Epongeant la sueur de son front, Matteo regagna les vestiaires après l’entraînement ce soir-là. Le coach Evans leur avait imposé une séance supplémentaire après les cours en prévision d’un match le week-end suivant. Il avait dû annuler la visite de l’OSU à Columbus où Kayla avait prévu de le traîner lorsqu’elle s’était rendue compte que le jeune homme n’avait pas spécialement fait de projets d’avenir pour l’année suivante. Il n’avait pas l’intention d’aller à l’université, mais il n’avait pas osé le dire à la rouquine, de peur de la froisser, elle qui avait l’air si enthousiaste à l’idée de lui faire visiter toutes les universités d’Ohio, décidément peu encline à ce qu’il retourne à New York vivre seul. En réalité, il y avait une seconde raison, derrière son non-refus des visites : il s’était dit que peut-être qu’en visitant une université, il aurait une soudaine illumination d’un cursus qui lui plairait. Il y avait sans doute un cursus d’études cinématographiques quelque part, ce qui serait sans doute un plus dans son métier. Sauf que de l’autre côté de la balance, les études retarderaient la reprise de sa carrière qu’il avait mis en pause depuis déjà trop longtemps à son goût. Il avait quitté le monde du luxe et des paillettes, et la brève soirée qu’il avait passé dans un bar huppé de New-York lors de son voyage scolaire ne lui avait pas rappelé le goût savoureux que cela avait autrefois. Bien au contraire, il se posait encore plus de questions sur lui-même, et le fait qu’il ne soit peut-être pas aussi talentueux que ses fangirls d’internet et des tapis rouges le laissaient entendre. Quoi qu’il en soit, depuis cette rencontre inopiné avec Megan Morgan qui avait légèrement viré à la catastrophe, Matteo avait tenté de se concentrer plus sur le seul loisir qu’il avait : le football. Même si ce n’était pas une pratique artistique, il s’était investi plus amplement dans le jeu, et avait progressé de façon assez inattendue.

L’atmosphère emplie de testostérone des vestiaires lui donnait simplement envie de partir. Il ne s’entendait pas forcément avec les membres de l’équipe, dont la plupart se croyaient les rois du monde, aptes à ramener plus bas que terre tous ceux qui n’étaient pas à un rang social aussi élevé qu’eux. Mais sérieusement, pensaient-ils qu’une fois sortis du cocons de leur maison parentale et livrés à eux-mêmes dans le monde réel, le fait que untel ou untel ait été footballeur à McKinley High, Ohio, allait impressionner qui que ce soit, leur redonnant le même statut social qu’ils avaient au lycée ? Ils pouvaient purement et simplement se mettre les doigts dans le nez. Et en sachant cela, Matteo avait la capacité de ne pas s’abaisser à de telles futilités. Il se débarrassa rapidement de son équipement et de ses vêtements afin d’aller se doucher, et de pouvoir rentrer chez lui au plus vite. Ce n’était pas comme s’il avait envie de passer du temps avec tous ces abrutis. Evidemment, il y avait des exceptions à la règle, et heureusement. Le jeune homme se lava sans se poser de question, même lorsqu’Henry pris la douche d’à côté. Ayant repéré des coups d’œil étranges quelques mois plus tôt vers son service trois pièces, l’adolescent s’était interrogé sur la potentielle homosexualité de son coéquipier, que personne n’avait jamais vu avec une fille, ce qui était étonnant pour un footballeur pouvant avoir toutes les filles à ses pieds. Matteo n’appréciait pas vraiment son comparse – du moins, il ne l’appréciait plus – et c’était une des raisons pour lesquelles il n’avait pas cherché plus loin, et se fichait royalement de l’orientation sexuelle de ce dernier. Si encore ils avaient été amis, il aurait sans doute cherché à l’aider à sortir du placard, mais ce n’était pas le cas.

Une fois lavé correctement, il attrapa sa serviette et se sécha, avant de finalement se rhabiller. Il se tourna vers Julian, un des seuls avec qui il s’entendait bien. « Hé, ça te dirait de te manger un bon gros MacDo, ce soir ? » proposa-t-il alors qu’il s’éloignait déjà vers la porte, un goût imaginaire de CBO lui réveillant les papilles. Alors qu’il sortait son téléphone de sa poche pour envoyer un message à sa cousine, il capta un nom dans une conversation au loin. Un nom qui lui était bien familier, et qui n’avait plutôt pas intérêt d’être prononcé par Porter Davis, celui de Candace. La fois où il l’avait frappée à New York était restée dans la gorge du jeune homme. Ayant sans doute remarqué le regard noir que Matteo venait de lui jeter, Davis vint se planter devant lui, pour lui murmurer quelque chose à l’oreille avec insolence. « Tu vois ta copine Candace, ? haha, je suis sûre que si tu lui enlèves ses vêtements de bonne sœur, elle est plutôt bonne cette salope. Tu devrais essayer ». Depuis plusieurs mois, il se retenait de donner à ce gars la leçon qu’il méritait, on ne traitait pas une fille de cette façon. Que ça soit Candace ou une autre. Evidemment, son amitié avec celle-ci ne faisait qu’amplifier le ressentiment qu’il pouvait avoir à l’égard de ce crétin. L’adolescent s’était retenu, retenu, et encore retenu, craignant les conséquences que cela pourrait avoir. Mais c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Ni une, ni deux, il fourra son portable dans sa poche, oubliant instantanément le texto qu’il devait à sa cousine, et la main qui le tenait se transforma en poing, et atterrit avec force dans la cavité nasale de son coéquipier, qui n’eut pas le temps de réagir. Matteo eut le temps de voir un peu de sang perler de son nez alors qu’il appuyait sur la poignée de la porte pour sortir. Le temps que l’autre idiot capte ce qui venait de se passer, il serait déjà loin. Il commença à longer le gymnase, se dirigeant vers le parking pour récupérer sa voiture et rentrer chez lui, toute envie de MacDonalds oubliée.

Julian se sentait enfin dans son élément. Lors de cette séance supplémentaire d’entraînement après les cours que leur avait imposé le coach Evans en prévision d’un match le week-end suivant, il se défoula et profita du mieux qu’il pouvait de l’instant présent. En effet, le football était l’une des seules choses que Julian appréciait à McKinley High. Ses notes étaient assez basses en général, et c’était grâce à son statut de quater back ainsi que ses bons résultats sportifs, qu’il pouvait espérer de passer son année. L’entrainement terminé, Julian, ainsi que le reste de l’équipe, se dirigea vers les vestiaires pour prendre une douche bien méritée.

Les vestiaires étaient l’un des endroits préférés de Julian. Non pas parce qu’il aimait voir d’autres garçons nus, non, mais il aimait ce sentiment de s’être donné à fond pendant un entraînement, ce sentiment d’avoir accompli quelque chose et d’avoir tout donné. Prendre une bonne douche après un bon entraînement, c’était vraiment le pied. Julien enleva ses vêtements bien sales, et s’avança vers les douches. Il y vit alors la plupart de ses coéquipiers. Les membres de l’équipe étaient les garçons dont la plupart des filles rêvaient, et Julian en faisait partie. Il aimait ce sport, et si ça pouvait lui amener quelques filles au passage, pourquoi pas ? Le jeune homme faisait partie de ce groupe de gars « populaires », mais il n’était pas d’accord avec toutes leurs actions. Il n’était pas du style à se moquer des gens ou à les rabaisser. Son frère était un adolescent que l’on pourrait qualifier de « différent ». Il n’avait pas de talents particuliers pour le sport, et n’était pas dans le groupe des gens populaires. C’est pour cela que Julian aimait se qualifier comme étant un gars populaire, oui, mais tolérant. Il profitait des avantages que cette popularité lui apportait, mais n’en abusait pas envers les autres.

Julian termina sa douche en toute tranquillité, et se dirigea vers son casier ou était entreposées ses affaires. En chemin, il aperçut Matteo Chester, un de ses coéquipiers. Matteo n’était pas comme le reste des joueurs de foot. Il était assez simple et sympa. Julian aimait penser qu’ils avaient un peu le même caractère, et c’est ainsi que les deux étaient devenus assez proche. En fait, il s’était rencontré lors d’un entretien à Aéropostale. Matteo est une des égéries, et Julian cherchait un travail. Ils avaient échangés quelques mots ce jour-là, pour ensuite se revoir au lycée. Depuis, il était assez proche et par ailleurs, ils partageaient une haine commune pour Henry Watson Brown. Que demander de plus ? Julian fit un sourire au jeune homme, et celui-ci lui demanda alors : « Hé, ça te dirait de te manger un bon gros MacDo, ce soir ? »

La proposition du jeune brun était assez alléchante, et il fallait dire que Julian avait un petit creux. L’entraînement lui avait donné assez faim, et on ne refusait jamais un bon MacDo. Julian leva la tête pour apercevoir son ami, quand il remarqua que ce dernier se dirigea vers la sortie et avait son portable en main. Ayant terminé de se rhabiller, Julian se dépêcha de fermer son sac et s’écria « Ouais bonne idée bro, j’ai tellement faim ! ». A peine avait-il terminé sa phrase, qu’il entendit un bruit sourd.  Julian n’avait pas vu ce qui c’était passé, mais il put facilement deviner : Matteo avait mis un poing à Porter Davis, un gars de l’équipe. Julian se précipita alors vers la sortie dans le but de rattraper Mateo qui avait déjà quitté les vestiaires. Il l’apercevait au milieu du gymnase, et se mit à courir jusqu’à le rattrapper et il se placa devant ce dernier, comme pour lui barrer la route. « Mec, qu’est ce qui se passe ? Pourquoi t’as frappé Porter ? Il t’a dit quoi ? ». Julian était inquiet, il ne comprenait pas ce qui avait poussé son ami, d’habitude assez calme, à agir ainsi. Il cherchait des réponses et espérait en avoir. Il rajouta alors « Vas y raconte-moi » tout en lui indiquant de continuer la chemin vers le parking.

Non, il ne regrettait pas ce qu'il venait de faire. Bien loin de là. Au moins, Davis avait eu le traitement qu'il méritait depuis si longtemps. Et que visiblement, personne ne songeait à lui administrer. Peut-être que les autres étaient d'accord avec ses attitudes. Cela serait loin d'être étonnant. Il était pourtant essentiel qu'il reçoive une quelconque correction. L'adolescent s'était autorisé à lui porter un coup, il n'aurait fait en temps normal, mais ce sujet-ci s'avérait récalcitrant. Et il était sans doute conscient que s'il se plaignait d'une quelconque façon, Matteo aurait largement de quoi retourner la situation contre lui. Ses pas se faisaient de moins en moins rapide au fur et à mesure qu'il s'éloignait de la porte. Il fut vite stoppé par Julian, dont il avait complètement oublié dans sa fuite qu'il lui avait proposé de manger au McDonalds. Il s'arrêta malgré lui, le sang pulsant à travers ses veines à chaque respiration. Il planta son regard droit dans celui du quaterback, alors que celui-ci lui demandait pourquoi il avait frappé son coéquipier. Pourquoi il avait frappé Porter ? La réponse était simple. « Parce que c'est un crétin ». Il savait que sa réponse était très loin d'être suffisante, mais son ami allait devoir se contenter de ça pour le moment. Matteo jeta un coup d’œil par dessus son épaule gauche. D'autre footballeurs commençaient à sortir des vestiaires, dont l'autre abruti, avec un mouchoir, ou plus probablement du papier toilette, devant ce qui était auparavant son nez. Le brun se demandait dans quel était il était, à présent, mais n'avait pas franchement le temps, ni l'envie de s'attarder sur cela à cet instant précis. Il se tourna à nouveau vers Julian, qui venait de débloquer le passage en indiquant la direction du parking. « On bouge d'ici, on discutera plus tard » déclara-t-il.

Il commença à marcher à grand pas, sachant pertinemment que son coéquipier n'aurait aucun mal à suivre le rythme, ils n'étaient pas sportifs pour rien. Matteo replaça correctement la bandoulière de son sac autour de son épaule tout en marchant, et se dirigea machinalement vers sa voiture. S'il n'hésitait pas à dépenser de l'argent dans des œuvres d'art, sa voiture elle, n'était pas particulièrement affriolante. Une vieille Ford qu'il avait acheté d'occasion, lui suffisait amplement pour déambuler dans les rues de Lima, et elle respectait parfaitement son désir de ne pas se faire remarquer plus que nécessaire. Arrivé près du véhicule gris, il ouvrit le coffre et jeta son sac dedans, avant de poser ses fesses sur le rebord du coffre pour se trouver face à Julian, et face à ses camarades en provenance du gymnase, pour être prêt à réagir en cas de contre-attaque. « Davis arrête pas de s'en prendre à Candace. Ca a commencé avant Noël ». Il jeta un nouveau coup d’œil vers le gymnase avant de reprendre. « Il l'a invitée au Breadsticks, et lui a posé un lapin. C'était son but dès le départ, pour rire d'elle, parce qu'elle fait partie du club de chasteté ». Il leva les yeux au ciel. « Il n'y avait plus de place à aucune table et donc j'ai été m'asseoir avec elle, et elle m'a raconté ça. C'est comme ça qu'on est devenu amis ». Il sourit, épargnant volontairement le détail de la nature légèrement intéressée de leur amitié. « Je ne pensais pas que Porter recommencerait une bêtise du genre, tu vois, je le pensais assez intelligent pour arrêter ses conneries ». Matteo s'interrompit, apercevant vaguement un groupe qui se dirigeait dans leur direction, il n'avait envie de rendre de compte à personne, là, tout de suite. Il se leva le plus naturellement du monde, comme s'il ne les avait pas vus, ferma le coffre et indiqua la place passer à Julian. « T'as qu'à monter, on peut aller au McDo avec ma voiture, on sera plus tranquille dedans ».

Il entra lui-même du côté conducteur et inséra sa clé dans la fente, puis la tourna pour démarrer le moteur. Lorsqu'il jeta un coup d'oeil dans le rétroviseur, les autres avaient changé de direction, tant mieux. Il conduisit tranquillement jusqu'en dehors du parking, se concentrant sur la route à prendre pour se rendre au fameux fast-food, oubliant ainsi de poursuivre sa petite histoire. Il aperçut même Braceface, dont il ne connaissait pas le vrai nom, qui sortait visiblement de la bibliothèque. Elle lui fit un signe de la main, qu'il rendit poliment. Si cette fille avait un physique un peu plus avantageux – pardon, beaucoup plus avantageux – elle n'aurait sans doute pas envie de faire partie du club de chasteté. Quoique, elle semblait investie corps et âmes dans la propagation de la culture chrétienne, et de l'abstinence avant le mariage. Matteo se concentra à nouveau sur sa route.