Avec un gémissement plaintif, une tête rousse émergea de sous la couverture, les yeux plissés pour affronter les rayons de soleil fort matinaux qui perçaient à travers la fenêtre. Pendant un instant, Lexie ne se rendit pas compte qu'elle n'était pas dans son lit douillet, à la maison et s'apprêta à se tourner vers la table de nuit pour prendre sa fidèle bouteille d'eau. Mais elle ne trouva qu'un gobelet rouge aux bords déchiquetés et un radio réveil qui affichait 6:57. Ugh. Avec un froncement de nez, la jeune femme se redressa plus ou moins péniblement, faisant voler le drap Star Wars qui la couvrait jusqu'à alors. Adossée à la tête de lit, elle tourna la tête pour voir une blonde allongée à ses côtés, étendue à l'extrême bord du petit lit, dans une position qui semblait risquée. La rouquine se souvient alors qu'Holly - ou bien était-ce Hayley? - leur avait proposé de passer la nuit dans le dortoir, qu'elle partageait avec une étudiante française qui baragouinait péniblement trois mots d'anglais. Et cette dernière occupait tout son lit, tandis qu'un jeune homme blond était affalé sur la moquette, face contre terre. Sans nul doute était-il tombé du lit, car la galeriste doutait fortement que Glenn soit suffisamment gentleman pour dormir sur le sol de lui-même. Elle esquissa un sourire amusé devant ce tableau charmant, non sans se sentir comme Katy Perry dans ce clip absurde rendant hommage aux soirées de folie. Elle avait toutefois le mérite d'être mieux habillée. Prise d'une inquiétude soudaine, elle vérifia que la fermeture éclair de sa combinaison fleurie tenait toujours en place et lâcha un soupir soulagé en constatant que c'était le cas.

Péniblement, elle parvint à retracer mentalement le cours de la soirée et se félicita de la précision de ses souvenirs. Elle n'avait jamais eu de blackout, à l'exception de quelques heures manquantes lors d'une de ses soirées de fac, et comptait bien maintenir cet état de fait. Comme toujours, tout avait commencé avec un Just Dance et des shots de tequila à la Pension. Glenn était venu leur rendre une visite surprise et de fil en aiguille, Lexie et lui s'était retrouvés à soudoyer JJ pour les déposer en centre-ville. Si ses souvenirs étaient exacts, ils avaient eu la lubie d'aller enflammer les dancefloors, comme ils le faisaient si bien. Et c'était donc comme ça qu'ils étaient tombés sur ce groupe de jeunes gens, qui buvaient une petite bière et débattait pour savoir si oui ou non ils se rendaient à une soirée étudiante. Avec son allant naturel, Baby Preston s'était tournée vers leur table, demandant aux trois garçons ce qui les retenait d'aller festoyer, de profiter des milliers de dollars que leurs parents avaient dépensé pour avoir une chambre sur le campus et un accès illimité à tout un tas d'activités amusantes. L'un d'eux leur dit alors qu'ils n'étaient pas officiellement invités et que la fraternité qui organisait l'événement était certes connue pour faire les meilleures fêtes du campus mais pas pour être très ouverts. La londonienne et son ami échangèrent à peine un regard avant de décider de venir en aide à ces jeunes âmes, la grande rousse y voyant un nouveau signe que sa mission dans ce pays arriéré était d'oeuvre à la libération des moeurs et des coeurs. Dans le but que les gens à qui elle venait en aide aient une vie plus épanouissante et riche, bien sûr. Elle paria donc avec son camarade roux du nom d'Allan qu'elle pouvait les faire rentrer à cette soirée faussement sélect et ils furent donc en route pour l'OSU. Inutile de dire qu'après avoir ramassé la jolie blonde et la française en chemin, faire leur entrée dans la frat house avait été un jeu d'enfant et que Lexie n'avait jamais gagné 20$ aussi facilement.

Distraitement, elle mit sa main dans sa poche et constata avec surprise et joie, que le billet était toujours là. Et après avoir passé une main sur sa poitrine, elle eut également le plaisir de voir que George l'Iphone rose était soigneusement calé entre ses seins, bien que déchargé. On ne pouvait pas tout avoir. Avec un sourire satisfait et un léger mal de tête, Lexie s'essuya les yeux, prête à affronter le monde et le dur chemin du retour. Mais elle remarqua avec horreur la traînée noire sur ses mains, qui l'informa qu'elle s'était endormie avec son maquillage. Erreur fatale s'il en était, qu'elle se devait de réparer au plus vite. Sans trop de ménagement, elle secoua donc l'épaule de Hazel - Hannah, peut-être? - qui grogna, sans pour autant ouvrir les yeux. « Darling, on va y aller. Je peux prendre une douche et me remaquiller ici? » Heureusement pour la pâle anglaise, l'étudiante dont elle avait squatté le lit avait un type très scandinave et une complexion presque aussi claire que la sienne. « Ouais, ouais. Sac rose, commode. Deuxième porte à gauche. » Lex déposa une bise sur la joue de sa colocataire d'un soir, sauta assez littéralement du lit et pépia joyeusement « Merci ma belle et on a passé une super soirée, appelle-moi si jamais t'es à Lima un jour. » L'intéressée se tourna pour enfin occuper pleinement son lit et grommela un « Salut Ginny, à la prochaine. » qui pouvait mettre en doute son intention de jamais rappeler la britannique. Cette dernière ne s'en formalisa pas et ouvrit le tiroir de la commode et entreprit de se démaquiller soigneusement, avant de suivre le chemin indiqué pour atteindre la salle de bain. Elle noua sa tignasse rousse en un chignon incertain sur le haut de son crâne et prit une douche rapide, optant pour une économie d'eau et de temps et préférant de toute manière se laver les cheveux chez elle. La rouquine prit tout de même le temps de mettre un peu de dentifrice sur son index, se lavant plus ou moins les dent et surtout, chassant les relents d'alcool dans son haleine.

Quand elle revint dans la chambre, personne n'avait bougé d'un poil et la jeune femme prit donc le temps d'appliquer anti-cernes, fond de teint et mascara, allant même jusqu'à redéfinir ses sourcils et mettre une once de rose sur ses lèvres sèches. Fin prête, elle se redressa et s'étira, faisant craquer bruyamment ses épaules dans l'opération. C'est alors qu'elle remarqua qu'un élément essentiel lui manquait. Elle était en effet à peu près persuadée d'être venue avec des chaussures, spécifiquement de jolies sandales compensées marron. Sourcils froncés, elle entreprit un petit tour de la chambre, pour en trouver une sous le lit de Harriet - c'était donc ça ! - et une autre dans la penderie. Ne cherchant pas à comprendre, Lexie enfila donc ses chaussures et lança un regard attendri à Glenn, qui dormait toujours, ses mèches blondes en folie sur le haut de crâne. Cela provoquerait sans nul doute une sérieuse crise de nerfs chez le styliste. La jeune femme se pencha vers son ami et mit son visage à quelques millimètres du sien avant de hurler joyeusement « Bonjouuuuuuur ! Il faut se lever petit chaaaat ! » Le sursaut du jeune homme la fit rire aux éclats et elle vacilla, son sang contenant visiblement encore quelques traces d'alcool. Désormais sur le sol encombré de cette chambre d'étudiante, elle passa une main joueuse dans les cheveux en vrac de son ami et lança « Come on sleepy head ! J'te laisse éliminer cette vague odeur de tequila et te recoiffer princesse, j'vais nous acheter de quoi petit déjeuner. » Avec plus d'aplomb et d'agilité qu'elle ne l'aurait cru, Lexie se redressa et marcha d'un pas rapide vers la porte et se tourna vers la blondinet pour l'informer du plan. « On se retrouve à la cafétéria dans une demi-heure. » Elle lui envoya un baiser à son ami et s'envola dans les couloirs de l'OSU, sans croiser âme qui vive à une heure aussi matinale.

Fort heureusement, le self universitaire prenait en compte les horaires souvent étranges des étudiants acharnés ou trop fêtards. Il y avait d'ailleurs quelques jeunots égarés, dont une qui lui faisait particulièrement de la peine, avec un café XXL, un livre de biologie et un air épuisé. Elle lui adressa un sourire compatissant et acheta cafés, beignets et jus d'orange à l'avenante demoiselle derrière le comptoir et s'installa à l'une des nombreuses tables vides pour attendre Glenn. Etrangement, la rouquine avait la nette impression qu'il mettrait bien plus que les trente minutes imparties à se préparer. Mais il ne cessait jamais de la surprendre après tout. Ginger Spice profita de cet instant de solitude pour réfléchir à des questions bassement logistiques, qui lui incombaient souvent dans ce genre d'aventure. Car s'ils avaient sans mal trouver un moyen de venir à l'OSU un vendredi de fête, elle doutait un peu que ce soit aussi facile de trouver quelqu'un enclin à les ramener à Lima. Les étudiants originaires de la ville étaient sans doute déjà rentrés pour le weekend. Alors Lex compta les quelques deniers qui lui restaient pour établir qu'ils avaient un pécule de onze dollars soixante après l'achat du petit déjeuner. Ce qui était insuffisant pour deux tickets de bus donc. Ils allaient donc devoir employer des méthodes plus rustiques pour rentrer. Après tout, l'auto-stop était monnaie courante, quoique moins fréquent qu'à la grande époque de Jack Kerouac. Mais leur voyage à travers l'Ohio profond serait sans doute tout aussi glamour que la traversée dépeinte dans On The Road. Un petit blond à la silhouette élancée fit enfin son entrée dans la cantine et Lexie lui adressa un geste de la main accompagné d'un appel tonitruant, qui fit sursauter le jeune homme à la table voisine. Avec un sourire, la rousse s'excusa et en profita pour demander. « Dis-moi petit, tu ne vas pas à Lima aujourd'hui par hasard? » L'air interloqué de l'étudiant était une réponse suffisante mais il montra l'ampleur de son ignorance en demandant avec étonnement. « Vous allez au Pérou? » Elle lui offrit un regard légèrement moqueur pour toute réponse, mettant cet élan de stupidité sur le compte de la fatigue et se tourna vers son ami, avant de lui tendre un des donuts avec un sourire léger. « Pas trop la gueule de bois? » Elle ricana légèrement, ignorant donc le tintement léger dans son crâne. Le moment n'était pas venu de montrer un signe de faiblesse, ils étaient loin d'être au bout de leurs peines.

Quelque chose lui chatouillait le nez. Et c'était vraiment dérangeant mais il n'avait absolument pas envie de bouger. Il se sentait comme prisonnier sous l'eau, apercevant la lumière à la surface, une lumière qu'il n'avait pas vraiment envie de retrouver pour l'instant. Il était bien là, il n'avait pas à bouger. Malgré l'odeur. Ca sentait bizarre … Comme … du vieil alcool … et de la sueur. Ewww, qu'est ce qu'il s'était passé pour que sa chambre sente comme ça !? C'est alors qu'il entendit vaguement du bruit … Qu'est ce qu'il se passait bordel ? Il avait vraiment envie de savoir mais pas autant que de simplement rester allongé là et dormir. Glenn était prêt à parier qu'il était encore tôt. Il pouvait se rendormir … Il était sur le point de repartir dans les bras de Morphée quand un cri strident, tel celui d'une banshee en colère, retentit à son oreille faisant vibrer le pavillon et saigner le tympan et le faisant sursauter et se redresser d'un coup. Mauvaise idée s'il en était parce qu'il fallut plusieurs secondes avant que la pièce ne cesse de tourner, laissant la place à un mal de tête ignoble. En fait, Glenn ne saisit que les dernières paroles de la tornade rousse qu'était Lexie A. Prestion, à propos de la cafétéria. Une fois « seul », le blondinet ouvrit doucement les yeux, faisant face à la lumière cruelle qui l'asseyait et regarda autour de lui. Où était-il ? Et qu'est ce qu'il avait fait hier soir ? Il ne se souvenait de rien pour l'instant. En tout cas, il avait bu. Beaucoup, beaucoup, beaucoup bu. En fait, son sang devait s'être transformé en alcool, il devrait éviter les flammes pendant quelques temps au risque d'exploser. Avec un certain effort, il se détacha de la moquette, sans pouvoir retenir une grimace de dégoût. Mon Dieu, il avait vraiment dormi là dessus ? Ewww ! Ewwwww ! EWWWWWWW ! Il avait dormi sur le sol, au milieu des miasmes d'autres personnes, comme un vagabond ! Un indigent ! Pire! Comme Barry Manilow ! Il devait avoir plein de micro-organismes hostiles sur le corps et il n'avait aucun de ses produits de toilettes sous la main pour y remédier ! Mais cela ne l'empêchait pas de se mettre en action. Avec difficulté, et en titubant légèrement, il se dirigea vers la salle de bain dont la porte était toujours ouverte, marchant et piétinant quelques corps, chu ça et là, sans gêne aucune et sans faire attention aux grognements qu'il suscitait. Une fois dans la pièce, il se barricada dedans, sans permission, et leva le regard vers le miroir. Et poussa un cri strident qui se répercuta dans sa tête, dans ses dents et partout ailleurs dans son corps.

PAR L'ENFER ! SES CHEVEUX ! OMG ! Ses belles boucles blondes, habituellement parfaitement coiffées étaient dressées dans tous les sens ! AAAAAAH ! Il ressemblait à un poisson fugu croisé avec un porc-épique ! Il ne pouvait tout simplement pas se présenter au monde comme ça. Il serait foudroyé sur place dès qu'il mettrait un pied dehors … s'il n'était pas mis au bûcher par une foule en colère qui le prendrait pour un espèce de démon ou de succube. Ce qu'il aurait aimé être mais n'était pas malheureusement. Bref, il devait se résoudre à la pire des épreuves … se laver les cheveux avec un shampooing qui n'était pas le sien. UUUUUGH ! Sans gêne aucune, Glenn se livra donc sans vergogne au raid de la salle de bain, à la recherche d'un produit adapté aux blonds, au moins ça ! Et aux cheveux blonds NON colorés, thank you very much. Après avoir dévasté la pièce en long et en large, c'est finalement en cherchant en travers que Glenn finit par trouver un shampooing au miel et camomilles, qui pourrait faire l'affaire même si c'était loin, très, très loin, de son produit habituel (sans blague, Warren se serait sûrement suicider avec un steak s'il l'avait vu sur le point d'utiliser ça, si son shérif et lui avait bien un point commun, c'était l'intérêt qu'ils portaient à leurs cheveux, et à leur blondeur). Mais bon, il n'avait pas vraiment le choix. Avec des mouvements difficiles, il se déshabilla et commença de longues, longues, loooongues ablutions, histoire de se débarrasser de la crasse qui devait le couvrir après cette nuit dont il ne se souvenait pas.

Ce n'est que trois quart d'heure plus tard que Glenn réémergea, propre comme un sous neuf, enfin autant qu'il était possible de l'être en portant les vêtements (froissés) de la veille et en ayant dû se coiffer avec les doigts, parce qu'il était hors de question qu'il utilise une des brosses pleines de cheveux ternes et cassants qu'il avait trouvé, qui savait quelle faune se trouvait là, attendant la tête innocente d'un passant ? Donc, il n'était pas coiffés et ses cheveux lui tombait dans les yeux obstinément et … Bon okay, on se calme ! Il devait avant tout retrouver Lexie et ensuite ils aviseraient. Sans faire attention aux corps qu'il piétinait, le styliste sortit de cet boudoir de l'Enfer et partit à la recherche de sa flamboyante amie. Contrairement à beaucoup d'autres, Glenn n'avait jamais mis les pieds à l'Ohio State University sauf les fois où il s'était incrusté dans des fêtes étudiantes, qui se déroulaient sur le Campus et pas dans ce bâtiment là. Le blond avait fait ses études supérieures à New York aussi cet endroit était pour lui un véritable labyrinthe mais après quelques détours et la rencontre avec un étudiant qui avait bien voulu l'aider, il parvint enfin jusqu'au réfectoire où il aperçut bien vite Ginger Spice, assise à une table. Ni une, ni deux il se dirigea vers elle et se laissa tomber sur une chaise en face d'elle, tout en passant une main dans ses cheveux et en ignorant superbement l'imbécile qui ne connaissait même pas la géographie de son état (et si il était de mauvaise foi et bien il en avait le droit). Il tira la langue à son amie pour répondre à son ricanement, trop fatigué pour tenter son fameux regard noir.

-Comme si tu étais dans un meilleur état que moi. Je sais pas ce qu'on a fait mais je crois que c'était un peu trop, même pour un franco-irlandais!

Ugh ! Sa propre voix lui vrillait les tympans et, assez étrangement, les dents. Ouh, cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas mis dans cet état, au moins un mois, aussi il n'hésita pas un instant pour mordre dans le donut que lui avait donné Lexie, espérant que le sucre et le gras lui feraient du bien. Puis, il reprit la parole tout en regardant autour de lui.

-Est-ce que tu te souviens de ce qu'on a fait hier quand on est arrivé ici ? Je me souviens de rien ! Et … est-ce qu'ils ont du Redbull?

Tout en parlant, il fouilla dans ses poches, trouvant un billet de 5$ froissé, deux billets de 1$ et quelques cents, un petit sachet de Skittles, un ticket usagé de rodéo méchanique et du fil bleu. Et son portable. Déchargé. Pas de trace de son portefeuille (qu'il avait sûrement laissé chez Lexie, puisqu'il lui semblait n'avoir prit que du cash hier). Hum …

-En tout cas, je n'ai plus de portable et un peu d'argent. Pas assez pour rentrer à Lima en tout cas. On va devoir compter sur ton téléphone ! Ugh … Se tenant la tête, qu'il venait de secouer un peu trop tout en montrant un peu trop d'enthousiasme dans la voix, il se tourna vers l'étudiant qui ne savait pas où se trouvait Lima. Tu aurais pas du Tylenol ? Ça serait vraiment génial ...

Puis, il saisit un autre donut qui disparut tout aussi vite  que le premier, essayant d'avoir un peu moins mal au cheveux.

La mine déconfite de son amie arracha un sourire sadique à son amie, qui se contint tant bien que mal de se moquer de sa peine évidente. Elle n'aurait su dire si c'était l'état peu reluisant de sa précieuse chevelure blonde ou les conséquences d'une gueule de bois carabinée qui le mettait dans un état pareil, mais son amusement n'en était pas moindre. Après tout, Glenn n'aimait rien tant que clamer ses origines européennes, qui le rendaient si résistant à l'alcool. Clairement, il sous-estimait la force du all American frat boy. Ou se surestimait. Bien sûr, elle n'émettrait aucune de ses hypothèses à voix haute, de peur des représailles terribles de sa Majesté McAllistair. La rouquine ne pu toutefois retenir un petit ricanement quand il s'enquit de leurs activités de la veille. En toute honnêteté, ses propres souvenirs étaient flous et ne semblaient pas respecter la chronologie des événements. Mais elle avait des souvenirs, ce qui était déjà un grand pas. « On est venus, on a bu, on a été vaincus. Je sais pas ce qu'on fêtait exactement, mais on a fait plus de shots de tequila que je ne saurais en compter. Et on a bu plein de cocktails roses. Je crois qu'on a chanté Cry Me A River, version Justin et dansé sur le bar. » Elle haussa les épaules et croquant dans son beignet sans la moindre considération pour les règles de politesse élémentaires, ajouta la bouche pleine. « Typical Friday. » Il lui semblait que Glenn lui avait demandé autre chose, mais elle s'était perdue dans son résumé de la soirée et aurait été incapable de se rappeler ce qu'il voulait. Le connaissant, il n'hésiterait pas à le lui rappeler si c'était important. Quoique sa définition d'important pouvait sans doute être remise en question. La jeune femme continua donc à déguster son petit déjeuner de fortune - pas si mauvais, quoique fort gras - et observa son ami vider ses poches sur la table en formica. Hum, ils n'étaient guère plus avancé. Le monde ne pouvait tourner sans smartphones, mais ces sales bêtes se vidaient de toute énergie en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Et ils avaient bien sûr dépensé le gros de leur fortune en alcool à foison et autres bêtises. La galeriste jeta un oeil au ticket portant la mention "rodéo" en lettres majuscules, s'interrogeant sérieusement sur les quelques bribes de la soirée qui demeurait impénétrables. Qu'avaient-ils bien pu faire?

Sourcils froncés, elle releva finalement la tête vers Glenn, qui s'attendait apparemment à ce qu'elle produise un remède à son mal de cheveux, comme par magie. Elle montra ses mains ouvertes devant et lui rappela un détail majeur. « On est venus les mains dans les poches j'te signale. On a pris du fric et nos portables. Et d'ailleurs, George est mort hein. » Le petit nom de son Iphone rose était connu de ses amis, qui s'étaient habitués à la tendance de Baby Preston à baptiser ses appareils électroniques et ses chaussures préférées. La remarque, lâchée avec un air plus blasé que triste, lui valut néanmoins un regard en coin du jeune inculte à la table voisine. Pour ne pas être taxée d'indifférence, la rouquine lui lança un regard en coin et tira le téléphone de son décolleté pour fournir quelques explications. « George c'est mon téléphone hein. Et c'est pas bien d'écouter les conversations des gens. » Les oreilles devenues rouges tomates, l'étudiant ramassa ses affaires en vitesse et se leva, marmonnant quelque chose à propos du distributeur de boissons de hall d'entrée, qui vendait du RedBull. Information venue de nulle part, mais soit. « Du coup, tu crois que les téléphones publics existent encore à Colombus ouuuuu? » Pensive, Lexie vida son petit verre de jus d'orange d'une traite, gardant son immense café - bénie soit la dépendance estudiantine à la caféine - pour plus tard. Et quand bien même parviendrait-il à trouver une cabine téléphonique ou, plus réalistement, une âme charitable, qui viendrait les chercher à cent cinquante kilomètres de Lima? JJ pourrait peut-être se laisser corrompre, si la rouquine lui promettait monts et merveilles en échange de ce grand service, mais pour avoir expérimenté la puissance de sa voiture d'elle-même, la galeriste savait qu'elle ne pouvait pas compter dessus. Anna ne répondrait probablement pas au téléphone ou serait occupée. Ou lui rirait au nez. Charlie, Wyatt ou Ecaterina avaient peut-être le coeur suffisamment bon, mais en vérité, Baby Preston se voyait mal exiger un tel déplacement de la part d'un de ses amis. Elle-même aurait été passablement irritée si l'un d'eux lui avait passer un coup de fil, demandant un coup de main pour réparer leurs bêtises alcoolisées. Ce qu'ils ne feraient sans doute pas d'ailleurs. Avec l'âge, son entourage devenait ridiculement respectable. Heureusement, elle avait des amis comme Glenn.

Elle poussa le dernier doughnut en direction du blondinet, qui avait besoin de prendre des forces. Quelque chose lui chuchotait que leur road trip improvisé ne tenait plus tellement de la plaisanterie. Evidemment, ça ne pouvait tomber que sur eux. Un jour, une de leurs soirées endiablées se termineraient normalement, par un réveil, certes difficile, mais dans le confort de l'une de leurs demeures. Mais ce jour n'était clairement pas aujourd'hui. Lexie ne retint pas son soupir et rangea George entre ses seins, où il pourrait reposer inutilement pour le reste de la journée. « T'as déjà fait du stop Blondie? » lâcha-t-elle abruptement, en triturant pensivement le carton qui entourait son gobelet. Mais elle avait besoin d'évaluer l'ampleur de la tâche qui les attendait. Glenn serait-il du genre à partir en courant s'ils étaient pris par un automobiliste à la voiture poussiéreuse ou aux cheveux gras? Quelque chose lui soufflait que oui, mais elle avait de croire qu'un aventurer sans peur sommeillait sous la carapace pailletée du styliste. Paillettes qui n'étaient pas qu'une métaphore douteuse, mais se trouvaient effectivement logés dans les sourcils clairs de son amis. Elle scruta son visage et tendit une main vers lui pour essayer de gratter un peu ces traces festives. « T'as des paillettes. » expliqua-t-elle, pour éviter tout mouvement brusque du jeune homme. « J'en ai moi? » Elle approcha son visage de celui de Glenn, aussi près que la table entre eux le lui permettait. Après ce petit épisode digne de deux chimpanzés se cherchant des puces, Lexie s'adossa dans sa chaise en plastique et étira ses grandes jambes, espérant qu'une idée de génie la frappe soudainement. Mais son esprit embrumé n'était clairement pas apte à produire l'élan nécessaire pour les sortir de leur panade. Alors elle se leva d'un bond, attrapa son café et prit une décision. « Bon allez, on se bouge, c'est pas en restant là à regarder l'heure tourner qu'on rentrera plus vite. » Elle entraîna donc Glenn à sa suite dans les couloirs de l'université, espérant tomber sur un sauveur inopiné ou qu'une petite ampoule apparaisse au dessus de sa tête. Autant dire qu'ils étaient mal barrés.