"Morgan!"

Chez les Moore, on savait très vite quand James était à bout de nerf. On entendait :

"MOORGAAN!"

Pourtant, ce jour-là, le loup pouvait hurler tant qu'il voulait, aucune brebis n'était prête à se laisser effrayer. Le fiston avait pris la tangente très tôt après le déjeuner. Comme à son habitude, il sortit par la fenêtre, guitare à la main et sauta vers la liberté. Le gel sur le sol faillit le faire glisser mais il se rattrapa. Même si du coin de l'œil, Gladys en bonne maman l'avait vu, elle n'avait rien dit à son mari qui avait préparé une journée d'entrainement acharnée à son fils. Très énervé contre le coach de McKinley qui, d'après les dires de son fils, refusait de le faire participer aux matchs car il n'était pas prêt. Quand James gravit les marches pour rejoindre la porte de la chambre de Morgan, il tapa à la porte et somma celui qu'il croyait présent de lui ouvrir. Au troisième appel, il entra. Morgan qui tournait déjà au coin de la rue crut entendre son vieux hurler ou alors c'était un corbeau qui s'étouffait avec un reste de poubelle.

Ni une ni deux, son portable vibra. Appel du paternel… Démasqué, Junior n'avait pas d'autres solutions que de mentir à nouveau. Il prit l'appel et avec son ton le plus naturel, il répondit aux propos acerbes de son père.

"J'sais Pa! Mais m'man t'a pas mis au courant? Aujourd'hui le coach refait passer des épreuves et j'veux lui montrer que j'suis le gars à prendre! Steuplé Pa! Tu sais combien ça me tient à cœur de lui montrer son erreur. En plus j'ai dit aux gars d'la team qu'ils pouvaient compter sur moi! Et un sportif ne revient jamais sur sa parole… C'est bon alors?"

Même s'il n'était pas là pour le voir, Morgan était sûr que son père avait eu son rictus de colère. James bougeait sans le vouloir le coin droit de sa bouche frénétiquement quand il n'était pas le gérant de la vie de son fils. Après un silence pesant pour le garçon qui mentait de mieux en mieux, son père lui fit savoir que pour cette fois c'était bon. Mais qu'il mettrait avec lui en place un emploi du temps pour ne plus être pris au dépourvu. En écho, il entendit sa mère lui souhaiter une bonne journée, avant d'entrendre sur un ton martial les au revoir de son père frustré. Au moins, Morgan n'était pas le seul Moore à ne pas faire ce qu'il voulait vraiment faire. Hérédité peut-être.

Il put alors continuer sa route tranquillement avec le sourire. Celui du gars qui avait eu son premier flirt, sa première bière ou son premier joint. L'ivresse de la liberté le rendait confiant en lui, même si cela ne durait que peu de temps. Il en oubliait presque le froid qui lui givrait le visage. Dans ses rares moments d'évasion, il se rendait souvent dans un endroit peu fréquenté à cette heure par les jeunes du lycée. Enfin pas par les populaires qui trouvait cela ringard. McDonald! Morgan adorait objectivement ce lieu. Le temps du trajet, il mit son mp3 aux oreilles, glissa sa guitare dans son dos grâce à une bandoulière et avança paisiblement. Chaudement emmitouflé dans son blouson, avec la dégaine d'un skateur chômeur, Morgan jouait à son rebelle. Et quel héro… Mais qu'importe, s'il mentait la majeure partie du temps, là il était qui il voulait : genre un membre de mafia du comté d'Allen. Qui il voulait. Peut être lui, même si c'était difficile à concevoir en ces moments compliqués. Marchant en rythme, il déambulait dans les rues de Lima City au son de ses musiques. Il se faufilait entre les gens sans rien craindre des jugements des autres. La capuche sur une casquette et des lunettes noires mode grosse mouche, on ne pouvait voir que ses oreilles et sa bouche. Sautant de temps à autres les trottoirs, il se lâchait.

Enfin, il vit le McDonald prônant fièrement son M jaune magistral. Il se saisit alors de son Blackberry Curve blanc et texta son pote. Celui que Morgan appelait toujours dans ses moments de pure libération : Aaron Carter. Avec lui, Moore s'éclatait sans penser à rien. Pas de jugement avec un type aussi simple qu'Aaron.

Code:

Yo! J'sui o McDo! Pren ta grat! J'réserv la tabl! Magne! M&M's

Le sms envoyé, Morgan entra dans le restaurant à distribution rapide. Aucune surprise, il était quais désert. Il s'avança vers une caisse. Là, une jeune vendeuse se proposa de prendre sa commande. Sur un ton du mec qui se la pétait un peu, Morgan commanda ce qu'il voulait : Big Mac, Double Cheese, boîte de nuggets, McFlurrys, Sunday et son éternel Coca Light. Oui, light, car le coca normal lui collait aux dents et il détestait ça. Il avait commandé pour trois mais il mangerait tout seul. C'était le vrai Morgan! Parfois complètement insensé. Quand la fille eut enfin fini de mettre tout ce qu'il avait commandé sur le plateau, elle lui annonça le prix. Sur le coup et dans un élan de spontanéité, Morgan lui répondit :

"Si j'te dédicace un morceau, c'est gratuit?"

D'un geste presque macho, il pointa sa guitare. La vision de la jeune vendeuse fit vite faire demi-tour à Morgan. L'espace d'un instant il était allé trop loin. Lui qui se réservait tout le temps, avoir le droit de relâcher la soupape l'avait fait franchir les limites. Confus, il rougit légèrement et paya sans dire un mot. En plus, il mit quelques billets dans le pot réservé au pourboire. Il prit son plateau comme un gamin prend sa peluche avant la sieste. Tout penaud, il se déplaça dans le fast food et se calla à la table habituelle. Une grande table circulaire avec des banquettes et de la place, au fond, derrière une grande jardinière remplie de fleurs en plastique. En attendant son binôme de gratte, il commença à dévorer tout ce qui se trouvait sur le plateau. Il avait fait exprès de ne pas trop manger à midi, juste trois carottes et un morceau de gâteau pour profiter du MacDo. Cela faisait une paye qu'il n'avait plus remis les pieds ici.

Après quelques bouchées, il saisit son instrument et gratta quelques cordes. La vendeuse qui l'avait servi vint le voir et le regarda avec des yeux qui laissés entrevoir de l'étonnement. Toujours gêné de son attitude, il cessa de jouer… Mais elle sourit et lui dit qu'il pouvait pourquivre, cela mettait un peu d'ambiance dans le restaurant. Finalement, il lui rendit un sourire et la remercia.

"Merci…"

Il força son regard sur le badge de la demoiselle mais elle fut plus rapide que lui.

"Grace! Et je finis dans deux heures…"

Sur ce, elle partit continuer son job tandis que dans le corps et le cœur de Morgan tout chauffait. Il prit une cuillère de Sunday pour refroidir son intérieur qui bouillait. Depuis la disparition d'Allan, il n'avait plus regardé une fille, plus embrassé une fille, plus couché avec une fille… L'extase serait-elle assouvie aujourd'hui? La question était en suspend car avant les filles, Morgan pensait toujours à ses collègues. Et présentement, il attendait Aaron! Après tout, il avait deux heures devant lui avant de voir si Grace lui offrirait ses grâces.

Le cœur battant, les sourcils froncés par une méditation intense et les lèvres pincées dans un petit rictus anxieux, Aaron fixait l’écran de son téléphone portable. Il sentait bien que Morgan tentait de communiquer avec lui mais, comme toujours, i lavait du mal à comprendre ce qu’on lui voulait. Callie s’énervait toujours sur lui quand il affirmait ne pas comprendre langage SMS.
« C’est pourtant simple ! Tu lis la sonorité du caractère qui apparaît ! »
Simple tu parles… C’était hyper compliqué et Aaron devait chaque fois se concentrer et avoir l’air stupide pour comprendre ce qu’on essayait de lui dire. Présentement, ce que Morgan lui demandait. En réalité évidemment, l’adolescent comprenait tout à fait ce qu’il lisait, mais il détestait cette mode qui faisait passé tous ses amis pour des illettrés…
C’était un peu comme quand il faisait semblant de ne pas entendre sa mère quand elle lui hurlait de venir faire-ci ou ça ou qu’elle le privait de sortie. Il devait lutter contre ses tympans pour qu’ils ne captent rien des messages que Nora lui envoyait et pouvoir arborer cet air parfaitement sincère et innocent qu’il lui servait quand le savon arrivait. Ca ne marchait jamais cela dit…

Poussant un lourd soupir, Aaron se leva de son lit sur lequel il était vautré depuis des heures maintenant et fourra son GSM dans la poche arrière de son jean. Lui et Starbuck, la demoiselle aux formes plus que généreuses qu’il venait chatouiller de temps à autres, étaient attendus au McDo.

« J’te paye un McDo ma belle » lui souffla-t-il d’une voix suave, avant de soigneusement déposer sa guitare dans l’étui molletonné dans lequel il avait investit.

Une fois l’instrument apprêté, il s’occupa de son cas et attrapa un foulard coloré qu’il passa distraitement autour de son cou avant d’ouvrir son placard pour y attraper un chapeau kaki sur lequel quelques badges bariolés apparaissaient. Aaron l’enfonça tant bien que mal sur son crâne mal peigné et adressa un sourire à son reflet lorsqu’il le croisa.
Il se saisit de son portefeuille, agrippa la lanière de l’étui de sa guitare qu’il fit passer dans son dos. Il dévala rapidement les escaliers en bois de sa maisonnette pour rejoindre sa mère en cuisine.

« J’mange pas là » annonça-t-il en guise de bonjour

Sa mère, installé à la table de la cuisine, le regard perdu dans le vague, sursauta. Il lui adressa un sourire qu’elle ne lui rendit pas. Elle avait l’air de revenir de loin, comme souvent. Isaac devait l’avoir accompagné.

« J’vais en ville, Morgan m’a envoyé un sms » expliqua Aaron fièrement
« Ah… Oui, c’est bien »
« Oui ! » confirma inutilement Aaron, sa guitare toujours sur le dos, déposant son portefeuille sur la table encombrée de journaux, facture, couverts sales et autres merveilles « Soupe ? »
« Nan »
« Sandwich ? »
« Pas envie… »
« Salade ? »
« Ouais, vas-y » marmonna sa mère en soupirant « Et file-moi mes clopes sur le frigo »

Aaron acquiesça et s’exécuta. Alors que sa mère allumait sa cigarette, il ouvrit le frigo pour en sortir de la salade, le reste d’œufs durs de la veille et quelques tomates cerise. Il mélangea le tout, assaisonna la salade de sa mère et y ajouta quelques épices.

« Voilà madame ! » annonça-t-il en déposant l’assiette devant sa mère qui paraissait sceptique « Je vérifierai que tu as tout mangé quand je reviens »
« Pour qui tu t'prends ? Ma mère ? »

Aaron trouva cette réplique désopilante et il s’esclaffa d’ailleurs quelques secondes, avant de prendre un manteau. Il resta immobile une seconde, cherchant un moyen d’enfiler le blouson sans défaire sa guitare de son dos… Mais il du renoncer à ses plans et faire un effort.

« Ne rentre pas trop tard »
« Nope, on va juste jouer un peu »
« Tu y vas comment ? »
« En bus. Il a pas e permis non plus. Enfin je crois... »
« Ok, c'est bien. Amuse-toi bien mon grand et fais attention à toi »
« Toujours. Mange »

Son blouson enfilé, sa guitare de nouveau sur son dos, il revint vers la table pour déposer un baiser sur la joue de sa mère et reprendre son portefeuille. Aaron ne franchit la porte qu’une fois que sa mère eu portée sa fourchette à ses lèvres, rassuré.

Les températures étaient plutôt fraiche et, après avoir fait quelques pas, Aaron sortit sa paire de mitaines des poches de son blouson de cuir qui ne le protégeait pas très efficacement des températures et encore moins des rafales de vent...
Heureusement, le bus ne tarda pas à arriver et après une vingtaine de minutes, il arriva enfin à l’arrêt le plus proche du McDonald où l’attendait Morgan.
Aaron poussa l’une des doubles portes et pénétra à l’intérieur du fast-food, un sourire aux lèvres. Il repéra rapidement son ami et le rejoignit après lui avoir adressé un petit salut de la main.

« C’est pour moi ? » demanda-t-il en désignant tous les éléments sur la table « Parce que j’suis végétarien et j’aime pas le McDo. Avant oui mais j'ai vu un reportage à la télé sur la façon dont ils préparaient les trucs et j'ai plus dormi pendant au moins deux nuits alors… C’est gentil mais non merci » expliqua l’adolescent d’un ton parfaitement neutre, déposant sa guitare avant de prendre place à son tour sur la banquette « Ca va comme tu veux ? T'es là depuis longtemps ? »

Toujours aussi fris quelque soit la saison, Morgan constatait avec plaisir que l'humeur d'aaron était toujours stable. Après un salut physique, il se remit à manger tandis que son pote lui expliquait que jamais il ne mangerait McDo depuis une émission à la télévision. Foutaises!!! Moore ne releva même pas. Pour l'arrêter de manger il faudrait le tuer. Même son père, tyran avéré n'avait eu raison de la gourmandise de son fil set ce dès le plus jeune âge.

"Yeah! Aaron, ça mousse pas mal. T'inquiète, ça fait pas longtemps que j'suis là. Toujours le blues mais ça m'aide à la guitare. C'est le côté positif. "

Sur ce il remordit dans son Big Mac. Du ketchup gicla sur le plateau.

"Hmmmmmmmmmmm! "

Mugit Morgan qui détestait être sale. Son bruit animal atira l'attention de Grace qui refit son apparition :

"Tout va bien? "

Levant les yeux vers la belle demoiselle, Morgan un bout de salade dans le coin de la bouche, indiqua que oui de la tête avant d'ajouter :

"Aucun souci Grace! Ça roule!"

Un clin d'œil et hop, elle fit demi-tour avec le sourire. Morgan finit d'engloutir son hamburger avant de poursuivre avec Aaron. Il s'essaya les doigts et la bouche avec une serviette. Avec une autre, il nettoya sa tache de ketchup. Lorsqu'il eut fini, il leva les yeux vers Aaron.

"Et toi alors? Ça gaze? T'es sûr que tu vas rien becter? Même pas des frites ou une salade? Crois en mon expérience : cette émission a été réalisée par des écolos à la noix qui sont jaloux du succès de McDo. Sérieux, depuis le temps tu serais tombé malade! Comment peux-tu croire que ces merveilleux hamburgers sont toxiques. Allez, dis-moi c'que tu veux, j'te l'offre!"

A ses mots, il se leva et se plaça devant la table. Sautillant presque sur place, car il hésitait à se prendre des choses à manger, il attendait le verdict de son pote. De là où il était, il pouvait voir Grace nettoyer le comptoir. Jetant alternativement un regard vers la vendeuse et Aaron, il finit par lâcher :

"Tu connais cette fille? Car dans deux heures, c'est bibi qui la ramasse… Enfin si tu sais des trucs chelou sur elle, c'est clair qu'elle ira voir en Éthiopie si les McDonald ont autant de steaks en stock."

Il souriait comme un gland et franchement, il adorait ça. Avec Aaron, il était libre et il oubliait tout. Enfin presque. Mais il appréciait ne plus être la proie de ses doutes, mensonges et idéaux mélancoliques. Gamin macho, voilà comment Morgan devenait avec Aaron. Un chien fou qui se moquait un peu de tout. Relâcher la pression, il en avait besoin et cela lui faisait énormément de bien.

Le visage pâle d’Aaron ne se dépeignit pas de son sourire durant tout le temps que dura le monologue surexcité de Morgan, et son échange avec la petite employée mignonne du McDo. C’était exactement pour assister à ce genre de scènes qu’il aimait se retrouver seul avec l’adolescent qui appartenait à sa chorale. Chaque fois qu’il le croisait dans les couloirs ou en salle de cours, il lui apparaissait sous un jour différent. Au début, Aaron en avait été très perturbé. Mais tout ça, c’était avant que Morgan ne lui parle un peu de sa vie et de son dictateur de paternel.
Lui-même n’avait jamais connu le sien mais ça n lui avait jamais posé le moindre souci jusqu’à présent. Et quand il écoutait ses amis parler de leurs parents (à part Callie qui n’en avait plus, la pauvre bichette) il se disait qu’il s’en était plutôt bien tiré avec Nora pour seul parent.

« Tu parles beaucoup » finit-il par faire remarquer à son ami, sur un ton toujours égal, dans lequel ne perçait aucune trace de reproche « Je l’avais déjà remarqué avant parce que je remarque ce genre de chose mais ça m’épate quand même toujours autant ! Moi je parle beaucoup aussi mais je dois me laisser le temps de bien assimiler ce que je viens d’entendre avant de réagir, parce que c’est pas chouette de répondre à côté de la plaque, tu comprends. Mais le temps que je réfléchisse, toi tu as déjà dis autre chose et alors tout s’embrouille dans ma tête. Ma mère dit que c’est parce que j’ai fumé de l’herbe l’année dernière en prenant mes antidépresseurs. Moi j’crois surtout que c’est parce que je continue à en fumer assez souvent et que je suis toujours sous traitement » conclut Aaron dans un sourire

Il marqua une pause pour observer le contenu du plateau de son ami, arborant une moue pensive avant de laisser son regard s’illuminer de gourmandise.

« Je prendrai bien une glace ! Tu sais celle avec des morceaux dedans… Comme à la télé… Les trucs de toutes les couleurs qu’on mangeait quand on était petits » renseigna-t-il Morgan alors qu’il captait le regarde de la dénommée Grace.

Elle s’était rapprochée d’une poubelle qu’elle comptait sans doute vider, tout en dévorant son client des yeux. La dernière question de Morgan concernait un voyage en Ethiopie avec des steaks en stock… Bizarre. Il ne savait absolument pas quoi répondre à ça… Et il ne voyait pas ce que des steaks étrangers venaient fabriquer avec cette charmante jeune fille là-bas.

« Je prendrai bien un Orangina aussi alors » décida-t-il de répondre, le plus simplement du monde.

Morgan sembla attendre une suite qui ne vint pas et finit par s’éclipser dans un haussement d’épaule, pour retourner près du comptoir. Laissé seul sur sa banquette, Aaron se pencha à nouveau sur le plateau repas de son ami et l’écarta dans une grimacé écœurée. Son ami pouvait dire ce qu’il voulait, il avait quand même vu de pauvres petits poulets se faire piétiner sans scrupules ! Peu importe qui avait filmé et qui avait produit le film, ces petits anges étaient quand même monté au ciel.

Aaron fut parcouru d’un frisson et il se détourna des restes de son ami pour se déshabiller un peu. Il ôta s’abord ses mitaines qu’il fourra dans ses poches, avant de retirer son blouson qu’il laissa choir sur la banquette. Une fois plus à l’aise, il décida de s’occuper de sa jolie Starbuck encore prisonnière de son étui.

« Il fait chaud ma poule, hein ? » lui murmura-t-il amoureusement en la sortant de sa prison « T’inquiète pas, personne ne te fera d'mal, ils mangent que des petits poulets ici »
« Vous êtes dans une groupe ? »

Aaron se redressa pour faire face à la petite serveuse mignonne qui s’appelait sûrement toujours Grace.

« Hein ? »
« Toi et ton copain, vous êtes dans un groupe ? » réitéra-t-elle en désignant leur guitare respective.
« C’est plutôt une chorale en fait… Mais c’est plus compliqué que ça encore je crois… »
« Ouais, j’en ai entendu parler »
« T’es au lycée McKinley toi aussi ? »
« Nope, j’ai terminé le lycée y a deux ans »
« On dirait pas, t’as l’air très jeune » lui fit remarquer Aaron, les yeux écarquillés.
« Il paraît oui » gloussa la jeune femme « Et alors vous venez répéter ici pour votre chorale ? »
« Bah j’t’ai dis c’est plus compliqué. Là on vient juste jouer pour s’amuser. Normalement on serait allé faire ça dans un parc mais Morgan avait faim et puis il fait froid alors… McDo nous voilà » s’exclama-t-il en écartant les bras.
« C’est son prénom alors ? Morgan »

Aaron acquiesça et un silence un peu gêné s’installa.

« Je ferai bien d’y retourner »
« Oui, les poubelles t’attendent »

Il lui adressa un dernier sourire avant qu’elle ne se détourne pour de bon cette fois. A nouveau seul, Aaron poussa un soupir contenté et patienta sagement.

Gagné! Il allait pouvoir offrir à manger à son ami! Enfin. Après la commande prise auprès d'Aaron, il partit en caisse pour passer la vraie. Mais pas de Grace… seulement un manager bidon avec de gros boutons. Dégouté, il expliqua qu'en même ce qu'il voulait : la glace et l'Orangina de son pote puis un nouvel hamburger et des nuggets pour lui. Il rajouta un Coca light à la fin. Lentement, l'autre figue derrière le comptoir posait chaque plats commandés et parlant. "Orangina." Et il posait le gobelet. "Boîte de neuf." et il posait les nuggets. Morgan trépignait d'impatient et regarda en direction de Carter. Ce gredin parlait avec Grace! Moore se devait de retourner au plus vite à sa place, il indiqua donc sur un ton légèrement pressé au manager : "Big Mac! Coca light!". Surpris, le vendeur resta immobile un moment puis il reprit son travail toujours aussi lentement. Quand il posa le hamburger, Morgan avait le plateau dans les mains et fredonnait : "Allez, allez, alleeez!!!". On aurait une femme qui attendait devant les toilettes, derrière une file d'attente de cinquante personnes et qui allait craquer. Quand enfin tout fut sur le plateau, le garçon fila droit à la table mais Grace ne s'y trouvait plus. Juste Aaron. Il mit le plateau sur la table, le faisant glisser vers son ami et lui demanda :

"Allez balance! Qu'est-ce qu'elle t'a dit? Elle a parlait de moi? T'appris des trucs sur elle?"

Impatient, Morgan ne tenait plus. Il était toujours comme ça avec Aaron, un gosse de trois ans. Mais comme le ventre passait toujours avant le reste chez M Moore, il prit son nouvel hamburger et commença à la manger en attendant que Carter délie sa langue. Après une première grosse bouchée, mastiquée et avalée, le faux playboy ajouta :

"Vas-y, même si ça doit faire mal! C'est pas comme toi et Callie. Vous êtes fait l'un pour l'autre… Si ça se trouve cette Grace n'en a que faire de moi! Je commence à avoir l'habitude. Depuis que j'ai plus mon blouson rouge, plus aucune fille ne me regarde. Alors autant te dire que quand tout le monde saura que je fais parti des Awesome Voices… j'aurais droit au granitas tous les matins… Ma seule chance te trouver une meuf, c'est en dehors du bahut. Elle ne saura pas que je suis dans une chorale, je pourrais lui dire que j'ai longtemps fait du sport et voilà! Imagine un instant, qu'elle apprenne que genre j'suis dans une chorale et qu'elle le raconte aux autres… elles pourraient le dire aux clients. Les clients sont à 90% des lycéens de McKinley High. Si elle a une amie au lycée, elle va lui dire : "Non mais tu sais Morgan il est dans une chorale". L'autre qu'est-ce qu'elle va faire? Eh bien elle ira le dire à ses copines. Et en un jour mon Twitter sera pleins de Tweets désastreux! Aaaah, mais non c'est bon, elle connaît pas mon nom! Mon plan avait une faille. Je lui cache mon nom et c'est bon, je suis sauvé! Que penses-tu de Jordi Milan? Ça fait trop pourri, non? Chris Brown? Merde, lui il existe… Si seulement j'avais le livre des rôles de Barney Stinson!! Je me prendrais moins la tête… Sérieux faudrait qu'ils le mettent en vente sur Ebay parce que s'il le vende sur le marché, les filles en sauront autant que les gars, tu vois. Alors que s'i le font sur un truc de ventes privées réservées aux mecs, ben géant quoi…"

C'était vrai qu'il parlait beaucoup. Mais deux explications logique à cela : quand il n'était pas lui, avec son père, au lycée, donc presque tout le temps, il ne disait rien. Il se réservait. Il avait donc un besoin viscéral de parler quand il le pouvait enfin; parler pour dire vraiment ce qu'il ressentait, ce qu'il voulait. En plus, Morgan était un très grand lecteur. Il emmagasiné des connaissances littéraires, répliques, anecdotes, secrets historiques dont il ne partager l'expérience qu'avec son professeur M Brooks. Là aussi, quand il pouvait parler, il n'était pas nécessaire de mettre des pièces dans le juke-box pour faire parler Morgan qui devenait une vraie pipelette.

Il regardait Aaron comme l'on admirait le messie. Il attendait les réponses de son interlocuteur. Comprenant qu'il devait se taire pour qu'il puisse parler, la meilleure solution pour la clouer à Morgan dans ces moments là : lui donner à manger. Il mordit donc dans son hamburger et prononça le plus clairement possible. Enfin avec un hamburger entre les dents qu'en même…

"Ché on, u e arlé"

Admirable : c'est bon tu peux parler en langage bouche fourrée.

Aaron avait toujours aimé boire à la paille. C’était drôle ce petit bruit quand on aspirait et cette sensation dans la bouche. Il n’écouta donc le long discours de Morgan que d’une oreille distraite, préférant jouer avec sa paille colorée en hésitant à faire des bulles dans sa boisson. Ca aussi c’était drôle mais sa mère lui avait parlé de la salive qui finissait par remplacer le soda et ça le perturbait beaucoup. Avalaer sa salive c’était normal, mais la boire avec une paille, ça prenait tout de suite un air dégoutant. C’était aussi pour ça qu’il ne terminait jamais ses fonds de canettes.

Quelques phrases attirèrent son attention. Certaines l’agacèrent un peu d’ailleurs, notamment celles concernant la chorale et sa réputation. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire que les gens sachent qu’il y appartenait ? Et puis c’n’était pas tout à fait vrai, Morgan pouvait tout à fait se trouver une nénette très sympa au bahut, peut-être même une partenaire de chant ! Ils en avaient de vraiment très jolie ! Bien plus jolie que cette fameuse Grace dont il n’arrêtait pas de parler.

Quand le silence fut revenu, Aaron aspira une dernière grande goulée bruyante de son Orangina qui lui arracha un frisson. Il reposa son gobelet devant lui et prit enfin la parole d’un ton guilleret qui n’allait sûrement pas s’allier aux terribles révélations qu’il avait à faire à son ami. Il espérait qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur. Après tout, il n’y avait pas mort d’homme et l’adolescent ne voyait toujours pas ce que ça pouvait faire qu’il appartienne à une chorale. C’était un chic type, brillant à ses heures, drôle, enthousiaste et talentueux. Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de si mal à cela ?

« En fait, elle sait déjà que tu t’appelles Morgan, parce que je lui ai dis. Elle m’a dit : vous êtes dans un groupe ? Alors moi je lui ai dis : non on est dans une chorale. Et elle a dit qu’elle avait entendu parler des chorales déjà, alors j’ai demandé si elle était au lycée et elle a dit non, parce qu’elle a déjà terminé le lycée depuis deux ans, alors moi j’ai dis : on dirait pas, tu as l’air jeune, et puis elle a gloussé et ça l’a rendu mignonne, mais pas autant que Callie. Callie elle est vraiment très jolie, surtout quand elle rigole, tu crois pas ? » demanda-t-il rapidement, sans attendre de réponse à sa question « Après j’ai parlé de toi et elle avait l’air contente sauf qu’après elle est partie. J’pense qu’elle voulait pas que tu saches qu’elle était venue se renseigner. Donc j’pense que tu lui plais, même si tu sais chanter, jouer de la guitare et que t’es beau ! Je crois qu’elle est prête à t’accepter comme tu es. Sûrement parce que son frère est handicapé moteur et qu’elle connaît les ravages provoqués par les moqueries et la peur de la différence »

Bien sûr, ça c’était un mensonge éhonté, mais il avait prononcé ces mots sur le même ton que précédemment. Sans vraiment savoir pourquoi d’ailleurs. C’était juste son truc de mentir. Ca rendait les conversations plus animées, plus intéressantes.
Parfois, il allait trop loin et se faisait repérer tout de suite, mais d’autre fois, les choses passaient très bien et il pouvait récolter tout le mérite de ses exploits fictifs ou ceux d’un autre.

Le jeune homme attrapa son McFlurry et retira le couvercle avant de commencer à touiller distraitement dans la glace.

« Tu devrais pas manger autant, ton estomac va exploser. Et t’es tout pâle en plus, t’as même carrément l’air malade. Je t’avais dis de pas manger ces trucs, c’est plein de bébés morts » conclut-il en portant une première fois sa cuillère à ses lèvres

Big Mac dans le gosier, impossible pour lui de parler. Remarque il valait mieux. Le hennissement qu'il aurait poussé quand Aaron avait prononcé le mot chorale aurait résonné dans tout le restaurant. Fronçant les sourcils, Morgan crut s'étouffer un instant. En une courte discussion, il avait dévoilé son pire secret à Grace, une inconnue. Il finit même par parler d'un frère handicapé. Mais cela Moore s'en fichait. Il focalisait sur lui et la découverte de ses activités clandestines. Choqué, il finit de déglutir. Pour en rajouter une couche, Carter le mit en garde contre son régime alimentaire. Sa dernière bouchée avait du mal à passer. Trop d'informations à traiter… le garçon cessa alors de se nourrir pour figer son regard dans le vide. Il avait comme bugé. En fait, son côté théâtral, littéraire prenait le dessus sur la réalité. Il s'était déjà inventé trois mille scénarios dans lesquels il était tour à tour démasqué par tout le lycée ou qu'il finissait avec la fille. A force de pousser son cerveau à réfléchir, il n'en pouvait plus.

Il posa ce qu'il avait dans les mains, il se les lava puis saisit sa guitare. Frôlant quelques cordes, il se laissa aller à gratter des cordes en suivant une mélodie lente mais harmonieuse. Les yeux fermés, il poursuivait de jouer sans regarder autour. L'isolation était pour lui la meilleure solution pour se sortir de problèmes épineux. Loin d'être zen, il faisait glisser ses doigts avec une grande fluidité pour s'occuper l'esprit et arrêter de penser. Après quelques minutes de pure improvisation, il cessa de jouer en stoppant net les cordes. Il rangea son instrument et se remit à manger.

"C'est vrai que Callie est mignonne. T'as bien de la chance. De mon côté, au fond je reste personne. Juste envie me péter le bide avec de la nourriture. Tant pis si je finis chez le docteur. Chacun son vice, man!"

Sur ce, il s'enfila une bouchée, la dernière de son sandwich. Puis se saisit de ses glaces : McFlurry et Sunday. Toujours préoccupé par ce que venait de dire Aaron, il reprit le courant de la discussion pour être certain d'avoir tout saisi.

"Tu me dis qu'elle se fout de savoir que je suis dans une chorale parce que son frère est handicapé? Le rapport? Quoi! Sérieux, si elle a trois ans plus que moi, t'imagines l'expérience! Les auteurs de littérature vantent les vertus de l'expérience féminine. Tu savais que dans certaines cultures encore, le garçon connaissait l'amour en premier avec une femme mûre. Trois ans de plus…"

Certes, Morgan exagérait beaucoup mais ça faisait partie de lui. Trop ou pas assez, aucun juste milieu. Il ne savait pas être moitié ci et moitié ça.

"Sérieux! Quand j'y pense, la pauvre. Un frère handicapé, elle a du connaître des moments super graves!"

Crétin et obsédé parfois mais toujours sensible. Il glissa une cuillère sucrée dans sa bouche. Ses papilles explosèrent tellement le sucre était vital à son existence. Heureux, le cœur comblé, il aborda plus sereinement la discussion.

"C'est décidé, je tente ma chance! Et si je me plante… ben j'me suicide aux McFlurry daim caramel…"

Décidé, sur le coup il hésita même à ne pas se saboter lui-même pour s'enivrer de crème glacée. Mais il avait pris sa décision. Il tapa du poing sur la table pour se donner du courage et se leva.

"Merci mec! J'fonce!"

Il se dégagea de la table et s'apprêta à partir vers Grace, la rage au ventre et le corps bouillant.

Aaron écouta attentivement son ami jouer, un sourire flottant sur ses lèvres. Il ne se soucia pas plus que ça que Morgan ne réponde pas immédiatement à ses répliques. Peut-être que lui aussi avait besoin de temps pour assimiler tout ce qu’il venait de lui expliquer, ça ou bien il souhaitait lui répondre en musique. Si c’était le cas, c’était bien gentil mais encore moins compréhensible qu’un sms en abrégé. Cela dit, Aaron ne laissa rien paraître de son trouble et écouta sagement l’air que jouait son partenaire de chorale. Il se débrouillait plutôt bien d’ailleurs, même s’il ne faisait pas preuve de la plus grande délicatesse et que son bras était un peu raide.
D’ailleurs, Morgan avait l’air tendu et ses mâchoires paraissaient crispées. C’était sûrement à cause de ce qu’il venait de lui dire… Est-ce qu’i létait censé se sentir coupable de quelque chose ?
Parce que si c’était le cas, l’adolescent n’en avait pas vraiment envie. Il sirotait de l’Orangina et mangeait de la glace, ça allait être difficile de paraitre penaud dans de telles conditions. Voire impossible.

Il préféra donc attendre et laisser à Morgan une chance de s’expliquer, ce qu’il finit par faire. En long, en large et en travers. Il parla, parla encore et saupoudra le tout d’une bonne dose de monologue.
Aaron attendait le moment où il pourrait s’insérer dans une brèche mais le débit de Morgan ne faiblissait jamais vraiment, même avec la bouche pleine. C’était impressionnant. Tellement qu’il fallut encore un petit temps de réactions à Aaron pour comprendre ce que son ami allait faire et réagir en conséquence.

« Attends ! » s’exclama-t-il en voyant Morgan s’éloigner

Ce dernier se détourna, trépignant sur place comme une gosse de 6 ans à qui ont fait quelques recommandations avant qu’il ne grimpe sur une montagne russe hyper excitante. Aaron lui fit signe de revenir en se redressant sur la banquette où il était avachie jusque là et, après quelques hésitations et une exclamation agacée, Morgan obtempéra et le rejoignit.

« Tu peux pas aller lui parler maintenant, elle va être trop gênée ! » s’expliqua-t-il du ton de celui qui sait « Elle s’est mise à pleurer et elle doit sûrement encore avoir les yeux tout rouges et tout gonflés, elle va être horrifiée si tu la vois comme ça ! Elle est encore toute bouleversée tu t'rends pas compte »

Il marqua un temps d’arrêt, le temps de penser à un autre argument. En réalité, même si c’était parfaitement égoïste, il refusait que Morgan l’abandonne ici pour aller draguer. Grace allait lui tomber dans les bras, c’était certain, et ils allaient partir tous els deux et lui devrait rester tout seul avec Starbuck sans même avoir pu jouer un peu en duo avec Morgan. C’était trop nul comme repas entre potes si ça terminait comme ça !

« Et puis le suicide, c’est très mal et j’veux pas être témoin de ça alors… Tu veux bien attendre encore un peu ? Puis j’dois te faire écouter un truc en plus ! » ajouta-t-il en voyant que ses arguments n’atteignait absolument pas son interlocuteur et qu’il s’apprêtait à faire demi-tour « J’ai écrit un petit truc hier, j’voudrai ton avis »

C’était faux. Gros mensonge. Mais il le servit à Morgan avec son plus beau sourire.

« Les potes avant les filles, mec, tu peux pas partir... Et c'est impoli de quitter la table quand l'autre a pas fini»

Elle pleurait alors? Morgan ne saisissait pas pourquoi elle pleurait mais soit. Les arguments d'Aaron finirent par le convaincre. Les potes avant tout! Il le savait et pour confirmer que son pote était plus important qu'un plan nénette, il tapa sur l'épaule de son camarade.

"Vas-y mec! Fais-moi baver!"

Après son geste, il se rassit à sa place et saisit sa première glace. Il profiterait de son délice sucré devant un spectacle. Car Morgan était en extase devant le guitariste qu'était Aaron. Doué, souple, fluide et tout simplement passionné. Moore avait beaucoup appris de lui et en avait beaucoup à apprendre. Il était donc attentif, prêt à prendre plein les oreilles. Comme toujours. Impatient de savoir ce qu'allait encore le sortir Aaron, il se calla tranquillement. Une cuillère plongée dans le Sunday, déjà entamé, finit dans sa bouche pour son plus grand plaisir.

Malgré tout, il ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil dans la salle pour voir où était Grace. Cette fille typée asiatique était magnifique. Son cœur battait rapidement, s'imaginant encore croiser son regard. Mais très vite il repositionna son regard sur Aaron et attendit. Il se contenta du sucre et de la musique… Il ne manquait plus qu'une fille. Mais cela faisait plus de six mois qu'il n'avait plus osé penser à ça. Alors il pouvait bien attendre quelques heures de plus. Alors que sa glace fondait tranquillement, il savourait chaque bouchée jusqu'à vider le pot. Alors il repoussa le gobelet en plastique transparent sur le plateau. D'une main, il prit son Mc Flurry et fit la même chose. La glace connaîtrait le même sort que la première. Venir mourir dans la bouche de Morgan pour faire le grand huit dans son corps. Alors qu'il entamait sa première cuillerée, il constata qu'il n'y avait plus rien à manger sur son plateau. Qu'à la place il ne restait que des boîtes vides; Un étranger passant aurait cru qu'une famille de quatre personnes avait mangé dans ce plateau. Pourtant, il était seul à avoir tout englouti. Il décida de ralentir le pas quant à sa dégustation de son McFlurry autant le faire durer. Au moins le temps de la musique d'Aaron pour avoir un dessert spectacle. L'apothéose!

"Après tu me diras ce que tu as pensé de mon impro! Si c'est à chier ou si c'est à améliorer. Je sais que je ripe parfois sur les cordes… Mais bon, tu me donneras ton avis, comme d'hab quoi!"

Après ce court moment de parole, pour un Morgan en rut, il enfourna une cuillère de glace dans sa bouche. Il prit une profonde inspiration car il faisait son maximum pour se focaliser sur Aaron sans penser à Grace. A ses courbes, à ses yeux, à son parfum… Bref il devait penser Aaron, vibrer guitare et sentir le Mc Flurry.

Improviser, improviser. Ca n’était pas vraiment son fort, il lui fallait toujours des milliers d’années pour se concentrer et réussir à pondre des paroles pas trop mauvaises à intégrer sur un air de guitare. Cette partie là était déjà plus évidente. Il n’avait qu’à poser ses mains sur Starbuck pour qu’elle lui souffle une mélodie à l’oreille, parfois envoutante, parfois endiablée.
Il fallait qu’il compose une chanson sur les glaces… Ou les hamburgers. Pourquoi pas sur les pauvres petits poulets mort pour nourrir Morgan ? Non, c’était bien trop déprimant.
Il y avait bien l’option : lui chanter une de ses compositions. Une de celles qu’il planquait dans son vieux carnet sous son matelas défoncé.
Mais il n’était pas encore prêt pour cela, tout comme Morgan n’était pas encore capable de s’assumer et d’avouer au monde entier qu’il savait chanter, jouer d’un instrument et pouvait danser quand on le lui demandait...
Si jamais Morgan le balançait à Bryan Ryan et que leur coach l’obligeait à présenter un de ses morceaux aux autres avant de le ridiculiser devant tout le monde ? S’il l’enregistrait et diffusait sa musique dans tout McKinley en l’obligeant à se balader nu dans les couloir avec sa guitare pour seul protection ?
Ce serait vraiment horrible… Il ne s’en remettrait jamais et Callie le plaquerait, c’était sûr.

Aaron se racla nerveusement la gorge en saisissant sa guitare. Il fit courir ses doigts sur les cordes en vérifiant que son instrument était accordé, jetant un regard à Morgan qui venait de lui poser une question. Parfait, il allait plutôt répondre !

« C’était chouette ! » s’exclama-t-il, ses grands yeux exorbités « Faut juste que ton bras soit plus lâche. Puis t’appuie parfois pas assez sur ta corde, j’l’ai entendu friser. Mais sinon c’était bien »

Le silence retomba, transpirant d’attente… Aaron sentait le regard de Morgan peser sur lui, plein d’impatience. Il serait en train de draguer une mignonne serveuse qui n’avait surement pas de frère handicapé et n’avait jamais pleuré en sa présence. Sauf qu’i lavait utilisé le code des Bro’ pour le faire rester et devait en payer le prix.
Il devait jouer.

Nouveau raclement. Aaron jeta un regard prudent autour d’eux et se redressa, saisissant sa guitare. Il prit une inspiration et commença à réviser ses arpèges, tâtonnant un moment avant de se lancer. Ses doigts étaient encore un peu engourdis par la différence du froid extérieur et de la chaleur ambiante mais il devrait s’en tirer.
Après quelques notes, il s’immobilisa, relevant ses yeux jusque là dissimulé dans l’ombre de son chapeau kaki pour les tourner vers Morgan.

« J’vais chanter en même temps, ok ? » le prévint-il, un peu mal à l’aise, posant un regard circulaire nerveux sur le fast-food bondé et bruyant

Morgan ne parut pas gêné par cette terrible déclaration et Aaron finit par retrouver le sourire et sa confiance.
Ses doigts fins recommencèrent à courir le long du manche de Starbuck alors qu’il pinçait ses cordes de l’autre main. Après quelques accords, il commença enfin à chanter à voix basse. Avec un peu de chance, le père de Morgan l’avait privé de comédie musicale quand il était petit…

« I got chills, they're multiplyin' and I'm losin' control. 'Cause the power you're supplyin', it's electrifying. You better shape up, 'cause I need a man and my heart is set on you » chanta-t-il, en accélérant le rythme, réalisant son erreur.

Morgan allait le prendre pour un gay maintenant… A moins qu’il ait déjà reconnu les paroles de Grease. Bah, dans tous les cas, Aaron s’assumerait parfaitement, tant pis ! Et puis il pouvait toujours se rattraper en modifiant légèrement les paroles.

« I better shape up, I better understand : to your heart I must be true. Cause there’s love for me and you. You're the one that I want, o,o, oo, honey. The one that I want, o,o,oo, honey. You’re the one I want want, o,o, ooooo. O can’t you see ? Oh, yes indeed... Oh yes indeed. If you're filled with affection, you're too shy to convey. Meditate in my direction. Oh baby feel your way » continua-t-il, son sourire s’élargissant encore un peu plus, alors que sa tête s’agitait en suivant le cœur de la chanson « I better shape up, ‘cause you need a man who can keep you satisfied. I better shape up if better prove that my faith is justified. But, I'm sure down deep Inside : you're the one that I want, you’re the one that I want, o, o, oo, honey. The one I need. Oh, yes indeed »

Il prolongea sa note quelques seconde avant de gratter une ultime fois ses cordes, affichant un air passablement satisfait.

« Voilà » lança-t-il finalement, se tournant vers Morgan, déposant déjà sa précieuse guitare acoustique.

Gardant en mémoire les remarques de l'expert, Moore réalisa qu'il tendait trop son bras. C'était vrai. Il tâcherait d'y faire plus attention. Puis Morgan se laissa aller à écouter Aaron. Non seulement il aurait droit à un show chanté. Quel veinard. Pour les premières notes, il ferma les yeux et écouta simplement. Au bout d'un moment, malgré la mélodie divergente, il reconnut la musique de Grease. Quel américain moyen ne connaissait pas ce classique. Il écouta malgré tout le reste de la musique qui était géniale. Lorsqu'il fut autorisé à parler suite au petit mot de son ami, Morgan s'autorisa un peu d'humour :

"Dis-moi, qui est Sandy de nous deux?"

A ses mots, il éclata de rire avant de se fermer la bouche avec sa dernière cuillère de glace. Arrêtant son rire muet, il fixa Aaron :

"Bon allez, arrête de te foutre de moi… balance ta musique man! Pas besoin de me mettre la poudre aux yeux avant! Mec, j'te connais, envoie l'son!"

Secouant la main comme les rockeurs, il se lova dans la banquette pour écouter à nouveau son musicien favori.

"Franchement Bro, c'était génial! Mais sérieux m'fais pas croire que c'était ton impro?"

Il estimait tellement Aaron qu'il était impossible pour lui que son pote en soit réduit à simplement reprendre une chanson et l'arranger à sa sauce. Carter avait le don! Morgan, lui, avait l'oreille musicale, pas l'oreille absolue, mais une très bonne ouïe qui lui permettait de synchroniser deux notes. Au piano, il se débrouillait mieux qu'à la guitare mais l'instrument portable était plus pratique à jouer en cachette de son père.

"Tu voulais me montrer un truc spécial en jouant ce morceau? Pourtant j'ai pas vu sur le listing du club les comédies musicales?"

Morgan leva les yeux au ciel pour réfléchir un moment, il n'avait bien rien lu de tel. Peut être devrait-il noter les musiques à travailler.

"Punaise! A ce sujet, t'as vu! Mister R m'a fichu un duo avec Saphira. Memory de Streisand. Tu as déjà chanté avec? Perso à part James ou le groupe, j'ai jamais fréquenté un autre chanteur! Enfin si toi, mais c'est en dehors du club… Mais genre Memory! Qu'est-ce que Mister R me veut… Tu trouves pas qu'il est zarbe avec moi? J'ai fait un truc qui l'a heurté?"

Petit à petit, il réalisa qu'il dirigeait la discussion sur un sujet qui ne lui plairait guère à débattre avec Aaron. Mensonges et Cie, refus de s'assumer… avec Carter il préférait parler de tout et de rien. Pas de prise de tête! Jamais! Dans un élan de détournement de situation, il tapa sur la table comme pour marquer un clap de début de tournage.

"Allez mec, ton morceau!"

Après cette phrase pas autoritaire mais forçant la main, il prit son gobelet de soda et porta à sa bouche la paille. Il aspira lentement le liquide gazeux, acide mais peu sucré. Il attendait impatiemment la nouveauté de son pote.

Aaron éclata d’un rire franc lorsque Morgan lui demanda qui d’eux deux était l’héroïne du film culte des années… il ne savait plus combien. Détail.
Il était content que son ami ne lui en tienne pas rigueur et qu’il ne l’ait pas traité de plagieur en lui retournant son plateau sur la tête avant de le cogner. Ca aurait tout à fait pu arriver après tout... Les gens réagissaient parfois de manière disproportionnée et étrange.

Mais l’adolescent déchanta lorsque Morgan enchaina en lui demandant de lui chanter un de ses propres morceaux, qu’il lui fasse une impro digne de ce nom. C’était impossible. Aaron avait l’impression qu’une pierre venait de lui tomber dans le fond de l’estomac dans un « plouf !» sonore et particulièrement désagréable.
Il détestait que les regards soient braqués sur lui et n’avait encore jamais pris le risque de se laisser aller à faire sa propre musique devant un public. Et un public aussi réduit était plutôt intimidant. Juste Morgan avec ses hamburgers qui n’avait que lui à fixer…

Déglutissant péniblement, il laissa sa langue se délier après avoir jeté un petit regard inquiet à Starbuck.

« Monsieur Ryan est un peu…bizarre. Mais c’est bien d’être bizarre. Moi j’le suis et j’trouve ça bien. Je pense qu’il voit au long terme, très très long terme et du coup, on a l’impression que ses décisions sont étranges et on n’a pas toutes les cartes en mains. Enfin j’préfère penser qu’il a une idée derrière la tête parce que sinon, ça voudrait dire qu’il fait un peu n’importe quoi et ça me mettrait pas en confiance. Et la confiance, c’est très important tu sais » tenta-t-il de s’expliquer « Enfin je pense pas qu’il t’en veuille pour quoi que ce soit. Et puis Saphira elle est cool et elle chante bien…enfin si c’est bien celle à qui je pense. J'ai jamais fait de duo avec elle mais elle assure. Si il avait vraiment voulu te punir, il t’aurait fait chanter avec l’autre là » grinça Aaron en faisant référence à Ryan Bradford.

Ce n’était en secret pour personne, Aaron et l’adolescent - qui avait l’âge qu’aurait eu son frère s’il était encore en vie – se détestaient. Ils n’en étaient pas à s’insulter ou se taper dessus en plein cours, mais une tension indéniable régnait entre eux. Et Bryan Ryan semblait adorer ça…

« Je vais finir ma glace avant de refaire un solo » ajouta-t-il très vite « Je dois finir ma glace avant qu’elle refroidisse, tu comprends ? T’as qu’à me faire une démonstration de ton talent toi aussi ! Et puis Grace trouverait ça vachement sexy j’ne suis sûr ! »

Ca y est, il venait de trouver la porte de sortie du labyrinthe dans lequel il avait pénétré par mégarde !

« Moi je suis déjà avec Callie mais si je fais mon show, pt’être qu’elle va finir par me trouver irrésistible. Ce serait affreux. Là elle m’a pas vu parce qu’elle sortait les poubelles ou je sais pas quoi pour cacher son exéma sur le visage, mais quand elle reviendra, ce serait mieux qu’elle te voit toi ! C’est le moment où jamais de l’éblouir, mec ! Laisse pas passer ta chance, vas-y, lance-toi et filme moi une serviette s’il te plait »

Aaron trouva des excuses à Mister R sans trop convaincre Morgan. Depuis quelques temps, il trouvait son directeur de chorale tyrannique avec lui. Il le postait, lui donnait pleins de chants à faire. Obligeant Morgan à mentir encore et encore pour éviter les shows devant tout McKinley High. Moore était convaincu que Mister R cachait un truc… Il devait le détester ou trouver qu'il chantait mal. Morgan ne savait pas et cela l'attristait parfois. Il trouvait qu'il s'acharnait sur lui, il ne semblait pas agir ainsi avec les autres. Bref, Moore tourna la page du sujet Mister R le casse roubignoles.

Quand Aaron lui demanda de jouer pour épater Grace, il blêmit. Du reste des mots de son pote, il ne retint rien. Livide, il aurait voulu se cacher dans un trou. Le fanfaron qu'il pouvait être n'était une partie de sa personnalité. Le reste était réservé, prudent voir caché. Jamais il n'oserait jouer pour Grace, déjà qu'il ne clamait pas haut et fort qu'il jouait de la musique. Il repensa à son arrivée ici, quand il voulut payer son plateau avec une chanson… Confus de cela, il ne donna pas de serviette à Aaron pour la simple raison qu'il n'avait pas attendu. Bégayant presque, il répondit à son camarade.

"Je… Je… Pour elle. Tu délires! Jamais de la vie. C'est pas mes trois coups de grattes qui vont l'éblouir."

Gêné au possible, il s'enfonça dans la banquette comme voulant y disparaître. Regardant partout pour voir si sa Grace n'était pas là, qu'elle n'avait pas entendu, qu'elle ne l'avait pas vu ainsi. Blanc puis rouge, il était angoissé à l'idée de s'exposer à la critique d'inconnus. De gens dont il ne savait pas s'ils le jugeraient positivement. Cette peur qui l'animait au lycée était la même en dehors. Il craignait le regard des autres et en aucun cas, il se mettrait en danger ainsi. Être à la merci des dires d'autrui. Il subissait déjà les attaques de son père qui le rabaissait très souvent pour le motiver encore plus, le forcer à se dépasser. Fier de lui lors de l'enfance, quand Morgan commença à jouer en équipe, James devint dur. Il voulait toujours plus de son fils même si pour cela il devait l'amoindrir pour mieux le faire progresser.

Définitivement opposé à l'idée de jouer devant Grace voir quiconque dont il ne connaissait pas les intentions à son égard, il s'enferma dans une bulle. Comme un gamin qui boudait, Morgan se murait derrière une barrière. Protégé des autres, de leur venin mais aussi de leur rose. Mais il ne pouvait pas faire autrement, il ne supportait pas d'être ridiculisé, d'être le clown pointé du doigt par tous. Alors qu'en groupe de gens connu c'était lui le fanfaron, face aux inconnus il voulait paraître digne, intouchable, parfait…

Aaron haussa une épaule négligemment, l’air de dire que son ami était en plein délire mais qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur. Il comprenait tout à fait la gêne de son ami pour la ressentir lui-même par moments. Comme le moment où Morgan lui avait demandé de lui jouer un de ses morceaux...
L’adolescent n’était pas contre une représentation en publique mais pas pour jouer un de ses morceaux. Les seuls qui avaient eu droit de l’entendre étaient sa mère (sa pauvre mère qui avait déjà menacé de se tuer s’il ne la fermait pas un peu) et son pauvre frère qui avait menacé de le tuer lui s’il n’arrêtait pas deux minutes de lui casser les oreilles. Ce n’était pas tant qu’il chantait ou jouait mal, au contraire, sa famille était sa plus grande (seule et unique) fan, c’était plutôt qu’il ne s’arrêtait jamais, du levé au couché. Et d’après Isaac, il avait même été somnambule une fois et s’était mis à jouer du Britney Spears pendant la nuit… Une sale histoire qui lui avait valut tout un tas de moqueries mesquines.

Tout ça pour dire qu’il comprenait tout en ne comprenait absolument pas la réaction du mangeur de bébé poulets morts. Il concevait qu’on n’ose pas toucher à un instrument qu’on ne maitrise pas, mais depuis le temps, Morgan avait quand même appris quelques trucs et ne se débrouillait pas trop mal. Et puis il pouvait compenser avec sa voix. Ou avec son physique.
Mais sur ce point, Grace semblait déjà conquise alors…
Et puis il n’y avait pas que Grace. Morgan était comme ça tout le temps. Il trouvait toujours des excuses pour échapper aux représentations publiques, pour échapper au regard de son père. Est-ce qu’il avait un regard comme celui de Lily dans la série déjà culte « How I met your mother » ? Est-ce qu’il pouvait lancer des flammes avec ses yeux et faire exploser les gens ?
Aaron était tombé par hasard sur cet épisode qu’il avait été obligé de visionner sans son puisque Nora était au téléphone, et il l’avait particulièrement marqué. Pourquoi ce petit bien de femme voulait faire exploser des gens ? il avait immédiatement posé la question à Callie qui s’était contentée de glousser et de trouver ça « TROP.MIGNON !! ».

« Bah si tu veux, je peux me procurer un miroir et pendant que tu joueras, je l’éblouirai en me servant de… hmmm… Cette lampe ! » s’exclama-t-il en désignant le néon au-dessus de la table voisine.

Mais son trait d’humour ne semblait pas avoir détendu son ami qui paraissait crispé, chagriné. Aaron se sentait un peu coupable de l’avoir mis dans un tel état. Il allait falloir qu’il rattrape son coup à présent. Mais avant, il fallait urgemment qu’il essuie la crème glacée sur son menton. Se redressant un peu, il attrapa donc lui-même une serviette en papier et, une fois présentable, reprit la parole de son ton jovial habituel.

« En tant que ton professeur et ton ami, je te conseille de te lancer ici et maintenant. Je te conseille de séduire cette fille et de me rendre fier en lui faisant l’amour dans un endroit moins glauque que les toilettes du McDo, parce que ce serait vraiment pas hygiénique et dégradant. En plus t’as payé le repas alors ça ferait un peu comme si tu la payait je trouve… Faut pas mélanger le travail et le plaisir, tu sais ? Et puis on baise pas là où on mange, ce serait vraiment pas propre » tenta-t-il de s’expliquer avant de secouer la tête vivement, comme pour se remettre les idées en place ou chasser quelques images obscènes de son esprit... « Tu devrais jouer quelque chose, sinon on ne sera venu que pour manger et ce serait dommage d’avoir trimbalé nos bébés. Et puis en tant qu’ami, je te conseille de porter des chapeaux, parce que c’est un accessoire génial pour appâter les filles ! Regarde Johnny Depp, il porte un chapeau dans la plupart de ses films et il est sexy. Tu trouves pas qu’il est sexy ? »

Morgan écouta les dires de son ami, la sortie au McDo devenait pesante, lui qui n'aspirait qu'à être tranquille et gratter sans avoir peur d'être jugé. Les jeux d'humour d'Aaron n'avaient aucun effet sur le mal être du garçon qui se dépréciait fondamentalement. Muré dans ses peurs, Morgan n'avait pas confiance en lui pour ce qui était de la musique. Il adorait cela mais il n'était pas sûr de son potentiel. Alors qu'en sport il défrisait les choux-fleurs, en chant il débutait… Enfin autrement que seul derrière son miroir de salle de bain ou sous sa douche. Et puis ça touchait à l'intime, il ne chantait pour se la péter. Il chantait vrai, du profond de son âme. Sa psyché vibrait à chaque note qu'il prononçait. Autant dire qu'il était donc sensible sur chaque critique. Il avait du mal à assumer et comprendre les critiques négatives, aussi constructives qu'elles pouvaient l'être. C'était pour cette raison qu'il s'était tourné vers Aaron. En le rencontrant parmi les Awesome Voices, il avait vu le guitariste professionnel qu'il était. En parfait autodidacte, Morgan prit le courage, au bout de trois mois qu'en même, d'aller parler de gratte à Carter. De fils en aiguilles, leur relation prof/élève de guitare s'était créée pour le plus grand plaisir du garçon. Il ne voyait cependant toujours pas l'intérêt de s'offrir aux jugements des autres.

Quasi paralysé par la peur, Morgan serrait les lèvres et les doigts. Tombant le regard sur le plateau, il n'osait plus rien faire. Il entendit alors Aaron parler de Grace et lui. Les conseils sexuels qu'il lui donnait. En temps normal il aurait déconné sur le sujet mais là il esquissa un petit rictus. Celui du soulagement d'être entouré et épaulé par son ami. Prenant une longue inspiration, il ferma les yeux pour s'isoler encore plus. Les derniers mots de Carter le firent craquer. Il éclata de rire. Les nerfs! Moore explosa littéralement et finit par se cacher la tête entre ses bras posaient sur la table. On pouvait voir son buste bouger au rythme de son fou rire. Des larmes coulaient de ses yeux jusqu'à ce que plus aucun son ne sorte de sa bouche. Essuyant ses yeux mouillés et reprenant son souffle, il pouffa encore quelques fois mais de manière espacée. Quand il fut enfin capable d'articuler quelques mots il répondit à Aaron.

"…Dis-moi mec, tu chantes du Grease et tu trouves Deep sexy…? Si j'te connaissais pas et que j'te savais pas aussi amoureux de Callie, j'dirais que tu virais crème renversée. Que tu te gayfies! Sérieux!"

Telle était la cause de son fou rire. Sans doute que nerveusement, il était aussi à cran. Cela plus les réactions de son corps vis-à-vis de Grace. Tout se bousculait en lui. Il ne savait plus ce qu'il voulait… Certes, il aurait volontiers partagé un instant avec la vendeuse, peu importe le lieu ou l'heure. Méditant ensemble sur les voies à explorer à deux. Sur ce plan, Morgan avait toujours était très créatif en plus d'être endurant et vif. Le recto sportif et le verso musical faisait bon ménage. Si seulement dans la vie de tous les jours, il pouvait être aussi à l'aise. Marier les deux sans être en proie aux doutes. Arriver à vivre sans être la victime des intentions des autres. Accepter les mauvaises remarques et continuer d'avancer. Ce jour-là n'était pas encore de mise… Mais sans doute, il y arriverait.

Aaron observait son ami s’esclaffer bruyamment, un sourire radieux mais plein d’incompréhension peint sur ses lèves. C’était agréable de le voir enfin se lâcher mais en même temps, c’était effrayant et l’adolescent était quelque peu sur la défensive. C’était par un éclat de rire qu’avait commencé la terrible poursuite de Jack et de son fils dans le film Shining, non ? Il n’était plus certain mais il se rappelait très nettement de la dame moisie dans sa baignoire qui l’avait traumatisé.
Aaron ne voulait pas finir tué dans un McDo par un psychopathe. A McDonald’s ou où que ce soit d’ailleurs. C’était une de ses grandes peurs et il en avait beaucoup. Comme cette peur viscérale de la poussière…

Les sourcils brun du jeune homme se froncèrent lorsque Morgan lui fit remarquer qu’il se gafiait… Tout ça parce qu’il avouait volontiers que certains garçon étaient plus attirant que lui ? Et parce qu’il chantait une chanson d’amour ?
Morgan était le genre de type à faire attention à tout ce qu’il disait, faisait, éprouvait et pensait. Ca devait être un travail épuisant… Tout contrôler en permanence, gérer deux emplois du temps (ou du moins prétendre en avoir un second), faire bonne figure, mentir et faire mille autres choses encore pour se préserver,… Aaron serait sûrement devenu fou s’il avait dû assumer tout cela, il serait sûrement devenu fou. Mais un fou pacifiste du genre à parler aux pigeons (ce qu’il faisait déjà en réalité) pas comme Nicholson dans l’œuvre adaptée au cinéma par Kubrick qui lui fichait les jetons. Morgan ne se lâchait que rarement et la moindre contrariété le faisait rechuter.
Aaron trouvait dommage qu’à son âge, Morgan soit déjà écrasé par le poids d’une telle pression et qu’il ne puisse pas se lâcher comme il le fallait. Du coup, il faisait carrément dans l’extrême et devenait méconnaissable - mais de bonne compagnie cela dit - lorsqu’il était certain de ne pas prendre de risque. Mais la moindre contrariété venait tout faire s’écrouler et il redevenait cette boule nerveuse et prête à exploser, toujours aux aguets et pleines de complexes.

« J’trouve que c’est une très bonne chanson moi » finit-il par répondre dans un haussement d’épaule, son éternel petit sourire au coin des lèvres « Toute façon c’est pas l’souci, tu l’sais bien »

Aaron avala la dernière bouchée de son McFlurry avant de le repousser devant lui et de se laisser choir sur la banquette du restaurant. Le calme reprit peu à peu ses droits sur leur table ronde. Les bras écartés sur le dossier, Aaron laissa son regard vagabonder sur le fast-food qui ne désemplissait pas depuis son arrivée une vingtaine de minutes plus tôt au moins. Après un moment, bein que ce calme relatif ne le dérange pas plus que ça, Aaron se décida à rompre le silence alors que Morgan paraissait à nouveau se torturer les méninges.

« Et si on faisait un duo au lieu de se prendre la tête comme ça ? On commence ensemble et puis chacun fait son truc. Ca m’paraît être correct comme compromis, non ? Et ensuite, je veux bien que tu m’abandonnes pour aller récupérer les fruits de ton labeur ! …Enfin draguer Grace quoi… »

L'air semblait lourd, les épaules de Morgan étaient vouées à céder mais comme toujours Aaron, quand il était là, sauvait la situation. Sa gentillesse avait fait ses preuves et il avait conquis l'âme du musicien qui sommeillait en Morgan. De bons conseils, posé, réaliste et sincère, il donnait du vrai à l'existence de Moore. Perdu dans tous ses mensonges, envahi par ses relations confuses, floué par ses rêves et retenu par ses peurs. Aaron restait une des dernières lumières qui éclairaient le visage de Morgan. Comme un rayon de soleil réchauffant l'être glacé que Moore donnait à voir aux autres. La vie McKinley High n'était plus aussi facile qu'avant pour lui. De celui qui menait une vie tranquille, arrosant les losers, se moquant de pas mal de monde, flirtant avec les cheerios, il avait basculé de l'autre côté. En bas de la caste sociale du lycée, il espérait toujours ne pas être victime des méchancetés des autres. Sa sensibilité et son caractère n'étaient pas assez durs pour supporter cela. Son cœur en miette se recollait petit à petit, quand son la tombe d'Allan il venait verser des torrents de larmes, lui expliquant la réalité de son existence, il se sentait plus seul que jamais. Lui et les autres ou les autres contre lui. Il ne savait plus et ne voulait pas savoir. Sa vie ne tournait plus rond, assumer, assurer pour être toujours parfait, l'image stéréotypée de l'américain, le portrait de James Moore. Être ce que les voulaient qu'ils soient sans pouvoir être celui qu'il voulait être. Tout ceci commençait à gravement lui jouer des tours. Sa santé, son esprit… Il ne tiendrait plus très longtemps.

Par chance, il avait encore quelques enclumes qui l'empêchaient de s'envoler aux pays de sans esprit. Aaron était l'un de ses attaches, puissante par sa simplicité! La proposition du duo soulagea le corps meurtri de Morgan qui sourit pour de bon cette fois-ci. Hochant la tête avec un réel plaisir. Son après-midi n'aura pas été gâchée finalement. Tel un halo venu des dieux, appelé par les sonorités de la musicalité, il allait briller avec Carter. Il prit sa guitare d'une main, poussa ce qui se trouvait sur la table pour avoir plus de place. Il devait faire table rase, autant physiquement que moralement. Son regard se fit malicieux, joueur, taquin. Comme il l'était réellement. Prêt à jouer avec Aaron comme la première fois qu'ils grattèrent ensemble. Ce jour restera dans les mémoires de Morgan comme l'un de ses plus beaux jours après Allan.

D'un geste fluide il fit glisser tous ses doigts sur les cordes pour signaler qu'il était prêt. Puis il vint porter sa main à sa bouche pour cacher un toussotement léger. Après cela, il formula une question.

"Dis-moi man, tu commences? J'veux dire le solo… voir même le duo. Ou tu préfères que je commence et que tu te cales sur moi? J'te promets de plus tenter le truc gipsy que j'avais vu sur Youtube… même si on s'était bien marré, j'avais tout fait foiré. Finalement j'pense qu'il vaut mieux que tu démarres. J'te suivrais."

Il passa naturellement sa main dans ses cheveux, faisant bouger toutes ses mèches de cheveux. Les yeux brillants, prêt à jouer quand le top serait annoncé. Les seconds rôles ne lui pesaient pas sur le moral, s'il y avait bien un truc pour lequel il ne devait pas faire un effort, c'était bien cela. Il n'avait que faire d'être auréolé de lumière pour que chacun remarque ses exploits. Il avait confiance en lui sur ce point. Un point c'était déjà pas mal… il n'en restait qu'une cinquantaine à affronter. Cinquante et un! Ce n'était pas une boisson française connue? Que nenni, il devrait encore mûrir mais pour l'instant place à la gratte.

Soulagé par ce retournement de situation, Aaron se redressa en saisissant Starbuck, son sourire révélant ses dents blanches à Morgan. Une fois encore, il haussa les épaules négligemment quand son ami lui proposer d’ouvrir le bal. Il se moquait de la manière dont ils allaient s’y prendre, tout ce qui comptait, c’était que l’ancien footballeur se lance enfin et arrête de rechigner à se détendre. Il fallait qu’il emballe la petite asiatique très mignonne qui vidait les poubelles. Il le fallait absolument et Aaron ferait tout ce qui était en son pouvoir pour permettre à son ami de repartir d’ici avec l’employée pendue à son bras, même si pour cela, il devait laisser ses vêtements s’imprégner de cette entêtante et désagréable odeur d’huile.

« Bon bah j’me lance » finit-il par lâcher

Prenant une inspiration, il plaça ses doigts sur l’instrument qu’il avait accordé précédemment. Le problème était maintenant de savoir ce qu’il allait bien pouvoir en faire… Il fallait que son camarade soit capable de le rattraper, donc qu’il puise dans leur répertoire commun. Et pour puiser dedans, il fallait qu’il fasse appelé à sa mémoire défaillante, qui n’était pas une mince affaire.
L’adolescent n’avait cessé de gratter les cordes de Starbuck tout en réfléchissant, occultant tout ce qui l’entourait. Les clients, Grace et ses collègues, les poulets morts et même Morgan qui se tenait près de lui, sur le qui-vive. Les accords lui vinrent alors naturellement et peu à peu, ses notes brouillonnent prirent du sens, jusqu’à devenir l’air d’une chanson qu’ils avaient travaillé avec Bryan il y a quelques mois de cela. Cette fois, Aaron ne s’accompagna pas de sa voix, se contentant d’enchainer ses accords d’une façon fluide, les répétant pour que son ami puisse venir se caler sur lui, ce qu’il ne tarda pas à faire.
Ils jouèrent ainsi en duo pendant un temps indéterminé, le même petit sourire satisfait aux lèvres. Et finalement, Aaron se décida à prendre la parole, se souciant bine peu des regards braqués dans leur direction. Ce qui ne devait pas être le cas de son partenaire…

« C’quand tu veux, mec »

Les choses redevenaient ce quelles avaient toujours été entre les deux garçons. Pure musique. Morgan ne dut pas attendre longtemps pour que parviennent à ses oreilles les sonorités de la guitare de son pote. Purs bœufeurs de la gratte, accros aux impros endiablées à deux, Aaron et Morgan s'étaient trouvés ainsi. L'un était pro l'autre était noob mais ensemble ils n'en avaient que faire. Fermant les yeux pour entendre au plus profond de lui la musique, il saisit sa guitare et attendit un court instant avant de se lancer à la suite de Carter. Leur duo fonctionnait, comme d'habitude, et cela faisait oublier à Morgan ses peurs. Il perdait toute inhibition quand il se sentait enfin vivre. La musique était son eau, les notes ses aliments et sa voix devenait respiration. Transi par ce phénomène, il occultait tout autour de lui. Secouant la tête au rythme de son jeu, habille au doigté, merci à Mme Moore pour les cours de piano, il restait tout de même sous la coupe du chef. Aaron en bon leader se devait de mener son compagnon. Quand enfin son tour sembla venir, Morgan inspira un bon coup et envoya le jus. Seul, il devait assurer et surtout s'éclater. Le plaisir de jouer avait qu'en même pris le pas sur le stress. Les regards des autres il ne les voyait pas. Aveugle de la société mais conscient de sa musicalité, il se satisfaisait. Un bien être l'envahit, ébahit par cette joie naturelle et simpliste, il ouvrit les yeux pour constater les effets de sa musique. Aaron à côté, Grace au loin et quelques pèlerins au milieu. Alors qu'il aurait sans doute pu tout arrêter et filer, il poursuivit sur sa voie.

Après un court instant, il fit un signe de la tête à Aaron pour lui signaler que c'était à son tour. A ce moment son visage affichait un sourire. Si seulement il pouvait le garder à vie… Hélas, dans le fin fond de son cerveau fumait déjà l'idée qu'il avait joué devant des inconnus. Alors que des dizaines de scénarios se profilaient pour décider de son futur proche, il joua ses dernières notes avant de laisser place au solo de Carter. Le peu de répits qui lui restait allait être de courte durée. Son regard oscillait rapidement d'Aaron vers Grace. Il voulait voir si la demoiselle avait aimé ou au contraire. Il aurait voulu être télépathe pour deviner ses pensées. Pour se rassurer. Pour ne plus avoir besoin de se cacher derrière sa carapace par peur de souffrir encore. Petit à petit son corps se faisait moins fort. Sa voix se cassait à mesure que les secondes défilaient. Son bien être sombrait dans les méandres de l'oubli alors que le malaise d'avoir joué prenait place avec délice. Pleins de rictus de stress prirent Morgan. Pincement de lèvres, clignement frénétique des paupières, respiration haletante, sueur froide, teint pâlissant,… On aurait dit qu'il allait accoucher! Tandis qu'au loin se rapprocher, torchon à la main, Grace. Il n'osait point la regarder. Focalisant le reste de son esprit sur le jeu d'Aaron. Finalement il troquerait sa télépathie contre la téléportation. Pouf! A la maison ou à Bangkok. Peu importe du moment qu'il n'était plus le cul vissé sur cette barquette qui commençait à le démanger d'ailleurs.

Il redoutait la fin du solo d'Aaron et la discussion qui allait suivre. La serveuse était arrivée à leur côté. Il ne prêta pas attention à elle. Elle aurait pu percevoir cela comme du dédain mais que nenni, c'était de l'angoisse. En plus il n'avait rien à manger pour s'occuper la bouche et l'estomac. Ce dernier hurlait de douleur tellement Morgan contractait son ventre. Avec tout ce qu'il avait mangé, la douleur amplifiée à l'angoisse devenait de moins en moins supportable. Ne faisant pas le rapport, il crut un moment qu'il allait vomir sur la table tellement le stress était grand. Rendant au plateau tout ce qu'il avait ingurgité. Mais dans un élément de lucidité, il se propulsa hors de la banquette, bouscula presque Grace et courut aux toilettes. Une fois la porte passée, il rendit cinq fois d'affilées. Le carrelage était devenu une mangeoire à porcin. Vidé, choqué, stressé et vexé, Moore n'osait plus bouger. Il ferma la porte à clé! Il devait agir. Il ne pouvait pas rester là à rien faire ou sortir comme si de rien était. Grace en allant dans les toilettes verrait la pizza XXL Margarita et béchamel sur le sol. Il lui fallait de quoi nettoyer par terre et sa face livide. Marchant avec dégoût dans son propre vomi, il s'avança jusqu'à porte marquée d'un PRIVET. Impossible de l'ouvrir. Il était maudit. Mais comme dans toute situation, il y avait une solution, il ferait donc au mieux. Il ôta son sweat et son t-shirt pour ne remettre que son sweat. Il se servit de son T-shirt comme d'une serpillère pour laver au mieux les dégâts causés. Pour l'odeur il ne pouvait rien faire. Après plusieurs minutes de ménage répulsif, il constata qu'il avait fait de son mieux. Il tira la chasse d'eau trois fois pour enfin voir disparaître son t-shirt. Portant son visage encore blême au lavabo, il se jeta de l'eau à grands jets. D'un coup il vit le savon liquide à côté de lui. Il démonta le haut du couvercle et balança du savon sur le sol. N'ayant plus de t-shirt, il sacrifia ses chaussettes et passa à nouveau un coup mousseux aux carreaux. L'odeur du vomi et du savon n'était pas du meilleur effet mais meilleure que celle du seul vomi.

Après cinq minutes qui lui parurent trois semaines, il sortit des toilettes comme si de rien était. Retournant s'asseoir la peur au ventre, il se posa et dont d'un ton simple dit.

"Quelle queue aux toilettes… Encore heureux que je suis patient! Oh vous avez vu il neige!!!"

Morgan Moore ou comment changer de sujet, lesson one. Mince c'était le French Kiss.

« Qu’est-ce qu’il a ? » demanda Grace une fois son équilibre retrouvé

Ses yeux sombres et effilés étaient à présent ronds de stupéfaction tandis qu’elle observait Aaron, choquée. Et même s’il continuait d’afficher ce sourire un peu niais pour faire bonne figure, l’adolescent l’était tout autant. Il se demandait quel tour lui jouait Morgan, s’il allait revenir dans quelques instants ou s’il s’était enfuit par la porte de derrière pour le planter là… Il espérait secrètement le voir revenir avec un pagne, le visage grimé, pour accompagner leur morceau d’une chorégraphie très amusante, mais ce n’était pas le genre de la maison. Non, il y avait forcément quelque chose mais la réponse ne lui venait simplement pas.

« Je crois qu’il vient de voir son ex » finit par répondre l'ado, arborant la moue désolée du bon copain chagriné
« Quoi ? »

Aaron parcourut la salle du regard une seconde, avant de désigner un couple d’adolescent un peu plus vieux qu’eux (sûrement de l’âge de Grace du coup), installés près de l’entrée et qui se dévoraient amoureusement du regard. Ils lui faisaient un peu penser à lui et Callie… L’avait-il appelé déjà depuis ce matin ?

« Là-bas, la fille avec le manteau à carreaux » expliqua-t-il en les désignant de l’index, faisant preuve d’une discrétion toute relative comme à son habitude « Elle lui a brisé le cœur, le pauvre… il était en miette le jour de leur séparation »
« Oh, je vois » répondit simplement Grace, du ton de la fille qui voit une portée de bébé chiots entassés dans une cage. Il faut pas faire ça, c’est mal…
« Non, j’crois qu’tu vois pas. Il était vraiment en miettes parce qu’elle l’a renversé avec son pick-up ! » poursuivit Aaron, ses yeux verts exorbités encadrés par ses cheveux emmêlés lui donnant l’air d’un maniaque « Elle l’a renversé parce que c’est une folle possessive et complètement barge ! Il avait juste pris un café avec une camarade de classe en phase terminale d’un cancer du pancréas et elle a pété un plomb ! C’était horrible ! »
« Mon Dieu… » souffla l’asiatique, tournant son visage entre l’effarement et la haine en direction des amoureux transis assis plus loin et qui n’avait sûrement jamais fait de mal à personne, les pauvres « S’est arrivé quand ? »
« Boh, en début d’année. Sa guérison a été miraculeuse, les médecins n’en revenaient pas. Il n’a gardé aucune séquelle physique ou mentale, même s’il a parfois des crises d’angoisses à cause de ça… Et puis là comme il vient de la voir… »
« Tu devrais pas aller le rejoindre pour t’assurer qu’il va bien ? »
« Oh non tu sais, il est très pudique. Il ne voudrait pas que je le vois en position de faiblesse… C’est un garçon brillant, talentueux et courageux… C’est mon héros… » mentit effrontément Aaron, avec une conviction troublante
« Wah… » lâcha simplement la brune en jetant un nouveau regard vers l’endroit où Morgan avait disparu
« Et sinon, t’es célibataire toi ? »
« Oui, depuis peu »
« Morgan aussi il est célibataire maintenant. Il faut qu’il réapprenne à aimer et tout ça, tu comprends ? »
« Oui bien sûr… »

Une grande blonde qui tentait de dissimuler lamentablement ses quarante balais derrière un pot de peinture s’approcha de la jeune femme pour lui glisser quelques mots à l’oreille. L’asiatique acquiesça poliment avant de soupirer une fois sa collègue éloignée.

« J’dois y retourner. Tu pourras rappeler à Morgan que je termine bientôt ? Si jamais il veut prendre un café ou… quelque chose »
« Pas d’souci ! J’lui dirai dès qu’il reviendra »

La jeune femme lui adressa un dernier sourire, gratifia l’ex imaginaire de son ami d’un regard assassin, puis s’éloigna prestement pour retourner derrière son comptoir et servir quelques clients affamés.
Quelques secondes après son départ, Aaron commença à ressentir les affres de la solitude… Starbuck était avec lui évidemment, mais elle était parfois d’une bien piètre compagnie. Il n’avait plus rien à boire ou à manger et personne à qui parler. Morgan allait-il seulement revenir ? Qu’est-ce qu’il fabriquait à la fin ?
Mais l’adolescent décida de ne pas trop s’appesantir sur la question. S’il n’apparaissait pas dans une quinzaine de minutes, il s’en irait, voilà. Poussant un petit soupir contenté, il redéposa sa guitare dans son étui et tira son cellulaire de sa poche.

Il était occupé à rédiger un sms à Callie lorsque Morgan reparu enfin. Il avait l’air malade. Ses cheveux bouclés collaient à son front en sueur par endroit, son teint était livide, tout comme ses lèvres, et ses yeux semblaient légèrement rougis.

« Ca alors… C’est vraiment ton ex cette fille ? C’est elle qui te met dans un état pareil » demanda-t-il en jetant un petit coup d’œil accusateur à la jeune fille dans son dos, occupé à dévorer la frite que lui tendait son compagnon

Morgan fronça les sourcils, indécis, et Aaron finit par hausser les épaules et reprendre.

« Grace dit qu’elle est célibataire, que tu dois l’attendre et qu’elle est fan de toi »

Elle ne l’avait pas vraiment dit mais il avait bien vu son regard quand Morgan avait joué. Elle l’avait trouvé très bon et lui aussi.

Des relents de vomi parfumaient la bouche de Moore qui faisait grise mine. Ecœuré par la réactivité et la radioactivité nauséeuse de son estomac, il s'empressa de prendre un cheewing gum. Il se trouvait dans la poche de son blouson. Grace était partie et seul Aaron lui tenait le crachoir. Ce dernier lui parla d'une ex. Mandy était ici? Eléa? Tournant la tête avec délicatesse, il ne vit personne avec qui il avait un jour passé dansé la rumba. Fronçant les sourcils, indécis, Morgan croisa le regard de son pote pour comprendre de quoi il parlait. Dans l'incompréhension totale, la surenchère d'Aaron concernant Grace vint rajouter à ce grand flou un peu de confusion. Totalement étonné par les rapports sans cohérence d'Aaron ou du moins, incohérent pour Moore, il mâchait son cheewing gum comme un parfait ruminant. Bouche ouverte, bouche fermée, il ne pensait à plus rien. Tous ses neurones étaient focalisés sur cette action motrice. Petit à petit, son haleine de fauve laissait place à l'eucalyptus; Un mélange très jungle qui donnait un rendu mitigé. Pensant refouler du bec, Moore n'osait parler. Entre surprise et retenue, il ne savait que faire. Jouer? Il venait de le faire et puis s'il avait encore un coup de jet à envoyer, autant être prompt à filer. Honteux d'avoir dégueulassé les toilettes, d'avoir perdu ses chaussettes et son t-shirt dans l'histoire, de puer du museau… Bref, il voulait rentrer chez lui. Tant pis pour Grace. Qu'allait-elle dire si elle constatait que Morgan refoulait comme les égouts. Elle penserait qu'il savait d'un gros jerck qui ne connaissait pas la brosse à dent voir l'hygiène corporelle.

Et comme toujours, quand la situation ne tournait plus très rond, Morgan prenait la tangente. Désireux de retrouver un peu de dignité, il avait envie d'une bouche, d'un récurage d'une vingtaine de minutes buccal. Soucieux de ne pas froisser Aaron, il fit mine d'être interpelé par son portable. Certes ce dernier s'illuminait des messages envoyés par son père depuis son départ, avertissements certainement, il en profita pour parler. Hésitant au début, il réussit à articuler ce qu'il voulait dire.

"Putain mon père me lâche pas… Sérieux faut que j'rentre sinon il va me pourrir la vie et me serrer encore plus! Désolé mec! Tu fileras mon tel à Grace en cas… Franchement désolé de te laisser en plan… Mais là j'le sens pas, si j'reste j'pourrais plus sortir de chez moi avant l'année prochaine."

Un peu honteux de lâcher son ami en plein McDonald, il conclut sa proposition par :

"Bon mec, j'te dis à plus au lycée! Passe le bonjour à Callie!"

Se levant en faisant attention à ne pas faire parvenir son haleine de phoque à Aaron, il prit ses affaires et salua de la main son pote. Puis il tourna les talons et amorça son départ. A chaque pas qu'il faisait, on pouvait voir qu'il n'avait pas de chaussettes. Fantaisie du moment croiront certains, manque d'argents penseront les autres. Moore accélérait le pas. Comme quelqu'un qui voulait fuir le plus vite possible cet endroit. Tourner la page de cette situation honteuse dans laquelle il s'était mis. Se jurant de ne plus jamais venir à McDonald pour y manger, il passa les portes. Tournant une dernière fois la tête vers Aaron, il le salua à nouveau, sincèrement désolé de le laisser en plan ici.

Spoiler:

Tout s’était encore une fois passé très vite. Tellement vite qu’Aaron n’avait pas pu répliquer quoi que ce soit ou éprouver la moindre rancœur avant que Morgan n’ait disparu totalement de son champ de vision. A présent, l’adolescent se retrouvait seul dans le McDonald’s, attablé avec sa guitare devant le cadavre des plats commandés par son ami.
Il avait gardé son petit sourire de tout à l’heure, mais ses zygomatiques étaient à présents simplement coincés dans cette grimace grotesque. C’était la seconde fois qu’i le laissait en plan de cette manière et ça devenait un peu agaçant tout de même…
Aaron était heureusement du genre peu rancunier, une bonne patte qui ne tiendrait pas rigueur de son attitude à son ami à présent sûrement déjà loin.

Et puis il y avait cette impression d’avoir loupé un épisode important qui le taraudait et l’empêche de se concentrer assez pour remarquer qu’il s’était fait avoir, qu’il était seul, et envisager d’en vouloir à Morgan.
Il s’était passé quelque chose. Bien avant que son camarade de classe lui parle de son père, au moment où ils étaient en train de jouer tous les deux. Sinon, pourquoi le jeune homme se serait-il éclipsé avec autant de vivacité quelques temps plus tôt, pour revenir complètement amorphe ? Son portable ? Aaron n’arrivait pas à gober cette histoire curieusement… Quelque chose le chiffonnait… Mais quoi ?

Aaron laissa son esprit vagabonder tandis qu’il refermait la sacoche Starbuck, puis il se redressa, soucieux, et débarrassa les plateaux. Morgan s’était éclipsé il y a quelques minutes déjà et Aaron doutait de le croiser sur le trottoir. Il hésitait entre rentrer directement chez lui ou passer par chez Callie avant de retrouver Nora.
Il savait à peu près à quoi allait ressembler son après-midi s’il montait dans le bus qui le conduirait dans l’espèce de cabane qui lui servait de maison… Alors qu’il ignorait ce qui pourrait se passer chez sa petite amie. Sûrement quelque chose de terriblement excitant ! Callie était pleine de surprises en plus d’être vraiment très sexy. Elle arriverait à lui faire oublier ce repas pour le moins déstabilisant et ses nombreuses questions…
Rien que de penser à elle, Aaron se sentait déjà plus léger, moins soucieux. L’effet Callie Evenson était toujours quasiment immédiat.
Sa décision prise, il oublia à peu près tout ce qu’il venait de vivre : sa rencontre avec Grace la petite serveuse du fastfood, son duo plutôt réussi mais interrompu avec Morgan, le départ précipité de ce dernier et tout le mystère qui l’entourait. Peut-être qu’il lui poserait quelques questions quand il le recroiserait dans la salle de répétition de la chorale, mais en attendant, il allait simplement occulté tout cela et passer du bon temps avec sa petite amie.

Spoiler: