Le lycée McKinley était plongé dans un silence complet. Timothy, accroupi sur la cuvette des toilettes qu'il avait pris soin de rabaisser, n'en croyait pas ses oreilles. C'était donc possible, McKinley pouvait dormir ! Certes cette bâtisse n'avait pas la prétention d'égaler la ville qui ne dormait jamais, mais tout de même, c'était difficile à croire. Prudent, le jeune homme demeurait immobile, pourtant profondément agacé par le son infernal que produisaient les gouttelettes d'eau qui s'échouaient à intervalle régulier dans le lavabo. Et qu'était donc ce bruit que l'on pouvait entendre dans les couloirs ? Un grésillement saccadé, presque sourd, digne des machines les plus sophistiquées. Non, c'était impossible, ce lycée de bouseux ne pouvait définitivement pas se permettre une auto-laveuse. Timothy le savait mieux que quiconque parce que Figgins faisait en sorte de coller des travaux d'intérêt général à chaque occasion, aussi propice soit-elle. Et il savait bien que les placards à balai, pour ne pas trahir ce nom qu'on leur attribuait, renfermaient des balais.
Mais ce soir, car oui, il était un peu plus de 20h30, Timothy n'avait pas pour mission de nettoyer le sol ou de faire briller les bureaux de l'administration. En réalité, il n'avait aucune légitime raison d'être ici, sur ces toilettes. Ou du moins pas aux yeux du principal et du corps enseignant, à l'exception de Sue Sylvester. Malgré tout, Tim avait l'air sceptique. Durant l'entrainement d'aujourd'hui - auquel il avait pris part avec autant d'enthousiasme qu'il en mettait au début de l'année dans la chorale - la coach leur avait bien fait comprendre, à lui et à Anna, que s'ils étaient assez faibles pour se laisser mordre par la Bête - autrement dit la coach Beiste - ce serait elle qui les mordrait. Tim se souvenait avoir retenu un rire à cet instant, mais le message était bien passé : ils devaient détruire la Bête !

Anna, très certainement, l'attendait de l'autre côté du mur, dans les toilettes féminines. Au départ, elle lui avait proposé de rester ensemble, mais Tim avait tout de suite fait des manières en disant qu'il refusait d'entrer dans ce lieu qui puait la fille et l'hypocrisie. Car tout le monde le savait : les toilettes pour dames, c'était le temple du ragot. Ce n'était presque pas étonnant que durant les pauses, on ne voyait pratiquement que des garçons se lancer des regards noirs dans les couloirs. Mais surtout, les toilettes pour filles, c'était le repère de Summer, la Reine du lycée. Timothy s'en amusait, parce que se servir d'un lieu pareil pour faire régner la loi, c'était plutôt ridicule, mais il s'en fichait pas mal.
Avec maladresse, il bondit sur le sol, manquant presque de s'effondrer dans cette prison d'un mètre carré. Avec dégoût, il nota que personne n'était venu faire le ménage dans cet endroit qui était sans doute le pire cauchemar de Miss Pillsbury. Il déverrouilla la porte, et s'extirpa de la cabine, se précipitant immédiatement vers ce robinet qui n'avait arrêté de fuir pendant deux bonnes heures, au moins. Machinalement, il remit ses cheveux en place à la vue du miroir graisseux qui se trouvait devant lui. Puis, tel un agent secret professionnel, il se dirigea sur la pointe des pieds vers la porte à battants qui menait au couloir principal.

Timothy était un expert. Ce n'était pas sa première mission secrète. Grâce à Oxanna, il était un véritable spécialiste, même s'il n'écoutait ô grand jamais les conseils qu'elle consentait à lui donner. Après tout, elle savait bien à quoi s'en tenir avec Timothy Ainsworth.
Ce fut alors avec un sérieux presque exagéré qu'il ouvrit avec retenue la porte, scrutant d'un oeil avisé le minuscule morceau de couloir qu'il parvenait à entrevoir. Apparemment, personne n'était là pour entraver leur mission. Il esquissa alors un sourire satisfait. En outre, penser à la pauvre Anna qui devait trembler comme une feuille l'amusait beaucoup. Mais dans l'histoire, c'était elle le cerveau... en fait, Tim se demandait même à quoi il allait servir, hormis faire office de boulet monumental.

Il haussa les épaules, après tout, il s'en fichait : il violait le règlement. Sa mère, naïve comme elle était, avait absolument gobé son histoire d'entrainement nocturne. A vrai dire, Sue pouvait jouir d'une telle notoriété que personne ne s'étonnait quand on affirmait qu'elle obligeait les élèves à dormir dans le gymnase pour renforcer la cohésion et l'entente de son équipe. C'était un des nombreux avantages de faire partie de la Team Sue, après tout.
Trainant des pieds, jusqu'à la porte qui se trouvait à deux mètres d'ici, Tim parvint jusqu'à la cachette d'Anna. Il ouvrit la porte sans retenue cette fois-ci, et apostropha sa coéquipière. "La voie est libre."

Il ne s'attarda pas dans cet endroit qu'il jaugea avec mépris, n'étant même pas certain qu'Anna y avait élu domicile durant ces deux dernières heures. Fasciné, il penchait la tête, prêt à faire de cette soirée un moment épique... pour tous les deux.

"Ainsworth ! Preston ! Dans mon bureau !"

C'était ainsi qu'avait commencé cette soirée épique... En fait, non, cela remontait déjà à plusieurs jours, quand Anna, piquée par on ne savait quelle mouche, avait décidé de s'inscrire au championnat de football organisé par McKinley et s'était retrouvée dans la Team Sylvester.
Une tentative pour se rapprocher de son père, fan de foot lui aussi, pour prouver à sa soeur qu'elle n'était pas une "loseuse" ou simplement pour se faire des amis... Peu importait, elle s'était retrouvée dans le bureau de cette coach, en compagnie de personnes dont elle ignorait tout, des populaires et de simples inconnus dans la jungle du lycée, à se faire expliquer la vie et le pourquoi du comment d'une victoire tellement importante pour leur équipe.

Ensuite était venue la mission... Apparemment Sue Sylvester avait des idées bien arrêtées sur qui allait faire équipe avec qui, et surtout pourquoi. Sans demander leur avis à quiconque, elle avait formé des paires et des trios pour le moins incongrus, et il va sans nul dire que Timothy et l'aînée des Preston s'étaient longuement dévisagés avant de réaliser qu'ils allaient devoir travailler ensemble, pour le meilleur et surtout pour le pire.
On ne pouvait pas dire qu'ils se connaissaient bien, Anna savait à peine qui il était. Un an plus jeune qu'elle, membre des Awesome Voices, elle avait été plus touchée par Rachel Berry que par sa présence à lui lors de leur reprise d'un titre de Michael Jackson en janvier dernier, mais il avait du talent, c'était indéniable. Un petit air rebelle séduisant, du je-m'en-foutisme à revendre, ce garçon ne laissait pas indifférent, que ce soit dans le bon ou le mauvais sens.

Du talent, oui... Ils en avaient tous les deux, chacun à leur manière, mais de là à attaquer la "bête"...
Car c'était là tout le but de cette mission, prouver à Sylvester et à McKinley que la Team Sue valait encore plus que ce que la plèbe pouvait penser.
Et ils étaient donc tous les deux terrés respectivement dans les toilettes féminines et masculines du lycée.
Anna n'en revenait toujours pas. Elle avait beau se repasser cette semaine dans sa tête, tant de choses et d'idées avaient fusés qu'elle avait du mal à imaginer qu'elle se tenait effectivement là, prête à humilier la moitié de ses camarades...

Un ronronnement résonnait au loin, on aurait dit un bruit de machine à laver attardée...
La jeune fille jeta un coup d'oeil à sa montre. 20h30. L'heure où les couloirs étaient définitivement vides... L'heure du crime comme aurait dit Lexie...

Elle sursauta lorsque la porte s'ouvrit sans ménagement, Timothy lui annonçant que la voie était libre.
Le choc la fit sursauter et la pochette qui contenait tout son travail de ces derniers jours et qu'elle tenait précieusement entre les mains se répandit sur le sol dans froissement de feuilles.

-M****, lacha-t-elle, descendant de la cuvette sur laquelle elle s'était précautionneusement perchée.
Elle commença à ramasser les photomontages éparpillés sur le sol, quand, relevant la tête vers son coéquipier, elle remarqua sa mine, manifestement fascinée, elle ne savait pas trop bien par quoi. Mais il avait intérêt à se reprendre s'il voulait mener à bien leur mission.

-Ok Ainsworth, il va falloir montrer un peu moins de zèle et un peu plus de discrétion sur le coup... Sinon, c'est sûr, ce n'est pas attachés sur le canon de Sylvester qu'on va finir, mais bien sur la liste des corvées de Figgins.

Ce qui n'était pas beaucoup plus réjouissant. Ses papiers à la main, elle se tenait maintenant debout, face à un Timothy plus décontracté et à l'aise que jamais. Un soupçon d'envie parcourut l'échine d'Anna, l'éternelle control freak.

-Ok, répéta-t-elle, manifestement beaucoup plus nerveuse que lui. Par quoi est-ce qu'on commence... ?

Le coach Sylvester n'avait peut-être pas si mal formé ses équipes que ça après tout...

En fait c'était certain, Sue ne leur avait jamais dit, même pas implicitement, que leur devoir était de s'introduire dans le lycée en pleine nuit, quel que soit leur but. Pourtant, Tim avait très bien perçu - du moins c'était ce qu'il se disait - cette lueur de malice et de complicité dans les yeux de sa coach. Il y avait même été très réceptif. Dorénavant, perdu dans l'ombre des couloirs de McKinley, il remettait son jugement en question. Quoiqu'il en soit il ne dirait jamais à Anna qu'il avait fait une interprétation plus que personnelle des propos de Sue, cette dernière le maudissant déjà très certainement de l'avoir trainée ici à une heure pareille.
Timothy était ainsi, il avait besoin de se faire remarquer. Miss Pillsbury dirait sans doute qu'il souffrait d'un manque cruel d'attention pour agir de la sorte, et elle n'aurait pas tort. D'ailleurs, c'était pour cette raison qu'il l'évitait le plus possible, malgré ce surprenant respect qu'il éprouvait pour elle. Ainsi, il s'était inscrit à ce championnat idiot de foot. Tim détestait le foot, et Sue finirait par le comprendre, bien plus tôt qu'elle ne pouvait l'imaginer. Son unique but c'était de provoquer des catastrophes. Certains disaient que ce tournoi permettait de faciliter la socialisation entre les différents groupes, entre élèves et professeurs notamment. C'était une belle blague pour Timothy qui se fichait totalement de se socialiser avec qui que ce soit, encore moins avec des adultes qui se croyaient tout puissants tout ça parce qu'ils détenaient le droit de mettre des heures de retenue. Et dans un sens, le fait que sur le terrain chacun était sur un pied d'égalité lui procurait un malin plaisir. Il se maudissait d'ailleurs de ne pas avoir la carrure pour en plaquer certains, même s'il s'y essaierait par tous les moyens !

"Zèle, discrétion... on dirait que tu m'as bien cerné." ironisa-t-il comme il savait si bien le faire. "Dis-moi, tu n'es pas sérieuse quand tu dis craindre encore plus les corvées de Figgins que le canon de Sylvester ? Et de toute façon, pour une telle infraction, c'est pas des travaux d'intérêt général qu'on aura mais une exclusion temporaire. Ou les deux en même temps." dit-il en hochant les épaules avec audace. Il n'avait pas fait exprès de de renforcer encore plus les peurs de sa coéquipière, pour lui c'était tout naturel de se jouer des règles et des conventions. "Mais rassure-toi, j'ai autant intérêt que toi à ne pas me faire prendre."
Timothy savait que depuis des mois et des mois il était sans cesse menacé de se faire virer de chez lui, et pourtant il continuait les excès. Dans un sens il se félicitait presque d'avoir considérablement réduit sa tendance à faire n'importe quoi. Grâce au Glee Club, il passait beaucoup moins de temps à trainer et la tentation était donc moins virulente. Ce qui était certain, c'était qu'il avait tout sauf envie de se retrouver à la rue. Mais il ne pouvait s'empêcher de tester sa mère à tout bout de champ, comme pour la narguer du fait qu'il était totalement indépendant, malgré ce qu'elle semblait croire. Et surtout, il était hors de question d'admettre que son beau-père pouvait bien exercer sur lui la moindre autorité !

Avec un air évasif, Tim s'appuya sur les casiers, toujours aussi décontracté. On ne pouvait pas en dire autant d'Anna qui semblait souffrir grandement de son anxiété et d'un petit plus... son côté coincé peut-être ? "Je croyais que tu avais un plan." répondit-il en toute innocence. "Je suppose qu'on devrait commencer par coller ça un peu partout." dit-il en pointant du doigt le dossier qu'avait amenée Anna.

Pourquoi devait-il faire équipe avec elle ? Et pourquoi s'était-elle inscrite au championnat d'abord ? Elle avait l'air d'une Cheerio inoffensive, ce genre de fille qui pouffe de rire devant ses amies et qui vous nettoie les cheveux quand elles ne sont plus là, rongée par une culpabilité hautement corrosive. A première vue, Tim ne l'aimait pas. Elle ressemblait bien trop au stéréotype de la jeune fille parfaite qui sait déjà de quoi son avenir sera fait. Mais bien sûr, Tim jugeait toujours sans savoir.
"Alors, ça ressemble à quoi ?" demanda-t-il en montrant la pochette.

Anna décida tout bonnement d'ignorer l'ironie de son coéquipier. Il était évident que la discrétion ne faisait pas partie de son quotidien et qu'il ne pensait pas avoir besoin de découvrir ses bienfaits, même pendant cette expédition nocturne, ô combien risquée.
La jeune fille fit donc ce qu'elle put pour se contenir et ne pas lâcher un soupir d'exaspération.

-Je suis on ne peut plus sérieuse... Sylvester n'est qu'une prof comme les autres dans ce lycée. Un peu plus givrée peut-être, et avec des tendances mégalos, mais comme tu l'as si bien fait remarquer, si quelqu'un doit nous renvoyer, ce sera Figgins, et pas elle. Et même si je n'éprouve pour Lima et McKinley aucune affection particulière, je n'ai aucune envie d'expliquer à mes parents pourquoi je me suis faite virer de ce lycée !

Bousculant un peu Timothy, Anna avait fini par sortir de sa cachette et les deux jeunes gens se retrouvaient maintenant dans les couloirs déserts. Tandis que Tim s'appuyait nonchalamment contre les casiers, pas ému le moins du monde, Anna ne pouvait s'empêcher de jeter des regards inquiets autour d'eux.
Elle n'aurait jamais du l'écouter ni se laisser embarquer dans cette histoire. Elle avait su dès l'instant où il l'avait rattrapée à la sortie des cours qu'elle se lançait dans quelque chose qui les dépassait tous les deux.
L'inscription au championnat pour commencer ne lui ressemblait pas. Trop social pour être honnête, mais après la crise de drame/larmes lors du bal de St Valentin, Anna avait décidé de se prendre en main, et puis, elle pensait vraiment que ce concours était une bonne chose pour l'équipe de foot du lycée. On ne pouvait pas dire qu'ils enchaînaient les victoires et malgré son soutien sans faille à Alan et Sam, un petit coup de boost ne ferait de mal à personne. Et si sa soeur pouvait soutenir l'équipe en exécutant des chorégraphies ridicules, elle pouvait également donner un peu du sien...
La jeune fille avait donc accepté de se prêter au jeu, et par la même occasion, de faire confiance à Timothy Ainsworth. Si elle avait connu l'énergumène ne serait-ce qu'un peu mieux, cela ne serait jamais arrivé. Mais il fallait reconnaitre qu'il avait su se montrer convaincant après leur rendez-vous avec le coach Sylvester : une expédition nocturne dans les couloirs de McKinley, un slogan brillant et une humiliation garantie pour l'équipe de Beiste, la première qu'ils allaient rencontrer dans une semaine... Il n'y avait là rien de personnel, Anna avait même une assez haute opinion du coach de l'équipe de foot, mais c'était le jeu, et c'était assez excitant.
Elle n'en avait d'ailleurs pas cru ses oreilles quand elle s'était entendue proposer de réaliser des photomontages des membres de l'équipe adverse. C'était une petite opération à laquelle elle ne s'était pas livrée depuis Londres et quelques expositions mémorables. Ici personne ne saurait que c'était elle, sauf peut-être Sam qui ne manquerait pas de lui glisser une remarque.

Le fait est, il fallait bien le reconnaître, qu'elle s'était plutôt amusée en travaillant à ces petits chefs d'oeuvres. Bien sûr, elle avait déjà pas mal de clichés des membres de l'équipe de foot, Ryder, Alan, Isaac, Beiste... et cela avait été assez facile de se livrer à des modifications. Rien de méchant, juste de quoi ridiculiser un peu l'équipe... Pour les autres lycéens cela avait été un peu plus délicat et elle avait du se dépêcher de prendre des clichés de dernière minute.
Le résultat la satisfaisait cependant assez, même si elle était curieuse de voir ce que Ainsworth en penserait.

En parlant du loup, il commençait d'ailleurs à s'agiter, regardant la pochette toujours entre les mains de la jeune fille avec insistance. Rien que pour se venger un peu du fait qu'il se régalait à la torturer depuis qu'ils s'étaient rejoints dans les toilettes, elle la serra un peu plus.

-Je croyais que c'était toi qui avait un plan ? Après tout, cette expédition c'était ton idée, tu ne te souviens pas ? "Une expédition à la gloire du Coach Sylvester et de la décadence", ce sont tes propres mots...

Elle aurait adoré le taquiner un peu plus longtemps, d'autant plus qu'elle sentait bien qu'il la toisait avec un mélange de doute et de suffisance. Encore un qui pensait qu'elle était trop coincée et anti-populaire pour avoir sa place au sein du championnat. Lui par contre ne savait sans doute même pas quel était le nom de l'équipe... Mais ils étaient pressés par le temps, il devait quand même y avoir un gardien qui tournait dans ce lycée non ?

-Tiens, lança-t-elle un peu brusquement en lui tendant la pochette. A présent, elle se fichait complètement de savoir ce qu'il penserait de son travail. Elle voulait en finir, et vite.

Un sourire en coin, Timothy écoutait attentivement sa camarade. Était-elle réellement débile ou était-ce de la naïveté ? Ou même les deux ? Cela aurait pu être touchant, mais Tim n'était pas de ce genre de garçon à se laisser attendrir par la détresse d'une jeune demoiselle, aussi innocente soit-elle. Sa seule envie, à cet instant, c'était de lui ouvrir les yeux une bonne fois pour toutes, et de lui apprendre à laisser respirer son arrière train qu'elle semblait contracter avec une vigueur impressionnante. Oui, définitivement elle n'était pas une des ces Cheerios un peu trop sûres d'elle, c'était même tout le contraire. Encore une fois Tim se cognait mentalement pour émettre, comme à son habitude, des jugements hâtifs et totalement erronés. Il soupirait sans aucune pudeur, sans même noter l'insolence dont il faisait preuve, roulant des yeux et hochant la tête. Sue Sylvester une prof comme les autres... d'où débarquait cette fille ? Du pays de Candy ? D'un monde fait de crème et de gélatine ? Sa candeur en était presque exaspérante. Timothy ne put retenir un petite rire jaune. "Tu dis n'importe quoi Anna. D'abord Sue n'est pas une prof, c'est la coach des Cheerios, et si tu crois que Figgins a plus de pouvoir qu'elle, tu te trompes. Enfin techniquement oui, mais il est tellement influençable. J'ai moi-même réussi à me sortir de biens des galères en lui racontant des grosses conneries. Alors déstresse."

Quand il y avait de la complicité, c'était tellement plus amusant. Timothy rêvait même de s'être vu confié d'une mission aux côtés de Savannah ou même Taleen, bien que cette dernière ne participait pas au tournoi. Il se souvenait avec précision de ce jour où ils avaient ridiculisé un joueur de l'équipe de foot en sabotant l'ensemble de son équipement. Il sourit à cette pensée. Et le coach, cet idiot de Stevenson à l'époque, qui les avait surpris. Il avait bu toutes les paroles flatteuses de Taleen, d'ailleurs. Et là, à la vue d'Anna, Tim se sentait pris à son propre piège. Son expression, si sérieuse et inquiète à la fois, lui faisait croire que tout ceci n'était qu'un devoir dont ils avaient été assigné. Et pourtant, cela aurait pu être tellement drôle.
"Ouais c'est ça, la gloire." ironisa-t-il. "Si on se tient à mon plan, il faut laisser place à l'improvisation. Tu devrais t'y essayer un peu, mettre du piment dans ta vie. L'organisation c'est chiant." renchérit-il. Son mépris envers Anna n'était même pas implicite. Il parlait comme s'il la connaissait alors qu'il ne savait que son prénom. C'était humain après tout, de juger sur une première impression comme si c'était la plus représentative et véritable. Et Timothy n'en doutait pas : comme la plupart des filles Anna le voyait comme un garçon totalement immature qui ne prenait pas assez la vie au sérieux. Et elle aurait bien raison de le croire.

Il s'empara de la pochette qu'elle lui tendait avec une dureté qui ne lui ressemblait pas. Timothy semblait pourtant se délecter de ce geste. Au final, elle finirait bien par craquer, et il s'en féliciterait.
Avec un enthousiasme totalement exagérée, il ouvrit la pochette. "C'est cool." se contenta-t-il d'exprimer. "Non franchement, c'est cool." ajouta-t-il face à une Anna partiellement décontenancée. Après avoir gardé un bon paquet de photos, il tendit de nouveau la pochette à sa coéquipière. La première étape de leur mission ne faisait que commencer.

"Cool"...
Anna haussa un sourcil. Oui un seul, comme elle avait l'habitude de le faire quand la conversation avec son interlocuteur ne tournait pas comme elle l'espérait et que, plutôt que de lui sauter à la gorge, elle se rabattait sur cette bizarrerie morphologique.
Elle ne savait pas si ce qui l'agaçait le plus chez Timothy Ainsworth ce soir-là, c'était qu'il ne trouve pas de meilleur qualificatif pour son travail ou le discours paternaliste et stupide qu'il venait de lui tenir.
Il avait très mal commencé... "Tu dis n'importe quoi Anna", comme si cette phrase avait du sens ! Et puis pour qui se prenait-il pour l'appeler Anna ? Il se connaissaient à peine ! Nan, rectification, ils ne se connaissaient pas, sinon elle se serait rappelé qu'une soirée à traîner dans les couloirs avec un petit abruti prétentieux et faussement cool, mauvais plan ! Pourquoi il croyait qu'elle lui donnait des "Ainsworth" hein ?

La jeune fille bouillait. Elle détestait qu'on la rappelle à l'ordre d'autant plus quand la personne en question se croyait manifestement plus à même qu'elle de gérer la situation. Il la trouvait stressée, se mettait à lui expliquer le fonctionnement de McKinley... Il était quoi, coach de vie ? Avec ses petits yeux de chien battu et son sourire soi-disant ravageur ? Pouah !

"L'organisation c'est chiant"... De mieux en mieux !
Elle avait tenu et l'avait fermée pendant tout son petit show, maintenant, il était temps qu'il fasse connaissance avec la vraie Anna Preston, et qu'il retrouve sa place de choriste du dimanche. "Cool" donc...

-D'accord Mr Je-Sais-Tout. Mettons du piment dans ma vie... Et dans la tienne ! Je n'ai aucune envie de passer ma soirée avec toi ici, alors passons aux choses sérieuses tu veux bien ?

La jeune fille s'apprêtait à lui expliquer ce qu'elle avait prévu et comment elle pensait qu'ils pouvaient mettre leur plan à exécution quand elle se ravisa.

-Non, tu sais quoi finalement ? Puisque l'organisation, c'est le mal et que l'improvisation, c'est le bien, alors improvise !

Elle lui arracha le paquet de photos qu'il avait encore dans les mains et se mit à avancer d'un pas décidé vers l'autre bout du couloir. Elle venait de décider de le planter là et elle marchait, sa bandoulière frappant la mesure contre son dos, sa main gauche crispée sur les clichés et la droite replaçant son chapeau sur sa tête.

-Puisque tu ne crains pas Figgins et moi pas Sylvester, je pense qu'on est quittes et que tout devrait bien se finir, lança-t-elle en faisant un petit demi-tour et en se mettant à avancer vers la sortie à reculons. Bonne soirée, Ainsworth, surtout, qu'elle soit "cool" !

De sa main libre, elle le gratifia du symbole metal par excellence.

D'accord Timothy aurait du montrer davantage d'enthousiasme. Lui se contentait d'être là ce qui, avec du recul, se révélait être une totale perte de temps. Tout ceci n'avait rien à voir avec le genre d'absurdités qu'il avait l'habitude de faire lorsqu'il était seul ou accompagné des rares amis qu'il avait réussi à se faire. Anna et lui étaient comme le jour et la nuit, et Tim détestait profondément ce sentiment de frustration qu'elle éveillait en lui, comme si elle l'empêcherait quoiqu'il arrive d'arriver à son but. Quel était son but ? Simplement humilier la coach Beiste. Tim faisait la moue. Il ne comprenait pas exactement où était le problème. Après tout, ils étaient seuls dans le lycée et ils avaient une bonne partie de la nuit pour se mettre au travail. Et il détestait encore davantage ce genre de personnes qui le traitaient d'insouciant alors que la méfiance était peut-être le pire sentiment de frustration.
Toujours adossé aux casiers, il ne se gênait pas pour toiser Anna. Il la connaissait à peine, mais il pouvait d'ores et déjà parier qu'elle ne l'aimait pas beaucoup. Ce n'était pas véritablement se mouiller que d'avouer une chose pareille, d'autant plus que la réciprocité était au rendez-vous. Il n'était pas certain d'éprouver de la haine ou du mépris pour elle... ou peut-être les deux. C'était la raison pour laquelle il ne fréquentait jamais des filles de ce genre. Des filles beaucoup trop sérieuses qui avaient cette fâcheuse tendance à se prendre pour sa mère. Fais pas ci, fais pas ça. Même cette dernière avait renoncé à lui dicter sa conduite.

Apparemment, Anna n'avait aucune envie de passer cette soirée avec lui. Il aurait pourtant pu jurer que, quelques heures plus tôt, elle avait l'air faussement enthousiaste. Certainement n'avait-elle jamais eu vent de la bête sociopathe qu'était Timothy. Parfois il se surprenait tristement à croire toutes ces méchancetés dont l'affublait son beau-père. C'était un bon plan pour lui après tout, de finir en prison comme son père. A vrai dire, c'était le seul avenir dans lequel il arrivait véritablement à se projeter. Tim avait toujours cette désagréable sensation d'être engourdi, prisonnier d'un présent qu'il ne contrôlait même pas, tentant d'oublier le passé et ignorant le futur. Il savait pourtant bien que tôt ou tard, le temps finirait par le rattraper.

La réaction de sa camarade ne se fit pas attendre. Elle était peut-être un peu exagérée par rapport à ce à quoi il s'attendait. Mais il le savait, il l'avait su depuis le début, qu'Anna n'avait absolument pas l'étoffe de se rebeller contre quoi que ce soit. Elle était bien trop propre sur elle pour ça. Si parfaite et au dessus de tout. Timothy était certain qu'elle n'avait aucun problème dans sa vie et que ce qu'ils étaient sur le point de réaliser était la seule et pire erreur qu'elle ait jamais faite. Elle lui arracha des mains la pile de photos qu'il avait prise, ne se souciant sûrement pas de l'air faussement surpris qu'il prenait. A vrai dire il la laissa faire, après tout ça ne devait pas être tous les jours qu'elle laissait quelqu'un d'autre prendre le contrôle des choses.

"Je savais que tu allais renoncer." cria-t-il sans même penser une seconde qu'on pourrait les surprendre. "A demain sur le terrain. A moins que ce soit trop éprouvant pour toi." renchérit-il en tournant lui aussi les talons, se dirigeant vers l'autre extrémité du couloir. Quelque chose lui disait qu'Anna attendait qu'il la retienne. Cette scène était tellement clichée. Mais lui, il s'en fichait totalement. Au final, elle n'était qu'un boulet dont le seul but était de le ralentir. Un fardeau extrême qui se croyait être la voix de la raison. Elle croyait Tim sûr de lui en le qualifiant de Mr Je-sais-tout, mais il ne l'était pas. Il ne savait rien. Et il l'assumait.

D'un pas léger il avançait. Une force extérieure lui criait quand même de se retourner pour constater où en était Anna, mais il ne pouvait s'y résoudre. Tout ce à quoi il réfléchissait c'était à un plan B. C'était extrêmement paradoxal de la part de quelqu'un qui n'avait pas de plan du tout. Il savait au moins son objectif. Le reste lui serait dicté par sa capacité extraordinaire à inventer des imbécilités plus grandes les unes que les autres.

Anna ne prit même pas la peine de répondre et continua d'agiter sa main au dessus de sa tête pendant que Timothy lâchait sa dernière réplique. Pathétique, ce garçon était pathétique. Comment pouvait-on cumuler autant de médiocrité et de je-m'en-foutisme chez une seule personne, c'en était aberrant...
Une fois qu'elle eut tourné à l'angle du couloir, laissant son partenaire de crime loin derrière, la jeune fille se retrouva avec pour seule compagnie le bruit de talon de ses bottes qui frappaient sur le sol de McKinley.

C'est vrai, son côté mélodramatique aurait adoré qu'il la rattrape, s'excuse, se rende compte qu'il n'arriverait à rien sans elle. Bon, cela n'avait pas été le cas et c'était sans doute cela qui exacerbait encore plus l'animosité de la jeune fille à l'encontre du choriste.
Étrangement pourtant, sa curiosité à son égard était inévitablement attisée. Anna Preston n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste, intellectuellement parlant s'entend. Et reconnaître plus fort qu'elle n'était certainement pas dans ses passe-temps favoris.
Profitant de l'atmosphère complice de l'obscurité pour se plonger dans ses réflexions, la jeune fille arriva plus vite qu'elle ne le pensait devant la sortie ouest du lycée, la plus proche du parking où l'attendait son pick-up.

-Merde, constata-t-elle sans aucune retenue cette fois, en essayant en vain d'ouvrir la porte, pourtant déverrouillée quelques heures plus tôt.
Anna regarda autour d'elle, peu désireuse de céder à la panique. Il devait bien avoir encore une sortie accessible dans ce lycée. Sentant une bouffée d'angoisse monter en elle, elle se remit à marcher dans la direction opposée.
Après tout, c'était peut-être là la seule faille de leur plan parfait : sortir de McKinley après avoir accompli leur méfait. C'est vrai, est-ce que le coach Sylvester leur avait remis des clés ? Est-ce qu'elle était encore dans son bureau, veillant patiemment, prête à venir au secours de ses deux étudiants modèles quand ils en auraient fini avec l'équipe adverse ?
La voilà qui se mettait à délirer...

Soudain, le sang de la jeune fille se glaça. Le bruit qu'elle venait d'entendre était étrangement familier. Le vrombissement de tout à l'heure s'était arrêté et elle pouvait distinctement entendre un cliquètement sur les dalles du couloir. Cela lui rappelait la fois où elle s'était retrouvée enfermée par mégarde avec Lexie dans un des collèges d'Oxford où leur père donnait des lectures tardives, fois où les fillettes, à peine âgées d'une dizaine d'années, s'étaient retrouvées pourchassées par un doberman enragé. Il avait fallu l'intervention d'un gardien très peu réactif et l'apparition affolée de leur père pour que le molosse se calme et que les petites filles décident une bonne fois pour toutes que, non, elles n'auraient jamais de chien.
Il était hors de question qu'elle se retrouve à nouveau face à un de ces sales clébards. Sans réfléchir plus longtemps mais sans pour autant lâcher ce qu'elle avait dans les mains, la jeune fille se mit à détaler, refaisant en sens inverse le chemin qu'elle avait précédemment parcouru.

Elle courrait maintenant à en perdre haleine, ce qui ne l'empêcha pas de se retourner pour vérifier qu'elle avait bien semé son poursuivant. Le choc fut percutant.
Anna, violemment jetée à terre, laissa échapper un cri de surprise. Elle reprit cependant rapidement ses esprits pour constater que celui dans lequel elle était rentrée sans ménagements n'était autre que Timothy, apparemment un peu décontenancé tout de même de la retrouver là.

-Euh, je... La porte de sortie est verrouillée... Et il y a, euh...

Elle se mordit la lèvre. Comment lui annoncer qu'elle avait peut-être fui devant un doberman imaginaire sans perdre complètement la face ?
La jeune fille se redressa, sans son aide bien évidemment, et se mit à épousseter sa robe chasuble.

-Est-ce que tu sais s'il y a des chiens qui patrouillent dans les couloirs de McKinley la nuit, demanda-t-elle le plus dignement du monde. Elle le regardait droit dans les yeux, sentant déjà ses joues s'empourprer plus que de rigueur.

Ombre dans l'ombre, Timothy avançait tel le parfait petit vagabond qu'il était. Et dans un sens, s'il continuait véritablement sur cette lancée, il finirait bien vite sans domicile, errant cette fois-ci pour de bon, ruminant son amertume et maudissant ses regrets. Il marchait, sans vraiment se soucier de quoique ce soit, seulement conscient qu'il devait le faire, pour une raison qui lui échappait totalement. Longeant les casiers, il les effleurait du bout des doigts, se délectant presque du bruit sourd que cela produisait. Il avait beau être fier de sa prestation face à Anna, il ne pouvait pourtant s'empêcher d'esquisser une moue incertaine, incapable de mettre un nom sur ce sentiment qu'il éprouvait. Un mélange ambigu de déception et de suffisance. Lui, savait que cette prétendue vanité qu'aimaient stigmatiser ceux qui le connaissaient le moins n'était qu'un parfait manège qu'il manipulait avec brio. Après tout sa plus grande faiblesse était sans doute son manque d'assurance et il n'hésiterait pas à se sanctionner lui-même de la dévoiler au grand jour. C'était sans doute là son plus grand et beau combat, celui qu'il menait à l'abri de tous les regards et dont il n'aurait jamais la reconnaissance suffisante.

Légèrement évasif, il s'arrêta devant son casier, laissant s'échapper un soupir long et sans aucune retenue. Que pouvait-il bien faire dorénavant ? Cela lui faisait mal de l'admettre, mais il aurait bien aimé entendre le plan de sa camarade. Parce que malgré tout, il savait qu'elle en avait un. Il n'avait qu'à en juger par son look soigné et cette pointe de condescendance que l'on discernait dans chacun de ses gestes et paroles, même dans ses sourires. A court d'idée, il composa son code afin de découvrir, par le plus grand des hasards, si le désordre monstre de son casier lui inspirerait quoi que ce soit. D'un geste nonchalant, il l'ouvrit, après avoir pris la précaution de maximiser ses réflexes, sachant très bien qu'un objet ou deux profiterait de l'air libre pour se faire la malle. Fort heureusement tout tenait, non sans mal. Il aventura alors sa main dans cet espèce d'amas de livres et de feuilles en tout genre, se jurant que bientôt, il ferait le grand ménage. Tim savait bien lui-même que c'était là une promesse en l'air, comme lorsqu'il se disait que sa chambre serait rangée le lendemain, et encore le lendemain... sans jamais parvenir à entreprendre quoi que ce soit.
Et là, étoile scintillante dans la nuit, il aperçut une bombe de peinture. Il hocha les épaules, sans même se demander ce qu'elle fichait là, et l'empoigna sans attendre. C'était certain, si un jour Figgins décidait de fouiller les casiers, il ferait une syncope en ouvrant le sien. Mais après tout, Tim se rassurait sans arrêt en se répétant que, comme sa chambre, son casier lui appartenait. Et si sa mère avait l'interdiction formelle de mettre un pied dans cette pièce qu'il chérissait tant, c'en était probablement de même pour Figgins et son casier. A moins de recourir à un mandat, mais quelque chose lui disait que le commissariat de Lima était aussi fonctionnel que l'administration du lycée. Et il le savait, il en avait fait les frais.

Fier de lui pour une raison qu'il ignorait, il s'amusait à secouer la bombe, comme un enfant éprouverait un plaisir curieux au son d'un hochet. Mais c'était sans compter sur le choc violent qui ne tarda pas à le ramener à la réalité. Un peu chamboulé, il laissa s'échapper la bombe qui glissa sur le sol dans un fracas complètement disproportionné. Enfin, il constata rapidement Anna qui, projetée au sol, semblait tout aussi surprise que lui. Sans savoir pourquoi, il gonfla la poitrine, se retenant avec difficulté de rire du spectacle. Au moins, si toutes les filles étaient aussi frêles qu'Anna, il avait des chances de marquer quelques essais durant les matchs, à condition d'esquiver avec malice les molosses nourris aux hormones qui puaient la testostérone à des kilomètres. Immédiatement, elle chercha à se justifier, avant de se relever, abandonnant définitivement sa dignité sur le sol. Tim en était certain, elle chercherait par tous les moyens à éviter son regard jusqu'à la fin de ces jours, au risque de se remémorer ce long moment de solitude. Au fond, Tim ne croyait pas un mot de ce qu'elle racontait. Pour lui, elle cherchait simplement un moyen d'expliquer pourquoi elle ne pouvait se passer de lui... grande leçon d'humilité pour elle dont Tim se délectait avec un malin plaisir. En outre, ce sentiment de déjà vu qui paraissait l'envahir. Oui, c'était ce jour où Ecaterina, la blonde pas si innocente que ça avait couru un marathon à travers les couloirs pour venir finalement lui avouer qu'elle voulait tout recommencer depuis le début. A cette pensée Timothy sourit. Si jamais Anna en venait à lui sortir la même bêtise, il savait déjà quoi lui répondre, et ce avec spontanéité.

Timothy devait avouer que celle-là, on ne lui avait jamais faite. Des chiens de patrouilles dans le lycée. Il étouffa un rire particulièrement moqueur. "Bien sûr, ce sont des chiens mécaniques à vision infrarouge qui crachent du feu. Tu débarques d'où sérieusement ? C'est limite si on a le droit à des détecteurs de fumée et à des extincteurs en labo de chimie, alors des chiens de garde..." dit-il sans même essayer de faire passer ses sarcasmes pour de la taquinerie. "Je t'aurais aidée à te relever tu sais, j'ai quand même quelques manières." ajouta-t-il. Même s'il faisait sombre, il n'était pas difficile de deviner à quel point le malaise d'Anna avait fini par teinter son visage de rouge. C'en était presque attendrissant. Timothy savait qu'à sa place, il aurait sans doute fait la même chose : garder la tête haute. Dans un sens, il la respectait pour ça, surtout après lui avoir sorti une si belle absurdité. Elle n'avait ni vacillé, ni même détourné le regard.
"Il y a une sortie de secours par là." avoua-t-il en montrant la direction d'un bref signe de la main. "Si jamais tu as toujours envie de t'échapper."

Les fois où Anna Preston avait été humiliée se comptaient sur les doigts d'une seule main.
Il y avait tout d'abord eu ce gala de danse quand elle avait 6 ans... Le résultat d'une année de cours fut tellement catastrophique sur scène que ses parents décidèrent immédiatement de trouver une autre occupation à leur fille aînée.
On pouvait ensuite citer l'une des petites blagues de Lexie qui avait valu à sa soeur de terminer un dîner de famille avec le visage maculé de sauce à la menthe.
Ajoutez à cela deux ou trois humiliations publiques au collège et au lycée à cause de ce que tous ses camarades incultes prenaient pour du mépris et de la fronderie, et vous aurez un compte précis des fois où Miss Preston avait du baisser les yeux en rougissant.
Il était bien entendu qu'elle ne s'attendait pas à être confrontée à nouveau à ce sentiment en se rendant à ce sabotage nocturne clandestin.
En continuant de passer machinalement (et vigoureusement) sa main sur le tissu de sa robe, la jeune fille se retenait de hurler de rage. Il avait fallu qu'elle tombe sur lui. Rectification, il avait fallu qu'elle lui rentre dedans avec une force inouïe, puis qu'elle tombe DEVANT lui.
Timothy avait à peine bronché. Elle avait l'impression que le choc qu'elle lui avait fait subir n'était finalement rien du tout en comparaison de la satisfaction qu'elle venait de lui apporter. Elle lui avait amené la meilleure des raisons de se moquer ouvertement d'elle sur un plateau et elle s'attendait à le voir éclater de rire d'une minute à l'autre.

Pourtant, ce n'est pas ce qui se produisit. Au contraire, il semblait se retenir avec une force qui échappait à Anna. Après la façon dont ils s'était quittés, elle s'attendait au moins à une petite remarque acerbe, mais tout ce à quoi elle eu droit fut son incrédulité la plus totale à propos des chiens, ce pour quoi elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Pas vraiment mais quand même un peu...

-Moui, c'est vrai que nous sommes à Lima, Ohio... Sortis de vos champs et de vos querelles de chorales, vous avez du mal à vous faire au progrès...

Ne jamais montrer vos faiblesses à votre ennemi, même quand vous venez de perdre la face de la pire des façons, voilà quelle était la devise de l'aînée des Preston. Timothy était-il cependant son ennemi ? Pas vraiment, surtout si l'on en croyait la raison qui les avait amenés à se retrouver ce soir et la fleur qu'il venait de lui faire en ignorant sa chute, mais la jeune fille était trop fière pour ne laisser passer ne serait-ce qu'une petite chance de se relever. Figurativement parlant.

-Je ne doute pas de tes manières de gentleman britannique Ainsworth, mais je n'aime pas être redevable, tu ne m'en voudras pas trop...

Elle suivit du regard la direction qu'il lui indiquait. Elle avait terriblement envie de se remettre à courir et de disparaître des couloirs de McKinley, qu'ils soient hantés ou non par des chiens enragés.
Mais elle savait que si elle le faisait, Timothy aurait une raison de se foutre d'elle jusqu'à la fin de ses jours, et qu'elle s'en voudrait terriblement d'être incapable de se regarder dans une glace à nouveau. De plus, maintenant qu'ils étaient réunis, elle savait pertinemment qu'il serait stupide de ne pas mettre en application leur plan. Et puis elle n'avait pas fait tout ce boulot pour rien...
Elle choisit donc la voie de la sagesse, et de l'auto-sauvetage bien entendu.

-Je crois que puisque tu es de nouveau en travers de mon chemin, il doit y avoir une bonne raison... Elle se baissa et ramassa la bombe de peinture qui était restée à terre avant de recroiser à nouveau le regard de son camarade. Elle le dévisageait maintenant avec un mélange de curiosité et d'arrogance.

-Qu'est ce que tu comptais faire avec ça hein ? Remettre à neuf les murs de McKinley ? Je croyais qu'on avait un plan ? En même temps...

En même temps il était clair que ce n'était pas une si mauvaise idée que ça... Ils risquaient déjà gros mais au point où ils en étaient, de toute façon, autant continuer.
Sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers une chaise de surveillant qui traînait non loin d'eux dans le couloir et grimpa dessus.

-Tu crois que tu serais assez doué pour écrire un slogan autour des photos ? Quelque chose de spirituel et de bien vu ?

Depuis son perchoir, elle lui tendait la bombe de peinture, désignant le mur devant eux. Pile en face de l'escalier, entre les toilettes et les casiers, c'était l'endroit parfait pour commettre leur crime.

Au fond Timothy n'était pas certain de savoir s'il voulait ou pas qu'Anna emprunte cette sortie de secours. En à peine deux minutes il avait eu le temps de l'oublier, bien trop concentré à chercher comment remplir sa mission, mais ce léger incident lui fit l'effet d'une bombe. Malgré la satisfaction qu'il éprouvait, il ne pouvait se résoudre à la rabaisser encore davantage, jugeant avec une maturité inhabituelle que son égo en avait déjà suffisamment souffert. A vrai dire, il arrivait même à se projeter en elle, et cette empathie presque insolite qu'il éprouvait à son égard commençait carrément à lui faire peur. Il savait qu'à sa place il n'aurait pas apprécié être encore davantage humilié mais il savait également que réfléchir avant d'agir n'était pas une qualité dont il pouvait d'ordinaire se vanter. Alors il se contentait de la regarder, sans aucune marque de mépris, simplement amusé par cette dignité écorchée à laquelle elle tentait vainement de s'accrocher. C'était étrange mais après réflexion, il préférait la voir rester plutôt que fuir, et quelque chose lui disait que c'était ce qu'elle comptait faire. Il ne la connaissait pas véritablement, mais il lui avait déjà suffisamment parlé pour deviner qu'elle était plutôt bornée et tenace. A sa place, il aurait fait la même chose. Il aurait même essayé de tourner la situation à son avantage, luttant avec hargne pour s'élever au dessus d'elle, là où il se sentirait en sécurité. Sûrement était-ce la raison pour laquelle il ne voulait pas la voir partir. Parce que, étonnamment, il se sentait supérieur à elle sans même avoir à user de faux prétextes. Et ce sentiment qu'il n'éprouvait que rarement lui procurait un bien presque miraculeux.

Il l'observait, un sourire en coin, ravi de la voir se tordre nerveusement, s'époussetant plus pour le distraire que pour autre chose. Il sourit encore davantage lorsqu'elle se moqua des coutumes presque paysannes des habitants de Lima et de leur soit-disant complaisance dans ce qui était archaïque. Il se souviendrait de cette phrase, le jour où elle se défendrait de ne pas être arrogante. Parce que c'était exactement ce qu'elle était. Arrogante et présomptueuse. Ou n'était-ce qu'une tentative totalement foireuse pour se hisser au dessus de lui ? Tim avait des doutes, même s'il préférait de loin la solution numéro un. Oui c'était donc ça, elle était britannique. Lui qui croyait qu'elle feignait un accent snob simplement pour coller avec son personnage. "Comment tu sais ça ?" demanda-t-il lorsqu'elle avoua ne pas douter de ses manières de gentleman britannique. "En huit ans je croyais avoir perdu cet accent vaniteux qui me va si mal." ironisa-t-il. Il savait bien qu'Anna le considérait certainement comme un garçon prétentieux, parce qu'après tout c'était le rôle qu'il jouait. Mais au fond lui seul savait que cette phrase qu'il venait de prononcer n'avait absolument rien d'ironique. Il roula des yeux, presque par automatisme, ce qui avait le don d'accentuer encore davantage un mépris qu'il n'éprouvait foncièrement pas.

Opinant inlassablement du chef, il prétendait approuver des paroles dont il ne croyait pas un mot. Comme si tout ceci n'était que le hasardeux fruit du destin. Tout ceci ressemblait vaguement à ces excuses totalement dénuées de sens auxquelles il avait recours devant le principal Figgins. Bien évidemment ce dernier aurait cru au prétexte des chiens de garde, mais Tim, lui, n'était pas si candide. Il aurait seulement imaginé Anna plus créative et, surtout, plus crédible. Il la laissa cependant se féliciter de son explication tout à fait incohérente. Elle avait l'air d'avoir tellement réfléchi pour inventer un truc pareil qu'il ne voulait pas la heurter de son pragmatisme. "Ouais c'est ça, une bonne raison." renchérit-il.

"Bien-sûr." dit-il. "Qu'est-ce que tu dirais de... "Domptez la Beiste"... c'est très spirituel ça ?" ajouta-t-il en accompagnant ses paroles d'un geste des bras. Sans attendre sa confirmation il s'empara de la bombe puis se dirigea vers le mur qu'elle avait précédemment désigné.
Avec une concentration et un enthousiasme déconcertants, il peignait le mur de ces insanités, jetant de temps à autre un coup d'œil à sa camarade. "On devrait coller tes photomontages on peu partout et laisser le reste trainer par terre. Connaissant les gens, la nouvelle ne mettra pas plus de deux minutes pour faire le tour du lycée."

La main toujours tendue pour lui faire passer la bombe de peinture, et se raccrochant au mur de l'autre pour ne pas (re)tomber, Anna regardait Tim. Ou plutôt elle regardait le reflet d'elle-même qu'il lui renvoyait. Il avait l'air de la trouver un peu moins insupportable que quelques minutes auparavant, mais elle sentait toujours qu'il faisait des efforts incroyables pour ne pas éclater de rire chaque fois qu'il repensait à l'épisode des chiens de patrouille.
Elle tressaillit un peu quand leurs mains se frôlèrent pour qu'il attrape la canette métallique et elle prit du recul en descendant de sa chaise pour le regarder se mettre à l'oeuvre. Il n'avait pas attendu son approbation au sujet du slogan pour commencer étaler sa prose et la jeune fille avait jugé plus approprié de ne pas commenter. Elle eut même un petit sourire d'appréciation quand il se retourna vers le mur qu'elle lui avait désigné.

Elle n'avait pas non plus relevé sa remarque sur son accent "vaniteux" qui lui allait "si mal" selon lui. A vrai dire, elle n'avait même pas pensé qu'elle pouvait tomber juste en le qualifiant de gentleman britannique, c'était pour une fois de la pure auto-dérision puisque la jeune fille connaissait bien la réputation que ses compatriotes avaient de ce côté-ci de l'Atlantique.
Mais une fois de plus justement, elle était apparemment tombée à côté de la plaque sans le savoir, ou plus précisément pile dessus dans ce cas précis.
Ainsi Timothy était d'origine anglaise... Cela expliquait en effet cette légère intonation familière qu'elle retrouvait sur certains mots.
Malgré elle, elle sentit sa curiosité être piquée au vif. Elle aurait aimé être de ces filles capable de faire table rase des 30 premières minutes de leur expédition nocturne, celles du genre à vous faire des sourires adorables qui effaçaient toute amertume et toute trace de conflit. Le genre de filles qui vous poussent à leur révéler vos secrets les plus intimes et, pire que ça, à les apprécier bien malgré vous...
Si Anna avait été ce genre de fille donc, elle aurait su rebondir sur ce bout de confidence, la relever, l'enrober et en faire un sujet de conversation, voire même un début de relation amicale.
Mais elle restait là, incapable de faire autre chose que de regarder les mains de Tim tracer en lettres noires leur slogan sur le pan de mur.

"Domptez la Beiste"... C'était ce qu'elle s'était promis de faire en arrivant à Lima, juste après le nouvel an. Elle se l'était à nouveau enjoint après avoir gâché la soirée de sa soeur au bal de la St-Valentin. Mais on ne se débarrassait pas aussi facilement de ses vieux démons. Pour dompter la bête qui habitait l'aînée des Preston, il aurait fallu revenir au tout début de ces années de scolarité, où l'on apprend que l'autre n'est pas juste bon à vous faire sentir à quel point vous êtes différent, et donc inférieur, mais que les liens que vous pouvez développer avec lui peuvent valoir mille humiliations. Il aurait sans doute aussi fallu expliquer à ses parents qu'à élever deux enfants dans la rivalité permanente, ils risquaient d'en perdre une, voire les deux au passage. Il aurait également fallu lui dire que la meilleure façon de se faire apprécier de ses camarades n'était certainement pas de leur rappeler leurs erreurs à chaque fois qu'elles se produisaient...
Tout ça, Anna le savait. Cependant, elle vivait en autarcie avec elle-même depuis maintenant trop longtemps pour juger la tâche facile. Elle s'y attaquerait, certainement à la fin de cette année, lorsqu'elle aurait enfin quitté le monde cruel et superficiel du lycée.

Alors que Timothy lui jetait un coup d'oeil, sans doute pour vérifier qu'elle n'avait pas pris ses jambes à son cou, ou même carrément la décision d'alerter Figgins, Anna ne put s'empêcher de se dire qu'ils n'étaient peut-être pas si différents après tout. Lui aussi semblait se raccrocher au personnage qu'il jouait en permanence, et la petite rousse savait combien c'était épuisant.
Elle n'aurait pas su dire quel rôle il avait choisi exactement, ni pour quelles raisons, mais il semblait, tout comme elle, se complaire à faire croire aux autres qu'il était beaucoup plus sûr de lui et inatteignable qu'il ne l'était en réalité.

Anna sortit de ses pensées en l'entendant lui parler des photomontages. Bien sûr qu'il fallait en faire quelque chose. Farfouillant dans sa besace à la recherche des punaises qu'elle avait pris la précaution d'emporter, elle se mit à épingler ses clichés un peu partout, suivant les circonvolutions de l'écriture de Tim.

-Il faudrait qu'on se mette d'accord sur une version... Tu sais si on nous pose des questions, lanca-t-elle en jetant un coup d'oeil vers son camarade.

Elle allait encore se faire charrier, elle le sentait. Il allait lui répliquer qu'ils n'étaient pas dans un épisode de Colombo, ou une banalité du style. Mais elle commençait sérieusement à fatiguer, et elle savait qu'ils risquaient gros s'ils venaient à être découverts comme les auteurs de cette farce peut-être pas si innocente que ça... Elle se tourna donc vers lui :

-Ainsworth... Sérieusement. Je ne plaisantais pas quand je te disais que je ne voulais pas me faire prendre tout à l'heure...

Elle s'apprêtait à ajouter une vacherie quelconque à propos de la cool attitude de Tim qui serait sans doute considérablement améliorée si l'on avait vent de cette histoire, quand à nouveau, le même cliquètement que précédemment la fit frémir. Elle ne l'avait pas rêvé, elle en était certaine, et Timothy avait du l'entendre lui aussi.

-Chhhhhhhhhhhh.... Tu vois, murmura-t-elle, prête à faire un sprint jusqu'à la sortie de secours. Dis moi que ça, ce n'est pas un chien qui rapplique par ici peut-être ?
De nouveau sur le point de céder à la panique, elle espérait simplement qu'ils auraient le temps de se ruer à l'extérieur, avant que la chose, quelle qu'elle soit, n'arrive jusqu'à eux.

Alors que son bras s'agitait au gré des lettres, dans un rythme parfaitement constant digne des plus grands orchestres, Timothy avait cette curieuse impression d'être à sa place. Ce qui était d'autant plus curieux, c'était que quelques instants auparavant, tout ceci lui paraissait davantage être une contrainte qu'un choix totalement délibéré de sa part. Auprès d'Anna, il lui semblait devoir être le pantin accompli des professeurs, chose qu'il détestait par dessus tout. C'était comme si elle transformait ce qui était amusant en chose extrêmement sérieuse dont il se serait passé avec un plaisir non dissimulé. Mais désormais, cette bombe de peinture à la main lui rappelait que, malgré tout, il avait choisi d'être ici ce soir, et qu'il remplissait une mission qu'il s'était donné lui-même, et non celle que Sue Sylvester ou n'importe qui d'autre s'attendait à ce qu'il accomplisse. Il avait fallu si peu pour faire basculer sa mauvaise volonté et enthousiasme, seulement un choc auquel il ne s'attendait pas. Parfois Tim se maudissait d'être si lunatique, parce que les gens, aussi proches soient-ils de lui, ne luttaient que davantage pour le cerner. Il ne comprenait pas pourquoi ses amis, sa mère, les professeurs, s'attardaient sur lui alors qu'en un rien de temps il parvenait à tout gâcher. Il détestait sourire un instant et devoir se crisper en une fraction de seconde, tout ça parce que quelque chose lui avait déplu. Et lui, savait qu'à la place d'un autre, il s'abandonnerait à sa triste mélancolie, au lieu d'essayer en vain de recoller les morceaux, sans arrêt.

Le bruit, si peu dérisoire à cette heure de la nuit, que provoquait la pulvérisation de peinture s'évanouit soudain. Machinalement, Tim recula de quelques pas pour contempler son chef d'œuvre. Définitivement il n'était pas fait pour l'art de ce genre, qu'il soit de rue ou que ce soit celui que l'on pouvait voir au musée de la ville. Une moue dubitative sur le visage, il semblait néanmoins satisfait. Il inspira fortement, s'enivrant de cette odeur si particulière de peinture à laquelle il était que si peu habitué. Cela lui rappelait vaguement les beaux jours d'été à Chichester où ils peignaient les volets de sa maison, lui et son père. Le regard évasif, il se demandait curieusement d'où lui provenait ce souvenir, si lointain, autant dans le temps que dans son esprit. Anna, quant à elle, s'occupait de fixer les photomontages comme il le lui avait conseillé.

Bien évidemment, il avait fallu qu'elle le brusque délicatement, brisant ce silence dans lequel il aimait se complaire quelques instants. Il soupira, pourtant bien conscient qu'elle avait raison. Seulement, contrairement à elle, il n'était pas paranoïaque. Pire, il se sentait presque optimiste lorsqu'il l'écoutait. "Une version de quoi ?" demanda-t-il. Il ne put cependant s'empêcher d'ajouter quelque chose en apercevant la mine légèrement consternée de son interlocutrice. "Mieux que le déni, l'ignorance. Fais comme si de rien n'était. Je suis sûr que tu n'auras pas beaucoup d'efforts à fournir pour oublier cette soirée. N'est-ce pas ?"

Apparemment Anna ne plaisantait pas. Tim étouffa un rire. Il ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Pour une fois, il s'était dit que c'était probablement mieux de garder pour lui ses ressentis. Car si ça n'en tenait qu'à lui, il lui aurait plutôt conseillé de lui indiquer quand elle plaisantait, et non quand elle ne plaisantait pas. Son sérieux était bien trop prononcé à son goût, lui qui aimait tout prendre à la légère. Et cette manie qu'elle avait de l'appeler Ainsworth, comme le faisaient les professeurs pour marquer un respect qu'au fond ils n'éprouvaient absolument pas à son égard, avait le don de l'agacer. "Crois-le ou non, moi non plus je n'ai pas envie de me faire prendre. Mais si c'est tellement important pour toi, tu n'auras qu'à tout me mettre sur le dos." avoua-t-il. Et il le pensait véritablement. Entre eux, si quelqu'un méritait une chance, ce n'était certainement pas lui. "Et tu peux m'appeler Tim, Anna. J'ai l'impression d'entendre Figgins à chaque fois que tu me parles, même si tu prononces mon nom avec un peu plus de classe que lui. Et sans rouler..."

Timothy l'avait entendu, avant qu'Anna lui ordonne de se taire. Un bruit sec et régulier, comme des pas. "Si c'est un chien, il traine drôlement les pattes." dit-il. Immobile et attentif, Tim fixait l'horizon du couloir, prêt à détaler s'il le fallait. Son premier réflexe lorsqu'il aperçut un halo de lumière peu rassurant avait été d'embarquer Anna avec lui, à l'abri des yeux indiscrets qui pourraient se promener dans le couloir. Le claquement d'une porte venait définitivement de trahir une présence étrangère. La mission venait de prendre fin.

C'était bien évidemment sans demander son reste qu'Anna s'était laissée entraîner vers l'extérieur.
Finalement, son camarade avait du penser qu'elle n'était pas si folle que ça, puisque dès le premier signe de mouvement parasite, il s'était hâté de les guider vers un endroit plus sûr, c'est à dire hors de McKinley en les faisant passer par la fameuse sortie de secours.

Une fois sur le parking, hors d'haleine, Anna, les mains en appui sur ses genoux pour reprendre son souffle, interpella une dernière fois Tim. Il devait manifestement juger qu'il avait déjà été assez magnanime de la tirer d'affaire et s’apprêtait donc à la planter là puisque leur mission était maintenant terminée.
Cependant, la jeune fille ne pouvait pas le laisser partir sans clarifier une dernière fois les choses.

Elle avait été surprise par sa réponse dans le couloir, juste avant que sauver leur peau ne devienne leur principal souci.
Il pensait ainsi qu'elle n'aurait aucun mal à effacer cette expédition de sa mémoire, qu'elle serait ravie de refaire à nouveau comme si de rien n'était en le croisant au lycée et qu'elle l'ignorerait avec plaisir. Il ne pouvait plus être dans le faux.
D'abord, et même si cela lui écorcherait sans doute la bouche de le reconnaître, elle s'était amusée en mettant au point leur stratagème et en traficotant les photos de leurs petits camarades de l'équipe adverse.
Ensuite, elle s'était donc rarement (et à plusieurs reprises) sentie autant humiliée en une seule soirée. Impossible pour l'ego de Mlle Preston de passer outre ce sentiment et le doux nom de Ainsworth risquait d'être longtemps associé à cette course poursuite (réelle, elle insistait) entre elle et un labrador dans les couloirs du lycée.
Enfin... Enfin rien du tout, elle ne pouvait pas décemment lui dire tout ça, ou Anna Preston elle n'était plus.

-Je ne suis aussi lâche que tu le penses Ainsworth... Si on doit tomber, on tombera tous les deux, dit-elle simplement.

Elle se redressa enfin, définitivement remise, et le fixa avec ce mélange d'arrogance qui avait l'air de l'agacer et quelque chose qui ressemblait à de la déception.
Elle haussa finalement les épaules, pas plus surprise que ça après tout qu'il doute de sa loyauté.

-Et je te remercie de m'autoriser à utiliser ton prénom... Mais je crois que toi et moi, ce n'est pas vraiment notre truc la franche camaraderie, alors je vais me contenter de Ainsworth... Ainsworth.

C'était peut-être son côté British ou bien son côté son côté snob qui ressortait et l'empêchait de se montrer moins froide... Peu importait au fond, c'était qui elle était en tout cas. Elle jeta un dernier regard à son camarade, avant de se retourner pour se diriger vers sa voiture. Elle se serait crucifiée plutôt que de le remercier de l'avoir aidée à sortir de là... Il y avait des limites à sa dignité tout de même. En un tour de main elle fit démarrer le pick-up et enclencha l'autoradio. Demain serait un autre jour à McKinley.