Décidément, cet hiver était quelque chose de particulièrement déprimant. Il faisait froid. Un véritable vent du nord soufflait en permanence sur la ville. Glaciale comme ambiance. La même ambiance était visible dans l’école. Dans les nombreuses altercations entre les membres des chorales. Celui qui avait déterminé que l’hiver était une saison morte était dans le champ. Température de merde, personne ayant l’attitude tout aussi agréable que la température. Janvier s’achevait lentement et Edena Penelope Miller commençait sérieusement à placer de l’espoir dans le mois de Février. Normalement, à cette période de l’année, dans le coin du 30 janvier, elle commençait à planifier sa Saint-Valentin. Quel spectacle? Quel hôtel? Mais cette année, rien n’était normal. Parce que pour la première fois depuis près de cinq ans, elle passerait la fête des amoureux seule. En octobre, son copain s’était engagé dans une deuxième expédition en Afghanistan. Un deuxième déploiement qui avait foutu la trouille à Edena. Elle avait senti ce qui venait à l’horizon. Mais elle avait refusé de l’admettre. Qu’il ne reviendrait peut-être pas.

Après moins d’un mois, il avait marché sur une bombe. Et hop. Plus d’Alexander. Il existait. Il n’existait plus. Il reviendrait à la maison. Il ne reviendrait pas. La ligne était si mince. Si mince. Trop mince. Edena ouvrit les yeux en cette matinée froide. Elle avait commencé à convertir l’un des bureaux de la maison. Le sien. Parce que la normalité avait été gravement mise à l’épreuve, Edena était seule mais sans l’être. La courbe de son ventre se détaillait, s’arrondissait lentement de jour en jour. Signe de cette bouée qu’elle avait jugée bon avoir. Car oui, malgré ses dix-neuf ans, Edena P. Miller avait souhaité être enceinte. Juste pour pouvoir surmonter son chagrin dans le cas où il ne serait pas là, plus là. Et aujourd’hui, il n’était plus là. Et Edena commençait à se préparer à être une mère célibataire dans une ville si conservatrice de l’Ohio. Son ventre en choquait déjà. Pourtant, il n’était qu’à peine visible. Mais elle s’en fouttait. Parce qu’il lui permettait de s’accrocher et de croire que la vie valait la peine d’être vécue… Même s’il y avait à l’ombre, au loin à l’horizon, la mort qui attendait son tour. Qu’elle attende. Qu’elle attende. Car Edena savait que son heure n’était pas venue. Elle vivrait pour Alex qui aimait son pays. Pour son bébé qui méritait tous les sacrifices.

Hey! Beverly… tu peux me rejoindre chez moi? »

Assise dans le petit bureau que la jeune demoiselle avait lentement vidé, elle avait texté Beverly, l’une de ses amies les plus proches. Celle qu’elle verrait dans le rôle de marraine de son moustique. Elle déposa le téléphone cellulaire sur la table, l’un des seuls meubles qu’elle avait gardé dans la pièce. Edena en salopette avec un chandail multicolore gribouillait en attendant une quelconque réponse. Elle commencait à penser à la chambre du bébé. Elle respecterait la volonté de son copain. Elle ne chercherait pas à connaître le sexe de l’enfant. Il fallait donc une chambre neutre. Elle avait deux nièces… mais aucun neveu. Il faudrait donc qu’elle achète ce qu’elle voulait. Et comment sait-on si Winnie The Pooh est pour un garçon ou pour une fille? Car, il était hors de question que la jeune demoiselle donne une chambre jaune comme nursery à son moustique. Edena sursauta lorsque l’on sonna à la porte. Nous avions beau être un froid samedi de janvier, Elizabeth Miller, mère de la fratrie Miller était à l’hôpital pour son quart de fin de semaine et Parker Miller, frère de 6 ans l’aîné de la dite Edena était à quelque part dans ce bas monde pour un signalement d’enfant en fugue ou maltraité. C’est ainsi, qu’Edena descendit les marches et ouvrit la porte à Beverly.

Quand la jeune Edena Penelope Miller était arrivé à Lima, la jeune demoiselle s’était précipité vers le parc. Dès que son état de santé le lui avait permis, quand son plâtre lui avait été enlevé. C’était d’ailleurs dans ce même parc qu’elle avait rencontré Beverly – même si en théorie Edena était trop vieille à treize ans pour aller dans le parc. Dieu qu’elle s’en était foutue. C’était sa manière de socialiser depuis qu’elle était toute petite. Elle avait grandi dans le parc de Chicago.

Edena avait rencontré Beverly dans le parc. Statistiquement parlant, les deux jeunes demoiselles avaient peu de chance de se croiser. Beverly avait été élevée dans sa grand-mère, ses parents étant en prison. Edena quant à elle avait été élevée par ses deux parents, un père haut militaire et une mère infirmière en chef des urgences et avait grandi avec quatre grands frères qui étaient tous devenus des grands hommes dans leurs domaines : un militaire, un travailleur social, un policier et un organisateur de centre jeunesse pour les jeunes à problèmes. Mais Edena sur son vélo était allée voir Beverly pour des indications – elle s’était perdue. Les deux jeunes demoiselles s’étaient mises à parler de tout et de rien. Edena lui avait parlé de la danse, du fait qu’elle était nouvelle et qu’elle voulait trouver la fameuse bibliothèque de la ville parce qu’elle avait toujours beaucoup aimé lire. Beverly avait parlé de certaines de ses passions. Et ironiquement, les deux jeunes demoiselles avaient atterrit chez l’une des deux. Et voilà comment était née cette jolie amitié. Une amitié totalement absurde et totalement imprévisible d’un point statistique. Avec le temps, elles ne s’étaient pas lâchées. Edena étant entrée au Lycée et ayant intégrée les cheerios – à cause de son copain… pour avoir droit à ce petit cliché qui était à l’époque… la cheerios de première année avec le footballer de la dernière année. Elle avait toujours aimé sa popularité mais pas la coach.

Mais Edena avait toujours eu besoin d’amies pour l’entourer et n’avait jamais complètement répondu à la norme de la cheerleader du temps où elle faisait l’équipe. Elle faisait du bénévolat à l’hôpital – une dizaine d’heure par semaine – en plus d’avoir une dizaines d’élève sous sa charge en tutorat – encore là une dizaine d’heure par semaine. Il y avait aussi la danse, le hockey, le yoga et le soccer qu’elle participait. Et son copain avec qui elle courait les musées, les théâtre et les cinéma. Oui, Edena Miller avait toujours eu beaucoup de chance en amitié et ses nombreuses activités tant scolaires que parascolaire étaient le centre même de sa bonne intégration. Elle n’aimait pas se mettre en contact avec les gens de force. Ceux avec qui elle ne s’entendait pas, n’appartenait pas à cette vie, celle qu’Edena se construisait et qui impliquait un Alexander qui était tombé au front et un moustique. Il n’y avait rien de mieux qu’une grossesse pour savoir qui était ceux qui vous aimaient pour votre prestige et ceux qui vous aimaient réellement.

La jeune demoiselle en était venu à cette conclusion simple quand elle s’était déplacé jusqu’à chez sa grande amie Beverly, trois mois plutôt – enfin presque, pour lui dire ce coup de tonnerre qu’elle quittait les cheerios, l’un des seuls points commun aux horaires surchargés d’Edena et de Beverly. Sur le coup, il y avait eu l’étonnement. Mais Edena avait expliqué d’une voix amoureuse qu’elle avait vu ce qui était arrivé à Quinn l’an précédent quand elle avait été enceinte et chassée des cheerios. Après un petit moment d’incertitude, Edena avait rajouté que le petit bâton avait tourné bleu deux semaines plutôt. La jeune adolescente avait rajouté que ce n’était pas un accident, qu’elle voulait ce bébé plus que sa belle réputation et qu’elle acceptait si Beverly voulait se séparer d’elle parce qu’elle était une honte ou… Mais Beverly avait été parfaite. Comme Edena la connaissait. Elle l’avait défendu et elle avait gardé le secret. Elle avait intention de garder le secret jusqu’à ce qu’Edena le dise – voir ici crier dans un corridor. C’était comme ça qu’Edena avait su que son amie serait la marraine parfaite. Elle en avait discuté avec Alexander. Il aurait choisi le parrain en revenant. Mais il ne reviendrait pas ce qui posait un autre dilemme auquel nous reviendrons plus tard.

En fait, ce SMS était une part d’un grand complot… n’en déplaise aux paranoïaques. Si tout se passerait exactement comme le pensait Edena dans cette normalité modifiée, la demande serait pour aujourd’hui. La main avait tremblé pendant qu’elle composait. Elle avait aussi tremblé quand elle ouvrait la porte. L’air glacial s’engouffra dans la maison, ce qui fit frissonner de la tête au pied la future maman. Elle invita rapidement Beverly à entrer à l’intérieur. Il ne neigeait pas – rare phénomène à cette période de l’année. Mais il soufflait un vent du nord. Sitôt la porte fermée.

« Dépêche-toi de fermer cette porte ! Le bébé va prendre froid Bah oui mini bébé, faut pas avoir froid ! Même si je suis sûre que tu as plus chaud que nous ! Chanceux va !!»

«Dis-le à Tata que tu es au chaud. Tu es bien placée pour parler. Sylvester t’avait en entrainement aujourd’hui, non? Tu dois mourir de faim? Tu veux un truc à grignoter.»

Beverly fit éclater d’un petit rire franc Edena. Elle n’était à peine qu’à quatre mois. Mais déjà son amie s’adressait à son ventre. Elle n’était pas dans l’énergie pour lui dire que l’enfant ne l’entendait pas. Edena avait parlée plus vite qu’elle ne le voulait – c’était le stress. Edena n’avait jamais été bonne pour les surprises. Elle voulait vendre la mèche avant même qu’elle en ait le temps. La vendre là! Mais elle savait exactement comment et quand la présenter. Gentiment, Edena se proposa pour retirer manteau, foulard et moufles pour les suspendre dans la penderie. C’est ainsi que l’on en vient aux fameuses accolades.

« Tu m'as manqué ! Tu ressembles déjà à une maman gâteau! »

«Toi aussi tu m’as manqué… Parce que je ne manque presque que des gâteaux… au plus grand dam de ma mère. Je m’en fous… vive la glace, les gâteaux, le chocolat et les canneberges.»

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L’idée d’avoir un bébé pour Edena provenait de loin. Elle provenait du tout premier déploiement d’Alexander. De la toute première fois où il avait été ailleurs et sans elle. Edena avait eu peur et mal pendant cette longue période. Mais il fallait exactement comprendre tout le contexte avec précision. Des militaires, il y en avait toujours eu dans la famille Miller. Depuis plusieurs longues générations. Mais le printemps de ses dix-huit ans, trois des membres les plus chers de sa vie avaient été déployé en Afghanistan. William Miller, père de la fratrie et colonel de l’armée de terre américaine, avait pris l’avion de nouveau pour une autre de ces trop nombreuses missions. Il était tellement habitué à s’impliquer dans l’armée que ces missions qu’il savait pourtant très dangereuse lui semblait routinières – enfin, jusqu’à ce qu’il soit enfin sur le terrain, parce que chaque mission impliquait de rencontrer de nouvelles personnes qui vivaient dans cet immense chaos. Ce fameux déploiement était aussi le tout premier d’Edgar Preston Miller, le frère avec lequel Edena avait le moins de différence d’âge de la petite famille et de son copain, Alexander McKay. À vingt-et-un ans, ils étaient de la chair à canon. C’était ce qu’avait réalisé la jeune demoiselle.

C’était quelque chose de terriblement dangereux que de prendre l’avion du poste militaire pour aller se battre pour ses idéaux. Le pire, c’était que la jeune demoiselle l’avait réalisé quand il était parti. Quand il avait pris ses choses pour s’impliquer dans son monde. Pendant les quatre mois du déploiement, Edena avait été une ombre. Elle avait conservé de peine et de misère son poste dans les cheerios. Un tout petit rien pouvait tout changer. La vie lui avait paru si fragile à chacune des journées du déploiement. Elle ne garantissait absolument pas son retour. À chaque fois qu’elle avait le droit à un contact via Internet, elle devenait complètement folle. Comment sa mère avait-elle bien pu faire pour endurer tant de déploiement? La jeune demoiselle sourit doucement.

« Euh... Ta... Tata ? Va pour tata alors ! »

«Bien quoi? On est tellement proche. On est presque des sœurs. Tu fais presque partie de la famille. »

Quelle agace qu’elle faisait cette Edena P. Miller quand elle s’y mettait. Mais intérieurement elle luttait contre l’envie de se lancer à même le sol pour l’implorer d’accepter d’être la marraine de son flot… mais Edena ne voulait pas être un cliché… en fait, elle y avait pensé. Faire comme une demande en mariage, s’agenouiller, sortir un gâteau dans une petite boîte – à défaut d’une bague qui n’aurait que très mal entré dans le budget de la jeune future maman – et de proposer comme on propose en mariage. Mais cela aurait été totalement absurde. Alors, Edena aurait tout simplement pensé à quelque chose d’original. Quelque chose qui faisait en sorte qu’une amie qui était comme une sœur ne pourrait pas refuser.

« Oui et Sue n'a pas été du genre agréable, comme d'habitude quoi ! Mais là elle y a été très fort ! Et oui, si cela ne te dérange pas je veux bien un café bien chaud ou un chocolat chaud ! Avec de petits gâteaux pour bébé ! Allez ! Je suis sûr que tu en as ! »

« Le chocolat chaud serait une bien meilleur idée… l’odeur du café me lève encore le coeur parfois. Et tu as raison que j’ai des tonnes de petits gâteaux. »

Edena se garda de rajouter que c’était encore une fois au plus grand désespoir de sa mère – car madame Miller était une infirmière qui avait pendant un bon moment de sa carrière fait dans la néo-natalité et l’obstétrique. Edena passait dans le petit centre commercial où parfois même se tapait des détours pour aller s’acheter des pâtisseries et du chocolat chaud. Si on ne pouvait vivre d’amour et d’eau fraîche, Edena Miller semblait bien déterminé à prouver qu’il était possible de vivre de petits gâteaux – bombes d’amour en concentré – et de lait au chocolat chaud. Et au diable ce qu’en diront les nutritionnistes des cheerios. Edena se sentait mieux dans sa peau avec les livres qu’elle avait pris à cause du bébé que dans son uniforme de cheerios.

« D'ailleurs tu devrais arrêter sur les glaces et tout le reste ! Regarde moi ça comment tu deviens grosse ! »

« I don’t care! ‘cuz I’m big, blond and beautiful! Okay, je l’avoue… je ne suis pas blonde. Mais quand même… je reste Big and beautiful! »

Edena s’étira comme un chat pour ramasser deux tasses sobres dans l’armoire. Sans regarder dans le garde-manger, elle trouva le chocolat chaud. Eau dans les tasses, poudre dans les tasses et le mélange instantané fila dans le four micro-onde. Elle avait dansé un peu sous l’air d’Hairspray, cette fameuse comédie musicale en rajoutant qu’elle se foutait des calories ces derniers temps… Mais elle devait admettre qu’il lui faudra commencer à faire un peu plus attention à ce qu’elle mangeait.

« Sinon, tu fais quoi de tes journées seules à la maison ? Si tu souhaites je peux venir plus souvent ! Ce n'est pas comme si j'habitais à trois cents kilomètres !»

« J’ai commencé à travailler sur la chambre du bébé. Mais j’arrive pas à me décider… à défaut d’avoir un père pour mon bébé et pour m’aider à trancher, il faudrait que la marraine tranche… Alors, tu en dis quoi? »

Avant de parler, Edena avait marché doucement jusqu’à la chaise, l’avait tiré lentement et s’y était assise après avoir déposé les deux assiettes de petits gâteaux sur la table et les deux tasses de chocolat chaud. La jeune femme s’était assise en indien droite et avait pris un petit gâteau. Elle avait regardé la photo qui était sur le buffet et qui représentait son Alexander, en parlant du défaut de ne pas avoir de père pour son bébé. Et son regard s’était doucement posé, d’un sérieux qui n’était pas normal sur Beverly. Elle s’était accoté la tête sur ses paumes et fixait Beverly avec un regard enjoué. Dieu qu’Edena voulait qu’elle dise oui. Il ne pourrait pas y avoir meilleur marraine pour son bébé.