C’était un magnifique lundi de Mars. Le genre de jour qui donnait envie de sourire et de danser. Encore dans son lit, Edena Penelope Miller savait que ce serait une bonne journée. Les rideaux entrebâillés de la fenêtre de sa chambre laissaient passer une belle lumière qui la réveilla. Il n’était que six heures du matin, elle aurait eu le temps de paresser. Mais il se trouvait que la veille, elle avait mal fermé ses rideaux et que le rayon de soleil qui atteignait ses yeux avait suffi pour la réveiller complètement. Pour une fois, elle ne serait pas en retard en cours. Elle ne put s’empêcher de sourire en y pensant. Combien de fois avait-elle franchi la porte d’entrée du lycée après les cloches depuis les cinq derniers mois ? Beaucoup trop souvent, pourrait-elle vous dire. Mais le compte lui, il avait été perdu depuis de nombreuses semaines. Une main appuyée sur la rondeur de son ventre, Edena attendait un instant avant de se lever. La maison était silencieuse. D’un silence si magnifique qu’elle ne pouvait pas s’empêcher à penser à tous les détails qu’elle aimait de cette journée qui s’amorçait à peine. Elle pensa au soleil, à la chaleur qu’il ferait, à la pluie qui ne serait pas là.

Soudainement, elle senti comme un petit roulement. Mais elle repoussa au plus loin dans son esprit en se disant que ça ne pouvait pas être ce qu’elle pensait. Il était près de sept heure quand elle se leva finalement dans son pyjama uni dont le t-shirt s’étirait doucement sur la rondeur du ventre. Le lundi, il ne fallait pas faire trop de bruit chez les Miller parce qu’Elizabeth qui travaillait comme infirmière était sur le chiffre de nuit. C’était donc en silence, sa robe sous le bras, ses sous-vêtements sous l’autre, que la jeune future maman s’orienta vers la salle de bain du haut. Elle partit la douche et y passa une vingtaine de minute. En sortant, elle se sécha et appliqua sa routine de peau. Elle n’avait jamais été le genre à appliquer une sévère routine pour avoir une belle peau. Mais l’arrivée prochaine d’un enfant l’avait réveillé au fait qu’elle pouvait avoir des vergetures et une tonne d’autres désagréments suite à la naissance de son enfant.

Edena sentit pour la seconde fois le roulement. La jeune demoiselle ferma doucement les yeux. Ça ne pouvait pas être un coup de pied. Elle enfila sa robe, une magnifique robe blanche avec une ceinture noire qui soulignait le haut de son ventre. Le bas de la robe en A était bordé d’un imprimé beige, magenta et noir qui ressemblait à des fleurs au design un peu plus contemporain. C’était l’un des nombreux ensembles qu’elle avait acheté sur un coup de tête dans la seule friperie. Elle descendit les marches sur la pointe des pieds dans l’espoir de ne déranger ni son frère qui commençait vers neuf heures le lundi et sa mère qui devait être rentré à six heures de son seul chiffre du mois dans le chiffre de nuit.

La jeune demoiselle hésita donc pendant un instant. Non, elle aurait trop de chance de les réveiller en allant se préparer un petit déjeuner. Il valait mieux qu’elle s’arrête en chemin pour aller se chercher un truc. Son sac sur le dos après avoir enfilé un manteau de printemps, elle sortit dans l’air froid du matin. Assise dans sa voiture, elle passa devant le MacDonald mais décida de ne pas s’y arrêter. Par contre, en passant devant le Starbuck, l’envie d’un chocolat chaud ou d’un jus de pomme à la cannelle la prit. Elle stationna donc sa voiture, descendit dans la rue et pénétrant dans le café en laissant son sac à dos, mais sans oublier son portefeuille. Elle était encore en train de contempler le menu lorsqu’une personne qu’elle connaissait bien l’appela et elle se retournait pour y apercevoir Adam dont le frère était au front avec son père et son frère. Un immense sourire illumina le visage de la jeune demoiselle.

« Edena ! Ça me fait plaisir de te voir ! Comment tu vas ? »

Edena répondit à la bise en lui faisant doucement une à son tour. L’adolescente se tassa du chemin d’une jeune femme qui visiblement n’avait pas de temps à perdre à attendre pour que deux personnes s’échangent des banalités normales. Au diable cette idiote ! Quelque chose de particulier reliait les deux. Particulier comme le collier dont Edena ne se séparait jamais et qui n’était rien d’autre que la plaque d’identification d’Alexander, le père de son enfant qui lui ne reviendrait pas du front pendant ce mois de mars.

« Adam ! C’est un plaisir de te voir ! Je vais superbement bien ! J’adore la température qu’il fait dehors. Ça change des grands froids. Toi, tu vas bien ? »

Nous avons tous notre saison préféré. La saison que nous aimons le plus parce qu’elle contient telle ou telle fête. Edena avait deux qu’elle adorait plus que tout. Le printemps était l’une des autres. L’été était la seconde. Elle n’avait jamais vécu dans une place où il faisait une température chaude. Elle n’aimait donc pas l’hiver qui était bien trop froid à Chicago et à Lima. La jeune demoiselle sourit doucement.

« J’adore le printemps ! Les fleurs, les petits oiseaux, tout ça. Ça doit être mon côté romantique ! »

Elle ne connaissait pas assez Adam pour savoir la réputation qu’il avait auprès de ces dames. Edena vivait dans un univers parallèle pour le jeune homme. Le point qui les rassemblait le plus était le fait que tous les deux avait de la famille sur le même bataillon, sur le même terrain dangereux et glissant. Et qu’un d’eux était tombé au front. Ce qui les avait un peu rapproché.

« Moi, c’était sans contredit ma grosse saison avant. La fête d’Alex aurait été le 15. Celle de mon père est un peu plus loin. Ma nièce est en Avril. J’ai aussi un de mes frères en mai. C’est une saison de famille, chez moi. »

Avant, c’était à des siècles d’aujourd’hui. Avant, c’était quand son enfant avait encore un père. Avant, c’était quand son copain n’était pas revenu dans un cercueil du front et que le seul souvenir dont elle avait eu le droit était un drapeau des Etats-Unis. Drapeau qu’elle avait déconstruit dans la chambre de son enfant. Le bleu du ciel et les cinquante étoiles. Les moulures qu’elle voulait blanche. Les meubles qu’elle voulait avec du rouge. La photo du bal d’Alexander et d’elle… heureux adolescents amoureux. Avant, Edena était cheerio.

« Je vais toujours bien. Pas de mauvaises nouvelles pour moi aujourd’hui. »

Elle jeta rapidement un coup d’œil au journal dans la main d’Adam. Non, elle n’était pas capable elle. Doucement, l’adolescente appuya une main sur son ventre rond. Comme si le fait de câliner doucement son ventre empêcherait de voir les tristes nouvelles. Une bombe en Afghanistan. Depuis qu’elle avait perdu Alex, elle ne pouvait s’empêcher à son père, William, et son frère, Preston, qui y était encore. Chaque fois qu’il y avait une nouvelle qu’elle entendait, elle s’imaginait le pire. Ce monde était trop dangereux.

« Moi, je ne suis plus capable de les lire. Je change de pièce quand Porter ou ma mère met les nouvelles. Je ne survivrais pas en lisant ces horreurs. »

Sa voix était un mince murmure. Comme si simplement l’admettre lui faisait mal. L’absence d’Alexander était inscrite partout sur sa peau. Dans ses sourires. Dans ses larmes. Il y avait des jours où elle avançait de plusieurs pas et d’autres où il lui semblait qu’avancer était au dessus de ces forces. Mais aujourd’hui était une belle journée.

« Tu en es à combien de mois ? Tout se passe bien ? Je ne me souviens pas que tu étais aussi … ronde. »

La petite maladresse fit doucement disparaître l’appréhension qui était apparu quand il avait parlé des nouvelles. Elle préférait vraiment plus ce sujet que celui qui traitait de la mort. De l’absence. Des médias. De son incapacité à faire un focus sur ce qui concernait les risques que couraient son père et son frère. Là bas. Si loin de son petit univers ou tout prenait une teinte rose, les jours ou le ciel était si lumineux que c’était la seule chose qui préoccupait l’adolescente. Au diable le froid. Le fait qu’il la qualifia de ronde la fit sourire. Elle lui répondit doucement.

« J’en suis à cinq mois… enfin presque. C’est plus facile d’arrondir. Et oui… tout va bien. Même si j’ai terriblement l’air enceinte. »

Perdre Alexander avait une un véritable impact sur comment Edena voyait la vie. Avant, elle avait absolument besoin de savoir ce qui se passait là-bas. Elle ne pouvait pas s’imaginer vivre sans l’actualité si cela aurait été possible, elle se serait mise par intraveineuse sur un canal de nouvelle pour être sûre et certaine de ne rien manquer des nouvelles. Mais avant, c’était justement avant. Avant c’était il y avait des siècles et des siècles.

« Je ne survivrais pas si je ne lisais pas ces horreurs. J’ai besoin de savoir, c’est plus fort que moi. »

« J’étais comme toi avant… avant ce qui est arrivé à Alex. Mais maintenant à chaque fois que j’entends une nouvelle… je m’imagine que c’est Preston ou papa et je… »

Comment pouvait-elle vraiment nommé le genre de réaction que provoquait l’annonce de la mort de chaque américain au front? C’était la crise de larme d’assurée. L’apocalypse qui ne se calmait qu’une fois qu’Edena finissait par s’endormir au bout de ses larmes dans les bras de Porter. À chaque fois qu’elle surprenait une perte, elle avait l’impression de revivre le deuil de son amoureux quand elle apprenait qu’un des milliers de soldats américains tombait au front. Son cœur n’était pas capable de vivre le deuil qu’elle se devait de vivre pour son enfant si à chaque fois qu’elle se croyait sur une meilleure voix de guérison, elle s’imaginait que son père ou son frère venait de subir le même sort que son homme à elle… Elle évitait alors tout simplement tous les contacts qu’elle était capable d’avoir avec les médias et l’actualité. Pour se préserver d’elle-même pour s’empêcher d’éclater. Pour s’empêcher de fondre en larme. Pour éviter de se mettre trop de stress. Il fallait qu’elle le fasse pour son petit bout d’Alexander qui le méritait.

« J’ai toujours trouvé les femmes enceintes particulièrement resplendissantes»

« Merci beaucoup… parce que, par bout, dans le miroir, je n’ai pas cette impression là. »

Oui. Elle était trop exigeante avec elle-même. Trop exigeante avec ce qu’elle voulait représenter. Son ventre rond n’était pas comme celui que l’on voyait dans les livres. C’était différent. Elle avait juste l’impression d’enfler par moment. Elle avait beau vouloir de ce bébé-bouée de sauvetage. Parfois en fouillant dans son armoire pour trouver un vêtement qui lui faisait, elle tombait sur la paire de jean – vous savez surement, celle que toute adolescente a dans sa garde-robe et qu’elle met toujours quand elle va rencontrer le mec parfait – cette paire de jean qui ne rentrait plus sur les hanches élargies par la maternité et sur le ventre arrondi par l’abondance de vie qui était contenue en son intérieur. La jeune demoiselle en voulait parfois au ventre. Elle avait besoin de se sentir belle comme une déesse par moment.

« Tu as déjà une petite idée de prénom ? »

« Je sais le deuxième prénom… Alexander pour un garçon et Alexandra pour une fille. Parce qu’il faut que je respecte la tradition familiale. Mais j’ai peu d’idée pour le premier prénom. »

La jeune demoiselle roula les épaule. Il lui restait encore un bon nombre de mois avant de ne plus avoir le choix de faire cette décision. Mais pour l’instant, elle hésitait dans les E. La tradition familiale voulait que les militaires prennent la première lettre du nom de maman comme premier prénom, la première lettre de papa comme lettre du second prénom. Elle ne savait même pas si l’enfant allait porté le nom de famille de papa ou celui de maman.