« Je rêve d’un monde sans haine et sans violence. Un monde où les vœux s’exauceraient et où les gens ne craindraient pas la mort, parce que la mort n’est rien d’autre que la fin d’un court chapitre de notre existence. Un monde où l’amour serait acquis et ne répondrait à aucune règle.
Moi je ne crois pas en l’amour. Amour, mort, n’y a-t-il pas là une consonance étrangement similaire ? Je ne le crains pas, tout comme je ne crains pas la mort, mais je ne me risquerais pas à tenter le Diable en me jouant de tels concepts. Est-ce ridicule de rêver ainsi ? Il me semble que non. Selon moi, la vie n’est qu’un rêve que l’on se joue et dont on se sépare tôt ou tard, lorsque l’heure est venue de se réveiller. Pourquoi mon rêve est-il donc si cruel ? »

Mon nom est Cassandra. Cassandra Hamilton. Les gens de ma famille me pointent souvent du doigt en répétant sans cesse que je suis tourmentée. On dit de moi que je vis la tête dans les nuages et les pieds sous terre. Dans la réalité, je ne suis qu’une âme extrêmement vulnérable. Moi je crois qu’on ne peut blâmer une fille de pasteur de croire en des choses immatérielles. Mais quand je me risque à dire ce que je pense à mon père, il me réprimande comme si le Diable m’avait corrompu. Il craint que mon âme pure et chaste soit proie aux pires des pêchés dans ce lycée perdu de l’Ohio. Pourtant il continu à avoir confiance en moi et jour après jour je ne cesse de lui faire honneur. Du moins c’est ce qu’il affirme.

Beaucoup diraient que ma vie n’est qu’une sempiternelle messe. J’ai grandi dans ce qu’on appelle communément la religion et j’ai ainsi acquis des valeurs fondamentales dont manque cruellement notre société. A mon avis, seule l’éducation des parents est à blâmer dans la dépravation de la jeunesse. Au départ les enfants ne sont que des coquilles vides qui n’attendent qu’à être comblées. Certains diraient que je n’ai seulement pas d’esprit critique, je leur répondrais que suivre le dictat de la débauche n’est pas exactement une preuve saine d’intelligence.
Moi, je suis contente de la vie que je mène. Et je crois que se satisfaire soi-même est la base de tout épanouissement.
Mon assurance et ma plénitude pourraient vous faire croire que je suis une fille sans complexe à la vie parfaitement parfaite, mais c’est faux. J’ai simplement appris, plus ou moins tard, que si l’on parvient à se contenter d’être ce qu’on est, les regards méprisants des autres n’ont plus aucune importance. Mais ça n’a pas toujours été le cas, et même aujourd’hui, je doute que ce soit une vérité indubitable. Du moins pour moi.

J’ai toujours vécu à Lima. C’est l’une des seules choses dont je pourrais me plaindre dans ma vie. Mais je n’ai pas l’habitude de me plaindre. Je sais que la condition humaine est précaire et que je suis loin d’être la fillette malheureuse que certaines pourraient prétendre être. En sachant s’ouvrir au monde et à ses difficultés, il est facile de se rassurer dans ses maux.

« Seigneur, donnez-moi la force de combattre le Mal. Donnez-moi le courage de vaincre la méchanceté. Donnez-moi de l’aide. »

J’avais neuf ans lorsque j’ai prononcé cette prière. A l’époque je n’étais pas très éloquente, mais toujours est-il que ce jour-ci, le jour de la rentrée des classes, j’avais ma petite sœur pour m’épauler. C’est plutôt paradoxal je l’avoue, mais ma sœur et moi nous sommes toujours soutenues. Nos trois années d’écart ont pourtant fait qu’à certaines périodes, j’étais seule face au monde.

J’ai beaucoup souffert des moqueries et du regard des enfants de mon âge. J’étais faible. Tant physiquement que moralement. Et je le suis toujours. J’étais certaine que Dieu les punirait tous pour leur comportement, mais la sentence tardait trop, et moi, j’étais toujours la cible des méfaits. C’est tellement plus simple et naturel de s’en prendre à la pauvre fillette bizarre qui croit aux univers parallèles et se lève tous les dimanches matin pour assister à la messe. C’est à cette époque que j’ai développé une certaine passion pour le vaudou - et autres activités inquiétantes pour certains liées au spiritisme -. C’est pourtant une passion que je ne partage pas. J’estime être assez marginale pour ne pas nécessiter m’infliger cette peine. Surtout face à mon père. Il n’hésiterait pas à me mettre au bûcher ou à engager un exorciste pour me délivrer du Mal. Mais j’y crois pourtant. Je n’ai pas peur de pêcher car croire n’est pas un sacrilège, cependant je m’en cache. La seule chose que je n’ai pas peur d’affirmer, c’est l’absolue conviction qu’il existe autre forme de vie que celle de l’homme et des créatures terriennes.

« Je sais qu’il existe une infinité de mondes. Les américains semblent croire qu’il n’existe que les États-Unis, et pourtant, par delà les océans et le ciel s’étend un vaste univers. Je suis affligé de voir que mon père dénonce ma folie passagère. Comment peut-on croire en Dieu et ignorer des multitudes de possibilités ? J’ai tant de choses à apprendre sur ce monde. »

C’est vrai que je ne connais rien de la vie. La plupart des adolescents se disent las de vivre, parlent comme s’ils avaient une certaine expérience, mais ils ne savent rien. Certains se complaisent dans leur ignorance, moi je suis victime de ma curiosité.

-Papa tu as déjà vu Dieu ?
-Non ma chérie.
-Alors comment tu sais qu’il existe ?

-Maman pourquoi on dit école ?

-Dis tu crois aux miracles toi ?
-Non, sinon je serais pas assise là à parler avec toi.
-Pourtant tu vas bien prier tous les dimanches.
-Peu importe…

Je crois qu’il y a une raison à tout. Mon père ne sait pas pourquoi il croit en Dieu, moi je pense que c’est pour se donner une ligne de vie. Parce que lorsque l’on ne croit en rien, on meurt intérieurement.
Mes professeurs m’ont souvent reproché ma répartie maladive et parfois maladroite. C’est que les adultes tentent vainement de nous enseigner quelque chose, mais au fond ils ne savent pas pourquoi. Ils savent seulement qu’ils doivent le faire. Moi je sais que si je dois enseigner la foi, c’est parce qu’elle embellit notre vie. Mais ce n’est pas mon rêve. Mon rêve est de partir de cette ville que je n’ai jamais quittée afin de découvrir le monde et de le comprendre. J’aimerais semer le bonheur sur mon chemin. Je crois que c’est à ça que servent les œuvres caritatives. Cette passion me vient de ma mère. Généreuse, comme moi… ou l’inverse ?
Après que l’on ait reçu un héritage conséquent de la part de mes grands-parents maternels, elle a décidé de se consacrer au bénévolat. Moi-même il m’arrive de l’aider ou d’offrir mon temps après les cours. C’est tellement plus enrichissant et opportun que de se droguer pour oublier ses problèmes.

Lorsque je suis parvenue au lycée, j’ai décidé de laisser derrière moi la fille atypique et faible que j’étais. Je suis toujours fidèle à moi-même et à mes idéaux, seulement, je fais plus d’efforts pour m’intégrer. Parfois les gens ne comprennent pas pourquoi je m’intéresse à leur sort. La bonté n’est pas habituelle dans notre monde. C’est triste. Les gens croient que tout comportement est intéressé. Sûrement suis-je trop naïve pour l’observer objectivement.

« Seigneur, je vous remercie d’avoir entendu mes prières. Il était certain que ce ne serait plus qu’une question de temps avant que Quinn et ses disciples ne se fassent chasser du club d’abstinence. Le feu est l’élément du Diable. Jouer avec lui c’est rallier sa cause. Ces filles ne s’en étaient jamais rendu compte, mais porter un vêtement aussi court allait à l’encontre de tous les principes que l’on s’obstine à prêcher. Justice a été rendue. Me voilà à présent à la tête du comité. Sachez que je saurai honorer votre nom et votre parole. Je me ferai la voix de Dieu. Amen. »

Je n’ai jamais été aussi heureuse que le jour où la vérité a éclaté. Secrètement j’espérais voir démissionner Quinn pour pouvoir enfin enseigner de vraies valeurs aux membres du club. Mes tentatives de persuasion auprès du Principal avaient été vaines, mais je savais qu’un jour mes efforts auraient payé. Je n’en veux pas à Quinn et aux autres danseuses - ou devrais-je dire acolytes du Diable, ce ne sont que des tentatrices viles et en quête de luxure – elles ont simplement dérivé de la route divine que leur traçait leur destinée. Moi je crois au destin. Après tout peut-être n’étaient-elles pas faites pour représenter une si noble cause ? Elles sont simplement perdues. Mais pour moi tous les élèves de ce lycée sont égaux. Je ne me hisse pas plus haut qu’eux. Seul Dieu nous domine de part son infinie perfection. Et aux côtés de ma sœur, je saurai redonner à tous des valeurs propres et saines. Du moins je l’espère.
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