Chantonnant distraitement pour elle-même, Brittany observait avec curiosité et avidité les portants alignés contre les murs. Elle saisit délicatement les vêtements, les tirant vers elle pour en admirer tous les détails, attirée par les plus colorés d’entre eux, par les paillettes, la fourrure et les plumes. Elle adorait rendre visite à Glenn et prendre son temps dans son atelier pour observer ses créations personnelles et ses sélections. En fouinant un peu, elle pouvait même trouver ses échantillons de tissus (qu’elle adorait toucher pour en découvrir la texture) et d’accessoires. Oui, elle agissait comme une enfant dans un magasin de jouets, mais elle ne cassait rien, promis.

Lorsqu'elle se retourna, la fameuse robe, dont ils avaient tant parlé auparavant et qu’elle devait essayer aujourd’hui, l’attendait sagement installée sur un mannequin. Brittany offrit un sourire ravie à Glenn avant d’observer plus attentivement sa prochaine robe de gala. Le tissu chatoyant changeait de couleur selon l’angle de la lumière, allant du doré au rosé en passant par l’orange. Le styliste connaissait parfaitement ses préférences, notamment pour les couleurs chaudes. « Oh Glenn, tu avais raison, c’est absolument magnifique ! »    

Elle fronça distraitement les sourcils lorsque Glenn, le sourire tendu et le verbe rare, lui fit signe de passer derrière le paravent pour se changer. Elle se laissa distraire par sa nouvelle acquisition cependant, et enfila précautionneusement la robe longue à une seule bretelle. Elle s'avança ensuite au milieu de la pièce pour tournoyer sur elle-même et admirer l’envol de la jupe, telle une princesse de conte de fées. Il lui apparut alors clairement que son enthousiasme n’était pas partagé comme à leur habitude, et n’était pas aussi communicatif que d’ordinaire. Elle qui pouvait se vanter de faire naître des sourires même lorsque ses interlocuteurs avaient le vague à l’âme… Le problème semblait plus sérieux.

Tandis qu’elle indiquait au couturier les endroits méritant quelques ajustements, elle réfléchit en observant le visage fermé du jeune homme dans le miroir. Cela lui rappelait soudainement Warren et son expression distraite la dernière fois qu’elle était passée au commissariat. Lui non plus n’avait pas l’air dans son assiette à ce moment-là, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : brouille de couple. Elle claqua distraitement la langue avant de faire ce qu’elle savait le mieux faire dans ce genre de situations délicates : mettre les pieds dans le plat.

Lorsque Glenn passa devant elle pour vérifier le décolleté, elle le saisit par les poignets, faisant attention aux épingles qu’il tenait. « Ok, dis-moi ce qui ne va pas chaton, ça me rend triste de te voir faire la tête et Warren était tout aussi miséreux* la dernière fois que je l’ai vu. Qu’est-ce qui s’est passé, tu veux en parler ? Ou tu préfères qu’on s’avale des tonnes de chocolat ensemble ? Je peux hein, sauf qu’il va falloir que j’enlève la robe avant… » Elle lui offrit un petit sourire pour adoucir son questionnement indiscret.

Glenn n’était pas un novice en matière de brouille domestique, loin de là. Il n’avait peut-être connu qu’une seule relation sérieuse avant Warren mais c’était une relation compliquée, c’était le moins qu’on puisse dire. Intense, passionnée et très très compliquée. En fait, sur la fin, Isaac et Glenn passait plus de temps à se disputer, de plus en plus violemment, qu’à autre chose, avant de se réconcilier sur l’oreiller (ou sur une table, contre un mur, sur le comptoir voire même le sol) tout aussi violemment. et c’était sans parler des fois où l’un ou l’autre s’en allait en claquant la porte pour ne revenir que des jours ou des semaines plus tard. Oui, Glenn avait déjà vécu pas mal de chose mais ce n’était rien comparé à ce qu’il ressentait depuis cette désastreuse soirée d’Halloween. Comment les choses avaient elles pu en arriver là ? Tout avait pourtant bien commencé (relativement) mais tout était parti à vau-l'eau. L’horrible dispute qui avait opposée Madeleine, Warren et lui-même ne cessait de le hanter, surtout à cause de ce qu’il s’était passé avec Warren. Il se souvenait encore du regard que ce dernier lui avait lancé quand il avait refusé sa clé, mon dieu ces yeux, cette expression … tout ceci hanterait sûrement le styliste pendant longtemps. Il s’était senti comme le dernier des salops et il s’en voulait énormément mais il n’aurait pas pu faire autrement parce que cela n’aurait pas été juste, ni pour Warren ni pour lui. Il ne se sentait pas près à emménager avec lui, et il se devait d’être honnête. Même si ça voulait dire que c’était la fin de leur histoire.

N’empêche, c’était quand même très douloureux ce qui expliquait pourquoi le styliste était présentement en compagnie de Brittany, pour lui faire essayer la nouvelle robe qu’il avait créer et fait lui même (ce qui lui avait donner une excuse parfaite pour s’empêcher de trop penser) tandis qu’elle en profitait pour farfouiller un peu partout dans son atelier (comme le faisait chacune de ses amies quand elles étaient chez lui) sans pour autant participer au “festivités”. Contrairement à son habitude, Glenn se montrait taciturne et distrait, ne participant pas aux essayages avec sa fougue et sa passion habituelle. il sentait bien que cela inquiétait Brittany mais il n’y pouvait rien, il ne réussissait tout simplement pas à mettre ses soucis de côté et à s’amuser. En fait, depuis la dispute, il avait adopté son moyen de défense habituel et s’était complètement replié sur lui même. Glenn essayait tout de même de donner le change, faisant quelques remarques ci et là tout en offrant un maigre sourire. Mais Brittany était bien plus perceptive que ce que les gens voulait bien croire et elle avait remarqué son manège. Il fut néanmoins surpris quand elle lui saisit le poignet et lui demanda le pourquoi du comment.

Si ça première réaction fut de se dégager au plus vite, instinct oblige, Glenn se reprit rapidement, observant le visage sincère de son amie. D’un côté, il n’avait envie de parler à personne mais de l’autre, il savait que ça lui ferai du bien de s’ouvrir un  peu. Et puis, si il y avait bien une personne pour lui changer les esprits c’était bien Brittany, Queen of Unicorns M.D. Aussi, après quelques instants de réflexions, il lui offrit son premier vrai sourire de la journée avant de reposer tout son matériel.

-Je .. c’est vrai qu’il s’est passé quelque chose entre Warren et moi et … Hum … Je pense que je vais accepter ta proposition de chocolat. J’en ai bien besoin … surtout si je dois t’en parler. Oui, du chocolat et du vin ! Qu’est ce que tu en penses ? Je vais sortir tout ça. Enlève la robe et rejoins moi dans le salon.

A ces mots, Glenn sortit de l’atelier, laissant Brittany se rhabiller tranquillement, et se mit à préparer de quoi passer une excellente soirée avec son amie. Il en avait bien besoin.

Bien que le monde de Brittany aurait pu se limiter à des cœurs en guimauve, des étoiles en meringue, des pommes d’amour et des arc-en-ciels en dragibo sans qu’elle n’en éprouve aucune difficulté (ne parlons pas des choses qui fâchent, comme son dentiste et le dentier qui l’attendait au passage à la quarantaine…), elle était une fan de Cupidon mais loin d’arriver à sa minuscule cheville. Elle ferait probablement une très mauvaise matchmaker et la preuve en était du couple Glenn/Warren : elle les avait connu tous deux avant qu’ils ne se fréquentent, mais elle ne les avait jamais imaginé ensemble. L’annonce l’avait même quelque peu surprise à l’origine. Et pourtant, elle devait reconnaître qu’il formait une belle paire. Cela et le fait qu’ils étaient tous deux de très bons amis auxquels elle tenait rendait l’idée d’une dispute particulièrement attristante. Elle serait tout à fait incapable de choisir entre les deux mais n’était pas vraiment très douée non plus pour le rôle de médiateur alors… il ne lui restait plus qu’à être l’oreille amicale. Ce ne serait pas difficile à faire, cela lui venait naturellement, mais ce n’était quand même pas le projet le plus glamour qu’elle ait eu pour sa soirée.

Sans ciller pourtant, elle hocha solennellement la tête et prit à cœur sa tâche. « Il n’y a rien de meilleur que la crème glacée Ben&Jerry’s pour des occasions pareilles, si tu en as. Et si ça ne tenait qu’à moi je rajouterai une tasse de chocolat chaud, mais certaines personnes affirment que cela fait trop de sucre… En tout cas, moi, je n’ai jamais fini par vomir en larmes, comme certaines, lorsque l’alcool est mêlé aux maux de cœur, » grommela-t-elle sa dernière phrase, dans un excès de réminiscence plus ou moins nostalgique.

Mais Glenn quittait déjà la pièce, apparemment pas malheureux d’avoir une bonne excuse  pour laisser le travail de côté et noyer son chagrin dans le glucose. Brittany s’empressa donc de suivre le mouvement, sa ns se piquer aux quelques épingles ni abimer ce bijou de couture sur-mesure. Elle rentra rapidement dans un jean confortable et un large pull angora, une combinaison de choix pour une soirée cocooning en perspective.

Brittany retrouva son ami dans le salon et s’installa confortablement sur le sofa. Lorsque Glenn la rejoignit, elle posa une main légère sur son genou en acceptant ce qu’il lui tendait. « Donc… est-ce que cela a quelque chose à voir avec la soirée d’Halloween ? Parce que j’ai entendu une rumeur d’une dispute entre blonds… » à laquelle elle était ravie de ne pas avoir été invitée, mais dont il lui faudrait quand même les grandes lignes si elle voulait être d’une quelconque utilité ce soir.

Distraitement, elle ajouta néanmoins pour donner une solution d’échappatoire à son ami parce que c’était aussi ça être une bonne copine : « Tu sais quoi d’autre aide dans ce genre de cas ? La musique. Chanter. »