05. I see the look in your eyes.

Quelqu'un frappa à la porte, de manière délicate, presque pudique, et pourtant les yeux du Principal Figgins ne purent s'empêcher de s'ouvrir brutalement, simple étape d'une réaction en chaîne provoquée par l'effet de surprise. Il n'eut le temps de rien dire avant que la porte ne s'ouvre, avec un entrain et une détermination plus prononcée que l'action précédente et timide de cogner à la porte. C'était en quelque sorte une formalité, une façon de dire "je viens en paix" pour ensuite tout dévaster sur son passage sans préavis. Ou peut-être était-ce exagéré. En réalité, ce fut la silhouette de Cassandra qui se dessina dans l'encadrement de la porte. Figgins soupira, comme si tout ceci n'était qu'une habitude avec laquelle il était déjà familié.
"Je vous ai entendu soupirer Monsieur le Principal." dit-elle après avoir pris le soin de refermer la porte derrière elle. "Que faites-vous ici Mademoiselle Hamilton. Pourquoi vous a-t-on laissé entrer ?" demanda-t-il avec un accent ridicule duquel Cassie faisait abstraction à chacune de ses visites. "En fait j'ai attendu que la secrétaire s'absente pour vous soumettre ma requête." Elle s'assit en prenant soin de ne pas froisser sa robe.

On pourrait facilement s'imaginer que Cassandra était mal polie et était dépourvue de manières, mais ce serait se tromper fortement. Elle était tellement habituée à ce que ses requêtes soient rejetées avant même de les prononcer qu'elle n'attendait même plus une quelconque permission qu'on ne lui accorderait pas. En fait, c'était Figgins qui n'avait pas de manières. S'opposer aux idées angéliques de cette fille de pasteur, c'était peut-être une de ses pires erreurs. "J'ai malencontreusement entendu une répétition de la chorale hier après midi." annonça-t-elle, "et j'ai été profondément outrée par la violence et l'incitation à la débauche qui prévalaient dans les textes." Figgins roula des yeux. "Vous ne pensez pas que pour donner une meilleure image du lycée les Awesome Directions devraient chanter la paix et la fraternité ?" "Mademoiselle Hamilton." dit-il en se redressant sur sa chaise. Cette dernière grinça tellement qu'il ne serait pas étonnant de constater un trou énorme au niveau de ses fesses. Parfois Cassie se demandait vraiment à quoi se résumait le rôle du Principal dans cet établissement. "Je ne peux pas interdire aux élèves de penser comme ils veulent, ni changer leurs principes..." Il faudrait déjà qu'ils en aient, se surprit-elle à penser un instant, "Les gens ne veulent pas entendre la paix et la fraternité, ils veulent du spectacle. Contentez vous de présider le Club de chasteté et de faire vous-même de ce lycée votre fierté." "Mais..." "Il n'y a pas de mais. Allez, sortez !" dit-il enfin en la chassant de son bureau.

Le Principal devait sûrement être très familiarisé avec les Hamilton. Entre Cassandra qui remettait sans cesse en question le système éducatif et Grace qui se plaignait souvent de ses phobies, il n'avait pas de temps pour... faire ce qu'il avait à faire ?
Froissée par la réaction de Figgins, Cassandra s'éloigna de l'administration avant même que la porte du bureau ne claque derrière elle.

Les couloirs du lycée étaient toujours animés. Il devait être à peine 8 heure du matin et pourtant le brouhaha n'en était pas moins intense qu'à 15 heure de l'après midi. D'un pas déterminé, la tête haute, elle se dirigeait vers le tableau d'affichage. Quelques jours plus tôt elle avait décidé d'organiser un brainstorming - sans l'avis du Principal - pour améliorer l'animation du Club de chasteté. C'est sans surprise qu'elle constata les nombreuses âneries qu'avaient proposées les élèves. La mine déçue, elle resta un instant sans bouger, fixant la tableau, avant de décider d'arrêter le massacre et d'arracher la feuille. Si personne ne voulait l'écouter, elle devait changer d'angle d'attaque. Leur montrer directement les conséquences que pourraient avoir leurs actes irréfléchis. C'est alors qu'elle remarqua Christabella qui se pointait enfin dans le hall d'entrée. Cassie ne se manifesta pas immédiatement, préférant laisser son amie seule avec ses pensées. Mais apparemment ses pensées n'étaient pas très claires. On pouvait facilement le lire dans son regard. Cassandra ne savait pas vraiment ce que voulait dire ce regard, mais il blasphémait.
"Chris !" dit-elle en lui sautant presque dessus. "Je vais être franche, ton regard est malsain."

Si Christa était sans doute la plus proche amie de Cassie, elle n'était pas pour autant sa semblable. Elle était volage, comme sa soeur, presque frivole. Car en effet, elle semblait s'attacher à des choses sans importance - du moins pas à leur âge - comme l'amour ou la popularité. En réalité, Cassandra avait peur pour elle. Peur qu'elle ne s'égare. "J'ai assez de ma soeur à surveiller, me dis pas que tu vas te mettre aussi à vouloir t'intégrer. C'est mal. Pour s'intégrer ici il faut renoncer à ses principes, nos principes. Tu serais prête à faire ça ?" demanda-t-elle de façon presque rhétorique. Car si Chris se risquait à dire oui, elle savait que Cassandra le prendrait extrêmement mal. Et même si c'était la vérité, sûrement n'avait-elle pas envie de la blesser.

C'était ainsi que commençaient les journées de Cassie. Une requête rejetée, et une manière assez originale de dire bonjour à ses amis. L'enfer se profilait à l'horizon.

Ce fut avec un soupir de bien-être que Christabella sortit de la douche. Il n'était que 6h15, mais elle était déjà debout, et propre. Habituée à se lever tôt, elle avait débuté la journée par une petite prière envers Dieu, puis avait foncé sous la douche. D'un geste elle essuya la buée du miroir, et entreprit de se sécher les cheveux. Quinze minutes plus tard, elle était de retour dans sa chambre, et avait enfilé un jean. Un jour, deux de ses soeurs -des jumelles- lui avaient racontés la mini lutte qu'elles avaient engagées avec leur mère afin que celle-ci les laisse porter.. des pantalons. Car oui, la mère de Christabella jugeait qu'une femme ne devait pas singer les hommes en portant des tenues masculines. Mais à force de persuasion, elle avait cédé, et Christabella en était bien contente. L'été, les jupes et les robes c'était bien beau, mais l'hiver, c'était une véritable torture. Avec un regard pour les rues enneigées, elle songea que décidément, elle préférait ne pas avoir les jambes découvertes, car même un collant bien épais ne la protégeait pas du froid qui régnait. Puis elle se choisit une chemise et un pull en laine que sa mère avait tricoté elle-même, et lissa le col de son chemisier qui dépassait du col en V. Une fois les cheveux relevés, elle fut satisfaite, et put enfin aller prendre son petit-déjeuner.

Au lycée, une masse impressionnante d'élèves se pressaient devant l'entrée, apparemment peu dérangés par le froid, et Christabella se fraya un chemin tant bien que mal. En franchissant la porte, elle salua d'un sourire Madison et Ezrael, qui discutaient avec animation, et le sourire que lui renvoya Ezrael provoqua quelques picotements au creux de son ventre qui lui fit détourner le regard. Les yeux un peu dans le vague, elle finit par débouler dans le couloir, avec l'air de quelqu'un qui est plongé dans d'agréables pensées. Elle fut brutalement ramené à la réalité par une petite tête blonde qui surgissait dans son champ de vision, et elle sursauta, surprise.

" Cassandra, bon.. " commença-t-elle, mais Cassie ne lui laissa pas le temps de lui dire bonjour, arguant qu'elle avait un regard qu'elle trouvait "malsain". Christabella sut aussitôt que cela englobait tout ce que Cassandra trouvait mauvais. Et cela voulait dire beaucoup, beaucoup de choses! Cherchant ce que son regard pouvait avoir de malsain, Christa haussa un sourcil, mais Cassie poursuivit en l'accusant de vouloir s'intégrer, de vouloir renoncer à leurs principes. Ah, c'était donc cela. Euh non, en fait, Christabella ne voyait toujours pas en quoi son regard était malsain, mais elle se contenta de se diriger vers son casier, évitant les petits groupes d'élèves. " Je disais donc, bonjour. " reprit-elle en lui lançant un regard éloquent, atténué par un sourire amical.

D'une main, elle ouvrit son casier, puis son sac à dos pour y déposer les affaires dont elle n'avait pas besoin dans l'immédiat.

" Je n'ai pas l'intention de renoncer à quoi que ce soit, voyons. Tu le sais bien. Qu'a fait Grace pour mériter d'attirer le regard sévère de Notre Seigneur? " demanda-t-elle avec douceur, un manuel d'histoire à la main -sa bouche se tordit en une grimace en se souvenant qu'elle avait histoire à la fin de la journée. Elle jeta un coup d'oeil interrogatif vers Cassandra, puis revint vers ses affaires. Poussant d'une main ses manuels, elle déposa son classeur de science. " Tu crois vraiment que j'ai envie de ressembler à.. " Du regard, elle chercha de quoi illustrer son exemple. " ...ça? " termina-t-elle en désignant quelques Cheerios, leur uniforme rouge vif et ultra minimaliste attirant un bon nombre de garçons qui leur tournaient autour comme des mouches autour d'un pot de miel. Elle fit la moue. " Tu me connais mieux que ça. "

Après avoir déposé un petit sac en papier avec son déjeuner dans son casier, elle en referma la porte et se tourna vers Cassandra. Étant plus grande que celle-ci, Christabella devait légèrement pencher la tête pour pouvoir la regarder dans les yeux, mais il ne fallait pas se fier à cette petite taille.

" Qu'a donc mon regard? " demanda-t-elle finalement en remettant les bretelles de son sac à dos sur ses épaules.

Il arrivait parfois à Cassandra de se demander si les élèves de McKinley n'avaient pas des tendances masochistes, elle y compris. Après tout, ils avaient le choix de venir tous les jours s'encombrer l'esprit de connaissances plus ou moins inutiles et dont les fondements étaient facilement discutables. Elle-même commençait à se demander si sa présence dans ce lycée n'était pas une mauvaise interprétation qu'elle avait faite de son destin. Elle qui avait voulu intégrer un lycée public pour découvrir de nouveaux horizons ne faisait que se répéter qu'après tout, les choix qu'elle avait bien pu faire était les meilleurs qui soient. Même si au collège son opinion ne devait pas être partagée, car elle savait que ce serait offenser Dieu et que ce serait se démarquer de toutes les autres filles formatées et reconfigurées dans le même moule, un moule qui ne lui convenait pas, ici à McKinley sa parole ne valait rien. Elle constatait alors les élèves se bousculer dans les couloirs, les insultes et les jets de glace pilée qui volaient à travers les couloirs, totalement impuissante. C'était comme si elle était là sans être là. Elle parlait mais personne ne l'entendait. Fort heureusement, elle pouvait se montrer influente envers certaines personnes, et la récente arrivée de sa sœur lui avait redonné la foi. Parmi ces personnes, il y avait Christabella. Le hic, c'était que Cassandra n'était pas la seule, au contraire, à exercer une influence sur son amie. C'était comme si ce qu'elle pouvait bien lui dire entrait par une oreille et ressortait par l'autre, ce qui avait vite don de l'agacer. Car Cassie, bien que parfaite en apparence, avait des défauts. De nombreux défauts. Parmi ceux-ci, son impatience. Mêlée à sa manie de croire que son avis était toujours le bon, cela faisait rapidement des étincelles.

Debout face à Christa, Cassie détournait parfois le regard pour vérifier si sa sœur n'était pas en danger. La paranoïa excessive de Grace n'était peut-être pas qu'un cas isolé, sûrement était-ce héréditaire. Était-ce un péché ? Les yeux dans le vide, Cassandra se fit songeuse. Non, elle n'avait jamais entendu où que ce soit que la paranoïa était un péché, mais elle commençait à être envahie de craintes, comme si c'était un symptôme de corruption de l'âme, une présence maléfique dans son esprit. Christa la tira de son cauchemar en formulant les formalités qu'elle avait malencontreusement bafouées. "Oh oui, bonjour !" répondit Cassandra avec un sourire presque exagéré. "Tu m'en vois rassurée." dit-elle par la suite lorsque son amie lui avoua ne pas vouloir renoncer à quoi que ce soit. Et les principes de Christabella, Cassandra les connaissait... du moins c'était ce qu'elle croyait. Elle aussi avait côtoyé un établissement catholique non mixte pendant une bonne partie de sa scolarité. Et Dieu savait que toutes ces filles avaient les mêmes principes, ou du moins étaient censées avoir les mêmes principes. Elle en doutait cependant fortement. Chris était comme Grace : très facilement corruptible. "Grace ? Elle se projète vers un avenir qui n'est pas le bon. Tout comme toi." dit-elle en pointant Ezrael du regard. "Convoiter c'est mal, tu devrais te contenter de ce que tu as."

Cassandra aurait pu lui faire une leçon de moral sur le caractère mauvais de l'Envie, comment elle pouvait faire des meilleurs gens des acolytes du Diable, mais elle était certaine de lui avoir déjà faite dans un passé plus ou moins proche.
Elle étouffa cependant un petit rire lorsque Christa lui avoua ne pas vouloir ressembler à "ça" sous entendu une diablesse en soulier de luxe. Cassie ne connaissait pas vraiment les codes vestimentaires des Cheerios, mais il lui était difficile de croire à une coïncidence en constatant que le bout de tissu qui leur servait d'uniforme était rouge. A cette pensée, elle vérifia sa tenue du jour : pas de rouge. Non pas qu'elle condamnait cette couleur, c'était simplement un constat horriblement révélateur. "Tu sais très bien que pour avoir ça." dit-elle en regardant Ezrael, "il faut avoir ça." finit-elle en regardant les Cheerios. Elle et Christabella était peut-être puritaines, mais elles savaient discerner le Bien du Mal, et "ça", c'était mal. La jeune fille avait déjà fait une requête à M. Figgins à ce propos, qui lui rétorqua du tac au tac que rallonger leurs jupes gênerait leurs enchainements. A priori, quelqu'un avait déjà proposé cette idée, parce qu'il n'avait même pas pris la peine de réfléchir à son argument de choc. Leur routine était déjà particulièrement pathétique, alors Cassandra jugea bon de ne pas insister. Elle ne voulait pas non plus faire l'apologie de la médiocrité. En plus de ça, Figgins lui avait implicitement fait savoir qu'elle n'avait qu'à retourner dans son école de bonne sœur, chose qui ne lui avait pas particulièrement plu. Pour qui se prenait-il lui qui vénère des animaux ? Non pas que Cassandra remettait en question ses croyances, elle n'excluait pas cette possibilité mais... c'était étrange.

Quoiqu'il en soit lorsque Christa lui demanda ce qu'avait son regard, Cassie reporta son attention sur elle. Elle ôta un instant son serre tête, puis le repositionna correctement avant de lui exposer son point de vue. "Comme je te l'ai dit, on peut lire la convoitise dans tes yeux, l'envie... ne me dis pas que tu fantasmes Christabella, c'est dégoûtant !" dit-elle soudainement interloquée. "Tu ne peux adorer que Dieu. Est-ce que tu adores ce garçon ?" demanda-t-elle enfin, curieuse. Le ton de sa voix présageait une attente de réponse négative, mais elle ne voulait pas que son amie mente. Elle se devait de la remettre sur le droit chemin, et pour cela elle avait besoin de la vérité.

Comme toujours depuis qu'elles étaient devenues amies, Cassandra se sentait obligée de rappeler Christabella à l'ordre, la secouant gentiment comme pour la faire descendre de son petit nuage de pensées impures. Régulièrement, elle prenait le temps de faire la morale à Christabella, persuadée que celle-ci se laissait aller, et se détournait du chemin qu'elles avaient toutes deux empruntées, le chemin de la pureté, le chemin de Dieu. Christabella se laissait faire, comme à chaque fois. Dans le duo Christabella-Cassandra, c'était cette dernière qui menait la danse. C'était elle qui entrainait Christabella dans son sillage de convictions religieuses, la poussant à la suivre lorsqu'elle allait prêcher la bonne parole divine. Apparemment, Cassandra avait l'esprit beaucoup plus pur que celui de Christabella, qui se laissait faire sans broncher lorsque son amie lui faisait des sermons, qu'ils soient justifiés, ou non. Elle savait qu'elle n'avait pas toujours des pensées très pures, pour une adolescente élevée comme elle l'avait été, et pour cette raison, elle méritait qu'on lui rappelle son éducation, ses croyances, et ce en quoi elle s'était engagée devant Dieu. Parfois, elle se sentait honteuse, lorsque Cassandra la surprenait à regarder un chemisier un peu trop échancré dans la vitrine d'un magasin, ou lorsqu'elle observait, comme fascinée, un couple qui s'embrassait. Elle détournait alors le regard et laissait son amie l'entrainer vers l'Église, afin qu'elle confesse ses pensées impures et demande le pardon. Et d'autres fois, elle ne trouvait pas cela mal. Se remémorant le sourire avec lequel Ezrael l'avait salué, Christabella ne songea pas un instant à se sentir honteuse, et c'est par automatisme qu'elle avait rassuré Cassandra, lui affirmant que non, elle n'allait pas renoncer à ses principes, que non, elle ne voulait pas devenir une gourgandine comme les Cheerios.

Mais Cassandra avait malheureusement vu le regard que son amie avait échangé avec Ezrael, et comptait bien lui faire la leçon. Christabella se mordit la lèvre. Oui, l'Envie était un péché, et pas des moindres, puisqu'il était l'un des sept péchés capitaux! Et il se mariait fort bien, un peu trop bien d'ailleurs, avec la Luxure. Rougissante, Christabella baissa les yeux. Jamais elle n'avouerait qu'elle ne se contentait pas de convoiter Ezrael, mais que parfois, la Luxure s'insinuait pernicieusement dans son esprit innocent, et lui montrait des images d'elle et du garçon, main dans la main, les lèvres scellées en un baiser qui n'avait pas grand chose de chaste. Mais comment voulez-vous ne pas avoir de pensées de ce genre dans un établissement où ça copule dans tous les coins?!

" Grace est encore une enfant, elle ne se rend pas bien compte.. " souffla-t-elle distraitement en contemplant un footballeur, un gobelet de slushy à la main, qui se dirigeait vers un choriste. Allait-il pleuvoir de la glace pilée aujourd'hui?

Les paroles de Cassandra lui firent à nouveau diriger son regard vers les Cheerios, qui pour amuser la galerie -exclusivement masculine- esquissaient quelques pas de danse, faisant allègrement voler leur jupe ultra courte, révélant leur culotte, leurs fesses..

" Apocalypse, chapitre II, verset 18.. Jésabel est leur guide. Je ne la suivrais pas dans le second cercle de l'enfer. " affirma-t-elle en détournant pudiquement le regard de ses cuisses découvertes, et elle afficha ensuite un air dégouté, les jours écarlates. " Je ne fantasme pas! " s'écria-t-elle, et cette fois, elle tourna le dos à Ezrael et à la tentation qu'il représentait, du moins à ses yeux. A l'autre bout du couloir, le footballeur avait atteint le pauvre choriste qu'il avait choisi comme cible vivante, et d'un geste vif, précis, et démontrant à quel point il en avait l'habitude, il s'était delesté du contenu de son gobelet directement sur le visage de sa victime, qui se transforma en schtroumph vivant et dégoulinant. Des rires secouèrent les élèves les plus proches, des moqueries et des insultes fusèrent, mais Christabella, et elle trouvait cela triste à dire, s'y était presque habituée, à force de voir de la glace pilée voler dans tous les sens, et elle ne jeta même pas un coup d'oeil au pauvre choriste qui s'essuyait les yeux. " Je trouve cela difficile de ne pas regarder les garçons, il y en a partout. Et avec tout ces couples.. J'ai même vu deux Cheerios ensemble! J'ai prié Dieu pendant deux heures pour chasser ces horribles images de mon esprit. " dit-elle. " Si je le regarde, considère cela comme de la curiosité, ni plus, ni moins. " finit-elle par répondre, mais elle savait déjà que Cassandra, non seulement n'y croirait pas, mais enchainerait avec un long discours dont elle seule avait le secret. Elle n'avait pas vraiment envie d'aborder une nouvelle fois le sujet Ezrael avec son amie, qui n'aimait pas le garçon, et encore moins ce qu'il représentait. Mais Cassandra ne la laisserait pas tranquille, et au final, elle le savait, Christabella finirait par dire Amen aux paroles de son amie, et elle irait sagement se repentir des pensées malsaines qu'elle avait pu concevoir à l'encontre du garçon. Se préparant à la leçon, la jeune fille se mordilla la lèvre.

Cassandra détourna les yeux et lorgna Ezrael d'une façon peu appropriée. C'était différent du regard gourmand de Christabella, ce regard empli d'une ambition aveugle, elle voulait juste savoir ce que son amie pouvait bien lui trouver. Cassie n'y connaissait pas grand chose en garçon, et même si Ezrael ne lui brûlait pas la rétine, elle ne discernait pas ce petit plus qu'il pouvait bien avoir. Ce qui était paradoxal, c'était que Cassie était curieuse, elle avait quitté son collège pour avoir une vue élargie sur le monde qui l'entourait, et pourtant elle s'obstinait à se cacher les yeux dès que tout devenait hors de son champ de compétence. Ce qui était certain c'était qu'elle n'avait absolument rien à apprendre à ce sujet à Christabella, mais pourtant, elle improviserait.
Chris n'était pas censée ignorer ce qu'on disait sur les garçons aux membres du Club d'abstinence puisqu'elle en faisait elle-même partie. Pour effrayer les jeunes filles grâce à une abominable vérité, on leur affirmait que les garçons étaient programmés pour 3 choses : les besoin vitaux (manger, boire, dormir...), débiter des obscénités, et coucher avec les filles, ce qui, la plupart du temps allait de pair avec les besoins vitaux. Cassandra en avait fait l'expérience en première année, lorsqu'on ne la voyait pas encore comme une précheuse obstinée et totalement à l'ouest. Les garçons n'hésitaient pas à soulever sa jupe pour découvrir ce qui se cachait dessous. Lorsqu'elle était revenue dépitée chez elle, son père lui avait ordonné de mettre des pantalons ou
elle serait directement envoyée à Our Lady Of The Elms High School à Akron, le lycée qu'elle était initialement destinée à fréquenter. C'était peut-être bien le cas de Christa également, ce qui constituait un des principaux arguments de Cassie pour tenter de modifier la trajectoire quelque peu distraite de son amie.

Envie, Luxure, Gourmandise, Cassandra se sentit tressaillir un moment mais se reprit fort heureusement d'elle-même. ce serait perdre le peu de crédibilité qu'elle pouvait bien encore avoir de s'écrouler au sol comme une pauvre feuille d'automne. Mais constater que Bella était la pire des pécheresses lui serrait le cœur si fort qu'elle avait l'impression de payer pour elle.
Lorsque son amie lui affirma que Grace n'était qu'une enfant insouciante, elle poussa un soupir de désillusion. Surveiller sa sœur, son amie, les membres du Club, et son propre comportement, c'était bien trop pour sa propre personne. Peut-être que Dieu voulait lui faire comprendre qu'elle ferait mieux de soigner sa propre attitude et ses convictions au lieu de vouloir partager sa foi ? Non, c'était impensable !

Un sourire se dessina enfin sur le visage de Cassandra lorsque Chris fit allusion à la Bible, le dernier livre de la Bible pour être précis, puis elle le garda un moment. "Tu sais..." dit-elle tandis que Christabella détournait les yeux du pauvre choriste qui venait de se faire asperger de Slushy. "Je crois que Dieu a inventé le Slushy pour distraire les garçons et, par conséquent, leur éviter de trop regarder sous nos jupes à nous." ajouta-t-elle. Cassie adorait trouver des raisons à tout, même si parfois ses raisonnements étaient totalement improbables. Dans un sens elle n'avait pas tort : pendant que les gleeks se faisaient martyriser, eux ne craignaient absolument rien. La vie n'était pas toujours juste, et même si Cassie ne s'en délectait pas car elle préférerait faire régner la tolérance, elle ne ressentait aucune peine pour les choristes. Parce que leurs voix portaient plus que la sienne et prônaient la débauche.

La façon dont Cassandra fixait son amie avait quelque chose de particulièrement déroutant. Elle la regardait pleine de compassion, avec une lueur de mépris qu'elle arrivait si bien à dissimuler. Mais jamais elle ne détachait ses yeux d'elle afin que l'impact de ses mots soit d'autant plus important. "Ce que tu dis n'a pas de sens Bella. Il y a des arbres partout et tu ne les regardes pas pour autant. Tu devrais. Même si j'avoue que la nature est particulièrement capricieuse ces temps-ci." dit-elle en référence à la neige qui paralysait le bon fonctionnement de la ville. "Et c'est bien ça le problème, ta curiosité n'est que le reflet de tes désirs refoulés."
Cassie voulait que son amie avoue. Qu'elle se confesse d'elle même au lieu d'acquiescer lorsqu'elle mettrait le doigt directement sur le problème. "Alors dis-moi, comment tu te sens quand tu le regardes ?" demanda-t-elle curieusement. A en juger par l'expression de Christabella, elle ne s'y attendait pas. Des papillons dans le ventre et tout ça ? ironisa-telle, ne pouvant retenir un petit rire presque narquois. "Regarde ça." dit-elle en prenant la main de Chris pour lui mettre en évidence la bague qui symbolisait son vœu ultime de chasteté. "Et regarde ça." enchérit-elle tournant la tête vers Ezrael. "C'est pas compatible." Elle haussait les épaules et hochait la tête de gauche à droite. Parfois son côté manichéen la surprenait.

Difficile de ne pas voir le regard que Cassandra jetait à Ezrael, sans que le pauvre garçon en soit conscient. Ce n'était pas tant un regard furibond, qu'un regard passablement indifférent. Elle ne l'aimait pas, et pour cause! Christabella ne l'avouerait jamais, mais effectivement, le jeune homme ne la laissait pas indifférente. Disons qu'en sa présence, elle avait tendance à se sentir toute bizarre. Son corps réagissait d'une façon tout à fait inhabituelle, qui la laissait perplexe et perdue à la fois. Mais ce n'était pas complètement désagréable, juste perturbant, surtout quand on ignorait de quoi il s'agissait. Et Cassandra, pas bête, avait vite remarqué de quelle façon Christabella considérait Ezrael. Mais, incapable de nommer ce qu'elle ressentait, incapable de comprendre ce qui lui arrivait, bref, incapable de voir ce qui pour beaucoup devait être évident, Christabella persistait à dire qu'Ezrael et elle n'étaient qu'amis. Cassandra semblait, au contraire, certaine que son amie désirait le garçon. Complètement novice en la matière, Christabella se fia un instant au jugement de Cassie, qui avait peut-être raison. Mais elle se raisonna : Cassandra n'en savait rien, après tout. N'avait-elle pas elle aussi fait sa scolarité dans un environnement exclusivement féminin? N'avait-elle pas reçue le même enseignement religieux que Christabella? Et surtout, n'était-elle pas présidente du Club de Chasteté? Non, Cassandra avait très clairement renoncé aux garçons, jusqu'au jour de son mariage. Elle n'était donc pas en mesure d'affirmer ce qui se passait dans la tête de Christabella lorsque celle-ci croisait le regard d'Ezrael. Surtout qu'en tant que présidente du Club de Chasteté, Cassandra expliquait longuement à ses camarades du Club le mystère de la gent masculine. Ce qu'ils étaient. Ce qu'ils voulaient, à quoi ils pensaient, comment ils fonctionnaient.. dans des termes très peu élogieux. Quelque fois, Christabella s'était demandé si son amie appréciait un tant soit peu les garçons, pour en parler de façon si négative. Mais aucun adolescents ne semblaient trouver grâce à ses yeux -ce qui, d'une certain façon, était légitime, vu ce qu'elles côtoyaient au lycée-, mais Christabella se demandait quand même si en fin de compte, Cassandra n'était pas plutôt destinée à aimer les filles? Ce qui expliquerait beaucoup de choses.

Perdue dans ses pensées, Christabella s'appuya contre le mur, son regard légèrement écarquillé fixé sur des gouttes de slushy sur le sol, là où se tenait quelques instants plutôt un pauvre choriste, qui avait fui les rires et les moqueries. Elle semblait ailleurs, mais en vérité toute son attention était tournée vers Cassandra, et elle tendait les oreilles. elle hocha la tête, approuvant les paroles de son amie.

" Ce n'est pas bête. Si tu savais à quel point je suis soulagée que Mère accepte de me laisser porter des pantalons. Non seulement c'est plus pratique avec le froid, mais au moins, je n'ai plus peur qu'un garçon regarde sous ma jupe quand je monte les escaliers. " déclara-t-elle en clignant des paupières plusieurs fois, son regard se détournant des flaques colorées sur le sol, pour revenir vers Cassandra, mais le regard qu'elle rencontra lui fit clairement comprendre que Cassandra ne la laisserait pas s'en tirer à si bon compte. Elle avait bien l'intention de lui faire une belle leçon. Résignée, elle ne s'attendait pourtant pas à ce que Cassandra finisse simplement par lui demander ce qu'elle ressentait en regardant Ezrael. Ah, la fameuse question. Christabella aurait pu y répondre très clairement, en expliquant ce qui lui arrivait quand elle croisait le regard du garçon, avec forces détails. Mais elle s'y refusait obstinément. Elle pouvait déjà prévoir la réaction de Cassie, et elle n'avait pas vraiment envie de subir ça. Consciente que c'était de la lâcheté, et de l'hypocrisie, elle sentit malgré elle ses joues rougir, et elle déglutit difficilement. L'ironie de Cassandra la fit réagir, et elle fronça légèrement les sourcils.

" Ne sois pas désagréable Cassandra. Quand tu te moques, tu te rapproches bien plus de ces horribles Cheerios que tu ne peux l'imaginer. " fit-elle en retirant sa main. L'anneau de chasteté semblait peser une tonne à son doigt, et elle referma le poing. " Ma curiosité ne reflète rien, si ce n'est un désir de ne pas franchir les portes du Paradis en étant vierge de toutes connaissances. N'est-ce pas pour cela que nous avons refusé d'aller dans un lycée privé? Si j'avais voulu garder un esprit étroitement fermé à toutes nouveautés, je serais restée chez moi, et Mère m'aurait fait l'école à la maison. " Elle s'interrompit pour reprendre son souffle, et son calme, qui avait menacé de s'effondrer. D'une main elle attrapa la chaine autour de son cou, et la petite croix en argent qui y était accrochée, pour la serrer entre ses doigts, et accorda une rapide prière à Dieu pour qu'Il la pardonne de ses petites humeurs. " Ezrael et moi sommes amis. Je l'aime bien, mais il connait mon serment de rester pure jusqu'au mariage, et de ne consacrer mon corps qu'à un seul homme, et mon âme à Dieu. C'est une chose qu'il respecte, et qui représente une barrière infranchissable, cela même s'il décidait subitement de me détourner de la voie que j'ai choisie. Ce qui n'est pas le cas. " Avec un sourire, elle tenta de rassurer son amie. " Tu n'as pas à t'en faire pour moi, Cassie. Je te remercie de ta sollicitude, ça me touche, mais je ne convoite pas Ezrael. Il n'est qu'un ami. "

Cassandra opina inlassablement. Christabella avait tellement raison : leurs mères respectives étaient terriblement attentives à l'épanouissement de leur enfant qu'elles avaient pris la meilleure décision qui soit en les laissant porter des pantalons. Certes ça leur ôtait une part de féminité, mais tout de même au prix de leur dignité.
C'était ça, peut-être que Cassie craignait les garçons après tout. Ils étaient si puérils, surprenants - en mal plus qu'en bien - et affreusement importuns. Et hormis son père, Cassandra n'avait pas vraiment de repère masculin, ce qui n'aidait franchement pas à améliorer l'opinion qu'elle se faisait d'eux : son père était parfait, aimable, généreux, bien éduqué, sain, tout le contraire des adolescents de McKinley. Si seulement elle avait eu un frère cadet ou ainé d'une courte année, elle aurait pu se dire qu'un garçon n'acquérait pas la maturité avec l'âge, mais force est de constater que c'était le cas, malheureusement. Et imaginer Christa se pavaner avec l'un d'eux lui donna des frissons. Qui pouvait bien vouloir accorder sa confiance, son âme, son cœur, et même son corps à un spécimen en constante évolution ?
Cassandra jugeait, encore une fois... mauvaise fille ! Non, en réalité, elle faisait un affreux constat. Constater n'était pas pécher. Constater était... relater l'évidence, et c'était ce que faisait Cassandra la plupart du temps. Les Cheerios étaient des instruments qui inspirent la Luxure, et les garçons des animaux dont la conduite est dictée par les pires sentiments.

"Tu trouves que je suis désagréable ? C'est fou je ne m'en rends pas compte. Dieu pardonne si ce n'est pas volontaire n'est-ce pas ?" demanda-t-elle inquiète, alors qu'elle connaissait déjà totalement la réponse. Son expression faciale s'était tendue, et on aurait même dit qu'un petit nuage gris venait d'être soufflé au dessus de sa tête tant elle était assombrie par la honte. C'était décidé, ce soir elle se confierait à sa mère sur le sujet. Grace était bien trop immature pour la conseiller, même si pendant longtemps elle avait été son pilier. Désormais Cassie était le pilier de tout le monde, celui sur qui tout le monde se repose, et toutes les fondations de Grace s'étaient effondrées depuis son arrivée au lycée. Tout ce que Cassie s'efforçait d'affirmer à son père, comme quoi McKinley n'était pas un lieu de corruption, tout ce dont elle tentait vainement de se persuader, c'était faux. Comment pourrait-elle dissuader son paternel de l'envoyer dans ce lycée catholique d'Akron si elle-même savait que c'était une meilleure solution ?... C'était affreux ! Le monde se révoltait autour d'elle. Et c'était hors de question de perdre Christabella.

"Tu as raison, ce fut la raison de mon intégration à McKinley. Mais je ne suis plus certaine d'en avoir envie ; de découvrir des choses. Je crois que parfois il vaut mieux demeurer dans l'ignorance. Oh mon Dieu je comprends maintenant pourquoi mon père ne voulait vraiment pas m'envoyer ici. Il avait peur que, comme toi, et comme Grace maintenant, je devienne à l'image de toutes les autres filles. Je suis sûre que ton père pense la même chose." dit-elle une main sur le cœur comme pour le retenir de bondir hors de sa poitrine. "Christabella, ne fais pas de bêtise, pense à moi, tout ceci pourrait me retomber dessus. Toi corrompue, ton père qui s'en rend compte, qui en parle au mien, et au revoir Lima. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour moi."

Les écoles privées catholiques, contrairement à ce qu'on pourrait croire en observant Cassandra, c'était son cauchemar absolu. Là bas, la liberté d'opinion n'existait pas, en fait personne n'existait vraiment.
Elle n'était qu'une fille parmi les autres, toutes les mêmes. Les sœurs étaient gentilles, mais leur vision était étriquée. Et surtout, maintenant, les autres pensionnaires se moqueraient d'elle parce qu'elle avait intégré un lycée public. Elle serait le mouton noir dans la bergerie. A moins que ce point fasse d'elle une fille populaire qui a vu le monde sous un jour différent ?
"D'accord, amis." renchérit-elle en opinant, la respiration saccadée. "Ok." dit-elle une nouvelle fois. "Allons vérifier ça alors. Je sais que tu voudrais pas que je fasse ça derrière ton dos." Sur ce elle s'empara de la main de Bella, et l'attira avec elle vers le hall d'entrée, là où Ezrael semblait comploter avec ses amis. Ils avaient tous l'air louche d'ailleurs. Cassandra s'arrêta un instant dans sa course. Il y avait quelque chose d'étrange chez ce garçon. Elle comprenait un peu la fascination que pouvait éprouver Christabella à son égard. Il avait les traits fins et sévères à la fois, comme un animal inoffensif pourrait avoir un trait particulier pour dissuader les prédateurs de s'en prendre à lui. "Si vous êtes amis, et si il respecte tes idéaux, il n'a aucune raison de refuser d'intégrer le Club n'est-ce pas ? Considère ça comme un test."

Les deux filles étaient plantées au milieu du hall, vulnérables comme jamais, au cœur de l'affluence. Ezrael, un peu plus loin, ne se doutait absolument de rien, mais ses oreilles devaient siffler intensément depuis quelque temps. La balle n'était plus dans le camp de Cassandra dorénavant.

Après son petit discours, Christabella espérait que Cassandra serait suffisamment convaincue, et la laisserait tranquille au sujet d'Ezrael. C'était déjà assez délicat, pour une jeune fille élevée comme l'avaient été Cassandra et Christabella, et cette dernière se sentait tellement perdue qu'elle refusait de s'attarder là dessus. La vie lui convenait parfaitement, comme elle l'était! Qui plus est, elle doutait que Cassandra soit la meilleure personne à qui parler, car si Christabella avait de fortes convictions religieuses, ce n'était rien comparé au fanatisme de sa meilleure amie. Et si Christabella était simplement perdue, confuse, et honteuse de ressentir des sentiments en dehors du mariage, Cassandra réagirait avec plus de véhémence, et Dieu seul savait quelle serait sa réaction si Christabella lui avouait qu'Ezrael la rendait toute chose. La foi de l'amie de Christabella en Dieu était telle qu'elle y faisait allusion presque tout le temps, et tout comportement, toutes paroles, tout ce qui, de près ou de loin, allait à l'encontre de ses propres convictions étaient à bannir avec force. Ezrael serait très certainement celui qui, si Christabella ne trouvait pas un moyen de revenir vers le droit chemin.. oui, il serait celui qui séparerait les deux amies, à long terme. Il suffisait de voir comment Cassandra réagissait à la simple idée de ne plus correspondre à l'idée qu'elle se faisait d'un parfait petit soldat divin. Son visage s'était contracté en une grimace inquiète. D'ailleurs, son amie lui confia qu'elle n'avait plus trop envie de poursuivre sa scolarité à découvrir ce qu'on avait écarté à leur chastes yeux durant toute leur courte existence. La supplique qui suivit fit hausser les sourcils à Christabella, mais elle ne dit rien. Elle savait que Cassandra avait, tout comme elle, refusé le lycée privée catholique, et même si son amie considérait McKinley comme un repère de dépravés, à l’âme damnée, elle ne voulait pas retourner dans un établissement comme celui qu'elle avait quitté avant d'entrer au lycée. Christabella n'avait pas grand chose à reprocher à ce genre d'écoles. Ses années en pensionnat n'avaient pas été si désagréables. Elle avait été entourée de filles à l'éducation exemplaire, à l'esprit étroit certes, mais qui étaient polies, et la vie avait été calme. Très calme. Habituée à rentrer dans le moule et à suivre le mouvement, la scolarité de Christabella s'était déroulée sans heurt. En vérité, si son esprit scientifique et terre à terre, si sa curiosité ne l'avait pas poussée à vouloir comprendre le monde, elle aurait fait comme ses frères et sœurs avant elle, elle serait dans un lycée privé.

Une expression de compassion s'afficha sur son visage, et elle pinça les lèvres d'un air un peu triste. Cassandra ne voulait pas salir son âme avec la dépravation qui flottait dans les couloirs de McKinley, mais elle ne voulait pas non plus se priver de l'opportunité de découvrir, d'apprendre. Curieux paradoxe, mais l'idée de devoir se retrouver à nouveau dans l'univers très fermé des établissements privés catholiques semblait l'effrayer suffisamment pour préférer endurer un lycée public remplis d'adolescents aux hormones en bataille. Adoucie, Christabella était prête à rassurer une nouvelle fois son amie, mais Cassandra lui prit la main et la tira derrière elle, droit sur Ezrael. Se rendant compte qu'elles approchaient du jeune homme, Christabella se tendit. Que manigançait Cassandra? Habituée aux actes un peu "extrêmes" de celle-ci, Christabella s'attendait au pire. Et effectivement, Cassandra lui proposa, ou plutôt, exigea d'elle qu'elle aille proposer à Ezrael d'intégrer le club de Chasteté. A ces mots, Christabella se figea complètement. Autour d'eux, les élèves continuaient d'affluer, pénétrant d'un air guilleret, ou maussade, dans le bâtiment, contournant les deux adolescentes comme si elles étaient invisibles, ou les frôlant sans se soucier de savoir si elles s'écarteraient pour ne pas être bousculées. Christabella avait les yeux légèrement écarquillés à nouveau, et elle secoua la tête avec énergie, faisant voler ses cheveux bruns.

" Un test? " répéta-t-elle faiblement, et elle baissa la voix, pour que seul un sifflement franchisse ses lèvres, comme si Ezrael ou n'importe qui d'autre pouvait l'entendre. " Cela suffit Cassandra, tu vas trop loin! Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes. " Toujours agrippée à la main de Cassie, elle la tira en sens inverse, contre le mur. " Ezrael et moi ne sommes qu'amis, et il serait temps que tu le comprennes. Je ne lui demanderais pas d'entrer dans le Club de Chasteté, parce qu'il vit sa vie comme il l'entend, et même s'il ne rejette pas notre éducation et notre mode de pensée, il n'a aucune raison de faire de même. Est-ce que tu comprends? " Elle secoua doucement la tête. " Est-ce que tu comprends à quel point tu exagères les choses? Tu dois arrêter de penser le pire, et surtout, tu dois arrêter de penser ce genre de choses à mon sujet. Si tu es mon amie, tu dois me faire confiance. D'accord? " Ses sourcils se haussèrent et elle esquissa un sourire. Cassandra serait-elle touchée par ses paroles? La croirait-elle?

Dans un élan de confusion Cassandra leva les yeux au ciel, et même si elle ne joignait pas ses mains en guise de prière, elle implorait solennellement la grâce de Dieu et se jurait de faire ce qui serait le mieux pour elle et pour les autres, même si cela impliquait quitter ce lycée dont elle avait tant rêvé. Si Christabella ne comprenait pas ses réactions exagérées, Lui le pouvait, car Il lui dictait la conduite à adopter. En cet instant Christabella semblait être possédée par une esprit qui n'était pas le sien, l'esprit du péché, mais si Cassie en venait à lui faire la remarque, elle lui retournerait sans doute l'accusation, lui tendant un miroir pour qu'elle se rende compte de l'expression de démance que prenait son visage. En réalité c'était la peur qui lui dictait sa conduite. La peur de ne pas être à la hauteur, de perdre son amie, ou pire, de devoir quitter Lima pour Akron, même si elle avait promis à Dieu de le faire si jamais elle y était amenée.
Elle s'était rendue compte avant même de croiser le regard de son amie qu'elle allait trop loin. Elle passa d'ailleurs une main dans ses cheveux pour dissimuler sa gêne naissante. Mais elle ne pouvait pourtant s'empêcher de se répéter que "méfiance est mère de sûreté" et que "confiance est mère de déception". N'étaient-ce pas là deux proverbes incroyablement sources de suspicion ? Malgré tout elle se sentit monstrueusement idiote et, en dépit d'une lutte acharnée, ses yeux commençaient à s'embuer de telle façon à ce qu'elle ne put même plus lire la colère dissimulée de Christabella. C'était dans ces instants qu'elle se rendait compte que l'amitié était un sentiment tellement fragile que la plus petite erreur pouvait le briser en morceau. Et c'était la même chose pour l'amour, à des proportions plus importantes encore, à l'exception de l'amour de Dieu dans lequel elle se réfugiait sans crainte. Confuse, elle ne savait plus le motif de sa méfiance envers Ezrael. Était-ce parce qu'elle avait peur de perdre son amie, peur de la voir se dévergonder sans rien pouvoir y faire, peur de devoir intégrer le lycée catholique d'Akron, ou peur de la voir brisée en morceau une fois que le jeune homme en aurait fini avec elle et sa naïveté ? Peut-être était-ce un peu tout cas, et cette peur la rongeait au plus profond de son âme. Ce soir, elle irait prier pour que Chris se rende compte qu'elle avait déjà tout et qu'elle n'avait absolument pas besoin de ce sentiment factice et qui ne lui appartenait pas qu'est la quête d'amour.

"Tu as raison, je me suis laissée emportée par la passion. Je suis tellement une mauvaise chrétienne." dit-elle en s'apitoyant sur son sort. Adossée au mur, elle se lissa glisser de tout son long pour finalement atterrir sur le sol dégoûtant du hall. "Seulement, si lui ne doit pas adopter notre mode d'éducation, c'en est de même pour toi. Je sais bien que tu es capable de faire des concessions, mais lui non. C'est un garçon, Chris ! Il te parlera de poésie au début pour bien t'embobiner puis quand tu auras cédé à son charme, que tu te seras livrée corps et âme à lui, il en aura fini. Alors si moi je ne peux pas empêcher ça, toi sois prudente. Mais je te fais confiance pour ça." dit-elle avec un soupçon d'hypocrisie. Quoiqu'il en soit, elle la surveillerait, et elle surveillerait Ezrael. Elle serait leur ange gardien... malgré eux. Et elle disait ça comme si elle y connaissait quelque chose alors qu'elle ne se contentait que de répéter ce qu'elle entendait dans les couloirs. Répéter seulement ce qui l'arrangeait bien et illustrait parfaitement ses propos. Chris n'était pas ignare, elle savait bien que la parole de Cassandra, même si elle était souvent teintée d'une sagesse exemplaire, ne valait rien dans certains cas.

Elle entreprit enfin de se lever, avec grâce et élégance, et ne fit pas deux pas qu'elle sentit une vague de froid colorée lui asperger le visage. "Amen." renchérit le gars qui venait de lui balancer un Slushy à la figure. Sous le choc, elle resta un long instant immobile, le sel de ses larmes se mêlant avec confusion au sirop parfum framboise qui dégoulinait dans son chemisier. "C'est bon, j'ai compris !" dit-elle en tapant du pied sans même prendre compte de la réaction de son amie. "Je ne dois pas me mêler de tes histoires de coeur." et elle s'enfuit en manquant de glisser sur la flaque de glace fondue qui recouvrait le sol sous ses pieds. "Vous auriez pu jouer un peu plus dans la subtilité." murmura-t-elle en jetant un oeil mauvais vers le plafond tandis qu'elle se dirigeait vers les toilettes. Ce fut son premier Slushy de l'année, et surtout, son premier Slushy divin !