On était mardi. Quel jour désastreux, le mardi ! Tout d'abord, il y avait l'arrivée au lycée, à la même heure que son bourreau amateur de football, qui lui, commençait sa matinée en lançant sur la jolie blonde une bonne quantité de granité. Heureusement, aujourd'hui, la belle avait prévu le coup et avait mit dans son sac des affaires de rechange, histoire d'être bien sèche au moins pour les premiers cours. D'ailleurs, ce n'était pas le même parfum de glace pilée que d'habitude, ce qui avait tout d'abord étonné Eléa. Le mardi, elle subissait le parfum cerise, hors là elle s'était reçu du granité au citron, qui était généralement réservé au vendredi. Bref. Tout cela pour dire que la matinée de la jeune française ne commençait pas merveilleusement bien, même si elle avait déjà connu pire. Cet accueil de la part du sportif était suivi de deux heures de physique, pendant laquelle Eléa n'avait fait que rêvasser et dessiner de jolies arabesques sur les pages de son cahier, puis d'une heure et demi de littérature anglaise. Plutôt barbant, même si Désirée était une prof vraiment adorable et exemplaire. Mais bon, entre nous, la littérature anglaise... Eléa s'en fichait au plus haut point. Heureusement qu'il y avait cette pause du déjeuner. Car non seulement le mardi signifiait granité à la cerise (bon, aujourd'hui au citron, mais vous comprenez le principe) mais également balade dans le parc avec le garçon qu'elle appréciait le plus, Ezrael Ashmore.

Comme à son habitude, Eléa était sortie de cours en retard, malgré son excitation grandissante. Voir son ami était capable de la motiver pour toute une journée, mais cela n'arrivait tout de même pas à modifier son attitude de petit escargot jamais pressé. Et puis, question d'image, il ne valait mieux pas que quelqu'un la voie se dépêcher pour aller quelque part en dehors de la ville, cela aurait pu paraitre suspect. Et avec cette harpie de Gossip Glee qui rôde... Il valait mieux être calme, et de toute manière, une jolie fille sait se faire désirer et attendre lors de rendez-vous. Ezrael était habituée au quart d'heure de retard de la blondinette, qui l'avait déjà prévenu : le retard était dans les gènes des français. Certes, elle-même en doutait, mais avouez que c'est une bonne excuse.

Eléa finit donc par arriver au Parc Lincoln, certainement l'endroit qu'elle connaissait le mieux à Lima, après le lycée McKinley évidemment. Venir tous les mardis midi, retrouver son ami au pied du même chêne, et marcher durant tout le moment de pause lui avait permit de mémoriser parfaitement l'endroit. Comme on pouvait s'y attendre, Ezrael était déjà là, toujours parfaitement à l'heure. Fièrement, il tendit son sandwich à la jeune blondinette, ainsi que sa canette de jus et son cookie. Eléa ne put s'empêcher de sourire d'un air ravi. Thon-crudités, jus de pomme, et cookie aux pépites de chocolat. Tout ce qu'elle préférait. Franchement, avoir un ami aussi attentionné, ce n'était vraiment pas donné à tout le monde.

Mangeant calmement, et surtout très lentement, son sandwich, Eléa voyait son ami faire de même, mais continuait pourtant à s'extasier sur le paysage que le parc lui offrait. Tout était toujours radieux, là-bas. Les arbres semblaient plus verdoyants, la pelouse plus agréables et le ciel plus bleu qu'ailleurs. Et, en plus de cela, le Parc Lincoln était un lieu pouvant être qualifié de "neutre", ce qui était non négligeable. Pas de granité en vue, ni quiconque pouvant faire la moindre réflexion sur la présence d'une Cheerio aux côtés d'un Awesome Voice. C'était assez plaisant, il faut dire. Très relaxant. Cela changeait grandement des couloirs, où Ezrael et Eléa s'évitaient presque, être vus ensemble pouvant causer du tord à l'autre. Alors qu'il ne s'agissait que d'une pure et simple amitié, sincère.

« J'ai passé une matinée pourrie. Et l'autre débile de footballeur qui s'attaque à moi à coup de glace pilée m'a envoyé le parfum du vendredi, c'est dire à quel point il est stupide. Et toi, quoi de neuf ? »

Cela gênait assez Eléa d'être obligée de parler aussi lentement. Cela la faisait souvent passer pour une vraie débile, ses longs cheveux blonds n'arrangeant en rien la chose. Mais bon, que voulez-vous, elle tentait au moins de s'exprimer, ce n'était déjà pas trop mal. Et puis, cela ne semblait pas gêner Ezrael, qui était assez compréhensif sur ce point, et qui ne lui cherchait pas de noises. Même qu'il prenait la peine de bien articuler, pour être mieux compréhensible ! C'était un geste qu'Eléa appréciait particulièrement, même si jamais elle ne lui avait dit. D'ailleurs, il faudrait qu'elle le fasse, à l'occasion.

Eléa était bien trop occupée à observer son sandwich, et accessoirement son ami entre deux bouchées, pour faire attention à l'endroit où elle mettait les pieds. Par le plus grand des miracles, elle rata de justesse un excrément de chien, ces sales bêtes contre lesquelles elle pesta intérieurement pendant trois bonnes minutes. Franchement, il y avait des espaces réservés pour les besoins des animaux, pourquoi donc s'obstinaient-ils à se soulager sur les chemins du parc, risquant de souiller les chaussures des promeneurs. Et puis, à quoi servaient donc les maîtres, qui n'éduquaient pas leurs chiens, et surtout qui ne jouaient pas leur rôle en utilisant les petits sachets que l'on trouvait tous les vingt-cinq mètres, afin de nettoyer tout ça ? Avouez que c'est quand même assez désespérant, cette technique de l'autruche "j'ai rien vu, c'est pas à moi de ramasser", plutôt que d'être sympathique envers les usagers du parc. Eléa eut presque envie de faire le ménage elle-même, mais elle était en train de manger, et Ezrael lui parlait. Inutile de rompre un des brefs moments qu'elle partageait avec lui à cause d'un chien et de son maître irresponsable.

En revanche, la brindille en travers du chemin, elle ne la rata pas. Heureusement, Eléa avait l'habitude de se rattraper en cas de faux-pas, ce qui lui permit de ne pas s'étaler de tout son long, et de conserver son sandwich dans sa main. Cependant, elle prit quelques dixièmes de secondes sur la marche de son ami, qu'elle ne tarda pas à rejoindre. Apparemment, il était parti dans un débat interne à son seul crâne à propos du footballer qui pourrissait sa vie à elle, Eléa Delacroix. Il est vrai que cela devait lui faire bizarre, d'imaginer que mêmes les jolies filles populaires comme Eléa, membre des Cheerios, se prenait des granités en pleine tête. Ce genre de bizutage était en général destiné aux personnes comme lui, des élèves des chorales. Ou alors aux personnes mal-aimées par une majorité du lycée McKinley. Ce qui n'était pas le cas d'Eléa. Elle était une pure Cheerio, avec seulement quelques liens d'amitié avec des choristes, lien qu'elle avait toujours prit grand soin de cacher au reste des étudiants, bien que personnellement, elle se moquait bien de ce que l'on pouvait penser de ses amis. Mais ceux-ci avaient toujours préféré rester discrets, dans son intérêt à elle.

Mais voilà, cet abruti d'Alessandro Cromwell ne semblait pas apprécier son accent si frais et si mignon, qui ravissait pourtant ses autres camarades. Cela faisait un peu exotique, ou quelque chose du genre, et du coup, cela les amusait, et ils étaient prêts à soutenir la belle si elle avait besoin d'aide. Sauf à cet idiot de Cromwell. Qui lui-même n'était pas américain. Il pouvait bien parler, franchement, avec son sang italien dans les veines... Mais voilà, Eléa était bien plus faible que lui, et malgré son statut de Cheerio, il s'amusait énormément lors de ces lynchages quotidiens. Eléa se promit alors qu'un jour, elle lancerait également un granité en pleine face, histoire de voir si c'était si amusant que ça. Parce que pour l'instant, n'ayant vu cela que du côté de la victime, cela ne la faisait pas rire du tout. Mais alors vraiment pas.

Ezrael énonça alors une idée. Une très bonne idée. Voire une excellente idée, même. Il était certain que vu sa tête satisfaite à chaque fois qu'il la submergeait de glace pilée, jamais il n'avait testé de s'en recevoir un, en ayant les yeux qui piquent, les cheveux collants, et les vêtements tâchés. Lui rendre la pareille n'était pas une si mauvaise idée, en soi, mais les représailles allaient en revanche très mal s'annoncer. Il ne valait mieux pas tenter le coup, qui sait ce qui pourrait se produire.

« C'est pas forcément l'envie qui m'en manque. Mais il risque de véritablement me tuer sur place, si je fais ça. Je serais morte, et assez cadavérique pour l'autopsie. »

Je vous l'accorde, ce n'était pas drôle. Mais Eléa aimait bien ce type d'humour noir un peu déplacé. Et comme elle savait que cela ne dérangeait en rien son ami Ezrael, elle ne se privait pas. Elle évitait pourtant de faire ça avec n'importe qui, on l'aurait vraiment prise pour une folle. Et vu que, déjà, Eléa passait pour une fille assez tarée à cause de ses expressions françaises et de ses mimiques bizarres, il valait mieux éviter. Sinon, il n'y aurait pas que Alessandro, qui s'acharnerait sur son pauvre sort à coups de glace pilée.

Ezrael finit par changer de sujet de conversation, et Eléa lui en fut reconnaissante. Penser que dans quelques heures à peine elle risquait de recroiser son bourreau, un gobelet à la main, l'angoissait déjà, inutile de gâcher leur sortie avec ça. Bon, il est vrai que les études, ce n'est pas ce qu'il y a le mieux question discussion. Mais au moins, cela les liait assez, même s'ils n'étaient pas dans la même classe. De quoi d'autre pouvaient-ils parler sans se plaindre ? De musique, peut être ? Eléa n'y connaissait pas grand chose, en musique... En dehors de ses deux/trois groupes préférés, tout lui était étrangement flou. Même de grands classiques manquaient à son répertoire. Alors ne parlons pas des classiques country. Jamais Eléa n'avait entendu le nom de certaines superstars américaines, étant de purs inconnus en Europe et spécialement en France. Avouez que la musique texane à Paris, on a jamais entendu ça.

« Comment ça, t'as pas été sélectionné ? C'est quoi cette blague ? T'es un chanteur génial ! Ils veulent véritablement les perdre, les Sectionals, ou quoi ? »

Ezrael avait beau être son ami, Eléa était cent pour cent sincère sur ce coup là. Elle en était presque choquée, en fait. Elle l'avait déjà entendu chanter, et il avait une voix tout simplement sublime. C'était quand même assez étrange qu'on ne veuille pas de lui dans la troupe des Awesome Directions, chorale qui représenterait le lycée McKinley. Décidément, Eléa ne comprenait vraiment rien à la musique. Puis le sujet des bourses vint sur le tapis. Ces fameuses bourses ! En France, Eléa n'y avait jamais eu droit, il faut dire que c'était assez compliqué d'en obtenir une là-bas. Alors qu'aux États-Unis, c'était monnaie courante. La plupart des jeunes n'étudiaient au lycée que pour ces bourses, qui leur permettrait d'entrer dans de prestigieuses universités. Ce qui n'était pas le souci d'Eléa, qui ne souhaitait qu'obtenir son diplôme, puisque une fois majeure, elle aurait l'autorisation de retourner en France, loin de Maxine, se débrouillant toute seule, comme une grande. Elle aurait l'autorisation de reprendre la danse à l'Opéra de Paris, si l'on voulait encore d'elle.

« T'inquiète pas pour ça, tu l'auras, ta bourse. La plupart des gens que je connais l'auront, en fait. Les footballers et les Cheerios parce qu'ils corrompent les profs pour leur donner de bonnes notes ou parce qu'ils sont bon, et les élèves comme toi, qui travaillent dur et qui le méritent. »

Ah, si seulement elle comprenait en cours ! Eléa aurait pu aussi faire partie de ces Cheerios qui obtiennent des bourses grâce à leur talent. Mais non, elle n'était pas particulièrement douée, préférant le classique, et en classe ce n'était vraiment pas ça. Mais elle se devait au moins de soutenir ses amis, comme Ezrael, qui réussiraient sans aucun doute.

[Gnaaaa, c'est mauvais, je suis désolée ><' Surtout vu le temps de retard...]



Eléa était véritablement trop choquée par la nouvelle que son ami venait de lui annoncer, pour ne serait-ce que songer à continuer à mordre avec vigueur dans son sandwich, ni même se rendre compte qu'un morceau de salade, couvert de sauce que l'on pourrait qualifier de vinaigrette, n'allait pas tarder à réussir à s'extirper des deux tranches de pain de mie du sandwich. Ce n'est qu'après avoir reçu ledit morceau de salade sur la jambe alors qu'elle marchait à grands pas pour suivre la démarche d'Ezrael, que la blondinette revint à la réalité. En râlant, elle s'arrêta au pied d'un énorme chêne qui se trouvait juste au bord du chemin, coinça son sandwich entre ses dents afin de ne pas le poser n'importe où, et commença à farfouiller dans son énorme sac à la recherche d'un mouchoir en papier.

L'avantage d'être martyrisée par un footballer hargneux et sans limite, était qu'Eléa possédait pas mal de trucs étranges dans son sac qui se révélaient fort utiles, et qu'elle prêtait parfois aux élèves des chorales, qui se prenaient un granité pour la première fois, et qui ne savaient que faire d'autre, que de rester en plan, bouche bée, en essayant de réaliser qu'effectivement, un liquide glacé et visqueux coulait sous ses vêtements. Ainsi, on trouvait un uniforme de rechange aux couleurs des Cheerios du lycée McKinley, ce qui n'était pas surprenant, mais également du gel douche et du shampooing, ce qui était déjà un peu moins commun. Ainsi qu'un petit sèche-cheveux, qu'elle avait dégoté lors de son entrée à l'Opéra de Paris, un petit rat se devant d'être irréprochable en toutes circonstances. Le stock de mouchoirs en papier que transportait Eléa était de plus assez surprenant, et remplissait presque entièrement son sac. Seuls deux livres réussissaient à trouver leur place dans tout ce fatras de sauvetage contre les glaces pilées. Un manuel d'histoire géographie, et un bouquin format poche, en français, conseillé par son professeur. La Délicatesse, de David Foenkinos. Un petit bijou, dans la langue de Molière.

Eléa se hâta donc d'essuyer sa jambe, se leva avec grâce, lança le mouchoir dans la poubelle de l'autre côté du chemin en hurlant "PANIER !" après avoir réussi, en français, et en sautillant, faisant onduler sa longue couette blonde. Avec un sourire satisfait, Eléa remit le bras d'Ezrael sur son épaule, et lui fit une sorte de grimace pour l'amuser un peu. Cependant, la blondinette reprit vite son sérieux, et reprit le sujet des chorales, et notamment celle des Awesome Voice. Il était vrai qu'Eléa n'y connaissait absolument rien, en musique, et qu'elle ne savait même pas quels élèves faisaient partie de tel ou tel groupe. Mais elle était pourtant persuadée que son ami était talentueux.

« Que nenni ! C'est le problème des "artistes", ils ne se rendent jamais compte des erreurs qu'ils font. Bref, je suis sûre que tu chantes très bien. »

Eléa savait que l'obtention d'une bourse était le principal objectif d'Ezrael, et la belle blonde était certaine qu'il réussirait. En toute honnêteté, Ezrael était un garçon brillant, qui excellait dans pratiquement toutes les matières, et il n'y avait aucune raison pour qu'il ne récolte pas le fruit de son travail. Quant à elle, elle se fichait bien d'obtenir une bourse ou non, du moment qu'elle réussissait à avoir son diplôme, et qu'elle pouvait se détacher de la tutelle de sa sœur ainée Maxine, qui lui pompait l'air de plus en plus chaque jour. Mais il était vrai qu'elle n'avait pas vraiment réfléchi à ce qu'elle voulait faire après cela.

« Rentrer en France ! Je déteste ce pays de malade où les gens parlent une langue bizarre, où le système de santé est pitoyable, et où les aides envers les plus démunis sont presque inexistantes. »

Eléa avait lâché tout cela d'un bloc, sans respirer, ni même réfléchir avant d'ouvrir la bouche, ce qui était extrêmement rare, surtout lorsqu'elle parlait en anglais. Immédiatement, elle regretta. Non pas qu'elle n'était pas convaincue de ce qu'elle annonçait, mais elle savait bien que cela pourrait être très mal vu de critiquer de la sorte le pays dans lequel elle faisait ses études. D'une mine penaude, la belle baissa les yeux, fixant du regard les petits gravillons beige sur lesquels elle marchait, et ajouta :

« Sinon, non, je ne sais pas quoi faire après le lycée. »

Eléa continuait de marcher tranquillement, cette fois en regardant bien prudemment le chemin de gravillons, histoire de faire véritablement attention à l'endroit où elle posait ses petits pieds. Son stock de mouchoir s'était amenuisé rien qu'en une matinée, et il valait mieux éviter d'être en totale rupture de stock avant la fin de la journée. Franchement, quelle idée d'envoyer de la glace pilée en pleine face des Cheerios ? N'étaient-elles pas censées représenter la beauté, la classe, et la popularité ? Et voilà qu'on les traitait comme de véritables loosers, pire que les choristes des Glee Clubs. C'était assez paradoxal, franchement... Non pas qu'elle aurait voulu voir ses amis adeptes de vocalises les cheveux collants à cause du granité. Mais soyons honnêtes, cela aurait semblé plus logique.

Il était vrai que la blondinette adorait se plaindre. Elle se plaignait presque sans cesse, d'ailleurs, de manière plus ou moins discrète. Mais le cœur y était toujours : dès qu'elle avait une occasion de râler, elle ne la manquait pas. Qu'il s'agisse de critiquer l'enseignement douteux de Sue Sylvester, des lubies stupides de son prof d'art plastique, ou encore des méthodes de drague pas très fines de la part de certains footballers, tout était bon. Et Eléa adorait plus que tout se plaindre auprès d'Ezrael, qui par chance, ne se lassait jamais de ses jérémiades. Du moins, il ne lui avait jamais dit... C'était dans sa nature, voilà tout. Et critiquer les États-Unis la ravissait d'autant plus, que c'était sa sœur détestée qui l'avait forcée à emménager ici. Elle se plaignait doublement, en quelques sortes, mais si c'était sous-entendu. Cependant, Eléa savait que son ami n'appréciait pas énormément Maxine non plus, étant donné qu'elle le soupçonnait d'avoir de mauvaises intentions à propos de la jeune blondinette. Ce qui était parfaitement infondé, et qui ne correspondait absolument pas à Ezrael.

Puis son ami vint à parler de la danse. Il savait très bien qu'elle avait du tout abandonner, et raccrocher ses chaussons adorés. Mais, à Lima, elle n'avait aucun moyen d'exprimer son talent, puisqu'il était totalement hors de question qu'elle se rabaisse à aller dans un cours public, elle qui avait réussi à entrer dans le prestigieux cercle des petits rats de l'Opéra de Paris. Rien, ici, n'était à son niveau. Du coup, elle se contentait de porter cette mini-jupe rouge et blanche, tellement courte que cela frôlait l'indécence. Si elle avait porté cela en dehors du cadre du sport, elle aurait certainement obtenu un rapport de la part du principal Figgins. Et après, on s'étonnait de toutes les coucheries entre Cheerios et footballers...

« Je refuse d'enseigner la danse. Je ne supporterait pas qu'une gamine réussisse à avoir un meilleur niveau que moi ! »

Bien entendu, Eléa avait dit cela en rigolant. Toutefois, elle était quand même assez sincère. Elle faisait partie des meilleures, et jamais elle n'aurait accepté de laisser sa place, encore moins à une enfant puérile qui n'avait pas le tiers de son expérience des ballets. La réponse était définitivement négative. Soit elle devenait une star des scènes, dans le rôle de la Reine des Cygnes ou de Casse-Noisette, soit elle abandonnait littéralement la danse. Pas de demi-mesure. Eléa avait d'ailleurs toujours été comme ça... Les compromis, très peu pour elle.

Cependant, Eléa restait souriante, ravie de partager ce moment avec son ami. C'était tout de même beaucoup plus sympa que de manger au self du lycée... Même si son petit sandwich thon-crudité ne lui remplissait pas véritablement l'estomac, au moins, elle mangeait quelque chose de comestible. La blondinette soupçonnait même Sue Sylvester de payer les cuisiniers du lycée afin qu'ils préparent exprès quelque chose d'immangeable, pour que ses Cheerios gardent la ligne. C'était parfaitement possible, après tout. La coach des pompoms girls bravait tous les défis pour parvenir à ses fins, y comprit corrompre la quasi-intégralité du personnel de McKinley.

Eléa souffla de lassitude, manqua de s'enrouler les pieds dans une laisse reliant un affreux caniche à la tout aussi affreuse vieille dame qui lui servait de maîtresse, et qui pesta durant cinq bonnes minutes après cette pauvre Eléa et sa maladresse. De toute façon, la jeune française ne comprit pratiquement rien de ces sortes d'insultes, son niveau en anglais laissant fortement à désirer, surtout lorsqu'il s'agissait d'un langage familier et peu recommandable. Les seules qu'elle connaissait, elle les avait entendues aux entrainements des Cheerios. Puis, soudain, comme prise d'une illumination, Eléa s'arrêta net, forçant son ami à faire de même.

« Ez, il est quelle heure ? Cette vieille folle complètement tarée et psychotique de Sue va me fusiller sur place, si j'ai la moindre minute de retard à son entrainement de cheerleaders... Cette femme est vraiment malade, elle est prête à tout pour dicter sa loi, même être la personne la plus détestable au monde. Le pire, c'est que ça a l'air de lui plaire, d'être aussi infâme et d'être haïe par tout McKinley... »

Angoissée, les yeux ronds comme des soucoupes, son teint habituellement pâlichon devenant carrément blafard, Eléa scrutait son ami, qui jeta un coup d'œil sur sa montre. Pitié, qu'elle ne soit pas en retard !