Confus, Timothy déposa son portable sur le rebord de son lit. Depuis le temps qu'il côtoyait Samuel, jamais il ne l'avait imaginé capable de faire preuve d'autant de sérieux. Ce ton paternaliste qu'il avait adopté, il ne l'avait jamais entendu dans la voix de ceux qui avaient prétendu à ce rôle au cours de sa vie, et jamais Samuel ne l'avait utilisé pour faire preuve d'autorité à McKinley. D'ordinaire il gardait cet air détaché à la limite de l'impertinence, ce qui lui avait valu une réputation de surveillant cool qu'il était préférable de compter parmi ses amis plutôt que parmi ses ennemis. Alors pour ainsi dire le soupçon de détresse dans sa voix avait suffi à dérouter Tim qui, sans faire preuve de réticence, avait accepté sa requête. Samuel avait envie de le voir ce soir pour parler "sérieusement". Il ne savait pas véritablement ce que signifiait ce mot lorsqu'il était prononcé par son ami mais une partie de lui avait curieusement envie de le découvrir. Il s'allongea un instant, les mains derrière la tête, songeant à la manière avec laquelle il pourrait esquiver les sujets qui fâchent. S'il y avait bien une chose dont il était certain c'était que le prénom d'Anna serait forcément prononcé à un moment ou à un autre - il soupçonnait d'ailleurs que ce fût l'unique raison de ce rendez-vous inopiné - et entre la rupture encore douloureuse de son couple et le récent départ de Leah, plus rien n'allait véritablement dans sa vie. Timothy était pourtant un jeune homme plein d'entrain mais ces dernières semaines il se contentait de survivre plutôt que de vivre. Son assiduité déjà discutable en cours était plus faible que jamais, et l'enthousiasme qu'il mettait à faire régner la terreur dans les couloirs de McKinley n'était plus qu'un désintérêt profond que les élèves avaient rapidement mis à profit.

Dans un élan d'engouement soudain, il se redressa et se leva d'un bond, prêt à redonner des couleurs à sa morne existence. Même si au départ il avait contesté le choix de Samuel de se rejoindre au bar karaoké, il devait avouer que ce n'était après tout pas un si mauvais concept que ça. Certes il n'était pas ravi à l'idée de croiser la moitié de ceux sur qui il s'efforçait d'exercer une quelconque autorité, mais dans un sens il aurait peut-être un moyen de faire pression sur eux une fois qui les aurait vus à l'œuvre dans un autre contexte que celui du lycée. Cette pensée le fit sourire, alors qu'il dévalait les escaliers et s'empressa de traverser le vestibule. Il empoigna une veste peu adaptée pour la saison et s'élança dehors avec une détermination qui l'étonna lui-même. L'heure était encore avancée, si bien qu'il décida de se rendre jusqu'au centre ville à pieds, malgré le froid mordant qui lui piquait déjà la peau et lui faisait pleurer les yeux. Il regretta rapidement sa négligence, même si dans un sens il était habitué à se faire la réflexion que, finalement, il faisait souvent les mauvais choix. Arrivé à l'entrée du bar il souffla dans ses mains, scrutant un instant l'enseigne et prêtant une attention particulière à la clientèle parmi laquelle il était sur le point de se mêler. Apparemment Samuel avait les mêmes goûts que les minettes de 17 ans qui se croyaient dans la cour des grands, tout ça parce qu'elles avaient réussi à berner le barman et à commander un cosmo. Pas étonnant qu'il s'amusait tant avec cette peste de Cissy. Il hocha la tête, affligé par le manque de professionnalisme de son ami - ce n'était même pas l'hôpital qui se foutait de la charité - puis, après avoir soupiré, se décida enfin à entrer.

Les couleurs vives insultèrent immédiatement son regard, comme pour lui souffler que le monde continuait à tourner allégrement tandis que lui ne cessait de se morfondre. Deux pimbêches chantaient avec hilarité un tube de Katy Perry, si mal que même cette dernière aurait pu leur intenter un procès. Faisant abstraction de tout, il se dirigea vers le bar où était certainement déjà accoudé Samuel, puis se résigna finalement lorsque l'animateur demanda à un courageux de bien vouloir prendre le micro. Avec entrain il se dirigea vers l'estrade, grimpa, puis lui arracha presque des mains. Il exigea la musique et, avec une assurance qui lui rappelait ses minutes de gloire sur les planches des Sectionals, entama la chanson.

Honestly, why are my clothes out on the street?
Honestly, I think you've lost your mind
I can't believe I came home to find my car keyed
Honestly I'm way too tired to fight

Round and round drama every time

Ima go 'cause I got no
problem with saying goodbye
Is it wrong that I'm gonna be
having the time of my life
'Cause deep down I know
I should cry I should scream
and get down on my knees
I should say that I need you here
But I'm gonna party tonight
'Cause honestly I just don't care
Honestly I just don't care ♫

Il ne savait pas quelle mouche l'avait soudainement piqué, mais il aurait tout donné pour qu'Anna se trouve par hasard dans la salle afin qu'elle puisse l'entendre mentir avec tout le naturel du monde. La foule réceptive le ramena cinq ans en arrière, alors qu'il s'était produit sans autorisation sur la scène du bal de la St Valentin pour détourner l'attention des chaperons. A l'époque il était bien plus impétueux qu'aujourd'hui, et pourtant ses problèmes n'étaient pas des moindres. Comment avait-il pu devenir si ennuyeux du jour au lendemain ? Il soupçonnait Anna de l'avoir rendu docile alors qu'il savait très bien que c'était ses nouvelles responsabilités d'adulte qui l'avaient forcé à s'adoucir. Seulement ce soir il avait envie de s'amuser, au moins avant de devoir être confronté au sérieux inhabituel de Samuel.

Honestly everybody's stoked I'm finally free
honestly my phone's blowing up tonight

I'll go out get drunk again
Make out with all your dumb friends
tag your face just to rub it in

Ima go 'cause I got no
problem with saying goodbye
Is it wrong that I'm gonna be
having the time of my life
'Cause deep down I know
I should cry I should scream
and get down on my knees
I should say that I need you here
But I'm gonna party tonight
'Cause honestly I just don't care
Honestly I just don't care ♫

Il salua l'audience avant de rejoindre Samuel quelques tables plus loin. "Tu vois, j'ai carrément tourné la page !" dit-il en claquant des doigts avec désinvolture pour attirer l'attention du serveur. "Bon ok, soyons sérieux." conclut-il après avoir constaté l'air dubitatif de son ami. Il n'était plus question de faire demi-tour à présent.

Ses doigts tapotant sur le bois du comptoir, Samuel ne faisait pas attention aux quelques regards féminins qui étaient lancés dans sa direction. Il ne fit pas non plus attention aux quelques gloussements qui accompagnèrent ces regards. A ses yeux cela n'avait aucune importance. Cela n'avait plus d'importance. Auparavant, lorsqu'il aurait vu qu'il avait été remarqué par la gente féminine, il aurait joué de son statut de séducteur et aurait tout de suite était retrouvé les demoiselles pour lui sortir des mots doux – comme il savait si bien le faire. Pourtant, à cet instant, l'idée de séduire des jeunes femmes inconnues ne le tentait pas vraiment. Il avait d'autres choses à faire que de charmer, et de fasciner la gente féminine. La tête toujours baissée, ses pensées vagabondant toujours dans l'inconnu, ses doigts se refermèrent sur le verre de vodka en face de lui. Le buvant d'un trait, il releva ensuite les yeux pour observer la salle. Contrairement à d'habitude et contrairement à ce que le surveillant avait pu penser, le bar karaoké n'était pas envahit par des lycéens qui ne savaient pas quoi faire de leur soirée. Certes, la majeure partie de la clientèle du bar était des adolescents, mais à cet instant il n'était pas très nombreux. Peut-être était ce parce que ce n'était que le début de la soirée, et que peut-être le bar allait se remplir au fil des heures.

Sans accorder un seul regard aux demoiselles qui semblaient déjà être ivres, le jeune homme se rendit à une table vide. Il mit ses mains sur sa tête avant de fermer les yeux, comme pour se préparer à ce qu'il allait dire à Tim. Quelques minutes plus tôt, il avait téléphoné à son ami pour lui dire de le rejoindre au bar karaoké afin qu'ils aient une discussion sérieuse. Lorsqu'il lui avait dit cela, sans qu'il ne le fasse grandement exprès, il avait adopté un ton qui l'avait presque étonné lui même. C'était presque d'une expérience capitale pour lui d'avoir cette discussion avec Timothy ce soir, qu'il n'avait pas eu la volonté de s'amuser ou de prendre ce rendez-vous avec rigolade. Ce qui pouvait sembler presque étonnant de sa part, et même si une infime partie de lui le savait, Samuel ne pouvait s'empêcher de se moquer de ce que cela pouvait faire penser. C'était comme-ci son côté insolent, impertinemment s'était dissipé le temps d'une soirée, et qu'il avait décidé de faire abstraction de son côté mauvais garçon. Cela était sûrement à cause des derniers événements qui étaient arrivés au jeune homme. Lui qui pensait que toute sa vie, il allait vagabonder entre les excès et la richesse des veuves, se retrouvait à présent dans une toute autre vie auquel il n'aurait guère pensé avant. Il avait beau tout faire pour que cela ne se perçoive pas sur son visage, ni sur ses attitudes, il lui semblait que ça ne servait presque à rien. Pourtant, quand Madeleine lui avait dit de n'en parler à personne, Samuel résigné à un amour qu'il fallait qu'il s'avoue lui même, avait promis avec toute la sincérité dont il pouvait faire preuve. Alors, il ne cessait de se dire, que la discussion qu'il allait avoir avec Tim, allait être imprévisible et ça même s'il ne le voudrait pas. Il était évident que le prénom de la petite amie du surveillant allait être prononcé et que celui-ci allait quant à lui prononcer le nom de la jeune femme blonde. Même si le jeune homme ne voulait pas que lui et son meilleur ami n'est des propos offensants sur chacune des femmes dont chacun convoitait, il était probable que chacun ne pourrait pas dire ce qu'il pense. C'était même axiomatique.

Pourtant, lorsque Samuel avait déclaré qu'ils fallait qu'ils se voient afin d'avouer une discussion sérieuse, il voulait que des phrases qui sonneraient comme des aveux se fassent entendre et que chacun disent clairement ce qu'ils pensent. D'ailleurs, avec leur boulot de surveillant, même s'ils passaient leur moitié du temps ensemble, le jeune homme savait que c'était très difficile d'avoir une discussion sincère sans que lui ou Timothy ne dise des stupidités ou commence à critiquer, dans le seul but de s'amuser. Cela allait donc être le seul soir, la seule soirée où il espérait que chacun mette carte sur table et que chacun puisse aller à des confidences.

La tête toujours entre ses mains, le jeune homme attendait l'arrivée de son ami, presque impatiemment. Et alors, lorsqu'il ne s'y attendit pas, il entendit la voix de Tim sur la scène. Presque immédiatement, il releva la tête afin de savoir si la voix qu'il venait d'entendre était bien celle de son meilleur ami. Il le vit sur scène, un micro dans les mains, prêt à chanter une chanson. Les yeux rivés sur Tim, Samuel écouta chaque paroles que celui-ci chantait, comme-ci il ne s'attendait pas du tout à ce que son ami se mette à chanter. Les paroles que le surveillant disait était parfaitement compris par le jeune homme, se demandant même pourquoi d'un coup, son meilleur ami se mettait à repenser à Anna. Il était évident que cette chanson était dédié à la rouquine ; pourtant elle n'était pas présente. Sur le coup de l'hésitation, Samuel jeta un regard aux personnes présente dans le bar karaoké avant de reposer son regard sur Tim. Peut-être était ce parce que la plaie qu'avait causé la rupture n'avait pas encore cicatrisé dans le cœur du surveillant, peut-être qu'il avait encore des sentiments pour la rouquine. Le jeune homme était convaincu de cela, et même si il lui était arrivé de ne pas comprendre la relation Ainston, et d'avoir quelques avis négatifs sur Anna. Toutefois, il avait été présent dans la pension Preston, lorsque la rupture s'était déroulé, et même s'il n'avait pas assisté à la scène, il avait très bien vu Madeleine monter à toute vitesse à l'étage et avait très bien vu Tim partir de la pension seul. Il était vrai que si Samuel se comportait en brave meilleur ami, il se devait alors de remonter le moral du membre des Awesome Voices, de l'aider à oublier Anna et de lui faire ainsi redécouvrir les joies de la drague et du plaisir qu'apporte les autres femmes ; pourtant aussi mirobolant que cela pouvait laissé paraître, le jeune homme n'avait pas une seule fois convié son ami à oublier la rouquine. Peut-être était ce simplement parce que c'étaient des garçons, et parce qu'à force de côtoyer Tim, Samuel avait à peu près compris que cela ne servirait à rien, à moins de se rendre compte que cela ne le regardait pas du tout.

Ses yeux bruns toujours fixés sur Tim, le surveillant eut un sentiment sceptique lorsque celui-ci se dirigea vers lui et qu'il lui annonça qu'il avait tourné la page. Même s'il pouvait avoir l'air stupide, Samuel ne l'était pas entièrement. Même s'il n'était pas un expert en amour – et pas une personne de très bon conseil dans ce domaine – il voyait bien que ce ne l'était pas. Alors, contre toute attente, il rétorqua avant que son ami ne dise autre chose. « Tu te fous de moi ? Chanter une chanson dont les paroles s'adressent à ton ex petite amie, c'est pour toi tourner la page ? Mais mouais, si tu le dis. » Ce n'était pas le moment de commencer à avoir une discussion sans fin, où chacun voudrait avoir le dernier moment. Bien que le surveillant savait qu'avoir dit cela n'allait pas rester invisible pour Tim, il essaya quand même de reprendre un air normal à la limite du sérieux. Laissant quelques secondes invisibles dans l'air, il se racla la gorge comme si c'était anodin, avant de poursuivre avec le même ton qu'il avait pu avoir lorsqu'il avait appeler Tim. « Bon, je sais que tu aurais peut-être préféré qu'on s'amuse, et qu'on boit jusqu'à être ivres et jusqu'à ce qu'on a oublié nos problèmes ; mais justement je me suis dit que ce n'était pas plus mal si on parler justement de nos problèmes. » Samuel savait que ce qu'il disait pouvait être surprenant, surtout venant de sa part, lui qui était un adepte des bars et de la séduction. « Je ne vais pas t'obliger à parler de Anna, même si j'ai remarqué qu'en ce moment ça n'allait pas fort pour toi. Mais tu sais, tu peux toujours m'en parler hein. » Faute de croire que le sujet n'allait pas être les femmes, le jeune homme se persuadait lui même qu'il n'allait pas critiquer ou dire la moindre parole négative sur la rouquine ou l'ex rouquine. Seulement, le seul terrain que lui offrait cette discussion était un terrain glissant où il était presque obligé d'y mettre les pieds, si une discussion sérieuse devait belle et bien avoir lieu. Puis, il préférait éviter pour le moment le sujet de Madeleine, bien qu'il savait qu'éviter de parler d'elle, ne serait pas chose facile.

Timothy savait bien que sa prestation ne ferait que confirmer son mal-être aux yeux de son ami. Ce dernier le connaissait suffisamment pour savoir que ce que disait le brun au premier abord n'était qu'un vaste mensonge. Il préférait noyer le poisson plutôt que devoir assumer ses déboires : il y avait des choses qu'il préférait régler seul, plus par introversion que par fierté. Il n'était pas très adepte de la thérapie libératrice de la confession, et jamais jusque là Samuel ne lui avait forcé la main pour qu'il lui confie ses problèmes. C'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il appréciait sa compagnie. Mais il avait su, d'abord lorsqu'il avait entendu sa voix puis lorsqu'il avait croisé son regard, que cette soirée serait différente des autres. Curieusement Tim avait eu envie de faire l'expérience, juste une fois, parce que si ça n'avait pas été le cas il aurait décliné sans grande difficulté son invitation. Il avait d'abord feint être rétif et imperturbable, mais force était de constater que la réalité l'avait bien vite rattrapé. Sa rupture avec Anna l'avait bouleversé, et même s'il détestait l'avouer, il était heureux que Samuel l'ait remarqué. Pendant longtemps il avait hurlé intérieurement sans que personne ne l'entende, et voilà qu'à présent qu'il taisait le désordre de ses sentiments quelqu'un était prêt à lui tendre la main. Pas quelqu'un qui avait pitié de lui ou qui le faisait simplement parce que c'était son travail, mais quelqu'un qui le comprenait. Il n'avait toujours pas envie d'aborder des sujets trop douloureux comme Anna ou son père, mais il était prêt à mettre de côté un instant son apparente désinvolture. C'était là toute la beauté de l'amitié : tantôt facétieuse tantôt solennelle. Son amitié avec Samuel n'était de toute évidence pas une exception.

Le ton de Samuel ne lui plaisait pas cependant. D'accord il était prêt à mettre de côté les gamineries pour quelques heures, mais clairement Sam en faisait trop. Il n'était pas sans ignorer que Tim supportait plutôt mal l'autorité, et que l'absence de figure paternelle durant une bonne partie de sa vie le poussait à s'insurger dès que quelqu'un prétendait à ce rôle. Il n'avait pas eu de père, et il était hors de question d'en avoir un maintenant qu'il était un adulte presque responsable. "Bah ouais, t'es con ou quoi, t'as pas écouté les paroles ?" dit-il avec mauvaise foi. Certes cela n'enlevait en rien le fait que la chanson était dédiée à Anna, mais c'était justement pour prouver qu'il avait tiré un trait sur elle. C'était tout le paradoxe de la chose. Les compositeurs qui écrivaient pour dire à leur ex qu'ils vivaient bien mieux sans eux ne disaient-ils pas tout le contraire ? C'était un sujet sur lequel il n'avait pas eu l'occasion de débattre jusqu'à maintenant, mais une chose était sûre : il n'avait rien écrit depuis sa rupture, alors peut-être était-il au dessus de cette hypothèse ? C'était ce dont il essayait de se convaincre du moins.
Samuel ne tarda pas à énoncer clairement le but de sa démarche, comme si Tim ne le savait pas. Il avait bien compris qu'il n'était pas question de noyer leurs problèmes dans l'alcool ce soir là, sinon il aurait clairement préféré le faire seul, c'était bien plus dramatique. Il ne lui en voulait pas pour autant de le croire si naïf, après tout ils étaient novices sur ce terrain là. Sans doute feraient-ils des erreurs, mais cela en valait certainement la peine. "C'est ridicule, j'ai l'impression de parler à ma psy. Sauf qu'elle n'a pas le droit de me juger, et c'est chiant. Puis tu ne sais pas à quel point le calme qui règne dans un cabinet de psy est mortel. Je préfère largement entendre des casseroles chanter que le tic tac de l'horloge." confia-t-il, affalé sur sa chaise. Sans le faire exprès il tournait autour du pot, c'était de toute évidence une manie qu'il avait de se défendre face à ses problèmes. Il reprit bien vite ses esprits, conscient qu'il ne faisait absolument pas avancer la situation. "Tu sais quoi, on va la jouer équitable. Si je parle d'Anna, tu parles de Madeleine. De toute façon il n'y a rien à dire sur Anna, c'est fini et voilà. Je m'en remettrai." dit-il en hochant les épaules. Lui-même ne doutait pas qu'il s'en remettrait, en apparence, comme toujours. Il afficherait des sourires forcés en public et jouerait des morceaux tristes à mourir à la guitare en rentrant chez lui.

Le regard baladeur, Tim attendait que son ami daigne aborder les sujets qui fâchent en premier. Après tout c'était son initiative, c'était à lui de montrer l'exemple s'il se prétendait si sérieux que ça. Ce qui était d'autant plus curieux c'était que le thème des filles étaient assez privilégiés par les garçons lorsqu'ils se retrouvaient entre eux, mais dans le cas de Tim et Samuel, c'était comme s'ils avaient signé un contrat tacite qui leur interdisait justement d'en parler. En fait, l'un comme l'autre savait qu'ils désapprouvaient leurs choix respectifs, à quoi cela servait-il de débattre dans le vide ? Tim entendait déjà assez de personnes autour de lui critiquer sa relation pour que celui qu'il considérait comme son meilleur ami s'y mette lui aussi. Quant à Madeleine, elle était vieille et folle, la question ne se posait même pas. Et si Samuel pensait la même chose d'Anna ? Peut-être était-ce pour cette raison qu'ils s'étaient tus tout ce temps. L'heure était venue de délier les langues. Dieu savait pourtant que ni Tim ni Samuel ne gardaient la leur dans leur poche.

Regardant Timothy, Samuel se demandait intérieurement quelle était la meilleur façon d'aborder un sujet aussi délicat que l'était Anna. Il savait que son ami ne voulait pas forcément parler de la rouquine, et qu'il ne voulait pas non plus se confier. Pourtant, c'était la première fois que le jeune homme sentait qu'en tant que meilleur ami il devait faire en sorte que son ami ne soit plus accablé par son chagrin. Car ça se voyait. Tim avait beau tout pour faire pour le nier, Samuel voyait que depuis sa dispute avec Anna, celui-ci semblait déprimé, comme si il avait perdu une partie de soi-même. Même s'il n'était pas un bon expert en amour, même s'il était même de très mauvais conseils, le surveillant se disait qu'il fallait qu'en même qu'il en parle avec son ami. Qu'ils essayent pour une fois d'avoir une discussion sérieuse. En disant ce qu'ils pensaient chacun de la situation, de Madeleine et Anna. Lorsqu'il avait téléphoné à son ami afin qu'il le rejoigne au bar karaoké, il ne l'avait pas fait sans réfléchir. Ce n'avait pas été une action imprévisible. Il avait réfléchi aux conséquences, à la façon de lui dire qu'ils devaient parler. Peut-être que cela avait été la cause d'un ton sérieux qu'il avait adopté, peut-être que ça il l'avait fait inconsciemment. D'ailleurs, les quelques verres qu'il avait bu n'avait pas suffit à le soûler, ce qui était une bonne chose. Cela aurait tout gâché s'il aurait retrouvé son ami en étant déjà bourré alors que c'était ce qu'il voulait éviter dans cette soirée. Pour une fois, il voulait que ça soit différent. Il était vrai que si les derniers événements d'il y a quelques mois ne s'était pas déroulés, alors Samuel aurait appelé Tim simplement pour que celui-ci se change les idées en séduisant d'autres jeunes femmes, et en faisant la fête. Seulement, cela n'aurait pas été la meilleure chose à faire. Fort heureusement, grâce à Madeleine et ce qu'il s'était passé dernièrement avec elle, le jeune homme avait presque une toute autre vision des choses. Son comportement certes, restait le même, mais il avait prit conscience que s'il avait un meilleur ami, alors tous les deux pouvaient aller à des confidences quelquefois, sans pour autant se retrouver pour faire la fête.

Lorsque Timothy lui demanda s'il n'avait pas écouter les paroles ou alors s'il était con, Samuel poussa un petit soupir avec une pointe d'insolence. Certes, il avait écouté les paroles, certes il avait compris que son ami essayait de lui faire croire qu'il avait tourné la page. Mais, étant quelqu'un d'entièrement obstiné, le surveillant n'arrivait pas à croire qu'avec de simples paroles on pouvait oublier celle que l'on aimait. Quand il avait connu le jeune homme, il avait vite appris que celui-ci était en couple avec Anna, et même s'il ne l'avait pas encore connu, il avait très vite compris que malgré les disputes et la distance de ce couple, il semblait y avoir véritablement de l'amour entre les deux jeunes gens. Face aux paroles de son ami, le surveillant ne répondit rien, se rendant compte qu'il ne pouvait rien faire contre la mauvaise foi de celui-ci ; et même s'il lui énumérait toutes les preuves une à une – quoiqu'il n'avait jamais essayé pour autant. Assis sur sa chaise, il le regarda toujours en se demandant si ce qu'ils allaient se dire, ils n'allaient pas le regretter plus tard. Quoique que il y avait de minces chance pour que cela se produise. Quand Samuel disait quelque chose, de nature insolent, ne pouvant s'empêcher de dire ce qu'il pensait, il ne le regrettait pas et ça même si il pouvait ensuite se faire casser par d'autres personnes, ou alors même si ce qu'il pouvait dire pouvait blesser l'autre personne. Ce n'était pas quelqu'un de réservé, bien que certaines fois il se moquait bien de ce qu'il pouvait se passer, s'abstenant alors de dire quoique ce soit. Mais là c'était différent. La discussion dans le bar karaoké allait être différente. C'était évident ; même si elle semblait quasiment impondérable. « C'est que l'air d'un psy que tu me dis ça ? » Il semblait difficile d'avoir un semblant de sérieux ne serait-ce que pendant dix minutes. Passant la main dans ses cheveux, il se mit à se dire lui même que ce n'était pas de cette façon qu'une véritable discussion allait commencer. Pourtant, il ne se mit pas à chercher pourquoi Timothy s'était mis d'un coup à parler de l'ambiance qui régnait dans le cabinet de sa psy. Peut-être c'était le ton sérieux que ne cessait de prendre Samuel depuis qu'il avait commencé à lui parler. Sûrement. Pourtant, il n'allait pour le moment pas encore cesser d'adopter le même ton, trouvant que ça allait parfaitement avec ses paroles.

« Si tu veux. » Il voulut rétorquer quelque chose quand son ami lui dit que de toute manière il n'avait rien à dire sur Anna, étant donné que c'était fini et qu'il allait donc devoir s'en remettre. Mais, il préféra ne rien dire, pensant que de toute manière ça n'avait aucune importance. Il y avait quelques instants, Samuel avait voulu éviter presque à tout prix le sujet de Madeleine, seulement il fallait qu'il s'avoue lui même qu'il était évident que si son meilleur ami parlait de la rouquine, alors lui allait devoir parler de l'autre jeune femme. Dans tout les cas, il n'aurait pas pu éviter cela. Levant les yeux, il regarda quelques instants les personnes qui se succédaient sur scène afin de chanter. Conscient que c'était à lui de lancer le sujet, il reposa ses yeux sur son ami, plus décidé que jamais. « Pour être franc Tim, je ne vais pas commencer à critiquer ta relation avec Anna. Et ce n'est pas la peine de me faire croire que c'est définitivement fini entre vous, car j'ai un peu de mal à y croire. Enfin de toute manière tu sais un peu ce que j'en pense. » Ça semblait presque difficile pour Samuel d'aborder un tel sujet, alors pour que certains garçons c'étaient presque instinctif. Il avait longtemps désapprouver le fait que Tim sorte avec Anna, trouvant que la rouquine ne correspondait pas du tout au jeune homme. Mais, depuis qu'il avait eu une discussion avec la jeune femme dans la Galerie Preston, il s'était rendu compte qu'il ne la détestait pas autant qu'il pouvait le croire. Certes, certainement il ne pouvait s'empêcher de lui trouver des défauts, mais lorsqu'il lui avait parler, lorsqu'il avait véritablement vu qui est-ce qu'elle était, il s'était rendu compte qu'en fait elle semblait presque l'âme sœur de Timothy. Comme s'ils semblaient être similaires sur certains points. Sa relation avec Anna ne cessait d'être complexe, et lui même arrivait à s'y perdre quelquefois. Toutefois, Samuel se disait que peut-être ce soir, dans la discussion sérieuse qu'il voulait entretenir avec son meilleur ami, c'était le temps de lui dire véritablement ce dont il pensait de Anna, afin que celui-ci sache qu'en vérité le surveillant ne la détestait pas autant qu'il pouvait le faire croire.

Pour ce qui était de Madeleine, le jeune homme avait un peu de mal à savoir quoi dire à son sujet. Tim savait déjà que Samuel était intéressé par la jeune femme, et qu'il était prêt à tout pour la conquérir. Sauf qu'il ne savait pas ce qu'il s'était passé dernièrement à cause du dernier mariage qui s'était déroulé à Lima. Et Samuel hésitait à lui parler. Il avait réellement envie de savoir les pensées de son ami, de partager avec lui ce qu'il s'était déroulé ; mais l'écueil que lui avait imposé Madeleine n'était pas à prendre à la légère. Elle qui lui avait dit qu'en aucune sorte il ne devait en parler à quelqu'un. Chose qu'essayait de respecter le jeune homme, ne voulant pas déplaire à sa belle. Ses doigts tapotant sur la table, le surveillant essayait de réfléchir à une façon simple d'aborder le second sujet qu'était Madeleine. Après quelques hésitations, il s'exclama enfin. « Et sinon tu veux que je te dises quoi sur Madeleine ? » C'était une question purement oratoire. Il ne s'attendait pas véritablement à ce que son ami lui dise qu'il voulait entendre les derniers événements qui s'étaient déroulés. Quoique on ne savait jamais. Dans tout les cas, il était évident que chacun avait des avis négatifs sur le choix féminin de l'autre. Et Samuel savait que Tim n'appréciait pas grandement Madeleine, et qu'il contestait amplement le fait que le jeune homme soit autant attiré par la jeune femme. Mais, cette fois-ci il voulut assurément savoir tout ce dont son meilleur ami pouvait penser à propos de la jeune femme et de la relation que lui – Samuel – espérait avoir avec.

Tout compte fait Timothy se sentait agacé par toute cette mise en scène. A vrai dire tout ceci était bien trop orchestré pour paraître naturel et il ne se sentait pas la force d'agir comme un acteur qui se plie aux exigences de son script. Qu'attendait véritablement Samuel de leur échange arrangé ? Qu'il laisse de côté son à priori et sa franchise pour ne lui énoncer que ce qu'il avait besoin d'entendre ? C'était en tout cas ce dont il le soupçonnait. Depuis qu'ils se connaissaient ils n'avaient jamais cédé à l'hypocrisie - la sincérité était d'ailleurs le pilier d'une amitié - mais Tim avait l'impression que Samuel attendait de lui qu'il se conduise comme un ami juste et impartial. Il avait eu tort en confiant se sentir oppressé par cette atmosphère digne des salles de consultation. En vérité il assistait à son propre procès et avait l'honneur de jouer tous les rôles possibles et imaginables. Il hocha la tête à cette pensée, presque affligé par l'attitude de Samuel et celle qu'on attendait de lui. Il n'avait pas envie d'être cet ami qui avoue de fausses vérités pour faire plaisir à l'autre, et si c'était ce à quoi Samuel s'était préparé il devait s'attendre à repartir bredouille. Pour Timothy il était hors de question de lui dire qu'il voulait son bonheur et que si ce bonheur il l'imaginait avec Madeleine alors il n'avait pas son mot à dire. Bien sûr qu'il avait son mot à dire, il estimait la connaître bien mieux que lui et lui faire une faveur en la présentant comme elle était réellement. Seulement il n'était pas prêt à ce que Sam fasse de même à propos d'Anna. Peut-être était-il hypocrite après tout, ou égoïste du moins. Il était aussi aveuglé par ses sentiments envers la rousse que son ami l'était envers Mad. Au final ils avaient la chance de pouvoir profiter de la lucidité de l'autre mais ils avaient bien trop peur de la vérité pour s'en accommoder.

L'exaspération semblait être partagée parce que Samuel ne se gênait pas pour soupirer de désespoir. Tim s'était trompé, il n'attendait pas de lui qu'il lui mente à son égard mais plutôt qu'il soit sincère avec lui-même. Et c'était bien plus difficile d'avouer ses propres torts plutôt que de souligner ceux des autres.
Il ne rétorqua pas lorsque Sam glissa une remarque qui s'était voulue amusante mais qui eut simplement le don de le faire rouler des yeux. La plupart du temps il était réceptif à ses plaisanteries, mais parfois il était tellement lourd que c'en était embarrassant. Tim en venait même à se demander comment il parvenait à mettre autant de filles dans son lit alors que son caractère simplet le mettait parfois lui-même mal à l'aise. Sûrement usait-il seulement de ses charmes et se gardait bien d'ouvrir la bouche. C'était cruel mais c'était ce qu'il pensait de lui à cet instant. "En fait non, je ne sais pas ce que tu en penses. Toi-même tu crois savoir mais tu ne sais rien. Tu vois le problème c'est que tu as une vision altérée de ce qui se passe vraiment. Tu assistes à une dispute, puis tu remarques que ça a l'air de me plomber le moral, alors tu te dis qu'Anna est une vilaine méchante et qu'elle ne me mérite pas. Mais c'est plus compliqué que ça." déplora-t-il sans élever le ton. Son visage demeurait impassible mais au fond il sentait qu'une barrière venait de s'effondrer entre lui et le reste du monde. Il se sentait très vulnérable et cette sensation le rendait inconfortable, mais il se rassurait en se disant que c'était le prix à payer pour faire comprendre à Samuel que ce qu'il pensait était faux. "Je ne te demande pas de critiquer ma relation avec Anna, ni même d'en dire du bien. Tu as raison en fait, on devrait parler plus sérieusement. Tu vas m'écouter, je vais t'écouter, et peut-être qu'après ça on aura le droit de se forger notre propre opinion."

Lorsque Sam lui demanda ce qu'il voulait savoir sur Madeleine, il comprit alors que ces concessions il était prêt à les faire. Tim avait l'impression que cette soirée serait longue mais qu'elle n'en serait pas moins enrichissante. "Je sais pas moi... tu lui trouves quoi de plus qu'une autre ? Je sais que tu apprécies cette chasse et que le fait qu'elle ne réponde pas à tes avances te motive encore plus mais bon, peut-être qu'elle a une bonne raison pour ça. Entre nous je crois que tes méthodes de drague fonctionnent soit avec les adolescentes qui découvrent ce qu'est la libido, soit avec les femmes mûres qui n'attendent qu'à en refaire l'expérience." dit-il sur un ton léger, voire amusé, pour ne pas le vexer. Il était vrai que Tim s’était longtemps opposé à leur relation mais dans un sens il n’avait jamais laissé une chance à Samuel de faire son propre plaidoyer. Et quand bien même, qui était-il pour lui dicter sa conduite ? C’était tout le problème de leur amitié, leur tendance à s’amuser de tout les contraignait à faire l’impasse sur les sujets qui leur tenaient le plus à cœur.