Excédée, la conseillère d’orientation laissait claquer ses ongles sur la surface lisse de son bureau. Face à elle était ouvert le dossier d’Ecaterina Robertson. La photo de la jeune fille, en haut à droite, était parfaitement reconnaissable, et elle ne pouvait s’empêcher de lui jeter régulièrement des coups d’œil. Cela faisait désormais près d’un mois que l’adolescente lui avait fait des confidences aussi stupéfiantes qu’horrifiantes, à propos de Bryan Ryan. Et en conséquence, cela faisait également un mois qu’elle prenait sur elle pour ne pas débarquer dans le bureau de ce dernier et laisser éclater la colère qu’elle ressentait à chaque fois qu’elle le voyait. N’ayant pas envie de rejouer la même scène que l’année précédente, lorsqu’elle avait presque craché au visage de Will qu’il n’était qu’une trainée, devant l’ensemble du corps professoral, elle avait gardé pour elle tous les sentiments que lui inspirait cette histoire. Du mépris, de la déception – beaucoup de déception, en réalité – mais également un savant mélange de colère et d’incompréhension. C’est vrai, comment avait-il pu faire une chose pareille ? Comment Bryan Ryan avait-il pu se laisser aller à ce point ? Que lui était-il donc passé par la tête, ce fameux soir, lorsqu’il avait tenté d’embrasser l’une des élèves de McKinley High, sous l’emprise de la drogue ? Emma ne parvenait pas à trouver les réponses à ces questions qui, au fil des semaines, s’étaient multipliées dans son esprit désormais plus qu’embrumé et confus. A chaque fois qu’elle le croisait dans les couloirs, elle parvenait à détourner son attention de son regard clair, afin de ne pas laisser éclater le scandale devant les élèves ; afin de ne pas donner la possibilité à Gossip Glee de décrire dans l’un de ses si « hilarants » articles, la façon dont elle, d’ordinaire si calme et si douce, avait soudainement perdu tout contrôle et s’en était prise à l’un de ses collègues.

Non, Emma en avait décidé autrement. Personne n’avait besoin d’avoir un aperçu de la contrariété qu’elle éprouvait à l’égard de Bryan. Il était le seul à qui elle devait en parler, et si possible, avec le plus grand calme possible – ce qui ne serait pas une mince affaire. Ce n’était pourtant pas dans son habitude, de ressentir une pareille agitation. Elle qui était toujours si posée et dont les seules inquiétudes concernaient son obsession pour les microbes ou l’état de sa situation amoureuse, ne ressentait jamais ce genre de chose. Elle n’abandonnait que rarement son sourire contagieux, ainsi que cette aura de douceur qu’elle dégageait naturellement. C’était peut-être pour cela qu’elle avait attendu aussi longtemps avant de convoquer Bryan Ryan dans son bureau, cet après-midi-là. Elle voulait garder un certain sang-froid, une certaine dignité. Elle avait conscience que le fait de demander à Bryan Ryan de la rejoindre dans son bureau revenait à agir comme s’il n’était qu’un simple élève. Cependant, elle n’avait pas trouvé d’autre solution. Elle ne pouvait tout de même pas débarquer à son appartement, telle une furie, afin de lui dévoiler toute l’étendue de sa déception. Et elle ne pouvait pas non plus attendre qu’il vienne dans son bureau de son plein gré, ni de trouver l’occasion de lui parler en privé dans un endroit à l’abri des regards. Alors tant pis pour les apparences. Le matin même, elle s’était plantée devant lui alors qu’il déjeunait tranquillement dans la salle des professeurs, et lui avait demandé s’il pouvait venir dans son bureau au cours de l’après-midi, précisant qu’elle devait lui parler d’une chose « importante », « qui lui tenait à cœur ». Et dès qu’il avait hoché la tête en signe d’approbation, elle avait fait demi-tour et avait rejoint son bureau à grandes enjambées.
Emma n’avait pas l’impression de faire de cette histoire une affaire d’état. Elle souhaitait simplement mettre les choses à plat, et réagir de manière censée. Comme une adulte.

Levant le visage vers les grandes vitres de son bureau qui donnaient sur les couloirs du lycée, Emma prit une grande inspiration avant de jeter de nouveau un coup d’œil à l’horloge qui annonçait que Bryan ne devrait plus tarder. Cessant de jouer avec ses doigts et de laisser, en conséquence, son agitation se refléter sur son attitude, la jeune femme posa les mains sur ses genoux, s’étirant légèrement au passage. Une sonnerie se fit alors entendre, rompant la quiétude de la pièce qui n’avait jusqu’à présent était interrompue que par les seuls soupirs de la conseillère d’orientation. Haussant les sourcils de surprise, Emma attrapa du bout des doigts son téléphone portable qu’elle avait soigneusement disposé près de son pot à crayons. Mettant fin au titre phare des Starland Vocal Band, elle déverrouilla le clavier. Aussitôt, le nom de Will apparut sur l’écran, et un mince sourire étira ses lèvres l’espace de quelques secondes. Il ne s’agissait que d’un texto la prévenant qu’il avait programmé une session de rattrapage pour l’un de ses élèves, et qu’il serait en conséquence en retard pour le diner qu’elle était censée préparer, après les cours. Appuyant sur la touche « répondre », Emma rédigea un bref message puis posa le portable là où elle l’avait pris. Et dire qu’elle avait réussi à ne pas lui raconter ce qui la tracassait depuis quelques temps ; cela relevait de l’exploit. Elle n’avait pour autant aucun secret pour Will, mais avait jugé qu’il était préférable de ne parler à personne de cette histoire qui avait considérablement pesé sur son moral. Elle n’avait pas envie que cela dégrade encore plus la relation entre Will et Bryan – celle-ci était déjà assez misérable pour qu’elle n’en rajoute une couche.

Ce fut à ce moment précis que la silhouette de Bryan Ryan se dessina derrière les vitres du bureau de la conseillère. Plein d’assurance, le directeur des Awesome Voices tapa légèrement à la porte avant de faire son entrée. Emma le suivit du regard, et parvint à esquisser un mince sourire. Son cœur se mit à bondir dans sa poitrine, car elle y était enfin : face à Bryan. Fronçant les sourcils, elle fit un geste de la main en direction de la porte, comme pour demander à son « invité » de bien vouloir la fermer derrière lui. Elle patienta ensuite quelques secondes, le temps qu’il s’installe face à elle, puis elle s’éclaircit la gorge et se lança – enfin. « Salut Bryan » Commença-t-elle, une certaine hésitation se faisant ressentir dans sa voix. Remuant légèrement sur son siège, la jeune femme cherchait la façon dont elle pouvait amener le sujet. « Je suis sûre que tu te demandes pourquoi je t’ai fait venir ici, alors je, hm, je ne vais pas y aller par quatre chemins ». Plissant les yeux, elle jeta un regard au dossier qui était toujours grand ouvert devant elle, et le referma délicatement. Sa main droite se mit alors à replacer de façon machinale les quelques affaires qui se trouvaient sur son bureau - et qui étaient déjà si méticuleusement disposées que cela n’était pas vraiment d’une grande utilité. Levant le menton en direction de son interlocuteur, elle prit son courage à deux mains et dévoila enfin ce qui la pesait tant. « Voilà, j’ai eu une discussion avec Ecaterina il y a peu – je pense que tu sais de qui je parle, je me trompe ? Et elle m’a fait part de… d’une soirée en ta compagnie. Je pense qu’elle n’avait absolument pas l’intention de m’en parler au départ, mais…. Enfin, bref ». Fronçant les sourcils, la conseillère planta son regard dans celui de son collègue. « Est-ce que tu vois ce à quoi je fais référence ? » Lui demanda-t-elle, un peu trop brusquement peut-être.