"Absolument hors de question !" Le ton de Cassandra s'était voulu sec et catégorique, mais elle avait beaucoup de mal à dissimuler cette pointe d'appréhension qui l'animait sans arrêt en ce moment. D'un geste aussi sec, elle claqua la porte de son casier, non sans une certaine retenue. Grace, une moue de déception au visage, la suppliait d'un simple regard. Bien qu'elle savait que sa sœur ne reviendrait jamais sur sa décision, elle s'obstinait malgré tout à lui faire comprendre que son rôle n'était pas celui de parent et que parfois elle apprécierait sa sollicitude. Cassandra ne pouvait s'y résoudre. "Je ne comprends pas." dit-elle en plissant les yeux. "Toi qui rases les murs des couloirs par peur de te faire harceler tu veux participer à ce tournoi primitif ? Tu as déjà regardé un match de football Grace ? Les joueurs se rentrent dedans et grognent comme des animaux. Quitte à choisir, je préférerais encore te voir en micro jupe." La réaction de Grace ne s'était pas faite attendre : des étoiles dans les yeux. Oui, selon elle, c'était complètement une invitation à rejoindre l'an prochain le cercle très convoité des Cheerleaders. Cassandra fit immédiatement non de la tête. Tant qu'elle serait dans ce lycée, sa sœur serait son parfait petit miroir. "Tu sais, bientôt le club de chasteté sera encore plus populaire que tous ces artifices inutiles. Miss Pillsbury m'a soufflée une idée. Il faut que je trouve un leader. Autre que moi j'entends, quelqu'un de populaire qui serait susceptible de lancer un effet de mode. Et j'ai ma petite idée." dit-elle en abandonnant sa sœur au détour d'un couloir. Les yeux rivés sur l'horizon, un sourire aux lèvres, Cassie paraissait rayonnante. Elle détestait jouer les conspiratrices, et ce besoin impérieux de reconnaissance devenait véritablement un vice, mais elle se devait d'essayer.

Sa cible : Brittany Pierce. Certains - pour ne pas dire tout le monde - la surnommait l'idiote ou n'importe lequel de ses dérivés, mais Cassandra savait bien qu'elle était plus que ça. Certes, elle profiterait de sa naïveté, et c'était extrêmement mal, mais elle se rassurait en se disant que c'était ainsi que devaient procéder les missionnaires. Et même, elle voulait presque se féliciter de lui offrir un but dans la vie. Car c'était ça après tout qu'elle lui proposerait : une mission. Dieu ne l'avait pas dépourvue d'intelligence sans raison, et Cassie avait beau tourner ça dans tous les sens, elle n'en voyait pas d'autre.

Avec une démarche quelque peu incertaine, Cassandra se dirigeait vers la cafétéria. Il était bientôt midi, et à cette heure, aussi précise soit-elle, tous les élèves se ruaient vers ce même lieu comme le ferait un troupeau de gnous vers un point d'eau. Elle manqua à plusieurs reprises de se faire bousculer, mais son expression demeurait stoïque. Encore une fois le principal Figgins faisait n'importe quoi. Elle le respectait, mais il avait de ces idées parfois. Ne se rendait-il pas compte que l'animosité et la compétition étaient constantes dans ce lycée ? Pourquoi les rendre légitimes ?
"Team Will, soutenez la Team Will !" criait-on. "La Team Bryan c'est la meilleure." contesta un élève à côté d'elle en l'invitant avec un regard assez particulier à accepter les flyers qu'il distribuait. Machinalement elle l'empoigna, profondément dégoûtée. C'était dans ces moments qu'elle se remettait en question. Était-elle vraiment différente lorsqu'elle tentait de vendre ses idéaux au moyen de bagues et de fleurs ? Même si elle se persuadait que oui, elle en doutait très fortement.

Un vent de liberté sembla souffler sur sa peau lorsque les battants de la porte de la cafétéria se refermèrent derrière elle. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment où trouver Brittany à cet instant. Les Cheerios mangeaient-elle ? Il lui semblait bien que non, du moins, pas en public. Et puis elle la vit, hésitante, devant le self service. Ses amies étaient certainement un peu plus loin, déjà repues, mais elle, elle était là, perdue comme une enfant dans la foule. Cassandra s'empara d'un plateau, même si foncièrement elle n'avait aucune envie de manger, et feignit s'intéresser à la nourriture, choisissant un article par ci, un autre par là, pour finalement atterrir à côté de la blonde. "Choix difficile hein ?" dit-elle pour briser la glace. "A mon avis, les fruits sont moins caloriques que cette espèce de mixture gélatineuse." ajouta-t-elle en pointant du doigt l'objet en question. Il n'y avait plus qu'à prier que Brittany serait réceptive à ses conseils.

Depuis sa place en cours de sciences, Brittany fixait le ciel nuageux par-delà les vitres. Le menton au creux de la main, totalement déconnectée des soucis électriques de son professeur, elle était indéniablement distraite. Le sourire étirant ses lèvres renseignait ses proches sur la nature de ses pensées. Depuis quelque temps, depuis le bal de la St Valentin et les jours précédents pour être exact, la blondinette semblait vivre sur son petit nuage. Elle semblait voler durant les entrainements des cheerios, et même les remontrances de la coach, aussi injustes puissent-elles être, ne pouvaient pas entamer sa bonne humeur. D’ailleurs, puisqu’elle pensait aux cheerios, elle n’avait pas une réunion au self aujourd’hui pour discuter des Nationals ? ou c’était demain ? Elle aurait dû le noter ! Si elle se trompait, elle allait se faire taper sur les doigts… enfin, dans le doute, elle ferait mieux d’y aller ce midi.

La sonnerie annonçant la fin des cours de la matinée l’arracha de ses pensées. Elle retint un sursaut et posa un regard vague sur le tableau. Le professeur y avait indiqué des devoirs qu’elle se hâta de prendre en notes. La classe était déjà vide lorsqu’elle attrapa son sac et prit la fuite à son tour. Elle s’abstint de passer par les casiers, de peur d’être éventuellement en retard à une hypothétique réunion. Dieu la protège d’une telle possibilité ! Portant son sac à bout de bras au-dessus de sa tête pour traverser la foule d’élèves affamés, elle se fraya un chemin à coup de sourires éclatants, de joyeuses excuses et d’utilisation bien placée de son corps avantageux. La réaction des hommes lorsqu’elle se collait un peu trop à eux était toujours aussi amusante, ce saut de puce avec de grands yeux écarquillés… excellent !

C’est ainsi que la jeune femme arriva en première ligne au self, un sourire victorieux aux lèvres. Elle balaya la salle du regard afin de savoir enfin si la réunion était aujourd’hui ou pas. Lorsque c’était le cas, les cheerios réquisitionnaient une demi-douzaine de tables, s’installaient toutes ensemble, et écartaient le reste de la population lycéenne avec des regards noirs de tigresses. Tout le monde savait bien entendu, depuis le temps, qu’on ne dérangeait pas les cheerios lorsqu’elles discutaient Nationals. C’était sacré.
Mais, en l’occurrence, les uniformes rouges étaient dispersés à plusieurs tables par affinités. Ce n’était donc pas le jour J. Il fallait vraiment qu’elle demande à Santana la date, histoire de le noter et de ne pas l’oublier. Ceci dit, cela signifiait qu’elle pouvait se détendre ce midi, ce n’était pas de refus.

Elle attrapa un plateau, et commença le dur rituel du choix culinaire. Si Santana avait été là, elle se serait contentée de copier sur son amie, mais en l’occurrence, elle devrait faire sans et mettrait donc deux fois plus de temps, au plus grand damne de ceux qui la suivaient. L’entrée fut relativement facile : crudités contre friand, ça revenait à mettre en duel ange et démon ! Les carottes râpées et leurs tranches de tomates se firent leur place sur son plateau, rapidement suivi d’un yaourt nature sans sucre à la place du fromage. En arrivant devant les desserts, elle eut un blanc. Il y avait une chose qui la fixait là ! Une chose non identifiée à l’apparence peu engageante… mais la couleur ne fait pas le caméléon, c’est bien connu !

Elle retint un sursaut lorsqu’une voix la tira de son dilemme. Elle cligna bêtement les yeux en fixant la jeune femme à ses côtés. Elle hocha finalement la tête, un sourire convaincu aux lèvres. « Tu as raison, ça ressemble trop à ces bestioles échouées sur la plage que j’ai vu pendant mes vacances pour être bon… comment ça s’appelait déjà ? » murmura-t-elle en attrapant une coupe de fruits. « Une méluve ? maldive ? nodule ? néduse ? »

Elle fit avancer son plateau vers la section des plats principaux, tout en recherchant le mot en question. Elle finit par hausser les épaules et attrapa l’assiette de poisson aux légumes sans sauce qui lui était tendue. C’était plus facile pour le plat principal : en voyant arriver un uniforme rouge un peu court, les employés du self étaient toujours sur le qui-vive. Ils se devaient de connaitre les habitudes alimentaires des demoiselles les plus exigeantes du lycée, de peur de se faire incendier par les adolescentes comme par leur coach si celles-ci prenaient cent grammes.

Brittany attrapa son plateau et s’apprêta à aller s’installer, lorsqu’elle se retourna vers la jeune femme qui venait de lui parler. « Dis-moi… on se connait ? » demanda-t-elle soudainement, prise d’un doute. Elle perdait un peu la tête ces derniers temps alors pour être sûre…

Cassandra, avec politesse, dévisageait celle dont elle avait si honte de profiter. Et elle ne pouvait ignorer cette ressemblance flagrante entre elles deux. Cela allait bien au delà de leur chevelure dorée, elle pouvait le lire dans ses yeux. Elle pouvait, sans difficulté, discerner cette vulnérabilité dont elle allait se saisir, sans gêne, mais non sans scrupules. Le visage de Cassie, encore rayonnant quelques secondes auparavant, perdait de cet enthousiasme constant qui faisait son unicité. Elle avait l'impression d'avoir au dessus de sa tête un voile épais qui finirait, tôt ou tard, par l'envelopper toute entière, faisant d'elle une jeune femme pervertie par le vice et le péché. Brittany était si pure, si innocente, à son image. Et dans un sens, c'était une des raisons pour lesquelles elle l'avait choisie, elle, et non une autre fille populaire. Sa naïveté était touchante, et Cassandra, qui ne se vantait jamais de ce don si merveilleux qu'était l'empathie, l'avait ressentie au plus profond de son âme. Selon elle, c'était un signe. Un signe lui indiquant qu'elle avait un rôle à jouer dans la vie de Brittany.
Elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant, symbole de son pacifisme total. Car oui, elle venait en paix. Mais elle souriait également d'amusement. Évidemment qu'elles se ressemblaient. Il n'y avait qu'à noter cet air constamment évasif dont chacune faisait preuve, cette caractéristique si singulière à toujours paraitre songeuse, comme si la vie n'était qu'un rêve éveillé dont elles se délectaient à chaque instant. Cassandra en était dorénavant certaine : Brittany était l'élue, son élue.

Personne ne comprenait, foncièrement, pourquoi Cassandra mettait un point d'honneur à la religion et à ce projet saugrenu d'évangéliser tout le lycée. Elle respectait les idéaux de chacun. Lorsque qu'elle jugeait dépasser certaines limites, elle n'hésitait jamais à reculer de quelques pas, car c'était le prix à payer pour demeurer décente. Mais ce que les gens ignoraient, c'était que Cassandra se complaisait dans la religion parce que c'était un moyen sûr de donner un sens à son existence. Pourquoi vivait-on, à qui le devait-on ? A ces questions, elle répondait Dieu, tout naturellement. La science, la recherche, cela ne faisait pas tout. Il fallait garder une part de mystère, quelque chose qui parvenait à tenir en haleine toute une vie. C'était fou, mais les pauvres âmes égarées qu'elle croisait au lycée, elle leur montrait le chemin. Qui pouvait donc la blâmer d'être généreuse ?
Et ce Club. Ce Club qu'elle chérissait tant. Pourquoi ? Bien au delà du concept moral, c'était pour elle sa chance d'avoir des véritables responsabilités. Des responsabilités qu'elle ne partageait avec personne. Et dans un sens, personne dans ce lycée n'était assez mature pour occuper de telles fonctions. Pas même certains professeurs qui faisaient l'apologie du libertinage ou qui, à l'image des élèves, colportaient des rumeurs toutes aussi stupéfiantes les unes que les autres. Cassandra en devenait folle, parfois. Quelqu'un était-il véritablement adulte, ici, hormis Emma Pillsbury ? Quelqu'un pouvait-il lui transmettre sa sagesse et son vécu ? Apparemment, c'était une peine perdue.

Et lorsque Brittany ouvrit la bouche, Cassandra se surprit à émettre quelques doutes. Décidément, elle le faisait exprès. Elle ne lui en voulait pas, absolument pas, mais qui pouvait avoir une apparence si mûre et une intelligence si primaire ? Encore une fois, elle méprisait sans même s'en rendre compte. "Une méduse. Je crois que c'est le mot que tu cherches." dit-elle pour éviter à cette pauvre Brittany de trop lutter avec ses neurones. Peut-être avait-elle une maladie ? Peut-être que personne ne s'en souciait, parce que c'était normal dans ce lycée, dans cette ville, d'être totalement ignare, mais peut-être y avait-il une raison à ce manque de culture impressionnant ? Tandis que Cassandra continuait d'aventurer son plateau sur le self, elle ne quittait pas la Cheerio des yeux. Elle exprima un non merci silencieux lorsqu'on lui proposa une bouillie infâme noyée dans des litres de sauce, et manqua presque de renverser son plateau lorsque Brittany se retourna brusquement. Apparemment, le chemin était encombré entre les différentes parties de son cerveau. C'était ainsi que Cassie expliquait son temps de réaction plutôt élevé par rapport à la moyenne. "Euh... il me semble que oui." répondit Cassandra à l'interrogation de son interlocutrice. "Je suis Cassandra Hamilton, présidente du Club de chasteté du lycée. Il me semble que tu en faisais partie, à une certaine époque. Nous nous sommes croisées là bas... je crois." dit-elle en constatant l'état flagrant de scepticisme dont était victime Brittany. "Je sais que tu n'y es plus, mais je crois que tu as tort." renchérit-elle. A vrai dire, Cassie ne savait pas vraiment quoi lui dire - pour une fois - pour la persuader de réintégrer le Club. D'ordinaire, elle planifiait la majeure partie de ses propos, mais cette fois-ci, elle s'était dit que son enthousiasme et son optimisme porteraient vers le haut son improvisation. "Crois-tu en Dieu ?" demanda-t-elle subitement.

Le cerveau humain est limité. Le cerveau Brittanien l’était d’autant plus.
Le cerveau humain était sélectif. Le cerveau Brittanien l’était sans nul autre pareil. Encyclopédie des maladies félines, Brittany pouvait retenir les termes les plus complexes tant qu’ils avaient une quelconque utilité à son chat. Mais pour le reste, et en particulier pour la faune marine (quel intérêt au beau milieu de l’Ohio ?)… eh bien il n’y avait tout simplement pas de place !
Elle hocha donc la tête lorsque Cassandra retrouva pour elle le mot qu’elle cherchait, mais celui-ci rentra par une oreille et ressortit par l’autre à la vitesse du son. C’était tout simplement peine perdue. Ses professeurs l’avaient bien compris et ne se donnaient plus beaucoup de peine pour lui enseigner quoi que ce soit. Seule Melinda Vance qui lui donnait des cours de soutien, avait fini par comprendre comment procéder. Les exercices de mathématiques qu’elle lui donnait abordaient quasiment tous le thème des chats, de près ou de loin. Le problème, c’est que lorsqu’elle se retrouvait face à ses contrôles, elle avait bien du mal à réutiliser ses connaissances pour des exercices dont l’intitulé en lui-même l’endormait. Il y avait néanmoins eu du progrès sur ses notes, ce qui avait amélioré l’humeur de ses parents et donc la sienne par extension.

C’est pourquoi, désormais moins stressée, elle avait plus de temps à consacrer aux inconnues… ou quasi-inconnues. Le Club de Chasteté ? Elle plissa les yeux, fournissant un effort notable pour se souvenir… sans grand succès. Ce n’était pas du mépris, mais elle n’avait participé à ce club que pour suivre ses meilleures amies et s’amuser lors des animations organisées alors le reste... elle n’y avait pas prêté grande attention. De plus, cette Cassandra ne semblait pas du genre à se faire remarquer alors si en plus elles n’avaient fait que se croiser…
« Je suis désolée, je ne me souviens pas. » avoua-t-elle très honnêtement avec un air sincèrement contrit.

Elle pensait la conversation close et s’apprêtait à se détourner, lorsque Cassandra affirma soudainement qu’elle avait tort d’avoir quitté le Club. Sachant qu’elle avait cru celui-ci tout simplement clos lorsque Quinn s’était retirée de la présidence, le vidant de toutes ses amies cheerios et donc des sportifs, cela lui avait paru, à elle, tout à fait naturel de suivre le mouvement. Apparemment, le club avait néanmoins survécu et c’était désormais cette jeune femme qui présidait le club. Mh, soit… mais elle ne voyait vraiment pas l’intérêt d’y retourner. Ça ne serait certainement pas aussi drôle sans ses amies.

Néanmoins, avant qu’elle ne puisse balayer le sujet, Cassandra lui posa une question inattendue. Brittany cligna bêtement des yeux quelques secondes. Elle ne s’attendait pas vraiment à ce qu’on lui parle religion, encore moins au milieu du self. Ce genre de sujets n’étaient-ils pas réservés pour l’église ?
« Euh... Je suppose ? » répondit-elle maladroitement. « Enfin, je crois en… quelque chose… plein de choses même, comme… le Père Noël, les Anges et les Démons, la Petite Souris, le Paradis et l’Enfer, tout ça… Tiens, d’ailleurs, j’en ai croisé l’autre jour… des démons… au centre équestre... mais le mien était un ange, mon ange-gardien, je suis sûre ! » déclara-t-elle soudainement avec beaucoup de sérieux.

Un sportif sortit de la queue et bouscula soudainement Cassandra. Il grogna et accusa la jeune fille de se trouver au milieu du chemin. Brittany secoua sa chevelure blonde et répliqua calmement au mastodonte que s’il ne se goinfrait pas de hamburgers, comme celui qui trônait sur son plateau, entouré de ses sujets les pommes de terres frites, il ne serait pas aussi gros et éviterait de bousculer les jeunes femmes, le tout sur un ton parfaitement dédaigneux. Le garçon la fixa comme s’il lui avait poussé une seconde tête. Elle se contenta d’hausser un sourcil impérieux. Elle le détestait. A la St Valentin, il avait tâché sa robe de bal en renversant son verre de cocktail sur elle dès le début de la soirée. Sa belle robe vert anis… et après il avait insulté Sevan ! Il allait le payer.
« Allons-nous assoir loin de ce lourdaud Camellia. » lança-t-elle à Cassandra en l’invitant sur un coup de tête à déjeuner ensemble.

Cassandra aurait dû se douter que Brittany n'aurait aucun souvenir d'elle. Et dans un sens, cela l'arrangeait beaucoup. Cela la soulageait même, de savoir qu'au moins une personne dans ce lycée ne la voyait pas comme une vierge effarouchée mais simplement comme une fille ordinaire et tout à fait banale dans sa banalité. Elle lui rendit son sourire, hochant les épaules comme pour lui accorder un pardon qu'elle n'avait jamais réclamé. Cassie était ainsi, elle pardonnait toujours, même les pestes les plus nocives dans le genre de cette blonde qu'elle avait rencontrée quelques semaines auparavant. Après tout, ce n'était pas son rôle de juger les gens sur leurs péchés, c'était un des innombrables pouvoirs qu'Il avait. Un des versets de la Bible disait même Ne jugez point, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés; absolvez, et vous serez absous. C'était tout, c'était la vie, son moyen à elle, égoïste et altruiste à la fois, de s'accorder une vie saine et une place au Paradis. Brittany semblait y croire d'ailleurs, au Paradis. Mais ses propos étaient totalement décousus, comme si son cerveau trouvait une donnée à exploiter et s'en emparait sans ordre précis ni logique. Et cette maladresse pourtant si innocente qu'elle avait de mettre les Anges et la Petite Souris au même niveau indigna quelque peu Cassandra, même si son expression demeurait toujours aussi coopérative. Néanmoins, dans un sens, elle la comprenait. Tout esprit cartésien ferait du Paradis, à l'image du repère du Père Noël, une éternelle légende.

"Tu as croisé des Démons ?" demanda Cassandra interloquée. Si cette dernière n'avait pas été si naïve, elle aurait certainement usé de sarcasmes, mais ce n'était pourtant pas le cas. Sincèrement, cette histoire de Démons l'intriguait. "Tu sais que c'est très mauvais signe ? Les Démons de Satan essayent de t'attirer vers le vice. Bien évidemment, Satan te donnera satisfaction, mais cela ne dure que le temps d'une vie. Si tu suis le chemin de Dieu il te récompensera d'une vie éternelle au Paradis. Crois-moi, tu ferais mieux de te détourner du Mal et faire l'éloge de Dieu si tu veux qu'il..." Un idiot de footballer, prétextant qu'on se dressait sur son passage, bouscula Cassandra qui, par miracle, n'étala pas son plateau sur le sol devant des centaines d'yeux tous aussi moqueurs les uns que les autres. Brittany, en bonne camarade, le renvoya d'où il venait, autrement dit six pieds sous terre. Cassie lui montra sa reconnaissance d'un signe de tête qui se voulait assez pudique. La blonde avait bien fait, même si Cassandra savait dorénavant se défendre toute seule. Ce qui l'interpella, c'était que les gens n'avaient pas l'habitude de se mettre en avant pour elle.
D'ordinaire, Cassie était la bienfaitrice, et sa répartie ne lui avait jamais fait défaut. Elle trouvait cela presque émouvant que quelqu'un d'autre qu'elle fasse un acte de bonté avec spontanéité. C'était certain, Brittany convenait parfaitement !

Curieusement, cette dernière l'invita à se joindre à sa table. Ce fut tellement incroyable que Cassie ne nota même pas qu'elle venait de l'appeler Camellia. Les deux blondes prirent place un peu plus loin, tandis qu'on les gratifiait sur leur chemin de regards interrogateurs. Cassandra ne doutait pas que dans les heures à venir une rumeur folle courerait à propos d'elle et de Brittany, et tout finirait bien vite par lui retomber sur la figure. Mais c'était le prix à payer, après tout.
Mal à l'aise, Cassandra observait Brittany, sachant très bien que cette dernière ne comprenait pas qu'elle venait de bafouer au moins 3 règles fondamentales de McKinley. "Je disais donc, tu ferais mieux de faire l'éloge de Dieu si tu veux qu'il t'ouvre les portes du Paradis. A ce propos, sais-tu que nous avons tous une mission sur Terre ? Certains ne parviennent jamais à découvrir la leur, mais la tienne est évidente. Dieu t'a donné un rôle très important ici, et c'est une nécessité pour toi, si tu veux qu'il t'accorde son salut, de le remplir comme il faut." Cassandra s'interrompit. Elle ne voulait pas paraître trop éloquente aux yeux de Brittany, et encore moins que celle-ci lui réponde quelque chose qui n'avait strictement rien à voir. Elle jugea donc plus judicieux d'attendre sa réaction avant de continuer son sermon.

La sortie de la file du self-service n’était peut-être pas le meilleur endroit que l’on puisse choisir pour faire la causette. Évidemment, ce détail n’avait pas effleuré Brittany quand elle s’était soudainement arrêtée pour interroger Cassandra. Il ne l’effleura pas non plus lorsque l’imbécile-en-chef vint rudement les interrompre. Si elle proposa à Cassandra d’aller s’installer à une table, ce fut uniquement pour snober l’autre idiot et s’éloigner le plus possible de son odeur fétide de transpiration. Le nez bien haut levé, elle traversa donc le réfectoire, sans prêter une once d’attention aux regards curieux qui leur étaient lancés. Une fois satisfaite d’une table, à peu près propre et bien placée, elle posa son plateau, marquant ainsi son territoire. Elle prit néanmoins soin d’épousseter la chaise avant de s’assoir : mauvaises expériences obligent. C’est ça de porter une mini-jupe vraiment mini.

Une fois installée, Brittany en aurait presque oublié leur sujet de conversation d’origine, la moitié des mots prononcés par Cassandra précédemment lui ayant été plus ou moins incompréhensibles. Elle saisit sa fourchette et procéda à la vérification réglementaire de ses crudités. Ceci dit, c’était sans compter sur Cassandra qui, elle, avait une capacité de concentration excédant celle d’un raton-laveur. Brittany leva donc les yeux de sa vinaigrette aux carottes râpées et tomates, coupée dans sa tentative de sauvetage des légumes orange. Pourquoi lui avait-elle proposé de manger ensemble au juste ? Ah oui, pour faire front devant le footballeuh. Et pourquoi la fixait-elle ainsi maintenant qu’elle s’était tue ? Elle ne pouvait pas attendre une réponse de sa part, n’est-ce pas ? C’était un concept tellement étranger, qu’on lui laissa la parole pendant le déjeuner, que Brittany eut un blanc.

Elle leva sa fourchette, cherchant dans les tiroirs de son cerveau la conduite à tenir. Après avoir trouvé ses mots, elle répondit : « Je suis d’accord. » Règle élémentaire : toujours aller dans le sens de votre interlocuteur, sans quoi vous risquez de ne pas avoir l’occasion de finir votre repas, ce qui est profondément frustrant et peut amener à des situations délicates où votre estomac se rappelle à vous au milieu des cours. « T’apprendre à devenir appréciée et populaire est effectivement une mission importante. Première leçon : adapter son vocabulaire à la personne en face de soi. Vital quand on parle à un sportif, comme le crétin derrière là. » lança-t-elle avec un geste de la fourchette en direction du dit crétin qui s’était assis trop près à son goût.

Elle piqua une tranche de tomate et l’égoutta au-dessus de son plat. Elle fixa Cassandra, les yeux plissés, et se pencha par-dessous la table pour vérifier ce qu’elle portait. Elle n’y avait pas prêté beaucoup d’attention auparavant mais si Dieu comptait sur elle, alors qui était-elle pour aller à son encontre ?! Elle avala le bout de légume rouge, mâcha, avala, et annonça son verdict : « Les vêtements vont prendre plus de temps. Est-ce que c’est ta mission à toi de cacher ta beauté ou quoi ? C’est triste, très triste. » Elle hocha la tête avec un air affligé devant la tenue vestimentaire trop sage et ennuyeuse de son interlocutrice. « Bon, heureusement, ce n’est pas comme si tu étais Rachel Berry. » conclut-elle, rassurante, comme si elle venait d’annoncer à Cassandra qu’elle était atteinte d’une maladie grave mais pas incurable.

Elle repêcha un peu de carottes râpées, les égoutta contre le rebord du récipient, et les dégusta gracieusement. Les cheerios mangent peu mais les cheerios mangent bien et avec élégance, telle était la règle. « Mais tu sais, je ne m’inquiète pas trop : même si Dieu ne me salue pas, ce n’est pas très grave. De toute façon, j’ai déjà vaincu les démons. Je suis sûre qu’il est très content mais qu’il est un peu trop occupé pour me dire bonjour. Par contre, si tu ne fais pas un effort, c’est sûr qu’il ne viendra jamais te voir. » remarqua-t-elle on ne peut plus sérieusement.

Perdue entre un curieux sentiment de fascination et une stupeur assez spontanée, Cassandra ne pouvait s'empêcher d'analyser l'attitude de Brittany comme un scientifique le ferait pour un rat de laboratoire. Elle était si instinctive et pourtant si consciente de ses gestes que ça en devenait étrangement captivant. On aurait dit que chacun de ses mouvements était dicté par un code strictement conventionnel dont elle ignorait toutes les ficelles. Sûrement se croyait-elle libre de bouger, mais en réalité elle ne l'était absolument pas. Et assise à cet instant, face à Cassandra, semblait bouleverser totalement ses habitudes, à un tel point qu'elle en ignorait même comment réagir. Cela n'étonnait guère Cassie qui se savait être une parfaite intruse, un parasite destiné à bouleverser l'odre établi de son rituel quotidien.
Le silence parut durer une éternité. Jamais Cassandra n'avait fait face à autant et si peu de réflexes à la fois. C'était comme ces poupées parfaitement conçues pour exécuter deux mouvements indistincts et prononcer quatre phrases qui voulaient tout et rien dire. Brittany était l'une d'elles, un prototype quelque peu amélioré, mais le plus surprenant était qu'elle en avait même les traits physiques.

Cassie ne pouvait pas la blâmer d'agir avec si peu d'autonomie. A vrai dire, il ne pouvait en être autrement à WMHS. Les Cheerios agissaient de cette façon : avec une retenue qui les caractérisait pourtant si peu, à en juger par le peu de contraintes qu'elles semblaient avoir dans les couloirs. Les choristes devaient marcher la tête baissée, au risque de sentir une vague de froid leur recouvrir le visage. Et il y avait Casandra qui quant à elle, devait agir comme une parfaite sainte : ni trop farouche, ni trop entreprenante. Mais comme partout il y avait des contestataires : la Cheerio au grand cœur, le choriste rebelle, la sainte pas si prude que ça. Et le but de Cassandra, c'était d'ouvrir les yeux à Brittany sur sa véritable nature, non celle dont elle croyait être issue.

La réponse quelque peu concise de Brittany laissa légèrement Cassie sur sa faim. Bien heureusement elle ne se contenta pas d'appuyer ses propos en répondant un simple ok qui, en réalité, serait un moyen tout à fait poli de lui faire savoir que sa présence devenait légèrement pénible.
A vrai dire, Brittany fit même preuve d'une perspicacité à laquelle personne n'aurait pu s'attendre, Cassandra la première. D'où savait-elle son désir impérieux de popularité ? C'en était presque effrayant. Cependant elle se méprenait totalement en affirmant que c'était elle qui voulait être appréciée. En vérité, c'était le club de chasteté qu'elle voulait voir devenir réputé, le reste n'était que du bonus dont elle pourrait se passer.
Brittany, si peu érudite, pouvait donc jouir d'un sixième sens ? Cela n'étonnait presque pas Cassandra, après tout, il fallait bien compenser son manque infini d'intellect. Et venait-elle également de jouer de sous-entendus ? Cassie n'aurait jamais cru une Cheerio capable de faire preuve de subtilité, c'était si peu commun. Elles qui d'ordinaire se revendiquaient si franches. Mais le message était bien passé. "Adapter son vocabulaire à la personne en face de soi", autrement dit, arrêter de lui parler comme la jeune femme de 18 ans qu'elle était, foncièrement. "Qui a parlé de devenir appréciée et populaire ? Aurais-tu des inspirations divines ? Enfin je veux dire, est-ce que Dieu te parle ?..." rectifia-t-elle.

Puis, de façon inattendue, elle pencha la tête sous la table. Par réflexe Cassie serra encore davantage les genoux. "Ma mission a moi c'est d'aider les gens." contesta-t-elle sans vraiment tenir rigueur de la franchise déconcertante de son interlocutrice. Cette dernière n'osa pourtant pas la comparer à Rachel Berry. Et pourtant Cassandra, malgré elle, devait avouer se retrouver pas mal en elle : elle était incomprise, personne n'écoutait jamais ce qu'elle avait à dire, et Dieu savait ce que c'était ingénieux. Il y avait les mauvais côtés aussi, comme sa légère tendance à se croire au dessus des autres, à avoir le dictat de l'opinion, et ce look si... particulier. L'excuse de Cassie était que sa mère les inspectait tous les jours, elle et sa sœur. Rachel, quant à elle, n'avait tout simplement pas de goût, même si Cassie se surprenait parfois à apprécier ses jupes ou autres chemises à froufrous.

L'indifférence de Brittany était presque affligeante. Et malheureusement pour elle, Cassandra n'était absolument pas patiente bien que, malgré tout, elle prenait sur elle. Elle la gratifia d'un sourire hypocrite, cette fois, consternée par l'incapacité de sa camarade à comprendre quoi que ce soit. "Le salut ne veut pas dire seulement bonjour Brittany, c'est un autre moyen de qualifier la félicité, le bonheur suprême. Tu n'en as pas envie ?" demanda-t-elle sur un ton doucereux. "Et ta mission n'est pas de me relooker mais de montrer le droit chemin à toutes ces filles." ajouta-t-elle en les signalant d'un simple regard.

Dieu, lui parler ? Elle avait toujours cru qu’il était muet, Dieu. C’était toujours les autres qui parlaient à sa place après tout : le pasteur, le curé, Jésus, les anges… tout le monde sauf lui quoi. Donc, forcément, soit il était snob, soit il était muet. La deuxième possibilité était plus attrayante. En plus, ça voulait dire que même Dieu n’était pas parfait. Déjà qu’il est invisible… Enfin, c’est rassurant dans un sens. On ne pouvait pas lui demander, à elle, d’être parfaite, si Dieu, lui-même, ne l’était pas. Logique, non ?

Brittany fixa son interlocutrice avec beaucoup de perplexité. Elle était bizarre quand même cette fille, non ? Elle était jolie mais elle s’habillait mal. Elle était (ou avait l’air) intelligente mais parlait bizarrement. Elle paraissait gentille mais la regardait comme si elle l’avait prévu au menu de son repas. C’était profondément déconcertant et perturbant. D’ailleurs, Brittany s’agitait inconsciemment sur sa chaise, tripatouillant sa nourriture. Elle avait l’impression de se retrouver face au pasteur de sa paroisse. Elle détestait le pasteur. Il la fixait toujours avec un air réprobateur profondément horripilant. Tant et si bien que Brittany avait pris l’habitude de le fuir comme la peste. Homme de Dieu ou pas, c’était un sale bonhomme, c’est tout.

Bien décidée à ne pas se laisser abattre, Brittany planta sa fourchette dans ses crudités et en prit une grande bouchée. Le but était bien entendu d’avoir une bonne excuse pour ne pas parler. Le problème c’est qu’il aurait plutôt fallu qu’elle en ait une pour ne pas écouter. Féli-quoi ?! C’était une nouvelle marque de nourriture pour les chats ? Il faudrait qu’elle se renseigne tiens, Toupie aimait bien les repas diversifiés. Droit chemin ? Ben, un chemin, en général, même si ce n’est pas droit, ce n’est pas très grave. Brittany suivit naïvement le regard de Cassandra. Comment ça ces filles ne savaient pas marcher autrement que tout droit ? Ça devait être horriblement gênant… Elle n’avait jamais remarqué… pourtant, elles étaient ensemble chez les Cheerios, elles devaient forcément savoir marcher mieux que tout le monde, sans quoi la Coach les aurait déjà envoyé en enfer.

Brittany plissa les yeux en posant de nouveau son attention sur Cassandra. Cela lui demanda un peu de réflexion, mais il devint évident que son interlocutrice parlait encore dans son dialecte bizarre. Voilà qui était profondément agaçant. Même quand elle était partie en vacances aux Pays-Bas, elle comprenait mieux ce qu’on lui disait : forcément, soit son père faisait la traduction, soit les néerlandais parlaient un anglais de base.

« Irk. » laissa-t-elle échapper sous le coup de la frustration. « Comment je dois te le dire ? Parle clairement Catherina : clairement ! Je ne comprends que l’anglais américain moi ! Ça ne m’étonne pas que tout le monde t’ignore si tu parles tout le temps comme ça ! On dirait presque que tu lances des insultes. »

L’air bougon, Brittany repêcha ses dernières crudités et les finit en une bouchée fermement mâchée. Distraitement, elle observa les tables où ses amies cheerios étaient réparties. Elle aperçut même Sevan en compagnie d’Artie et de ses amis du Glee Club, un peu plus loin. Néanmoins, l’air un peu boudeur, certes, elle offrit de nouveau son attention à Cassandra. Apparemment, Dieu tenait à ce qu’elle fasse une bonne action en s’intéressant à cette pauvre fille impopulaire. Qui était-elle pour lui refuser une telle faveur ?

« Donc, » reprit-elle. « Tu veux que je fasse quelque chose pour toi. Mais quoi ? Utilise des mots simples si tu veux qu’on se comprenne, simples ! Si je voulais essayer de décortiquer tout ce qu’on me dit, j’irai à l’église, mais c’est justement parce que j’en ai pas envie que je n’y vais plus. J’ai déjà eu assez mal à la tête quand j’étais petite. » marmonna-t-elle.

L'entrée de Cassandra au lycée de McKinley avait été un tournant important dans sa vie, le début d'une page nouvelle de son existence qu'elle comptait bien écrire avec une encre différente. Elle avait beaucoup réfléchi alors qu'elle assistait au dernier cours que Sœur Marie-Prudence essayait en vain d'animer. McKinley serait sa renaissance. Bien qu'au départ il lui semblait mener à bien ce défi qu'elle s'était elle-même lancé, elle avait rapidement fini par se rendre compte qu'on ne pouvait pas changer une personne par sa simple volonté. Chaque jour depuis elle était confrontée à cette triste réalité : elle serait à jamais cette fille étrange qui défendait avec une ferveur incomprise des idéaux que seuls sa famille et ses connaissances paroissiennes partageaient. Chaque jour elle lisait le mépris sur le visage des gens. La compassion, parfois.
L'expression de Brittany mélangeait curieusement les deux, même si en réalité c'était seulement de l'incompréhension. Cassie, quant à elle, esquissait une moue de déception, les yeux vaguement égarés, fixant sans conviction les tâches incrustées sur la table. Elle n'avait même pas touché à son plateau, bien trop occupée à faire du prosélytisme auquel Brittany était totalement insensible. Sûrement Dieu la punissait-elle pour son altruisme paradoxalement égoïste. Si elle faisait ça, c'était pour le Club, pour prôner des valeurs puritaines auxquelles Il tenait tant... mais Sa perspicacité était infiniment plus développée que celle dont Brittany avait fait preuve quelques instants plus tôt. Il voyait en Cassandra des choses qu'elle-même ne soupçonnait pas... des choses que tout le monde discernait chez elle mais qu'elle était incapable de nommer. Son intransigeance, son impatience, sa présomption... Cassandra était loin d'être une fille parfaite. Et chaque propos de Brittany semblait le lui rappeler, avec le même effet qu'un fouet claquant.

"Je suis désolée." avoua-t-elle finalement. Elle ne faisait véritablement pas exprès de parler de façon à ce que les autres se sentent idiots. C'était une mauvaise habitude à laquelle elle devait remédier. Qui pouvait la blâmer de prendre exemple sur son père ? Son éloquence était si magistrale qu'elle vous accrochait et imposait le silence.
Profondément atteinte Cassie ne savait plus quoi dire. Elle n'était même plus certaine de vouloir dire quelque chose. L'ancienne Cassandra se serait très certainement enfuie en sanglotant jusqu'à se réfugier dans les toilettes, mais la nouvelle luttait contre cette lâcheté. Brittany venait de lui révéler, avec le tact digne d'un enfant de 5 ans, la raison de son impopularité. Et même si Cassie n'en avait que faire d'être respectée des élèves de McKinley, cela lui nouait pourtant le cœur. L'air gêné elle plaquait ses mains contre ses cuisses, feignant d'être distraite par un bruit étranger pour pouvoir détourner le regard. Brittany, quant à elle réellement distraite, fixait avec envie la table de ses amis. Cassandra était prête à lui autoriser de disposer si c'était réellement ce qu'elle voulait, mais la blonde reporta son attention sur elle.

Cassandra acquiesça nerveusement et fronça les sourcils, réfléchissant à un moyen ludique d'expliquer à la Cheerio ce qu'elle attendait d'elle. Son visage sembla s'illuminer instantanément, alors qu'elle replaçait une mèche derrière son oreille. "Je suppose que tu connais les chiens de berger. Ce sont des chiens particulièrement intelligents, et dans un troupeau ils servent à guider les bêtes. Par exemple, les moutons ne savent pas dans quelle direction aller, alors le chien les aide à s'orienter. Tu comprends ?" demanda-t-elle. Elle savait que Brittany n'allait pas faire d'elle-même le lien entre le chien et elle, et encore moins entre les moutons et le reste des filles de l'école. C'était pourtant si évident. "Imagine que tu sois le chien. Les autres filles sont les moutons. Sans toi elles seraient perdues. Elles ont besoin de leur guide, et c'est cette mission que Dieu t'a confiée. Et sais-tu jusqu'où tu dois les guider ? Jusqu'au Club de chasteté."