C’était tout à fait typique. Aaron avait passé sa journée entière à redouter la fin des cours, à fixer l’horloge, un nœud au fond de l’estomac. Il n’avait quasiment pas quitté les aiguilles des yeux et lorsque la sonnerie avait retentit et que le brouhaha s’était élevé, il n’y avait prêté aucune attention. D’un pas mécanique, il s’était engouffré dans le troupeau d’élèves entassés dans les couloirs et rejoint la sortie et finalement, son arrêt de bus habituel. Callie l’y avait rejoint et il avait été tellement stressé qu’il ne l’avait même pas vue approcher et avait presque refusé de l’embrasser.
Et c’est là que sa petite rouquine préférée avait lâché sa bombe, sans ménagement : « Tu n’étais pas censé voir ta prof de socio cet aprèm ? »
« Bah si ! » avait-il rétorqué avant de soudain réaliser qu’il n’était pas du tout là où il était censé se trouver. Encore une fois, c’était typique. L’adolescent avait été tellement obnubilé par ce rendez-vous imposé par son professeur qu’il en avait oublié de s’y présenter. C’était comme toutes ces fois où il s’était répété pendant toute une semaine que dimanche l’anniversaire de sa mère tombait. Et devinez ce qu’il oubliait de faire le dimanche : souhaiter son anniversaire à Nora.

La foule s’était dispersée sur les pelouses de McKinley, ne facilitant pas la tâche d’Aaron qui tentait de se frayer un chemin parmi eux, en sens inverse. Les yeux exorbités par l’anxiété, le teint plus pâle qu’à l’ordinaire, le grand brun jouait des coudes, bafouillant des excuses de temps à autres aux élèves qu’il bousculait (ou à la poubelle que son sac en bandoulière avait cognée…). Après de longues minutes, il atteignit enfin le bon couloir et ralentit son allure en prenant soin de réguler sa respiration.
Il aurait l’air vraiment stupide si, en plus d’arriver en retard, il faisait une crise d’hyperventilation devant Miss Lorentz.
Il imaginait la scène d’ici : lui tombant sur cette pauvre femme enceinte ; le bébé éjecté et étranglé par son cordon. Il se voyait déjà faire les gros titres des journaux. On pourrait voir le petit corps sans vie du bébé sous un drap au milieu du couloir du lycée et, juste à côté, sa tête de tueur d’enfant psychopathe aux cheveux mal peignés. Les gens lui trouveraient des excuses parce qu’i lavait perdu son frère bien sûr, mais il serait quand même obligé d’aller en prison, sa mère se tuerait et lui finirait probablement par se pendre dans sa cellule avec une chaussette...

Alors qu’il arrivait à cette pénible conclusion, il aperçut la silhouette arrondie et familière de sa prof de sociologie. Elle venait de quitter la salle pour observer le couloir, un sourcil haussé dans une expression scrutatrice. Dès qu’elle le reconnu, ses traits se détendirent un peu et elle lui adressa un petit sourire qu’il lui rendit nerveusement.

« Désolé, j’ai du passer aux toilettes » s’expliqua-t-il, ne sachant pas si cette excuse valait vraiment mieux que la réalité et le faisait paraître plus ou moins stupide…

(Pardon pour le retard :/)

La journée avait commencé comme toutes les autres. De plus en plus épuisée et le dos douloureux au fur et à mesure que son ventre s'arrondissait et devenait de plus en plus imposant, Chris Lorentz se demandait si elle parviendrait à tenir le coup ainsi les deux semaines avant qu'elle n'obtienne son congé maternité. Le pire dans tout ceci était qu'il n'y avait pas encore de remplaçant et elle se demandait s'il y en aurait une pour une matière jugée facultative par beaucoup et qui ferait mieux d'être supprimée. Chris avait dû batailler dur pour s'imposer et faire en sorte que la sociologie ne soit pas virée du programme et avait finalement obtenu gain de cause.
Soupirant, elle consulta l'heure à son téléphone portable. Cela faisait un bon quart d'heure qu'elle se trouvait là, en train d'attendre un élève à qui elle souhaitait parler. Aaron Carter, un élève qui était censé être inscrit dans ses cours mais qui se faisait remarquer par son absentéisme constant. Lorsqu'elle en avait parlé avec Ashton et d'autres professeurs, Chris avait appris pour la mort de son frère et ses soucis familiaux.

Lorsqu'enfin, elle le vit arriver dans le couloir, elle lui adressa un sourire, contente qu'il se soit déplacé pour la voir.

T'en fais pas pour ça, mieux vaut tard que jamais. lui dit elle, l'invitant à entrer dans la pièce, puis à s'asseoir. S'avançant lentement, la jeune professeure prit place en face de lui, s'appuyant contre le bureau, mais à une distance convenue, pas trop proche afin qu'il puisse se sentir à l'aise. Elle en vint à saisir des copies provenant du dossier d'Aaron de l'an dernier et les lui plaça en face de lui. Sur celles ci, les notes s'affichaient, excellentes.

Je suppose que tu sais la raison pour laquelle je t'ai demandé de venir, Aaron. Tu étais un élève brillant dans cette matière l'année dernière et cette année plus rien. Les autres professeurs estiment que cela est une raison suffisante pour te laisser planter ton année en pensant que tu redoubleras et ainsi tu pourras reprendre mieux l'année prochaine. Je ne suis pas d'accord et il est hors de question que je te laisse dans cet état de larve. Mais je ne pourrais pas faire ça seule et il faut que tu le veuilles également. lança t'elle, en guise de prélude. Saisissant ensuite une autre feuille sur son bureau, elle la lui posa en face de lui et le regarda droit dans les yeux.

Une heure. C'est le temps que je te laisse pour décrire ce que tu ressens au fond de toi. Colère, tristesse, injustice, rage, tout ce qui est en toi et les causes de ce sentiment. On se verra ensuite deux fois par semaine pour ne pas perturber tes entrainements avec les Awesome Voices. C'est ce que je te propose. La balle est maintenant dans ton camp. Si tu refuses, la porte est grande ouverte. Mais saches que dans tous les cas, tu n'es pas une victime et je ne te considèrerais jamais comme tel.