04. C'est ce qui s'appelle s'aventurer sur un terrain glissant.

« J’ai toujours pas compris pourquoi je dois rester avec toi. »

Bentley fit un tour sur elle-même en se tenant à la rambarde, avant de se pencher vers son frère :

« Ça, c’est parce que ton cerveau a la taille d’une balle de baseball. »
« ... »
« Et encore, les balles de baseball ne sonnent pas creuses, elles. »
« La ferme. »
« Vas me chercher un chocolat chaud. »
« Hein ? »
« J’ai dis : vas me chercher un chocolat chaud »

Abe avait envie de la gifler. Mais il se retint, premièrement parce que Ben’ était sa sœur, deuxièmement parce que gifler quelqu’un, ça ne faisait pas très viril. Il aurait dû lui coller son poing dans la figure, en fait. Mais il n’était pas sûr que leurs parents approuvent. Aussi se contenta-t-il de lui demander quand il avait signé un contrat stipulant qu’il devait faire ses quatre volontés. Bentley soupira, comme si c’était une question hautement stupide et qu’elle lui répondait uniquement par magnanimité – un mot que Abe ne connaissait pas.

« Tu as promis à papa et maman que tu m’emmènerais à la patinoire, parce que tu as une voiture et moi pas. Et aussi parce que tu es rentré après le couvre-feu trois soirs de suite »

qui

« Et tu restes avec moi parce que tu n’as rien de mieux à faire, et parce que sinon je n’aurais personne à qui déléguer des tâches ingrates. Maintenant, vas me chercher ce chocolat chaud. »

Abe aurait bien planté Bentley sur place, mais ses parents avaient encore de l’autorité sur lui, et si la menace qui consistait à le punir de sortie ne fonctionnait plus – il parvenait toujours à faire le mur quand il le voulait – celle de confisquer sa console était toujours d’actualité – il n’avait toujours pas trouvé « la planque secrète » de son père. Il pria intérieurement pour que sa sœur se casse la figure et s'explose la cheville, histoire qu’elle soit clouée au lit pendant un bon moment. Puis il réalisa que dans ce cas-là il serait sûrement assigné aux « tâches ingrates », comme lui apporter de la lecture, lui faire des milk-shakes et des sandwichs ou lui masser le dos. En plus, ça ne l'empêcherait pas de chanter.

« Tss... »

Il avait plutôt intérêt à aller chercher ce chocolat chaud en vitesse, pour revenir rapidement la surveiller afin de lui éviter un malheureux accident. Même s’il aimait la voir souffrir, il préférait ne pas imaginer ce qu’il devrait endurer s’il devenait son esclave pendant plus d’un mois. Il se demandait régulièrement pourquoi
Il monta deux à deux les marches qui menaient à la balustrade et repéra rapidement le stand qui vendait les boissons. Nous étions en week-end et la patinoire était bondée. Abe se fichait de l'état de la glace puisque lui-même n'avait pas chaussé de patins, en revanche faire trois heures de queue pour un pathétique chocolat chaud le saoulait un peu. Surtout si c'était pour sa sœur. Nous étions en décembre, c'était donc la période idéale pour chausser des patins. Seulement là, c'était comme si tout Lima avait décidé d'aller patiner le même jour qu'eux, et qu'ils avaient tous eu envie de chocolat chaud en même temps que lui... Mais bon. Même si l'attente n'était pas son fort, il décida de prendre son mal en patience. Il enfonça les mains dans les poches de son blouson et regarda vaguement autour de lui en attendant. Quand son tour arriva enfin, il se dépêcha de commander pour sortir de la file d'attente. Le chocolat chaud de Sa Sainteté Bentley dans la main, il contourna le plus gros de la foule pour rejoindre les gradins. Il reconnut alors une de ses amies assise un peu plus loin mais, lorsqu'il l'appela, elle ne répondit pas. Il comprit pourquoi en s'approchant : elle était au téléphone. Il décida d'attendre qu'elle ait fini pour se manifester. Bentley pouvait bien attendre deux minutes de plus pour son chocolat, non ?

Il faisait beau. Le genre de température qu’Edena aimait beaucoup. Il faisait froid, mais pas trop et une petite neige blanche s’était accumulé sur le sol. C’était exactement le même genre de température que son Alexander aimait. Il lui manquait terriblement. Il ne reviendrait pas. Mais elle commençait à s’habituer à cette idée. Il lui avait fallu près de quatre semaines pour le réaliser. Mais Edena était heureuse quand même. Dans son ventre, il y avait une petite boule de vie. Un mixte d’elle et d’Alexander qu’elle aimait sentir. Elle avait hâte de le sentir bouger en elle, cela rendrait cette grossesse plus réelle que les maudites nausées qu’elle avait depuis plus de deux mois. En fait, niveau alimentaire, depuis le début de la grossesse, on pouvait résumer l’ensemble de la nourriture de la jeune femme à des pommes, des bananes, des noix et du chocolat chaud. Le reste finissait majoritairement dans la toilette après une ingestion. Elle avait tellement espérer ne pas avoir à vivre cela comme ca. Mais visiblement, ce n’était pas elle qui décidait mais le bébé, qui avait été désiré même si la majorité des personnes ne croirait pas qu’elle avait vraiment voulu ce bébé.

Bref, en ce samedi, la jeune demoiselle s’était aventurée, une fois que tous ces travaux scolaires étaient terminés, dans la ville. Elle avait envie de bouger un peu plus. Après avoir vérifié dans un de ses livres de grossesse que de faire du patin en début de grossesse n’était pas dangereux pour le bébé, elle avait décidé de s’orienter vers la patinoire. Elle fit donc son sac en glissant sa paire de patins dans son sac. Après s’être emmitouflé dans son manteau d’hiver et avoir enfiler foulard, tuque et mitaine, elle fila avec sa voiture à travers la ville enneigée. Edena avait donc réussi à se trouver une place de stationnement dans un rayon raisonnable. Avec son sac à dos sur les épaules, elle donnait étrangement l’impression de s’en aller vers le lycée. Mais elle s’en fouttait. Elle s’était abstenue de mettre des pantalons de neige, de toute façon, faire du hockey pendant près de 14 ans donnait une certaine assurance sur des patins. Elle s’en alla vers les petits casiers de l’aréna. Elle enleva ses bottes et enfila ses patins, si une majorité des filles de son âge avaient des patins conçu pour le patinage artistique, Edena ne ressemblait pas à la majorité sur ce point encore. Elle avait enfilé une paire de patin de garçon dont la coupe était plus souple et dont la lame permettait de pouvoir faire plus facilement du patin à reculon plutôt que des acrobaties aériennes.

Son téléphone encore dans ses poches, la jeune demoiselle s’aventura sur la place. Elle avait toujours beaucoup aimé le sentiment de liberté qu’elle avait sur la glace. Mais aujourd’hui elle ne se pressait pas et était porté à aller dans la section où les enfants se tenait avec leur parents en apprenant à patiner souvent accroché aux cônes oranges ou aux supports que la ville fournissait pour aider les plus petits à patiner. Au bout d’une petite demi-heure, les jambes un peu fatiguée, Edena se retira de la glace. Elle enleva ses patins et alla s’assoir dans les estrades. La file pour le chocolat chaud la décourageait. Elle prit un livre et gribouilla quelque notes jusqu’au moment où elle réalisa qu’un petit papier était tombé de son sac. Et merde, le rendez-vous qu’elle devait prendre lui sauta brutalement au visage. Elle enleva un de ses gants, fouilla dans ses poches de manteaux et sortit son téléphone. Nerveusement, elle composa doucement le numéro du docteur. Elle avait oublié avec le retour prochain du corps et les funérailles à planifier qu’il fallait qu’elle prenne le rendez-vous pour son bébé. Une main passa furtivement sur son ventre pendant que la sonnerie résonnait à l’autre bout de la ligne. Elle soupira. Dieu que ce type d’attente était pénible. La voix de la réceptionniste résonna de l’autre côté et la jeune demoiselle se présenta.

« Oui, c’est bien cela. Le rendez-vous est pour Edena Penelope Miller. Je suis suivie par ce docteur-là, en effet. Ça serait pour une échographie. Je suis enceinte de neuf semaines. Oui. Le rendez-vous serait mardi? Vous avez des disponibilités de soir? Ah! J’aurais bien aimé ne pas avoir à manquer de cours… ce n’est pas grave. On dit donc dix heures. Boire beaucoup d’eau avant? C’est la seule recommandation, qu’il y a? Parfait! J’y serais, merci beaucoup madame. »