Un nouveau soupir, une énième envie de claquer son ordinateur portable par terre et de le piétiner avec rage jusqu’à ce que mort s’ensuive… au lieu de quoi elle tira simplement sur ses mèches brunes tout en mordant furieusement le crayon prisonnier de ses dents. Un simple coup d’œil à sa montre lui permit de compter les heures qu’elle avait passées dans cette position, les jambes pliées sous ses fesses, la moue concentrée –ce qui ne signifiait pas pour autant qu'elle était vraiment concentrée- à remplir des pages et des pages sur ce satané Bergson et sa fichue Évolution Créatrice. Que soit maudit le jour où elle avait choisi de prendre un cinquième cours pour ce nouveau semestre qui débutait à peine ; et un cours de philosophie, de surcroit ! Après avoir passé un vendredi entier les yeux plissés derrière son écran d’ordinateur, Charlie le regrettait plus que jamais et avait même commencé à établir quelques statistiques concernant ses chances de survie… Hélas, les chiffres n’étaient pas de son côté. Elle qui avait toujours eu quelques problèmes de concentration avait dû rassembler tout son courage afin de supporter cette journée de torture. Une demi-douzaine de livres était étalée sur son bureau, une forte odeur de caféine se dégageait de la pauvre tasse qu’elle avait déjà remplie cinq fois et son ordinateur chauffait tellement qu’il était sur le point de rendre l’âme. La journée avait été longue, monotone, et dénuée de tout intérêt en dehors des quelques textos en provenance du cabinet de gynécologie de la ville qui étaient parvenus à lui rendre son sourire pendant un moment… avant de devoir se replonger dans l’univers tordu de son très cher Henri.

Jetant un nouveau coup d’œil aux nuages qui obscurcissaient tristement le ciel derrière la fenêtre de sa chambre, elle leva les yeux d’un air exaspéré et referma promptement le livre qu’elle venait de consulter. Derrière elle, une chanson d’Adele retentit et elle grimaça : tout, mais pas ça. Elle avait besoin de quelque chose qui bouge, quelque chose qui lui donne la pêche et qui lui permettrait peut-être de sortir de son état semi-dépressif d’étudiante en littérature emportée contre son gré dans la tourmente des écrits de ces auteurs tous plus tarés les uns que les autres. Son regard se posa sur la tasse laissée à l’abandon sur un livre, et ne pouvant résister à une dernière goutte de caféine, elle en vida le contenu d’une seule traite. Se redressant légèrement sur sa chaise, elle attrapa une télécommande posée sur l’étagère qui surplombait son bureau. Relâchant son crayon et faisant tourner son siège, elle poussa l’un des boutons d’un air tout à fait nonchalant et mit un terme aux jérémiades de la chanteuse anglaise qui laissa place à un groupe australien beaucoup plus amusant, Operator Please. Certes, la chanson datait un peu, mais cela n’avait pas d’importance : ses pieds commençaient déjà à s’agiter, au même titre que ses ongles qui claquèrent presque instantanément sur ses genoux. « I've been running out of stories, with this molecular device, MOLECULAR DEVICE! And it's a tale about a hunter and a thief… the common myth that we love, the common myth that we believe… oh-oh! ». Ne parvenant à garder son sérieux plus longtemps, elle sauta sur ses pieds engourdis, perdit l’équilibre et évita une chute spectaculaire en se rattrapant in extremis. Mais il en fallait bien plus pour repousser son enthousiasme si débordant, et voilà qu’elle sautillait déjà dans sa chambre, attrapant au passage sa guitare dont elle fit trembler les cordes. « And is it time to cut my hair again, cause I think there's too many to please, rolling like an avalanche! Zero, zero, oh you're ZERO, ZERO! ».

Prenant une grande inspiration, elle s’agita de plus belle et tourna sur elle-même jusqu’à ce que ce le Monde se brouille autour d’elle. « Tick tock time ya see, time is wastin' now, fifteen other times and my focus is dying down. Opinionated mine, I’m dying to know the choice, can you hear the hint of sarcasm in my voice, misunderstanding about the statue that you hold, optical illusion a mirage so let it go, focal point derived from the television screen, I KNOW YOU, KNOW YOU, KNOW YOU, KNOW YOU, KNOW WHAT I MEAN! ». A bout de souffle, elle s’immobilisa et s’accrocha fermement à sa guitare pour ne pas tomber. Le café avait finalement eu raison de sa personne, et non contente de ses exploits, elle sauta bientôt sur son lit, hurlant à en perdre la voix et se déhanchant telle une Beyonce déchainée sur le dancefloor. Toute l’énergie qu’elle avait dû contenir contre son gré pendant la journée se révélait enfin ! Cependant, lorsque la sonnerie de son téléphone portable résonna dans la pièce, elle fut forcée de se calmer et, retrouvant la terre ferme, elle posa hâtivement sa guitare sur son lit et courut jusque son bureau pour récupérer l’objet qui vibrait. Le nom de Lexie s’affichait sur l’écran et un sourire se dessina aussitôt sur les lèvres de Charlie. Déverrouillant le clavier, elle lut le message de son amie et son sourire s’envola... Oups. La jeune fille annonçait son arrivée imminente, et l’intéressée avait complètement oublié la soirée entre filles qu’elles avaient prévue le soir même. Fronçant les sourcils, elle pianota rapidement sur l’écran tactile et lorsque son simple « okay » fut envoyé, le portable rejoignit la guitare sur le lit et elle lança un regard désespéré à sa chambre qui était dans un état chaotique... à l'image du reste de la maison. « Bonjour, Bagdad ! » Fit-elle avant d’hausser les épaules et de s’élancer dans la maison afin de sauver les apparences.

En deux minutes, elle parvint à garder son équilibre –premier exploit- mais surtout à remettre un peu d’ordre dans sa chambre. Elle descendit ensuite les escaliers à toute vitesse et s’apprêta à s’occuper du rez-de-chaussée lorsque la sonnette retentit dans l’ensemble de la maison. Fronçant le nez, Charlie poussa un soupir avant de balayer le salon du regard. Bon, une boite en carton contenant la malheureuse pizza qu’elle s’était avalée la veille au soir trainait encore sur la table basse devant la télévision, et il y avait des livres éparpillés un peu partout, mais ça passerait. « J’arriiiiiive ! » Hurla-t-elle d’une voix stridente. Courant jusque l’entrée, elle posa une main sur la poignée avant de faire les yeux ronds en se souvenant de la tenue qu’elle portait. Hm, un mini short déchiré et un t-shirt froissé… bah, après tout, Lexie avait déjà vu pire ! Et puis, elle était maquillée, alors… Poussant la poignée, elle ouvrit la porte et découvrit son amie derrière celle-ci. « Salut, vipère ! » Annonça-t-elle joyeusement avant de littéralement sauter dans les bras de Lexie qu’elle étreignit chaleureusement. « Bon, tu m’excuseras, la maison est dans un piteux état mais je n’ai pas encore les moyens de me payer une femme de ménage alors… je fais ce que je peux ! ». Elle lui adressa un sourire d’excuse puis se dirigea vers le salon après avoir refermé la porte derrière la rouquine. Passant une main dans ses cheveux ébouriffés au possible, elle tira sur une longue mèche ondulée puis se tourna vers Lexie et leva son index devant son visage. « MAIS ! J’ai quand même préparé plein de choses ! » Mentit Charlie, un sourire éclatant sur les lèvres, « Hm… cocktails faits maison –le « gangsta Charlie » est ma spécialité, si ça te tente !-, un twister, des paquets de bonbons qui nous feront prendre dix kilos en une soirée… oh, et un atelier déguisement qui nous attend dans la chambre d’amis. D’ailleurs, j’ai une tenue d’hôtesse de l’air sexy qui t’irait à la perfection ». Elle arqua un sourcil puis s’approcha de la jeune fille et s’inclina légèrement. « Mais d’abord, permettez-moi de prendre votre manteau, très chère ». Décidément, Bergson et les tasses de café ne faisaient pas bon ménage.

« Mais pourquoi tu fais çaaaa? Espèce de pintade décérébrée va, non, mais noooon ! » Secouant la tête d'un air désespéré, Lexie continua néanmoins à regarder l'écran de télévision du salon, fascinée par l'absurdité du programme. Toddlers and Tiaras. Vraiment, l'émission la plus stupide de la planète. Avant Jersey Shore. Parce que Snooki a plus ou moins décidé de devenir une catin télévisuelle et puis au moins elle est majeure. Mais dans ce show là, ces gamines sont exposées, d'abord dans ce panel de beauté relativement dégradant et ensuite on montre au reste du monde à quel point les gens du Sud des Etats-Unis sont tarés. Puis qu'apparemment ils sont les seuls à avoir le niveau de dégradation humaine pour apparaître dans cette télé réalité. Quoique, Lexie ne doutait pas que l'Ohio comptait elle aussi, son lot de concours de Mini Miss et de mamans frustrées essayant de réaliser des rêves de seconde zone à travers leurs enfants. Ceci étant, le programme s'avéra un rien hypnotisant, voir ces enfants habillées comme des Barbies se déchirer comme des furies avait quelque chose d'étrangement divertissant. C'était sans doute un rien malsain. Et la rouquine en restera certainement traumatisée. Elle trouva toutefois la force de changer de chaîne, en lançant un regard à Liam qu'elle était chargée de garder. De la musique. Très bien ça, très bien. One Direction? Bah, ça ferait l'affaire. La jeune femme prit le bambin dans ses bras et le berça avec entrain, mais douceur néanmoins, qu'on ne l'accuse pas de maltraitance. Elle ne put retenir quelques sourires stupidement gagas devant l'adorable bébé et entreprit de lui faire la conversation, comme à son habitude. Elle parlait toute seule de toute manière, autant avoir l'air un tantinet moins ridicule « T'en fais pas, maman te laissera jamais devenir comme ces horribles gamins pourris-gâtés de la télé. Pour le boys band je peux rien promettre, tout dépendra de ton orientation sexuelle et si tu continue à vivre parmi nous, c'est une probabilité que je n'exclurai pas à ta place. Mais bon, c'est un choix de carrière comme un autre et ça vaut mieux que Toddlers and Tiaras, tu peux me croire. »

La galeriste continua à bavarder ainsi, promenant l'enfant dans les divers pièces de la maison, jouant un peu avec lui, lui chantant tous les tubes de boys band qui lui passaient par la tête. Visiblement, ramener ce sujet sur le tapis avait éveillé de vieux souvenirs des années 90 à 2000 qui auraient peut-être mieux faits de rester à jamais enfouis dans sa mémoire. La porte claqua bruyamment et Lex jeta un coup d'oeil à l'heure. Grands Dieux comme le temps passe quand on regarde de la mauvaise télévision et qu'on joue à la poupée avec un vrai nourrisson. Elle venait de lui donner son biberon et émergea donc de la cuisine pour confier le petit ange à sa maman d'amour, qui venait de rentrer du travail. Les deux amies discutèrent un moment, du bébé bien entendu parce que quand une mère récupère son enfant auprès d'un baby sitter, elle ne peut parler de rien d'autre que la journée qu'elle a manqué avec le dit enfant. Loi simple que Lexie avait dû apprendre sur le tas. La conversation tourna court néanmoins quand la rouquine sifflota l'air de What Makes You Beautiful et se vit gentiment envoyer sur les roses. Non sans raison peut-être. D'autant plus qu'à ce rythme, elle finirait par se mettre en retard. Oh my ! Oui, Charlie. Un peu plus et la londonienne aurait fini par complètement oublié cette petite soirée filles planifiée avec sa jeune amie.

Après un rapide détour par la cuisine pour mettre la main sur une boîte de cookies et une bouteille de Cosmopolitan toute faite - elle ignorait posséder pareil trésor, mais cela se révéla fort utile au vu des circonstances - la demoiselle regagna ses pénates et fit son sac à la hâte. Brosse à dents, petite culotte de rechange et pyjama, l'essentiel. Elle ôta le T-shirt informe et l'espèce d'infâme jogging qu'elle avait mis pour éviter les dégâts en gardant le petit, puis enfila prestement un chemisier propre, un jean et son immanquable paire de bottes fourrées. Il lui était impossible de survivre à l'hiver sans et c'était sans doute les chaussures les plus plates qu'elle possédait. Exception faite de sa collection de ballerines, qu'elle ne portait quasiment jamais. Bref, l'heure n'était pas aux réflexions fashion, il s'agissait d'affronter les rudes neiges de la cambrousse pour gagner Lima et l'appartement coquet de son amie. Bientôt, elle vint tambouriner à la porte de Joachim pour qu'il la dépose en ville. Après négociations difficiles, qui inclurent notamment le numéro d'une jolie serveuse du Cabaret et des cookies, Lex réussit à se mettre en route et en profita pour prévenir Charlie de son arrivée plus ou moins prochaine.

Enfin, elle parvint à destination et remercia maintes et maintes fois son chauffeur, même si ce dernier allait sans doute en profiter pour rendre visite à un de ses potes et faire une pyjama party à sa manière. La petite anglaise leva les yeux au ciel en se remémorant les efforts qu'elle avait dû fournir pour obtenir ce maigre service mais retrouva bien vite le sourire en frappant à la porte de la jolie libraire. Un cri lui répondit et ce fut une Charlie, en tenue fort légère pour la saison et dans un décor apocalyptique qui fleurait bon les examens terminaux, qui lui ouvrit. Elle babilla joyeusement, la serra dans ses bras, ce à quoi Lexie répliqua avec bonne humeur et parla très vite, s'excusa, lui fit un résumé du programme de la soirée, le tout en moins d'une minute trente. Les étudiants, une espèce définitivement perturbée mentalement. Lex était passée par là, elle savait que l'abus de caféine, les longues nuits d'angoisse à s'abîmer les yeux devant un écran d'ordinateur ou à s'endormir sur ses livres, les tragédies d'imprimante et de perte de données, n'étaient pas des légendes urbaines. Et visiblement, Charlie était la parfaite représentation de cette énergie nerveuse et un brin désespérée.

La rouquine eut un rire quand elle lui ôta son épais manteau avec des manières de duchesse britannique et prit enfin la parole « Ne t'en fais pas pour le désordre, je comprends bien que l'ambiance partiels règne par ici ! Et puis j'habite avec un londonien, une mère célibataire et son gosse, ma névrosée de soeur et une Maddie, l'ordre est une notion inconnue au bataillon. » Tristement c'était vrai, garder une maison si grande et si peuplée propre et rangée plus de dix minutes tenait de la pure et simple utopie. Néanmoins, cuisine et salles de bains sont des lieux qui se doivent d'être toujours propres, les membres de la Pension l'avait appris à la dure et se tenait à cette règle simple depuis. Lexie tendit le sac contenant boisson et nourriture à l'hôtesse de maison et ajouta « Je suis venue équipée aussi, Cat m'aurait tué si elle avait su que j'étais venue sans laisser de pâtisseries derrière moi. D'ailleurs elle est où la diablesse? Je suis sûre qu'elle aurait adoré me voir en hôtesse de l'air sexy mais bon, tant pis pour elle et tant mieux pour toi mon chou ! » Lexie appuya son propos faussement aguicheur par un clin d'oeil tout aussi raté, puis finit par éclater de rire. Elle se délesta de ses chaussures et les abandonna sous le canapé, avant de jeter un oeil intrigué à la cuisine que son amie avait désigné tout à l'heure « Et bien madame, je serais ravie de goûter à ce fameux Gangsta Charlie et j'aimerai également manger... les cookies, les bonbons, la glace, tout ! J'ai gardé Liam toute la journée, je me suis laissée mourir de faim et je crains de frôler la crise d'hypoglycémie. » Lexie, mélodramatique et encline à l'exagération? Voyons jamais, ce n'était absolument pas le genre de la maison !

Plus excitée que jamais, Charlie sautillait désormais sur place, pleine d’une énergie nouvelle qui était sans aucun doute motivée par les litres de café qu’elle avait avalés toute l’après-midi. Après sa séance karaoké et le rangement de l’étage -bref mais néanmoins intense- elle se sentait revigorée et prête à affronter une soirée qui s’annonçait déjà riche en péripéties. De toute façon, avec Lexie, elle ne s’ennuyait jamais ! Depuis quelques mois maintenant, la jeune rouquine semblait prendre un malin plaisir à la trainer un peu partout dans la ville afin de la « sortir de sa bulle » comme elle le lui répétait si souvent. Réticente au début, Charlie avait néanmoins fini par se laisser entrainer dans ces aventures qui s’avéraient toujours épiques. Si au premier abord l’étudiante en littérature semblait un peu trop renfermée sur elle-même, voire même timide sous certains angles, cette réserve ne durait jamais bien longtemps lorsqu’elle apprenait à connaitre son entourage. Passé un certain cap, elle révélait la partie déjantée de son personnage, celle qu’elle dissimulait à la perfection et que personne ne parvenait jamais à soupçonner. Et pourtant, s’il y avait bien un adjectif pour décrire le caractère de Charlie Watson-Brown, c’était bel et bien « délurée ». Sous ses airs d’innocente jeune femme pleine de candeur et de maladresse, se cachait en réalité une force de caractère qu’elle laissait souvent s’exprimer avec ses proches. Autant dire qu’avec Lexie, le mélange était explosif ! Entre la folie de la rousse et le dynamisme de la brune, le courant passait forcément ! Depuis que Charlie lui avait accordé sa confiance, elles passaient des soirées toutes plus folles les unes que les autres. Elles n’étaient jamais à court d’idée pour rendre une soirée « divertissante » tant et si bien que lorsqu’elles organisaient l’une de ces fameuses pyjama-party, ces dernières se transformaient généralement en grand n’importe quoi organisé ; et autant dire qu’elles faisaient tout, sauf enfiler sagement un pyjama et se raconter quelques anecdotes dans leurs lits respectifs. Au contraire, les nuits blanches étaient devenues leurs préférées !

Adressant une œillade appuyée à la rouquine qui semblait encore s’étonner de la rapidité exceptionnelle avec laquelle elle parvenait toujours à saluer ses invités, elle lui retira presque son manteau de force avant de l’entrainer vers le salon au décor quasi apocalyptique. Lexie la rassura d’ailleurs sur l’état de la maison tout en soulignant le sempiternel désordre qui régnait en maitre à la Pension. Charlie plissa les yeux un instant puis acquiesça vivement d’un signe de la tête ; après tout, elle n’allait pas mentir : la Pension était un véritable champ de bataille ! Entre les hurlements du rejeton de Santana, les disputes des deux sœurs, et l’exubérante Mad, autant dire que chez les Preston, il y avait de l’ambiance ! Peut-être était-ce précisément pour cette raison que Charlie se sentait si bien là-bas : avec ses cheveux défaits, ses jeans troués et sa démarche nonchalante elle se fondait dans le décor sans problème. Quoi que… elle n’était pas toujours si mal fagotée, elle savait faire un effort... Elle jeta un nouveau coup d’œil à la tenue qu’elle portait présentement et secoua la tête : non, réflexion faite, elle était souvent dans cet état-là -enfin, sauf avec Wyatt. Éloignant ses pensées avant d’en oublier son invitée, elle se tourna vers le canapé et posa aussi soigneusement que possible le manteau de Lexie. Tournant les talons, elle éclata de rire en apercevant la moue aguicheuse de cette dernière puis se rapprocha d’elle et attrapa le sac plastique qu’elle lui tendait. « Barbie Cat devait passer la soirée chez ses parents adoptifs, tu comprends… » Elle roula des yeux de façon théâtrale : « Essuyer les fesses d’une gamine de quatre ans et demi, c’est bien plus amusant que de faire la fête avec ses copines ! ». Elle gloussa un moment et, se rapprochant de Lexie, elle lui frôla la joue de son index en soulevant les sourcils d’un air vicieux. « C’est pas grave, va, on lui enverra plein de photos coquines et elle s’en mordra les doigts ! ». Après un dernier pouffement, elle s’écarta de son amie et passa une main dans ses longues mèches brunes qu’elle ébouriffa une fois de plus.

Se dirigeant vers la cuisine d’un pas allègre, elle s’installa derrière le comptoir et s’exécuta : elle trouva d’abord deux verres propres –ce qui était plutôt miraculeux, au milieu d'un tel champ de bataille- puis sortit tous les ingrédients de son cocktail secret. Tequila, jus de pamplemousse, un zeste de citron et quelques gouttes de rhum, et le très acide Gangsta Charlie était dans la place ! Après avoir réuni les différentes boissons, elle prit des airs de barmaid et entreprit la réalisation de son fameux cocktail tout en jetant régulièrement quelques coups d’œil furtifs à Lexie. « Hey j’espère que tu as soif, Ginny Weasley, parce que sans vouloir me vanter le Gangsta Charlie c’est du costaud… à l’instar de sa créatrice, bien entendu » Lança-t-elle avec un grand sourire qu’elle agrémenta d’un clin d’œil. Oui, bon, elle s’était juré de faire une croix sur la boisson quelques jours plus tôt lorsqu’elle avait eu droit à une gueule de bois typique des lendemains de soirée, mais tant pis ! Peut-être que si elle ne buvait qu’un verre, elle ne passerait pas la journée suivante à terre dans la salle de bain. Oui… un verre, un seul. La réalisation de son cocktail terminé, elle versa le contenu du shaker dans les deux verres préparés et porta le premier à ses lèvres afin de juger sa création. « Hmm, ma foi » Commenta-t-elle, avant de relever la tête, tout sourire.

Se penchant au-dessus le comptoir, elle tendit le second verre à Lexie et trinqua avec elle. Après avoir pris une nouvelle gorgée, elle reposa son cocktail et sortit des sachets entiers de friandises multicolores de ses placards et les vida dans un grand saladier. Attrapant finalement les cookies et la bouteille de Cosmopolitan, elle ouvrit le paquet et posa les deux objets à côté du saladier. « Eh bien, je crois qu’il y a de quoi s’exploser le bide avec tout ça ! » Fit-elle, fière de sa préparation… totalement improvisée. Une chance que ses placards soient toujours remplis ! Charlie saisit un cookie et croqua à pleines dents dans celui-ci. Levant les yeux au ciel, elle laissa un petit gémissement lui échapper, comme si ce biscuit était divin… et il l’était bel et bien, à ses yeux ! Elle s’apprêta à chiper un nouveau cookie quand le silence de la pièce la frappa. « Une seconde, je reviens ! ». Sans attendre la réaction de Lexie, elle partit comme une fusée jusqu’à l’étage afin de récupérer son iPod, puis redescendit les marches en courant. Brandissant son iPod comme un trophée, elle s’arrêta net devant la base iPod du salon et se trémoussa tout en choisissant une autre piste d’Operator Please, Just a song about ping pong. Charlie rejoignit finalement Lexie et s’installa sur un tabouret face à elle tout en agitant sa jambe au rythme de la musique. « Alors, qu’est-ce que tu racontes, poil de carotte ? » Demanda-t-elle, un nouveau sourire étirant ses lèvres. Qui aime bien châtie bien, n’est-ce pas ? « Oh… attends… laisse-moi deviner ! Tu as passé ton après-midi à observer le petit vomir sur ton chemisier en regardant un film british, je me trompe ? Ou une série british ? Ou… une émission british, peut-être ? Hm, oui, j’opterais plutôt pour l’émission débile ! ».

Devant l'approbation immédiate et vigoureuse de Charlie à la mention du désordre qui régnait chez les Preston & Co, Lexie eut un sourire léger. Il est vrai que sa jeune amie avait toute sa place chez eux, elle y était comme un poisson dans l'eau. Etudiants et travailleurs, britanniques et américains, avec une touche hispanique, des visiteurs constants, des portes qui ne restent jamais longtemps fermées, des pièces à vivre rarement désertes, quiconque avait un minimum de sociabilité et une bonne dose d'humour se sentait à la Pension comme chez lui. Charlie en tête. Il faut dire que le canapé de leur beau salon était un lieu idéal pour cuver son vin - ou sa tequila, ou n'importe quel alcool de votre choix - et que la brunette avait eu le loisir d'étayer la théorie. Ecaterina était moins présente chez eux, il faut dire que c'était beaucoup moins dans son tempérament, mais la rouquine s'enquit néanmoins des raisons de l'absence de sa correspondante adorée. Mademoiselle emplissait ses obligations familiales. Le sourire de Lexie s'élargit, effectivement pouponner était beaucoup moins rigolo que de tester des cocktails, se déguiser et manger des cookies, mais ça avait son charme. La tata gâteuse qu'elle tendait à être et qui avait dévolu son après-midi à la garde du petit Liam pouvait comprendre le désir de Blondie. Mais, elle n'aurait jamais pu refuser une soirée avec Charlie. Elles s'amusaient beaucoup trop quand elles étaient ensemble. Parce que sous ses airs de demoiselle timide et rangée, miss Watson-Brown était une des personnes les plus drôles et déjantées qu'il lui était donné de rencontrer. Et venant de Lexie Preston, c'était une affirmation qui avait un poids certain. Elle aurait d'ailleurs donné cher pour que Gangsta Charlie fasse la connaissance de sa bande d'amis délurés de Londres, nul doute qu'en traînant la miss à travers Camden et en lui faisant avaler des litres de Guinness et de whisky façon british, elles auraient pu passer la soirée du siècle. Mais celle-ci, bien que dans un registre différent s'annonçait tout aussi épique.

La britannique fut tirée de ses pensées par la main de son amie sur sa joue et sa mine séductrice, ou plus exactement perverse. C'était exactement ce qu'elle voulait dire, cette fille avait peut-être des airs de libraire réservée de bonne famille, mais il n'en était rien. La jolie rousse répliqua, avec une moue taquine et en glissant sa main autour de la taille fine de l'étudiante « Oh oui, alors, une séance photos de charme, Blondie ne sait pas ce qu'elle rate dis donc. » Elle joignit son rire à celui de son amie, avant de la suivre jusqu'à la cuisine d'un pas sautillant. Elle s'installa sur un des hauts tabourets, croisant ses longues jambes avec désinvolture, puis posa son coude sur la table et son menton dans le creux de sa main, observant la préparation du fameux cocktail surprise. Dans un coin de sa petite tête, elle nota soigneusement la liste des ingrédients. Tequila, pamplemousse, citron, rhum. Voilà qui promettait d'être... piquant ! En entendant le sobriquet de Ginny Weasley, Lex fronça les sourcils, avant de rire légèrement. Il est vrai que Charlie avait cette tendance à lui trouver tous les surnoms possibles relatifs à sa couleur de cheveux. Oh c'était par pure jalousie, elle le savait pertinemment, Watson Brown aurait adoré être rousse elle aussi. « Ha, je t'attends au tournant Blanche-Neige ! » répliqua-t-elle tout sourire, prête à affronter la décoction que son amie lui tendait, visiblement appréciative de son oeuvre. Prenant un air de grand oenologue, elle trempa ses lèvres dans la mixture et en avala une petite gorgée. Comme elle s'en était douté, ce n'était pas exactement le genre de boisson ultra sucrées et qui se buvaient toutes seules que la galeriste avait coutume de boire. Mais c'était plutôt bon et elle trinqua donc de bon coeur avec la barmaid amateur « Pas mal petite, pas mal. » Elle hocha la tête en humectant ses lèvres, l'air satisfait. L'hôtesse déversa ensuite quantité de bonbons dans un grand saladier et Lexie la laissa faire, contente de laisser cette tâche à quelqu'un pour une fois. Car s'il y avait quelqu'un sur qui on comptait pour organiser une soirée, c'était elle et depuis qu'elle avait emménagé à la Pension, elle avait clairement gagner du galon dans l'événementiel improvisé et surtout, elle avait appris à cuisiner. Comme quoi, on en finit jamais d'apprendre.

Brusquement, Charlie bondit sur ses pieds et se précipita à l'étage avec la grâce d'un bébé éléphant parcourant la savane. Son invitée ne s'en inquiéta pas outre mesure, Dieu sait ce qui pouvait se passer dans la tête de cette fille. Elle redescendit aussi vite qu'elle était partie, brandissant glorieusement son Ipod. Ah oui, bien sûr, il est vrai que ça manquait un peu d'ambiance sans fond sonore entraînant. Elle lança une musique agitée, parfaitement inconnue au bataillon pour la rousse mais dont le rythme festif était de circonstance. Revenant s'installer à ses côtés, la brune reprit la discussion comme si rien ne c'était passé, arrachant un nouveau sourire à son amie. Elle l'écouta se moquer gentiment de ses activités du jour et de sa tendance à vanter la télévision britannique et Lexie se dit qu'elle allait en prendre pour son grade en révélant ce qu'elle avait effectivement fait cette après-midi là. Elle ne se défit toutefois pas de son aplomb et après une nouvelle gorgée du fameux Gangsta Charlie, la londonienne répondit avec assurance « Non, rien de toute cela figures-toi ! J'ai exploré les abysses sans fin de la télé-réalité américaine et j'ai regardé Todlers and Tiaras. Pas longtemps, juste un épisode, histoire de me lamenter sur le sort de l'humanité et de me désoler pour les âmes perdues des campagnes américaines. Et après ça, j'ai trouvé une chaîne musicale avec un spécial boys band et j'ai chanté du One Direction et du Take That toute la journée. Je crois que Liam est fan de Blue. » Elle n'était d'ailleurs pas certaine que Santana apprécie énormément la chose, mais elle s'abstiendrait bien de lui en parler. « En parlant musique, c'est sympa comme tout ton truc. » Puis lassée par ce bavardage - après tout, elle avait passé la journée à parler même si le chérubin n'avait guère pu lui répondre - Lexie se redressa soudainement et pris la main de son amie « Dansons darling. » Elle serra sa main dans la sienne et passa l'autre dans son dos, un fin sourire accroché aux lèvres, puis se lança dans une chorégraphie oscilla entre rock'n'roll endiablé et valse détournée. Agitées et pas forcément des plus habiles, la chute inévitable ne manqua pas de se produire. Sur un mouvement maladroit de la jeune étudiante, la rousse sentit son pied nu déraper sur le carrelage de la cuisine et alors qu'elle partait en arrière, entraîna son amie dans sa chute se retrouva donc sur son séant puis allongée par terre, Charlie affalée sur elle. Elle grogna sur le coup de la douleur, la réception avait été plutôt difficile mais sans se départir de son humour douteux, lança une oeillade à la brunette « Si tu voulais me faire un câlin, il suffisait de le dire tu sais. » Elle éclata alors d'un rire franc, malgré la douleur qui se propageait depuis son coccyx dans tout son dos. Voilà qui était le signe d'une soirée prometteuse.

Entrainée par la perspective d’une soirée complètement déjantée, Charlie se sentait pousser des ailes et ne pouvait s’empêcher de courir dans tous les sens comme une gamine de six ans à qui l’on annonce des vacances à Disneyland. Toute l’énergie qu’elle avait retenue pendant la journée pouvait enfin être libérée ; toutes ces heures passées devant un stupide écran d’ordinateur allaient être récompensées par la promesse d’une soirée atypique et endiablée ! Elle avait déjà mené à bien deux activités : la création de son cocktail ô combien sacré pour la suite des événements, et l’apport d’une petite touche musicale qui venait ainsi rompre un fond sonore bien trop silencieux au goût des deux jeunes femmes. Charlie le savait : Lexie était une invitée exigeante. Depuis qu’elle s’était convertie en organisatrice de soirées en tous genres à la Pension Preston, elle savait exactement comment alimenter les heures les plus tardives, et lorsqu’elle était à son tour invitée chez les autres, il fallait que tout soit parfait. C’était du moins l’interprétation que faisait Charlie, une interprétation qui n’était peut-être pas tout à fait correcte, mais qui la motivait néanmoins à toujours frapper plus fort, en ajoutant des tonnes d’activités improbables à la liste des animations prévues pour leurs fameuses soirées pyjama. Cette fois-ci, c’est vrai, elle avait complètement zappé la venue de Lexie et l’état apocalyptique de la maison en était d’ailleurs la preuve. Si elle s’en était souvenue plus tôt, elle aurait coupé court à la rédaction soporifique et laborieuse de son essai afin de jouer les agents d’entretien… en petite tenue, certes. Oui, avec un peu d’énergie et surtout beaucoup de détermination, elle serait parvenue à faire de cette maison un temple de la propreté absolue, et ainsi accueillir Lexie dans un environnement sain, qui ne sentait ni la caféine, ni la pizza réchauffée.

Ses épaules s’affaissant légèrement, Charlie balaya les ondes négatives d’un revers de la main et plongea son regard dans celui de la rouquine installée face à elle. Sans jamais détourner les yeux, elle attrapa son verre d’une main et trempa une nouvelle fois ses lèvres dans le Gangsta Charlie. Un sourire ravi se dessina aussitôt sur ses lèvres et elle écouta la réponse de cette chère Lexie qui lui contait les péripéties de son après-midi. En définitif : des émissions débiles (Todlars and Tiaras, sérieusement ?) et des chansons débiles (les One Direction avaient l’air encore plus ridicules que Justin Bieber, et ce n'était pas peu dire), le tout en compagnie du pauvre petit Liam qui avait dû envier plus d’une fois la surdité. « En effet… C’est encore pire que ce que j’imaginais. A côté, même mes essais philosophiques semblent attractifs et crois-moi, c’est pourtant loin d’être une franche partie de rigolade ! » Lança-t-elle avec amusement, avant de froncer le nez en songeant à toutes les pages qu’elle devrait encore noircir. Parfois, elle se disait qu’elle n’aurait jamais dû choisir des études de littérature. Elle adorait ça, pourtant, mais il fallait voir tout le travail que cela représentait. Un livre à lire chaque semaine, dans chaque matière –et elle en avait quatre, alors faites un peu le calcul- des tonnes d’essais à écrire et à rendre régulièrement... c'était bien trop. A côté de ça, elle travaillait à la librairie de la ville, et multipliait les allers retours Columbus-Lima. Autant dire qu’elle avait à peine le temps de voir son gynécologue favori avec un tel emploi du temps ! Certes, elle se passionnait pour la littérature depuis toujours, et la lecture ne la dérangeait pas tant que ça -même si les romans de Shakespeare n’étaient pas forcément sa tasse de thé. Cela dit, si elle avait pu choisir une matière un peu plus « fun » -un cours de théâtre, par exemple- et ainsi éliminer l’une de ses quatre matières littéraires, peut-être que son semestre aurait été un peu plus passionnant, et surtout moins contraignant. Peut-être même qu’elle aurait davantage de temps pour s’occuper de l’entretien de sa maison, qui sait ?

Gratifiant Lexie d’un grand sourire lorsqu’elle lui proposa de danser, Charlie ne tarda pas à sauter sur ses pieds et à accepter la main qu’elle lui tendait. Glissant vers le centre du salon, elle posa à son tour sa main libre dans le dos de Lexie et se laissa entrainée par celle-ci dans une danse qui semblait mêler tous les styles. Dotée d’une maladresse dont la réputation n’était plus à faire, elle se contenta de se cramponner à la rouquine tout en éclatant de rire lorsque cette dernière la faisait tourner sur elle-même. La voix d’Amandah Wilkinson hurla dans ses oreilles et elle se dandina au rythme de la musique, ayant parfaitement conscience de son air ridicule qu’elle assumait complètement. Tout se passait à la perfection, jusqu’au moment où elle se montra un peu trop enthousiaste et poussa malencontreusement Lexie qui dérapa aussitôt. Quelques secondes plus tard, Charlie était presque allongée sur la Prestie et la dévisageait d’un air ahuri, encore sonnée après leur chute précipitée. Face à la réplique de Lexie qui ne perdait décidément jamais son humour, elle mêla son rire au sien et approcha soudainement son visage du sien. « Ne me tente pas, Preston ! ». Gloussant de plus belle, elle dégagea son visage et attrapa la main de la jeune fille afin de l’aider à se relever. Une fois debout, elle sautilla de nouveau sur place avant de se diriger d’un pas tout aussi dansant vers le comptoir afin de reprendre un cookie et une petite gorgée de son succulent cocktail –en toute modestie, bien entendu.

Elle repartit finalement vers le centre du salon et, se tournant vers Lexie, afficha un large sourire. « J’ai une idée » Fit-elle, les yeux brillant d’une lueur nouvelle, ce qui ne présageait rien de bon. Elle partit en courant vers l’entrée et attrapa deux chapeaux en paille derrière le rideau qui dissimulait une petite commode. Retournant dans le salon, elle lança l’un des chapeaux à Lexie puis se dirigea vers son iPod et chercha la chanson « Cotton Eyed Joe ». Lorsqu’elle la trouva enfin, elle se retourna vers Lexie et posa son chapeau sur le sommet de son crâne. « Yihaaa ! » Cria-t-elle, se prenant probablement pour un cowboy, ou plutôt une cowgirl. « Promis, cette fois, je ne tomberai pas ! ». Elle attrapa le bras de Lexie et la fit tourner à ses côtés, tenant de son autre main son chapeau de paille. Rapidement, elle se détacha de la jeune rouquine et improvisa une chorégraphie loufoque au possible. Elle se prit d’abord pour une cowgirl du western, puis une strip-teaseuse enchainant les poses lascives –mais pas de panique : elle gardait le t-shirt ! Et à chaque fois que le refrain retentissait, elle reprenait le bras de Lexie, jusqu’au moment où elle lui fit carrément faire le tour de la maison. Quand la musique prit fin, ses joues étaient rouges et elle riait aux éclats, le tout lui donnant un air démentiel. Elle se laissa tomber dans le canapé du salon d’un air épuisé puis leva le visage vers Lexie. « Je crois que j’ai fait suffisamment d’exercice pour l'année entière ! ». Posant ses mains sur ses genoux, elle se pencha en avant et tenta de reprendre sa respiration. Quelques secondes plus tard, elle jetait un nouveau coup d’œil à Lexie et souriait. « Hey, je ne t’ai pas dit ! J’ai investi dans un punchingball il y a pas longtemps ! Comme Cat ne va pas tarder à déménager ici, je me suis dit que ce serait peut-être bien si j’avais de quoi me défouler quand elle me prendrait la tête ». Elle éclata d’un rire spontané et s’enfonça dans le canapé. « Je plaisante, bien sûr ! C’est un peu violent, comme jeu, mais si ça te tente, il est installé à la cave ! ».

Lexie ne put retenir un sourire goguenard en entendant la répartie de son amie, se souvenant de la timide jeune femme qu'elle avait rencontré il y a quelques temps. Evidemment, la rouquine avait rapidement vu la flamme et l'espièglerie que renfermait ce minois frêle, d'apparence timide et réservée. Et réservée, elle l'était sans doute un peu, mais rien qu'un début d'amitié ou quelques verres ne pouvaient arranger. La londonienne ne pouvait s'empêcher d'être amusée par la personnalité un brin contradictoire – mais à bien y réfléchir, parfaitement logique – de mademoiselle Watson-Brown. Elle avait quelque chose qui la rendait à part. Certes, elle était très jolie, adorable, tout ça, mais il y avait quelque chose en plus. Pas vraiment un grain de folie, ça c'était plutôt le rayon de la jeune Preston. Non, c'était plus... subtil. Suffisant en tout cas pour capter l'attention non seulement de Lex, mais aussi d'un certain gynécologue. Elle se targuait d'ailleurs d'avoir fait naître cette idylle hors normes mais des plus attendrissantes. Il n'y a rien de tel que voir des gens qu'on aiment se mettre en couple. C'est quand ils se séparent que ça devient plus compliqué, mais la britannique ne voulait pas avoir ses sombres pensées ce soir. Surtout pas en présence de Charlie. Non et puis ce n'était pas son style de penser à l'avenir, encore moins de penser à un avenir sombre. Elle rejoignit donc son hôtesse à la cuisine et tapa dans ce cocktail piquant, mais ma foi délicieux et rafraîchissant.

D'un oeil taquin, la brunette lui fit savoir qu'elle venait d'avoir une idée. La galeriste haussa un sourcil curieux, non sans un sourire en coin. Qu'est-ce qu'elle avait encore été inventé? Le nombre de choses qui défilaient dans la tête de cette fille était assez impressionnant et ferait presque concurrence à la cervelle imaginative de la cadette des Preston. Elle bondit encore une fois de sa chaise puis revint en lui balançant un chapeau de paille, qu'elle parvint à attraper au vol dans un geste faussement désinvolte. Sans poser de questions, elle posa l'accessoire sur sa tête et laissa l'étudiante trifouiller son Ipod, avant que le célèbre « Cotton Eyed Joe » retentisse dans toute la maison. Lexie éclata de rire et se laissa entraîner de bon coeur dans une nouvelle danse endiablée. Celle-ci était un rien plus sportive, plus coquine aussi. Décidément, fréquenter les fêtes de la Pension et sortir avec Wyatt Pillsbury avait rendu la douce petite fille sacrément plus déjantée. Lex se glissa derrière son amie et posa ses mains sur ses hanches, la rejoignant dans ses chorégraphies sexys et échangeant avec elle des regards en coin. Lima s'était franchement ouvert l'esprit ses cinq dernières années. Non pas que fréquenter des homos ou jouer les lesbiennes soit nouveau pour l'habituée de Soho, qui comptait parmi ses amis un couturier franchement et quelques filles pas très hétéros, mais elle n'aurait jamais imaginé pouvoir s'adonner à ce genre de petit jeu si facilement avec une nouvelle connaissance de la ville. Mais les moeurs évoluent ou bien Lexie Preston a l'art et la manière de se faire les bons amis. Pour tout dire, elle n'eut guère le temps de s'attarder sur la question, Charlie était une partenaire de danse des plus exigeantes et la rousse était à peu près certaine qu'elle venait de parcourir la distance entre leurs demeures respectives à force de sautillements et de tournoiements. Même en sa qualité d'ancienne cheerleader et de professionnelle du déplacement tout terrain sur talons hauts, Lex devait avouer que l'exercice avait été relativement rude et elle ne se fit pas prier pour se laisser tomber dans le canapé, près de son amie tout aussi exténuée. De bonne grâce, elle se leva pour aller chercher leurs verres – dont elles allaient avoir grand besoin – tandis que Charlie lui racontait ses récents achats.

La londonienne revint s'assoir dans un éclat de rire et répliqua « Un punching-ball, voilà une idée intéressante, je suis sûre que ça ferait fureur à la Pension. Parce que crois-moi, la coloc c'est bien mais ça donne envie de se taper dessus des fois. » Elle ponctua sa phrase d'un nouveau rire léger, toutefois, elle n'en pensait pas moins. Oui, elle avait de furieuses envie de balancer l'adorable Liam par la fenêtre quand il pleurait à trois heures du matin, elle giflerait volontiers sa mère quand elle était dans une de ses humeurs de bitch latino, Madeleine pouvait s'avérer irritante, surtout quand on cherchait à la joindre, Anna avait bien sûr le don sororal de l'exaspérer même quand elle ne faisait rien et Joachim Jones avait l'art et la manière de déclencher des joutes verbales endiablées avec toute la pension. Et Lexie elle même pouvait être une insupportable gamine prétentieuse quand elle s'y mettait. Fort heureusement, la joie, l'amour, la bonne humeur, les crêpes et la tequila finissaient généralement par réconcilier tout ce beau monde. « Par contre, je vais pas aller le tester tout de suite, je ne suis pas encore certaine d'avoir pleinement retrouvé mes facultés respiratoires. Et puis... » Mais la demoiselle fut coupée dans ce qui promettait d'être une de ses longues tirades loufoques par une sonnerie de téléphone « Hey I've just met you and this is crazy but here's my number... » Lex réussit à mettre la main sur son Blackberry rose et décrocha sans cérémonie « JJ le disjoncteur est dans la cave, le ballon d'eau chaude sera de nouveau plein dans une petite heure, s'il n'y a rien à manger, commande une pizza et si c'est à propos de la galerie, ça peut attendre demain. Et si c'est important, demande à Anna, je suis occupée là. Je t'aime mon chou. » Elle raccrocha tout sourire, sans même lui avoir laisser le temps de répondre et s'excusa platement auprès de son amie. « Désolée ma belle, il ne parvient pas à fonctionner parfaitement sans ma divine présence. Cela dit, j'adore ma sonnerie. Tu te souviens de cette chanson? » Elle pianota une seconde pour retrouver le fameux titre – qui devait bien dater de 2013, voire 2012 – et coupa l'Ipod de son amie pour lui faire profiter pleinement de cette antiquité musicale. Lexie ne se gêna d'ailleurs pas pour brailler à tue tête avec la jeune chanteuse - dont le nom lui avait échappé, mais qui sonnait comme l'héroïne de télé pour enfant iCarly - « I threw a wish in the well, don't ask me I'll never tell. I looked to you as it fell and now you're in my way. » Elle tendit l'index vers Charlie et lui fit signe de la rejoindre avec une moue aguicheuse « I trade my soul for a wish, pennies and dimes for a kiss. » A ces mots elle mima un baiser dans la direction de son amie en continuant « I wasn't looking for this, but now you're in my way. »