l'agent, place et indifférent à son petit speech, puis tourna les talons pour rejoindre Weatherly quelques mètres plus loin dans l'allée centrale.

Ce fut fort heureusement leur dernier arrêt et ils reprirent bientôt la route vers l'université, d'où le bus qui les ramènerait à Lima partait. Ils avaient encore un peu de temps avant le dernier passage et ils marchaient donc d'un pas tranquille à travers la ville. Little K leva les yeux au ciel quand il tourna la tête dans sa direction et arracha les lunettes de son nez d'un geste assez brusque. « Imbécile, tu veux te faire arrêter ou quoi? » S'il avait envie de foutre sa vie en l'air et de garnir son casier judiciaire, c'était son problème mais la jeune fille ne voulait pas être entraîner là-dedans. Elle avait un bel avenir qui l'attendait. Une revanche à prendre sur la vie tout ça. Et elle se refusait donc à tomber dans les clichés des enfants pauvres, tous voleurs, fainéants et incapables de s'élever au dessus de leurs conditions. Les filles Sparks, dans leur majorité, n'étaient pas comme ça. Elle porta donc l'étiquette à sa bouche et, en quelques coups de dents acérés, l'arracha et vint naturelle poser la paire de lunettes sur sa tête. Elle méritait bien ça. « Et le rose me va bien au teint en plus. » ajouta-t-elle comme pour se justifier. La Cheerio mit ensuite une main dans sa fidèle sacoche en cuir, pour en tirer les deux billets, qu'elles avaient visiblement bien fait de garder. « Tiens. » dit-elle en lui tendant le morceau de papier, la mine encore fermée. La gamine ne pouvait nier qu'une certaine adrénaline l'avait prise lors de leur petit manège et qu'elle aimait les petits jeux, ces personnages qu'elles jouaient dans ses mensonges. Mais le vol était une activité qui avait toujours été fortement condamnée dans sa famille, ses grands-parents maternels ayant étaient des commerçants, prospères à une époque. Et son père entrait peut-être en lente fusion avec le canapé du salon, mais il était un homme avec une certaine éthique. Les Sparks étaient peut-être pauvres mais ils étaient dignes. Honnêtes. Et malgré sa rébellion adolescente, sa volonté de se dresser contre l'autorité maternelle, le larcin était un des actes sur la liste qu'elle était le plus réticente à accomplir.

Et pourtant, elle avait bien mis cette paire de boucles d'oreilles dans sa poche. Et un poids semblait s'être glissé dans sa veste en cuir et elle avait quitté le magasin avec une sensation de malaise qu'elle avait rarement ressentie. Ce besoin de se prouver qu'elle était aventureuse et qu'elle ne se laisserait pas limiter et définir par les préceptes familiaux avait peut-être trouver ses limites. Même si ses restrictions morales ne l'avait pas empêchée d'accomplir le délit. Il fallait croire qu'elle vivait largement dans le gris. Et si cela soulevait quelques questions dans son esprit, elle ne pouvait pas dire que la sensation était pleinement déplaisante. Il y avait quelque chose de galvanisant dans l'entreprise, même si c'était sous l'emprise de cet abruti chevelu. Qui semblait néanmoins posséder lui aussi une once de décence, proposant à Kara de supprimer elle-même la vidéo compromettante. Elle lui lança un regard suspicieux, se demandant s'il s'agissait d'une blague. Elle saisit néanmoins la caméra d'un geste vif, histoire de l'empêcher de revenir sur sa décision et après avoir jeté un rapide coup d'oeil aux divers boutons, trouva sans mal le petit bouton doté d'une corbeille. Sans regrets, elle supprima la vidéo et rendit l'appareil à son camarade, non sans demander. « T'as pas fait de copies hein? Parce que si je consultes ta chaîne ou ta sous chaîne ou ton disque dur et que je la trouves, tu me le paieras Weatherly. » La jeune fille planta ses prunelles claires dans celles de son interlocuteur, faisant clairement comprendre qu'elle ne plaisantant pas. Ils étaient finalement parvenus à l'arrêt de bus, qui devait arriver d'une minute à l'autre maintenant. Little K lança alors un regard en coin au blond, se mordillant la lèvre inférieure, hésitante. Une question la taraudait en effet et elle s'était surprise à bien s'amuser ces derniers temps en la compagnie du youtubeur. Tant qu'il ne cherchait pas à braquer sa caméra sur elle, la brunette appréciait son humour étrange et son franc parler. Son attitude la changeait agréablement de l'hypocrisie qui régnait dans les couloirs du lycée. Peut-être qu'Aidan était un maître chanteur, mais il tenait parole et avait le mérite d'être direct. Si Sunny avait été l'instigatrice de ce genre de deal, la fouine blonde aurait sans doute fait planer ses éléments de chantage au dessus de sa tête un sacré bout de temps, attendant l'opportunité idéale pour avoir exactement ce qu'elle voulait. Cela la rendait sans doute plus maligne mais les choses en l'état actuel arrangeaient bien la pompom-girl. Elle pencha un peu la tête vers son camarade et demanda finalement. « Dis-moi, tu fais ça souvent? Voler j'veux dire, pas faire chanter les Cheerios. » Un sourire taquin apparut sur le visage de la brune et elle ajouta. « Tu fais ça parce que t'en as besoin ou juste pour le fun? » L'idée d'une telle prise de risques, à répétition, pour la simple montée d'adrénaline dépassait la petite Sparks autant qu'elle l'intriguait. Et si elle pouvait en parler à quelqu'un, c'était à cet énergumène là.

Aidan ne fut guère surpris lorsque la brune lui ôta ses nouvelles lunettes du nez ou même quand elle s’empara rapidement de la caméra, la jeune fille visiblement plus que prête à mettre toute cette histoire derrière elle. Pas besoin de lui faire remarquer que cette caméra était son bébé et qu’elle aurait dû la tenir avec un peu plus de soin… Non, Aidan n’avait pas envie qu’on lui renvoiE la dite caméra en pleine figure, il avait eu son lot d’émotion pour la journée, pour une vie même. Entre son rendez vous à la banque ce matin et leur petite séance shopping, le jeune homme était certain qu’il allait bientôt trouver des cheveux blanc parmi ses mèches blondes. Et oui, peut être qu’il exagérait légèrement mais il ne serait pas autant lui s’il n’en faisait pas des tonnes. Quoi qu’il en soit, il fut plus que content lorsque Kara lui rendit sa caméras, les tickets de bus. Voilà, maintenant ils retournaient tous les deux à Lima et ils continueraient chacun leur petite vie rangée de leur côté, Aidan avec ses vidéos et elle son uniforme… Kara aurait tout de même fait un bon sujet pour une vidéo, elle était plutôt du genre photogénique (et oui, c’était sa manière à lui de dire qu’il la trouvait plutôt jolie) et dans le fond, elle pouvait être à l’aise devant une caméra. Visiblement pas en uniforme. Mais tout ceci était derrière eux, la vidéo était effacée. Il laissa échapper un léger rire cependant, des copies, vraiment? Kara le sur-estimait beaucoup, il n’avait pas pensé à son plan machiavélique plus que ça, il avait vu une opportunité et il avait foncé voilà tout. Elle se serait emparée de son sac dans les couloirs du lycée, l’affaire aurait été oubliée depuis longtemps, fort heureusement, elle ne l’avait pas fait et ça quelque part, Aidan lui en était reconnaissant.  « Oh et tu vas faire quoi? M’attaquer avec du mascara? … C’est bon je plaisante, c’est la seule copie je le jure et si ce n’est pas le cas tu pourras… tu pourras t’en donner à coeur joie sur ma personne… » finit par répondre Aidan, haussant les épaules. Elle n’avait absolument aucune raison de le croire, il pouvait très bien mentir et se cacher derrière des barrières de nonchalance, comme il l’aurait très certainement fait par le passé mais Aidan devait bien admettre qu’en dépit de tout, il avait passé de bons moments en compagnie de la brune. Assez pour la ranger dans la catégorie amie? C’était encore à voir, quoi que… sa définition du mot ami était encore assez large et maintenant que Kara ne voulait plus sa tête sur un plateau d’argent, les choses pouvaient peut être changer.

Ils n’avaient rien en commun, enfin, Aidan disait cela à partir des quelques informations qu’il avait sur la cheerleader, c’est à dire… Pas grand chose dans le fond. Non, ce n’était pas son genre de faire des background check sur les gens, surtout pas quand lui mettait un point d’honneur à défendre son propre passé et sa vie râtée… Kara était Kara tout simplement et il préférait avoir cette version plutôt directe et légèrement superficielle de la jeune fille plutôt que de fouiller par lui-même. Visiblement, elle avait quelque chose à protéger en supprimant cette vidéo… mais quoi? Un ancien petit ami dans un autre lycée à qui elle aurait brisé le coeur et qui s’était juré de la retrouver et de lui faire payer? … Hmm… C’était vraiment la dernière fois qu’Aidan passait sa soirée devant son poste de télévision à regarder des reportages inspirés de fait réel. (Chose qui dans le fond le confortait dans son idée de : ma vie aurait pu être pire). Et en parlant de sa vie, question existentielle, pourquoi volait-il? Aidan se tourna vers elle, pour savoir s’il s’agissait d’une véritable question ou si elle le taquinait encore? Vraie question visiblement. « Oh so this is the part where we talk about our feelings and braid each other’s hair? Okay fine I’ll go first… » Aidan ne pouvait pas s’en empêcher, c’était plus fort que lui et après avoir gratifié Kara d’un grand sourire plus que faux, son expression changea du tout au tout pour une moue plus renfrognée, haussant les épaules. Là encore, un choix s’offrait au blond: mentir ou dire la vérité? Il observa Kara pendant une fraction de secondes avant de se dire que de toute façon, elle n’avait absolument aucun intérêt à raconter tout ceci à quelqu’un d’autre. Tournant la tête pour voir si le bus n’arrivait pas, Aidan reprit la parole.  « C’était vraiment pour s’en sortir au début, je veux dire… j’ai vécu dans une caravane pratiquement toute ma vie avec ma mère, c’est dur d’avoir un job stable ou autre dans cette situation… » Non pas que sa mère ait essayé de faire des efforts pour lui. Il avait déjà menti une ou deux fois sur son âge pour obtenir des petits posts lambda dans un McDonalds ou un Starbucks mais c’était difficile de réclamer sa paye quand trois jours plus tard, Moïra décidait qu’elle en avait assez et qu’elle lui disait de retourner à l’arrière de leur maison pour de nouvelles aventures. Certes, il n’avait jamais manqué de rien mais tout de même… Alors oui, ça avait commencé tôt, trop tôt, d’abord des objets sans importance, et puis un jour le portefeuille de quelqu’un qui dépassait et… voilà. Voilà pourquoi il était à cet arrêt de bus aujourd’hui.

« Donc je me suis dit pourquoi arrêter? … Mais maintenant c’est plus pour le fun qu’autre chose donc… Je préfère ne pas trop y penser. » Nouvel haussement d’épauleS, il avait été honnête pour la première fois depuis… Depuis trop longtemps en fait. Loin de se sentir vulnérable, Aidan était curieux, voulant savoir à son tour pourquoi est-ce qu’elle avait accepté de le suivre.  « Et toi, franchement … on ne peut pas dire que j’ai eu du user de beaucoup de mes neurones pour réussir à te convaincre… c’est vraiment si terrible que ça si le monde sait que tu agites des pompom? » Il accompagna sa phrase d’un haussement de sourcils qui se voulait dramatique alors qu’il rangeait enfin la caméra qu’il avait toujours dans la main. « Non la vrai question c’est plutôt… qui ne doit pas voir cet enregistrement? »

Etrangement, Kara était encline à croire le jeune homme sur paroles quand il affirmait ne pas avoir fait d'autres copies de la vidéo. De toute manière, elle le saurait bien assez tôt si ce n'était pas le cas et, même s'il ne la prenait pas au sérieux, lui ferait payer très cher un tel affront. Ceci étant, Aidan ne semblait pas particulièrement tomber dans la catégorie maître chanteur semi-professionnel. Si cette fouine de Palmer était venue la trouver avec ce type de document compromettant, ça aurait été une autre histoire. Jamais little K ne se serait sentie en sécurité en se sachant à la merci de la blonde. Mais ce blondinet ci paraissait moins menaçant. Il lui semblait avoir lancé cette manigance simplement parce que cela l'amusait et qu'il avait perçu l'anxiété de la Cheerio à l'idée que la vidéo soit rendue publique. Somme toute, il avait vu une opportunité et avait donc capitalisé dessus. Ce qui, si elle était honnête, n'était pas pour déplaire à miss Sparks. C'était exactement le genre de choses qu'elle aurait pu faire. Peut-être était-ce un truc de gosses de pauvres, savoir profiter du meilleur de chaque opportunité et ne jamais en laisser filer une. Toutefois la réflexion de la jeune fille n'en était pas là, s'étant égarée sur les motivations de son camarade. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait et on ne lui ferait pas croire que c'était la première fois qu'il prenait quelques articles dans un magasin sans passer par la caisse. Elle posa donc la question qui la titillait, s'attendant à être envoyée sur les roses avec une réponse du type "c'est pas tes oignons." Argument tout à fait valable et contre lequel elle n'aurait décemment pas pu objecter. Aidan choisit d'abord la voie de l'ironie et la gamine se contenta donc de lui renvoyer un sourire sarcastique et de se murer à nouveau dans le silence, croyant avoir enterré pour de bon tout espoir de conversation. Cependant, la jeune homme continua sur sa lancée et lui répondit avec une honnêteté déconcertante.

Trailer park trash. C'était l'expression que sa mère employait couramment pour parler de certaines des copines de classe de ses filles, quand les Sparks vivaient encore à Nashville. Là bas, vivre dans un campement de caravanes et chasser soi-même son repas du soir était monnaie courante et ce type d'individus n'étaient pas spécialement bien vu. Kara n'avait jamais vraiment compris pourquoi c'était pire d'être pauvre dans une caravane qu'être pauvre dans une maison, du moins sur un plan social. Certes, elle et ses soeurs avaient plus de place et était plus enclins à dépasser un jour le seuil de pauvreté, mais ils étaient tous dans le même bateau. Et c'était d'autant plus vrai maintenant, qu'ils étaient logés charitablement et sautaient régulièrement le repas du soir. Mais Louise aurait dit qu'Aidan était un sale gosse, un fils de bon à rien, qui ne ferait que leur attirait des ennuis. Sans prendre en considération le fait que si les femmes Sparks avaient une qualité, c'était la détermination. Et que ses filles chéries n'étaient pas du genre à se laisser corrompre si elles n'en avaient pas envie. Il n'y avait qu'à voir Sara. Et le garçon avait lui aussi remarqué qu'il n'avait pas dû user de tellement de persuasion pour l'entraîner dans le mauvais chemin. Et nota donc rapidement le coeur du problème, cette fameuse vidéo. Little K jaugea un instant son interlocuteur, le sachant bavard et avec une audience plus large que le lycéen ordinaire. Mais il était également peu crédible. Et avait indubitablement mieux à faire que de répandre des ragots sur son compte. La franchise que l'adolescente prenait soin d'enfouir au plus profond d'elle-même refit donc surface, tout comme un accent du Sud plus prononcé qu'à l'ordinaire, signe évident qu'elle se laissait aller. « Ma mère. » La réponse était laconique, mais les explications ne tardèrent pas. « Elle m'a interdit de rejoindre les Cheerios, ce n'est pas très convenable d'après elle. Et elle m'interdit des tonnes de choses... Alors je fais de mon mieux pour les faire. » Ce n'était pas une confession pleine et entière au sujet de la Liste de Choses à ne Jamais Jamais Faire et l'utilisation qu'elle en faisait, mais c'était suffisant pour donner un aperçu de ses intentions. « Et je n'aime pas spécialement l'idée de voler, mes parents ont plein de principes et tout ça... Mais c'était assez grisant sur le moment. » Elle baissa les yeux un instant, presque honteuse d'avouer que ce rush d'adrénaline avait été salvateur dans une vie qui frisait parfois avec l'ennui. Oh bien sûr, Kara savait se divertir et avait toujours un planning chargé, des milliers de choses à faire entre l'entraînement, les cours et sa vie sociale qui se devait d'être animée. Mais elle s'ennuyait, avait besoin de nouveautés et d'aventures, ce qui expliquait en grande partie pourquoi elle s'était dotée de cette mission un peu absurde.

Le silence parut gênant l'espace de quelques secondes, la jeune fille assimilant ce qu'elle venait d'admettre à haute voix à ce qui était un quasi inconnu. Mais quelque chose chez Aidan l'attirait. Non pas d'une manière romantique ou sexuelle, mais il l'intriguait et lui donnait l'impression qu'elle pouvait lui dévoiler certains aspects moins lisses et reluisants de sa personnalité. Il pouvait par exemple comprendre ce que c'était de vivre dans la pauvreté. Il était clairement enclin à enfreindre les lois et à faire ce que bon lui semblait pour son simple bon plaisir. Et tout cela plaisait à little K. Bien sûr, elle pouvait parler à Jace et il la soutenait, mais c'était différent. Jamie était très cool et elle passait toujours d'agréables moments avec lui. Andie était un rayon de soleil permanent. Et il y avait bien sûr Addison. Mais quelque chose chez ce garçon était différent. Et elle avait le long trajet de bus, qui pointait son nez au coin de la rue, pour découvrir si oui ou non elle avait envie d'en apprendre plus sur le jeune homme. Elle s'empara donc de son bras avec un franc sourire et l'entraîna vers la porte du bus, grappillant les premières places de la file d'attente qui se formait pour monter à bord. Ils présentèrent leurs billets au conducteur et allèrent naturellement s'installer sur les sièges du fond, s'étalant sur toute la banquette sans gêne aucune. Sparks tira un grand paquet de chips, un peu écrasé, de sa sacoche en cuir et l'entama avec un sourire bienheureux, avant d'en proposer à son camarade. « So, what's your deal Weatherly? Non, parce que ça fait un peu pervers de filmer des filles en mini-jupe sans autorisation. Et il y a un narcissisme évident dans le concept de la chaîne Youtube. » Un sourire taquin étira ses lèvres et atteint même ses prunelles claires, présentement rivées sur son vis-à-vis. Un road trip et une séquence de shopping peu légale, c'était quasiment la définition même de l'amitié chez Kerouac. Et peut-être le serait-ce aussi pour ces Bonnie and Clyde d'un jour.

Aidan ne s'attendait pas à ce que la brune lui dise la vérité. Après tout, il n'y avait vraiment rien qui les liait et une fois le trajet de bus terminé, ils étaient libres de reprendre le cours normal de leur vie. Normal. Si le blond savait encore ce que cela voulait dire, tout était si compliqué récemment qu'il se félicitait intérieurement de son self control. Qu'on ne le traite surtout pas de gamin, un véritable gamin ne se serait pas juste contenté de claquer la porte et de partir non. C'était plus cela qui l'étonnait en fait, il jonglait entre sérieux et auto-dérision et sa virée avec Kara en était un parfaite exemple, pas tout à fait un adulte et définitivement pas un enfant… Est-ce que c'était juste cela le lycée au final? Une expérience très désagréable où il apprenait une bonne leçon de vie? Non, tout ce qu'il avait appris au lycée c'était de rester à sa place et de ne surtout rien laisser de précieux dans son casier. Tout le monde mentait de toute façon et il en avait eu la preuve encore une fois aujourd'hui avec Kara. Elle aussi pouvait bien sourire pour amuser la galerie et ensuite le remettre à sa place pour enfin être… elle-même. Il ne dit rien tandis qu'elle lui révélait la vérité et il se contenta d'un maigre sourire aux lèvres. Aidan pensait surtout qu'au final toutes les histoires étaient les mêmes, maman et papa qui leur disaient quoi faire parce qu'ils savaient tout mieux que les autres et que bien évidemment, il fallait hocher la tête sans rien dire. Oui, Aidan était ravi d'apprendre que ce n'était pas que chez lui que ce problème était récurrent, au final, ils étaient tous dans le même bateau, que ce soit lui avec sa mère ou Kara avec la sienne. Il avait presque envie de lui dire qu'ils pourraient recommencer à l'occasion mais le jeune homme était réaliste, s'ils commençaient à devenir moins prudents, ils se feraient attraper lors de la fois de trop et franchement… Il ne voulait pas courir ce risque. Il avait appris de ses erreurs depuis la fois dans le centre commercial de Lima, plus de Columbus pour eux. Et puis Aidan n'avait pas de voiture, sinon, il aurait sans doute proposé à Kara d'aller plus loin et d'explorer l'Ohio, peut être un week end, peut être même plus, et d'arriver au lycée avec des têtes d'enterrement et s'endormir en cours. Pas de doute que s'ils arrivaient tous les deux dans cet état-là, les gens allaient en parler jusqu'à la fin du mois, mais en même temps, c'était un peu le défaut de leur génération, parler de choses qu'ils ne pouvaient pas contrôler et dont ils ne savaient vraiment rien dans le fond.

Aidan eut un soupir y pensant et il réalisa quelques secondes plus tard, qu'il aurait sans doute dû dire quelque chose pour rassurer Kara. Lui faire comprendre qu'il ne dirait absolument rien et ce à qui que ce soit, mais bon, Aidan avait déjà dû mal à trouver les mots en temps normal ce qui résultait en lui qui disait n'importe quoi alors… Le blond préféra garder le silence et regarda le bus se garer devant eux d'un air distrait. Il se laissa entraîner dans le véhicule, surpris par l'élan de Kara mais au final, il était bien content d'être assis. Il profita des sièges pour s'étendre de tout son long et il sortit une des paires de lunettes et prenant soin d'enlever l'étiquette cette fois-ci, Aidan les vissa sur son nez, les bras croisés dans sa veste en jean, se disant qu'il avait l'air très cool. Correction, il était cool. Il accepta les chips qu'elle lui proposait, réalisant qu'il ne s'était vraiment alimenté depuis quelques heures déjà et il manqua de s'étouffer à sa question, tentant de rire et d'avaler en même temps, un exercice de coordination pas demandé à tout le monde. "Alors quoi… Tu sais déjà que tous les hommes avec une caméra dans les mains sont des pervers? No doubt Sparks, you already know a lot about being an adult." lâcha enfin le jeune homme, ne pouvant s'empêcher encore une fois d'être sarcastique. Il était parfaitement conscient de ne pas répondre à la question, Kara méritait ça, après tout, elle avait été honnête avec lui, autant faire de même."Plus sérieusement je ne sais pas… c'est juste arrivé… comme ça." Non, ce n'était toujours pas ça, ce n'était pas comme si la jeune fille était la première à lui poser la question. Pourquoi? Pourquoi pas tout simplement répondait toujours Aidan avec un grand sourire aux lèvres avant de sortir sa caméra. Il se gratta l'arrière du crâne, pensif, avant de lâcher. "Non je te fais marcher, c'est à cause de ma mère aussi." Il marqua une pause et se demanda si c'était là le moment où il devait parler de la tentative de suicide de sa mère qui l'avait conduit à faire sa première vidéo. Non, ce n'était pas une bonne idée, il n'avait pas vraiment de sapper le moral de Kara et puis elle comprendrait très certainement que ce n'était pas quelque chose qu'il était prêt à dire à voix haute, dans un bus, au milieu de nul part.

"Je ne vais pas rentrer dans les détails, on est pas là pour ça de toute façon… C'est juste ma thérapie perso en quelque sorte. Je veux dire je ne fume pas, je ne me drogue pas, je ne fais parti d'aucun club, je me contente juste d'être très lourd quand je le veux et je filme les gens et je fais des montages et je poste ça sur ma chaîne youtube. C'est le seul truc que j'ai qui soit vraiment à moi… Si tu vois ce que je veux dire." Le blond marqua une nouvelle pause, caché derrière ses lunettes de soleil. C'était la première fois qu'il l'admettait à voix haute, et encore, il se retenait de lui décrire à quel point les choses lui paraissaient tout de suite moins moches et beaucoup plus colorées à travers l'objectif de sa caméra. Il n'y avait pas vraiment de non ou même de restriction, c'était simple, pas besoin de se poser de questions… Pas de doute que s'il disait ça à voix haute, il passerait vraiment pour un dégénéré. "Ou alors je dis des bêtises et je suis vraiment la personne la plus narcissique du monde et tu m'as vraiment cerné. Man you're really good at this." Il ponctua sa phrase d'un léger rire avant de se servir dans le paquet de chips. Kara allait savoir beaucoup de choses compromettantes sur lui et étrangement il se disait qu'il pouvait quand même vivre vivre avec cela. Et au pire quoi? Lui quittait le lycée à la fin de cette année scolaire là alors plus de problème à part quoi faire de son été. "Aussi est-ce qu'on va continuer de se dire des trucs personnels et super embarrassants tout le trajet, non que je me prépare psychologiquement à nier cette conversation une fois qu'on sera arrivés à Lima. Il faut aussi que tu me dises si je dois t'ignorer dans les couloirs du lycée, je sais faire ça." Aidan haussa de nouveau les épaules, il n'était pas encore au fait des règles du lycée, mais bon, avec une cheerio pour lui dire quoi faire, cela allait peut être changer non…?

En entendant le sarcasme de son camarade sur ce qu'elle savait de la vie d'adulte, la jeune fille pinça les lèvres et plongea la main dans le paquet de chips, s'empêchant donc de parler et contenant au mieux sa vexation. Elle n'aimait pas être prise pour une idiote. Et plus encore, elle détestait qu'on lui rappelle sa condition d'ado de quinze ans qui ne connaît rien à rien. Peu de choses l'irritaient plus que d'être considérée comme une gamine écervelée par des gens qui avaient deux ans - peut-être trois, maximum - de plus qu'elle. Little K avait souvent été la benjamine de ses groupes d'amis, sans nul doute parce qu'elle fréquentait les amies de ses soeurs et avaient toujours eu tendance à sympathiser avec des enfants plus âgés qu'elle. C'était généralement un état de fait rapidement oublié ou qui n'était que le sujet de quelques plaisanteries bon enfant. Mais il arrivait qu'on l'exclut à cause de son jeune âge, qu'on essaie de lui inculquer une quelconque leçon ou qu'on veuille la protéger. Elle n'était pas impotente ou stupide. Elle était sans aucun beaucoup plus mûre et responsable que les trois-quarts des lycéens de McKinley High. Elle aurait bien aimé voir quelques unes des Cheerios essayer de se débrouiller toute seule plus de trois jours. La dure réalité du monde n'était aucunement étrangère à Kara Sparks et elle mourrait parfois d'envie de le faire savoir à ses chers camarades. Mais cela impliquait révéler sa situation familiale au grand jour, ce qui était bien entendu hors de question. Alors comme d'habitude, la brunette mordilla l'intérieur de sa joue et garda ses remarques acides pour elle. D'autant plus que ce n'était pas une riche fille à papa qui s'évertuait à lui expliquer l'importance d'un budget bien organisé - l'ironie avait été cruelle ce jour là - mais une simple blague d'un jeune homme qui était lui aussi familier de la détresse financière. Et qui, apparemment, s'y connaissait aussi bien qu'elle en rapport familiaux complexes. Kara écouta avec attention son petit monologue, la tête légèrement inclinée sur le côté et sa poignée de chips ramollissant dans sa main. Elle les mangea rapidement et songea qu'elle comprenait en effet très bien ce qu'il voulait dire.

Petite dernière de quatre filles aux caractères aussi affirmés que différents, little K avait dû trouver sa place elle aussi, se distinguer de ses soeurs, s'affirmer. Son look à base de vestes en cuir, de casquettes et de jeans de toutes les couleurs et de tous les aspects était cultivé pour se distinguer du lot. Même si elle avait dû faire avec les vêtements légués par ses aînées, la jeune fille avait pris soin de se démarquer. Elle n'était pas girly et sexy comme Amanda ou l'incarnation de l'American Honey comme Sara. La petite Sparks avait même décidé de se lancer dans un sport radicalement différent de tout ce que ses soeurs avaient pu faire. En effet, le softball était loin de la passion pour l'équitation et le goût pour la danse des deux blondes de la famille. Et c'était également un moyen de garantir que son équipement lui appartiendrait réellement, que ce serait son truc. Dean avait même assisté à ses premiers match, toute sa famille l'encourageant depuis les gradins. Et maintenant que son père ne quittait le canapé que pour gagner de quoi s'acheter de la bière et que ses jerseys étaient devenus un rien trop petits, la lycéenne avait choisi le cheerleading. Ce qui aurait rendu sa mère folle si elle avait su. C'était son secret à elle, son échappatoire, l'assurance qu'elle était bel et bien unique, différente et qu'elle ne se laisserait pas écraser par la force maternelle. Qu'elle ne finirait comme le clone de l'une de ses soeurs ou pire, de Louise. Alors, elle pouvait en effet comprendre le sentiment qui avait poussé Aidan à se lancer dans la créations de vidéos. Mais, la petite n'en était pas à un degré d'intimité suffisant pour formuler à haute voix cette pensée, aussi elle se contenta de joindre son rire au sien quand il suggéra qu'il avait en effet un ego sur-dimensionné. « I get it though. » ajouta-t-elle néanmoins, sans plus d'explications. Son ton suggérait qu'elle ne disait pas cela par simple politesse, même si le blondinet était libre d'interpréter cela différemment.

Little K avait commencé à rire à nouveau quand le jeune homme s'enquit de la suite de la discussion, clamant qu'il lui fallait une bonne préparation psychologique si cela allait se transformer en moment intime digne d'une pyjama party. Toutefois, son rire s'éteignit au bord de ses lèvres pour être remplacé par un froncement de sourcils. Elle eu un soudain flashback de sa discussion avec Jace et se trouva quelque peu décontenancée. Devait-elle lui dire que oui, il ne fallait pas qu'elle soit vue en sa compagnie dans les couloirs? Elle en avait envie, non pas parce qu'elle n'appréciait pas Aidan ou parce que cela heurterait sa réputation, mais simplement parce qu'il l'avait suggéré. C'était hypocrite, puisqu'elle avait effectivement ignoré royalement un de ses meilleurs amis dans l'enceinte du lycée, simplement parce qu'elle croyait que c'était ce qu'il fallait faire. Mais little K s'était depuis rappelée qu'elle avait décidé d'être au dessus des règles. Que c'était précisément pour ça qu'elle avait adopté la mini-jupe et les pompons. Et que si Louise Sparks n'avait pas pu la brider et l'empêcher de faire ce qu'elle voulait, les pestes de McKinley High n'étaient pas prêtes d'y arriver. Elle s'enfonça donc un peu plus dans son siège, repositionna les lunettes sur sa tête qui menaçaient de tomber devant ses yeux clairs et répondit d'un ton détendu. « Je n'ai pas l'intention de transformer cette banquette en canapé de psy, t'inquiètes pas. Pour ce qui est de m'ignorer dans les couloirs, je suis blessée, je croyais que tu m'aimais bien. » Kara lui glissa un sourire en coin et ramena le paquet de chips près d'elle. « Si c'est comme ça, je garde ça pour moi. Et j'avais des cookies, mais bon du coup, tu peux leur dire adieu. » Elle avait pris les choses à la plaisanterie, ne souhaitant pas s'aventurer dans les sables mouvants qu'étaient les règles sociales du lycée. C'était beaucoup trop ennuyeux et causait déjà bien assez de soucis à la jeune fille. Elle rejeta donc son épaisse chevelure par dessus son épaule et changea abruptement de sujet comme si de rien était. « Du coup, j't'ai pas demandé mais elle est sur quoi cette fameuse vidéo? » Ce n'était pas parce qu'elle n'était plus dedans qu'elle ne valait pas éventuellement le coup d'être regardée après tout.

Aidan avait posé la question sans grande prétention, le lycée restait un monde mystérieux et inconnu pour lui et plus la fin de l'année scolaire approchait et plus il se rendait compte que dans le fond, tout ceci n'avait pas d'importance. S'il arrêtait de jouer les idiots et qu'il se bougeait un minimum, il pourrait même avoir un vrai diplôme et aller à l'université. Le blond n'était pas débile et même s'il aimait bien utiliser sa couleur de cheveux comme une excuse pour jouer les flemmards, il était bien loin de cette image. Quand Aidan avait un projet en tête, il pouvait se montrer du genre acharné et cette petite expérience à l'école lui avait bien montré qu'il était capable de se lever tous les matins pour faire quelque chose dont il n'avait pas particulièrement envie. Merci maman… pas vrai? Il mettrait sûrement des années à remercier Moïra, qu'elle ne pense pas qu'une année de lycée au fin fond de l'Ohio allait l'excuser d'avoir négligé son éducation pendant toutes ces années ou même de l'avoir privé d'un véritable père. Aidan était un cliché ambulant et il en avait pleinement conscience, mais à qui la faute? La plupart des choses qu'il savait il les avait apprises sur le tas et pour l'instant, il fonctionnait très bien. Il n'était peut être la personne la plus saine du monde avec ses illusions et ses sourires un peu trop forcés mais il vivait. Il s'accrochait juste pour s'accrocher et au final, il était convaincu qu'il avait quelque chose d'intéressant à montrer. Peut être que ce serait grâce à sa caméra ou peut être qu'il changerait de passion entre temps… Ça seul l'avenir le dirait. Pour l'instant et encore pour quelques mois, il était lycéen. Et si au début il avait eu le statut de petit nouveau, puis de type bizarre puis de mec carrément louche avec sa caméra, Aidan n'était plus au fait de ce qui se disait sur lui. Du moment que les gens parlaient de lui… Ça lui allait dans le fond, pas besoin de s'encombrer avec les détails, au moins, il y aurait des gens pour se souvenir de lui dans quelques années. Les gens dans sa famille avait tendance à péter les plombs très tôt, enfin il n'avait que sa mère comme modèle mais il aimait bien ses suppositions et il préférait s'y tenir.

Il ne savait pas non plus ce qui se disait sur Kara, il ne savait pas grand chose de ce lycée au final, et dire qu'il passait pratiquement toutes les heures de la journée dans ce bâtiment... Ses sms échangés avec Matteo se faisaient de plus en plus rares, si Michael ne l'embêtait pas pour qu'il le suive à la pause déjeuner et pour parler avec Andie, ses journées seraient un peu vides. En fait, quelque part, Aidan se préparait déjà à partir, peut être que parmi les prochain jr il y avait déjà un autre Aidan, plus blond et beaucoup plus intéressant que lui. Il se posait rarement ce genre de questions, il n'avait pas vraiment l'habitude de rester aussi longtemps au même endroit, c'était… déroutant. Il roula des yeux au mots de Kara, baissant ses lunettes de soleil nouvellement acquises pour l'observer. Sarcasme ou vérité? Impossible de se faire une idée, mais tant pis pour les cookies, il devait surveiller sa ligne tout ça… Même lui ne croyait pas à son mensonge. Le blond se redressa quelques peu sur la banquette, ne voulant pas avoir l'air d'une larve humaine tout simplement. "Hey qui a dit que je ne t'aimais pas…?" lança alors le blond. C'était presque irritant parce qu'avec Kara il ne savait pas sur quel pied danser, avec n'importe qui il savait s'il devait faire le clown ou s'il devait être un minimum sérieux. Elle était douée, pas de doute là dessus. Mais hors de question qu'il lui fasse le moindre compliment, il n'était pas encore prêt à faire ce genre d'engagement. "Tu seras ma petite soeur par adoption, et tu as intérêt à rester loin des ennuis et le prochain mec qui t'approche…" Il avait pris un faux air menaçant, qu'il parvint uniquement à conserver une dizaine de secondes avant de légèrement rigoler. "… Non je ne lui tords pas le cou, je le garde pour moi s'il est mignon. I'm an awesome brother like that."

Voilà, se disait le blond, comme ça, ça allait réveiller les rumeurs sur sa sexualité. Là encore, Aidan ne voyait pas où était le problème, comme il l'avait dit à Jace, il se considérait encore un peu trop jeune pour se faire une véritable idée, il n'avait donc aucun mal à jongler entre les deux. Enfin, moins maintenant à cause de Jeremy mais ça ne voulait pas dire qu'il remarquait moins les filles dans les couloirs du lycée, loin de là. Bref, autant en revenir à sa vidéo, c'était un sujet beaucoup plus neutre.  "Et pff… J'essayais d'avoir des bouts de vidéos pour faire un montage avant et après le lycée. Où qu'est-ce que j'ai appris au lycée… Un truc du genre, mais bon ça m'a l'air un peu stupide vu que je m'en vais enfin dans le beau et grand monde des adultes." Il écarta les bras, ponctuant le geste à la parole. Il avait beau dire, mais au fond de lui, il n'était pas prêt enfin… Aidan avait assumé les responsabilités pour sa mère pendant dix huit années sans rien dire, le lycée avait été une sorte de micro-pause et il ne savait pas vraiment s'il voulait se replonger dans toute cette galère. Trouver un job, voir même deux semblait être une bonne idée, pourquoi pas ne songer à aller à l'université. Peut être dans un an ou deux après s'être acheté une voiture rien que pour lui et être allé explorer un peu plus du pays. Aidan poussa un soupir, soudainement trop fatigué pour ses propres plans, se tournant de nouveau vers Kara. "Dis donc, toi qui m'a l'air de ne recevoir d'ordre de personne, tu sais ce que tu vas faire après le lycée?"

Kara esquissa un petit sourire en entendant le blondinet affirmer son affection et définir leur relation comme fraternelle. En d'autres circonstances, la jeune fille se serait sans doute vexée, détestant tout particulièrement qu'on lui rappelle qu'elle était l'éternelle benjamine, une simple gamine dont l'attitude rebelle faisait plus sourire qu'autre chose. Elle n'aimait pas être couvée ou maternée, qu'on la regarde avec un air amusé, qu'on lui dise qu'elle n'était qu'une enfant. La plupart de ses amis étant plus âgés qu'elle, little K se retrouvait souvent à grincer des dents face au paternalisme dont certains, en particulier les garçons, faisaient preuve. Jace était particulièrement doué dans ce domaine, n'agissant certes pas par méchanceté, mais ses élans de grand prince sur son cheval blanc pouvait s'avérer agaçant. Kara n'avait rien de la demoiselle fragile ou de l'imbécile incapable de faire quoique ce soit toute seule. Il avait beau être mû par tous les bons sentiments du monde, elle s'agaçait de sa prévenance. Pire encore, il y avait la sollicitude sans arrière pensée d'Addison, qui ne verrait jamais rien d'autre en elle que l'impétueuse et attendrissante gamine qui fleurait bon le Sud. Mais dans la bouche d'Aidan le terme de petite soeur ne semblait pas empreint de ce sentiment de supériorité, de ce sous entendu qu'il savait tellement de choses mieux qu'elle. Au contraire, il y avait l'idée qu'il était cet aîné fantasque, pas forcément le plus mâture du lot, du genre à entraîner sa cadette dans une super fête et lui montrer le chemin quand il s'agissait de faire des bêtises. Leur virée du jour allait d'ailleurs parfaitement dans ce sens. La jeune fille avait beau savoir ce que c'était d'avoir une famille nombreuse, elle n'avait pas de frère. C'était quelque chose qu'elle avait d'ailleurs regretté à une époque, son tempérament énergique et sportif ne se mariant pas spécialement bien à celui de ses aînées. Car quoiqu'en dise Sara, le yoga n'était pas un sport et Mandy allait à la salle de gym pour exhiber ses fessiers plus que les muscler. Alors elle hocha la tête et eut un léger rire, adoptant Aidan et sa proposition. « Haha, comme si tu pouvais me piquer mes mecs. Mais soit, je serais ta petite soeur chiante qui te demande d'acheter de l'alcool à sa place ! » Ce dont elle n'avait pas particulièrement besoin, premièrement parce que le liquor store au bout de sa rue n'était pas regardant sur la carte d'identité et deuxièmement, parce qu'elle trouvait toujours un SDF qui acceptait de lui payer ses bouteilles contre une commission de quelques dollars ou une bière. Il y avait aussi Jamie, qui n'était pas particulièrement regardant et ne la traitait pas avec autant de hauteur que les autres. Et Aidan semblait pouvoir tomber dans cette même catégorie d'amis.

Il lui expliqua alors dans quel but il avait filmé sa vidéo, ce qui fit plisser le nez de la jeune fille. C'était une idée somme toute intéressante, même si la lycéenne voyait mal ce qu'on pouvait apprendre à McKinley High en dehors des heures de cours. Et même durant celles-ci parfois, songea-t-elle en repensant à ce long et creux cours d'anglais qu'elle subissait chaque semaine. Et au vu de la transition autrement plus importante qui attendait Aidan dans quelques mois, une vidéo sur le sujet perdrait effectivement de son impact assez vite. Et puis, la demoiselle n'était pas certaine que les murs vieillis de leur lycée rendent particulièrement bien à l'écran. Qu'y avait-il à apprendre en filmant des Cheerios et les visages acnéiques des étudiants entre deux cours? Kara se contenta toutefois d'hausser une épaule devant cette explication, préférant mettre toute cette histoire de vidéo derrière elle. La brunette avait assez eu à faire à la chaîne Youtube du jeune Weatherly pour toute une vie. Néanmoins, ce n'était pas parce qu'elle ne voulait plus en entendre parler qu'elle n'y jetterait pas un coup d'oeil, curieuse de savoir à quoi ressemblait Aidan dans son élément. Mais avant qu'elle ne puisse s'enquérir plus avant sur les activités extrascolaires du blondinet, il lui posa une question inattendue. Non pas que son avenir ne survienne jamais dans la conversation, mais la transition était un peu brutale. Et elle ne s'attendait pas à ce que ce soit le sujet qu'il veuille aborder. C'était un peu... convenu. Elle plongea à nouveau la main dans le paquet de chips, s'autorisant un peu de temps pour pondérer sa réponse. Kara n'avait pas de grande passion, de vocation née durant l'enfance qui motivait tout son parcours scolaire. Pas de prédispositions naturelles qui rendaient le chemin évident. Oh c'était une sportive, mais pas assez impliquée ou douée pour devenir professionnelle. Elle était bonne en maths, suivant des classes avancées en la matière mais n'éprouvait pas un plaisir particulier et n'avait rien d'un petit génie. C'était toujours mieux que l'anglais cela dit, même si elle s'appliquait suffisamment dans cette matière pour avoir des notes très honorables. Elle avait encore le temps, comme le lui répétait parfois ses soeurs ou certains camarades pas très prévoyants. Mais la jeune fille ne comptait pas perdre quatre années de lycée à débattre sur ce qu'elle voulait faire plus tard, errer dans un road trip futile l'été après la remise des diplômes et abandonner la fac après deux mois pour se découvrir. Non, elle avait un plan et avait commencé à établir les domaines dans lesquels elle avait ses chances et qui rapporterait. Elle ne se leurrait pas, personne ne travaille pas par passion mais bien pour gagner sa vie. Alors autant que ça vaille le coup.

Mais même si la réponse à la question était plus simple, little K hésita. Elle n'était pas certaine de vouloir se dévoiler de la sorte auprès de quelqu'un qu'elle connaissait si peu. Peut-être craignait-elle d'être jugée, cataloguée comme une sorte de control freak un peu flippante. Mais Aidan continuait à lui inspirer une confiance qu'elle ne s'expliquait pas. Ou bien se rassurait-elle en se disant qu'il n'était personne à McKinley et quittait l'endroit bientôt. La lycéenne tourna donc ses prunelles bleues vers le garçon, termina sa bouchée de chips, tira de son sac à malices une bouteille de Coca dont elle put une longue gorgée, avant de la lui tendre. « Je ne suis pas encore décidée à 100%, disons qu'il y a quelques facteurs à prendre en compte. Mais je pense aller à l'OSU, c'est là où j'ai le plus de chances d'avoir une bourse de cheerleading. Et je pensais prendre une major en marketing, tout en gardant l'espagnol et éventuellement une autre langue. Je suis douée avec les chiffres et je sais vendre. Peut-être faire quelque chose en lien avec la pub après ça. » Elle haussa une épaule, comme pour apporter de la nonchalance à ce petit plan, clairement très réfléchi. « Je veux un métier qui me donne pas envie de me tirer une balle, mais qui me permette de rembourser l'emprunt pris pour m'offrir ma jolie maison, m'acheter une paire de Louboutins et un manteau de marque - Chanel ou Burburry, j'ai pas encore décidé - avec lesquels je puisse toujours avoir l'air distingué. » Elle eut un rire léger et ajouta, pour la forme. « Comme dirait Madonna, I'm a material girl. Mais celui qui a dit que l'argent ne faisait pas le bonheur n'en manquait visiblement pas. » C'était l'adage le plus stupide jamais entendu et avait tendance à beaucoup irriter l'adolescente. Les gens qui se demandent s'ils pourront payer leur facture d'électricité du mois prochain, qui ne mangent pas toujours trois fois par jour et n'ont pas su se permettre de prendre plus de quinze jours de congés en cinq ans, ces gens là savent que la corrélation entre l'argent et le bonheur existe bien. Kara Sparks, avec les petits boulots qu'elle accumulait depuis des années et les économies soigneusement cachées sous la latte branlante du parquet de sa chambre, le savait pertinemment elle aussi. Oh, elle ne demandait pas des millions. Elle voulait gagner assez pour ne pas avoir à s'inquiéter. Pour manger dans des bars à sushi et boire des cocktails sans avoir à calculer les répercussions que cela aurait sur son budget alimentaire du mois suivant. Partir en vacances. Acheter du vrai chocolat, celui avec les noms français. Offrir de vrais cadeaux à sa famille pour Noël, pas ce qu'elle dénichait en promotion, dans les marchés, les échoppes de seconde main ou sur internet. Et si on voulait la juger superficielle pour cela, elle pourrait toujours pleurer sur les sièges en cuir de son Audi.

« Je suppose que c'est le moment où tu me dis que toi tu es un artiste et que tu juges mon esprit capitaliste? » Elle sonda un instant Aidan, son regard perçant scrutant son visage avec plus d'intensité qu'elle ne l'aurait voulu. « Ou alors que tu m'avoues que toi aussi tu es une vile catin en quête de confort matériel? » Quelque chose - peut-être les lunettes volées qui trônaient sur leurs têtes et le reste de leur butin - lui disait qu'il penchait plutôt du côté de la deuxième option. Aidan, qui avait vécu dans une caravane et semblait avoir un sens de la débrouille que l'on acquiert pas en vivant dans une belle maison, avec un labrador, une piscine et une palissade blanche. Si quelqu'un pouvait comprendre son désir d'ascension sociale et d'obtention de biens matériels, c'était lui. Elle se redressa un peu, se cala plus confortablement contre le dossier et fit à son tour preuve de curiosité. « Et du coup, tu comptes sur Youtube et la poursuite du rêve américain à l'avenir ou tu vises quelque chose d'un peu plus réaliste? » La question était peut-être moqueuse mais, néanmoins, formulée sans méchanceté. Little K trouvait louable d'avoir de grandes ambitions et de les poursuivre, il n'y avait que comme ça que des femmes devenaient présidentes et qu'Hollywood recyclait sa A-list. Mais ce n'était clairement pas pour elle.

Kara avait l’air tellement sûr d’elle qu’Aidan se mit à l’envier pendant quelques secondes. Peut être que si lui aussi avait été scolarisé plus tôt, tout ceci lui aurait paru logique, son plan pour le futur, l’université, sa vie après le lycée. Mais non, il n’y avait pas de logique dans son monde et Aidan n’avait jamais fait des plans pour plus de trois mois. C’était sa limite, ou plutôt c’était sa limite de sa mère et ça le blond le savait très bien. Ils arrivaient dans une nouvelle ville, Moïra trouvait un job et pendant les premières semaines ils mangeaient quelque chose de décent et ils avaient des vraies conversations et ils échangeaient même des sourires. Et puis les jours passaient, les bouteilles d’alcool finissaient par apparaître et Aidan rentrait de plus en plus tard, inventait de nouvelles histoires, pour les raconter à ceux qui voulaient bien l’écouter. Et au final, quand tout le monde avait entendu son histoire, quand il n’était plus question de faire les fonds de poches pour trouver un dollar pour l’épicerie du quartier, ils finissaient par partir, sans jamais rien demander à personne. C’était ça, sa limite, enfin c’était ce qu’il croyait avant de débarquer ici et de se rendre compte qu’en plus de prétendre être normal il pouvait vraiment l’être. Enfin normal pour Aidan encore une fois. Peut être qu’il se serait détesté s’il avait emprunté le même chemin que les autres, peut être qu’il n’aurait même pas eu besoin de caméra et qu’il se serait retrouvé dans l’équipe de football lui aussi à courir après le ballon ou après la fille la plus populaire du lycée. Non, rien que d’y penser il avait envie de lever les yeux au ciel, il aurait fait semblant. Comme il le faisait toujours. Pas besoin de faire semblant avec Kara, pas après ce qu’elle venait de lui dire et il la félicitait d’ailleurs de sa capacité à garder un visage impassible pendant ce qui semblait être devenu leur séance de thérapie personnelle. Au moins, pour ce qui était de briser la glace, c’était fait et bien fait. Il espérait vraiment que Kara arriverait au bout de son plan, elle semblait déterminée et plus important, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. Pas de doute qu’elle irait loin. Peut être même qu’ils se croiseraient sur le campus un de ces jours. Oui, la il divaguait vraiment. Aidan laissa échapper un rire alors qu’elle le qualifiait d’artiste. Non, lui se contentait de faire mumuse pour passer le temps, il commençait tout juste à réaliser ce qu’avoir un diplôme pouvait symboliser.

Oui en fait, c’était ça, Aidan réalisait tout juste qu’il n’était pas obligé de passer toute sa vie dans une caravane et il se demandait s’il devait culpabiliser parce qu’il était… heureux? non, bien, oui, juste bien. Bref, elle lui avait posé une question et il songea quelques secondes à sa caméra avant d’hausser les épaules.  « Je crois que je suis aussi réaliste et matérialiste que toi je veux dire, les facteurs ne se payent pas avec un joli sourire et crois moi j’ai essayé. » Bien entendu là, il ne plaisantait pas du tout mais c’était dit avec le sourire alors c’était tout ce qui comptait, pas vrai? C’était bien ce qu’il disait alors qu’il reprenait, plus lentement cette fois-ci:« Je pense que je vais finir à l’université, tout ce que je sais à propos du cinéma je l’ai appris sur le tas, il serait temps que j’ai de vraies compétences tu vois? Et une fois que ça sera fait, je verrai bien si j’arrive à quelque chose ou pas. »  Même lui n’avait pas échappé au message d’orientation et autres brochures qui circulaient en ce moment au lycée, il y en avait deux ou trois bien cachés sous son lit et ça, même s’il refusait de l’admettre. Il était juste tellement habitué à survivre que vivre? Il ne savait pas ce que c’était, il avait envie d’essayer de faire la chose qui lui tenait le plus à coeur et qui l’avait sorti de pas mal de mauvais jours. C’était superficiel là aussi et bien sûr que oui il cherchait à compenser, mais Aidan n’avait trouvé que ça pour s’exprimer.« C’est juste histoire de me dire que j’ai … poursuivi mes rêves et oui je réalise à quel point ça pourrait faire une bonne chanson de country. » Il se donnait envie de vomir à dire ça à voix haute, mais voilà c’était dit, plus question de revenir en arrière, pas question de fuir comme il l’avait fait avec Jillian quelques semaines plus tôt, il était là et il venait d’admettre que oui, il avait songé à un éventuel futur. Aidan y pensait tout le temps en fait, il pensait toujours à telle ou telle scène qu’il voulait tourner, où comment est-ce que cela pourrait être génial si quelqu’un décidait de faire un film sur tel ou tel sujet…

Aidan laissa échapper un soupir, fatigué par ses propres pensées, rencontrant le regard de Kara.  « Mais arrêtons de parler des choses qui fâchent, on a encore du temps avant d’arriver à Lima et de revenir à la réalité. » La réalité, leur si belle ville et leur charmant lycée. Non, vraiment, Aidan n’avait pas du tout hâte d’être à lundi, il leur restait encore un peu de temps donc. Le blond s’étira, fouillant une nouvelle fois dans son sac.  « … Je sais, je vais te montrer tous les trucs super compromettants qu’il y a sur cette caméra. Et promis, tout le monde garde ses vêtements… Enfin je crois, non je plaisante. » déclara le blond, se rapprochant de Kara. Peut être qu’il aurait dû lui dire qu’il avait passé une bonne journée et que ça lui avait fait du bien de parler, peut être. Mais franchement? Ce n’était pas une confidence qu’il était prêt à faire et quelque chose lui disait que la jeune fille avait déjà compris le message.