&

Après les multiples jours de pluie déversée sur la ville de Lima durant ce long mois d’octobre, quelques rayons de soleil firent leur apparition et réchauffèrent ainsi l’atmosphère peu avant Halloween. Les gens pourraient enfin lâcher leur grosse doudoune ou leur parapluie pour une journée plus douce et plus chaude. Alors que la fête foraine installée quelques jours auparavant et qui se vantait fièrement d’attractions comme le train fantôme ou le musée des horreurs pour la période, n’avait pas remporté un franc succès, c’était maintenant l’occasion rêvée pour les citadins de s’autoriser une sortie et profiter des charmes d’une fête ensoleillée.

Beverly avait littéralement hiberné durant les quelques jours précédant cet instant. Bien sûr, elle était sortie et avait assuré son statut de Chef des Pompoms populaires à la plus part des soirées. C’est qu’elle avait des obligations maintenant et même si elle n’était pas une leader très… suivie, elle possédait une influence naturelle due à sa position. Seulement aujourd’hui elle avait prévu de sortir seule, elle aurait pu se faire accompagnée de quelques Pompoms lèche-bottes ou encore demandé à des amis ou bien des béguins de venir l’accompagner mais elle avait juste envie d’être seule. Elle voulait profiter de la fête foraine et en profiter à fond. Elle n’était pas du genre à reculer devant un grand huit ou des attractions qui empestent le vomi frais du quart d’heure précédent bien au contraire, elle recherchait des sensations, histoire de quitter terre un instant et profiter d’un moment à part.

C’est donc avec cet objectif qu’elle enfila une tenue autre que son uniforme à savoir un jean, une chemise et un foulard léger et de grandes lunettes de soleil qui couvrirait ainsi son visage. Oui elle aimait bien se prendre pour une star mais il fallait avouer que si elle était reconnue dans la rue, elle ne pourrait plus s’échapper, quoique sa coupe de cheveux assez atypique suffirait sûrement à la faire remarquer… Elle prit son vespa rose, elle attends d’amasser assez d’argent pour s’offrir une belle voiture digne des habitants de Los Angeles , enfila son casque rose et s’élança vers la fête qui battait son plein.

Une fois arrivée, elle mit son casque dans le coffre et prit la peine de mettre trois cadenas pour s’assurer de ne pas se faire voler le scooter. La première chose qui lui parut bon de faire fut de s’acheter une barbe à papa, le sucre est un compagnon non négociable dans la solitude même souhaitée. Elle se permit même une pomme d’amour et envoya au diable Silvester et ses restrictions pondérales, elle et sa culotte de cheval pouvaient aller se faire voir, en vacances on se lâche. Une fois tout ceci englouti, elle était enfin prédisposée à aller faire un truc qui secouait bien, elle monta dans les auto-tamponneuses pour se chauffer puis le grand huit pour finalement finir dans les toilettes et recracher tout ce qu’elle venait d’engloutir, après quelques minutes de pâleur faciale, c’était comme si de rien était.

Elle choisit en suite le repos après tout ceci et finit par s’asseoir sur un banc malgré que l’autre moitié soit occupée. Quand elle daigna lever la tête vers la personne qui siégeait à côté d’elle, elle réalisa qu’il s’agissait d’une élève de McKinley, d’après ce qu’elle en savait, elle venait d’Asie et était arrivée en début d’année. Après quelques minutes d’hésitations elle se décida à lui adresser la parole, elle avait l’air plutôt gentille. « Bonjour ! Toi… Tu euh… viens de l’Asie ? Euh… Chinois ? » Et si elle ne parlait pas américain hein ? Il fallait bien qu’elle soit explicite… Même si elle s’était carrément montrée incompréhensible… Mais l’important c’était qu’elle faisait le premier le pas vers elle non ? Elle se montrait généreuse… non ? Et puis de toute manière si elle ne souhaitait pas lui répondre ce serait son choix. Comme elle arrive juste elle a sûrement entendu des tas de choses cruelles sur les Cheerios, le genre de stéréotype qui pesait très lourd sur le quotidien de Beverly mais elle ne pouvait rien y changer sauf elle de son côté se montrer agréable et ouverte… Surtout envers les nouveaux.

Une idée traversa l’esprit de la jeune fille comme quoi peut-être que l’asiatique s’était faite « bousculée » par un groupe de pompoms… Si jamais cela était arrivé, elle ne lui adresserait sûrement pas la parole… Beverly eut soudain une illumination, elle ne portait pas son uniforme alors peut-être qu’elle ne la reconnaîtra, ce qui n’était possible que pour les nouveaux évidemment, mais tout de même… Elle pourrait ainsi mieux connaître l’avis extérieur que les gens ont sur les pompoms girls…

La pluie, il y en avait beaucoup plus en Amérique que Sakura ne le pensait. Là d'où elle venait, la pluie arrivait beaucoup plutôt dans l'année. Mais dans l'humidité normale de l'air salin de Beppu, la pluie ne faisait pas de très grandes différences. En fait, Sakura avait toujours aimé la pluie et en particulier les gros orages qui vidaient complètement le ciel de son énergie. Mais le mois d'octobre long et pluvieux avait toutes fois laissé à l'adolescente une impression de vide. Comme s'il lui manquait quelque chose, une pièce quelconque qui aurait senti comme à la maison, non pas que la cuisine que ses parents servaient ne goutait pas le gout de son enfance dans l’auberge. En fait, elle se voyait bien en regret d’annoncer que sa langue et ses amis lui manquaient. Il est dur de mettre seize ans de sa vie derrière soi sans ressentir le moindre regret.

Les jours se déroulaient rondement depuis qu'elle avait mis les pieds à Lima en Ohio. Il y avait l'école, le boulot et les amitiés qui se développaient. Il y avait aussi les gens à qui elle disait être malade et ceux qui ne savait pas. Tous ces gens qui la considéraient comme une élève difficile et une potentielle lâcheuse, une de ces décrocheurs du système scolaire à cause de ces nombreuses absences prolongées mais justifiées auprès du corps enseignant. Mais quiconque connaissant Sakura sait qu'elle n'était pas le genre de jeune fille qui se laisse abattre. Comme bien des jeunes de son âge, elle aimait le cinéma, les fêtes foraines et les manèges de sensations fortes. Ce samedi-là, le premier depuis près d'un mois à aborder un ciel dégagé, revêtait donc une signification particulière avec l'arrivée de la fête foraine, dont elle s'était fait parler par certaines de ses connaissances. Bien décidée à vivre sa vie, elle convainquit son père d'aller la porter au pays de la barbe à papa et des nombreuses activités.

La jeune demoiselle avait donc mis son cadran à 8h00 bien que les portes de la fête foraine n’ouvraient que sur les coups de dix heures. Il y avait toujours beaucoup à faire avant qu’elle ne puisse quitter la maison sous la tonne de recommandations de ces parents. Après une courte douche froide, la petite nipponne s’installa devant son ordinateur. Machinalement, elle prépara les deux inhalateurs et partit la machine pour une première demi-heure avec une première solution visant à favoriser l’expectoration des mucus. Assise en indien sur sa chaise, elle explorait son Facebook et celui de ces amis. Entre le premier et le deuxième inhalateur, elle alla manger ce que ses parents avaient préparé en plus de boire les suppléments alimentaires que sa diététiste avait imposé. Pendant la deuxième séance, la jeune femme s’occupa de ses cheveux en prétendant qu’elle ne sentait pas l’inhalateur. Sa longue tignasse était remontée par un ruban vert lime et frisée en petits boudins. Une fois sa tâche médicale complété et une boîte de mouchoirs entière vidée pour contenir sa toux, la jeune fille enfila un ensemble citron lime et magenta composé d’une robe et d’une paire de leggings qu’elle trouvait particulièrement joli et confortable. Elle fit son sac, celui qu’elle trainait toujours avec elle incluant sa trousse d’enzymes, certains inhalateurs, des mouchoirs, des cartes d’identités, du numéro de téléphone du médecin traitant, mais aussi des trucs inutile que toutes adolescentes qui se respecte à dans son sac. Il était donc 9h30 quand elle s’enfonça dans la voiture au côté de son père qui chantonnait gaiment sur un air japonais traditionnel – tiens, elle n’était donc pas la seule nostalgique. Son père la débarqua en lui rappelant qu’il passerait la chercher à 17 heures et que si elle avait un problème, elle pouvait toujours la joindre. Sakura s’enfonça donc dans la fête foraine sans plus de cérémonies.

Le site était immense! La jeune immigrante était déstabilisée par le nombre étonnant d’activités qui s’offrait à elle. Après une courte hésitation, elle décida que la meilleure option pour commencer serait par le grand huit parce qu’il ne semblait pas y avoir une foule de gens qui attendait. Pendant près de deux heures, elle enchaina en continue les nombreuses activités qui était extraordinaire. Elle fit un bon nombre de rencontre dans des files d’attentes mais la majorité du temps, elle conserva ses écouteurs sur ses oreilles et écouta de la musique pour se détendre et se divertir entre deux manèges. Chaque manège était une découverte étonnante qui lui donnait encore plus envie de rester. Vers midi, la jeune femme sentit le besoin de manger. Raison pour laquelle la petite adolescente s’attrapa un hambourgeois dans un stand et alla s’assoir sur un banc. Au moment où Sakura se demanda comment il fallait manger cette chose, une voix s’éleva à côté d’elle.

« Bonjour ! Toi… Tu euh… viens de l’Asie ? Euh… Chinois ? »

À vrai dire, Sakura trouvait plutôt drôle le fait de se faire aborder en fonction de son origine ethnique. C’était le genre de truc qui la faisait rire. Bonne vivante de nature, la jeune japonaise sourit à toutes dents. Serait-il mal de jouer la carte de la nippone qui ne parle pas un mot d’anglais? La fille lui semblait vaguement familière. Mais il était trop tentant d’essayer de répondre dans sa langue natale.

« Kon'nichiwa! Īe, watashi de wa nai Chūgoku no watashi wa nipponjindesu. Watashi no namae wa kami sakura ga, anata o okonaudesu ka? Kokodedesu ka? »

La voix de Sakura était douce, joyeuse et souriante. Elle parlait rapidement et d’une voix chantante. Elle regardait d’un œil rieur la jeune femme qui visiblement était troublée. La petite nippone s’assit en indien en fixant la jeune demoiselle. En éclatant d’un grand rire franc et honnête, la petite japonaise répéta d’une voix aussi douce dans un anglais teinté d’un très fort accent asiatique avec autant de gentillesse et de timidité. Intérieurement, elle avait peur de fâcher la jeune femme.

« Salut! Non, je suis pas chinois. Je suis japonaise. Je m'appeler Sakura Kami, toi? Es-tu d'ici? »