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 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.

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Grace Hamilton
Grace Hamilton
We don't own our heavens now.
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Age : 23 Ans
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Humeur : You can be Alice I'll be the Mad Hatter
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MessageSujet: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptySam 15 Déc - 23:35

-Oui, c’est ça… Je dois vous laisser.

-Non mais Mademoiselle, vous ne comprenez pas, j’ai…

-Si, si, je comprends. Mais ça attendra. Au revoir.

Une pression résolue du bouton raccrocher clôtura la conversation avant que l’interlocuteur ait eut le temps de tenter une nouvelle fois de plaider sa cause.

Peine perdue. Rien que l’idée de passer un appel chez les Hamiltons et en espérer une conversation constructive était de toute façon d’avance, en ce jour, vouée à l’échec. La raison de cette inaccessibilité complète ? L’état de siège actuel des neurones de la seule personne à même de prendre les coups de fil. Cette personne, c’était Grace. Et à la vue de la date qui s’étalait en larges caractères de couleur sur les pages de son agenda (communément appelé porte du frigo), elle était bien la dernière à qui la petite famille aurait dû envisager de confier la surveillance de la maison et la préposition au mini-call-center qu’engendrait irrémédiablement la propension que la famille avait à offrir son aide dans les domaines les plus variés. Car, en effet, aujourd’hui marquait une date exceptionnelle dans le petit calendrier personnel des Hamiltons.

Cela faisait un an que Jeremy avait demandé en fiançailles Cassandra.

Grace n’avait strictement aucune idée de ce que cet inconnu était venu réclamer, mais quoiqu’il en put en être, elle était de toute façon bien trop occupée en l’instant présent pour ne serait-ce qu’envisager de se concentrer sur autre chose que sa principale mission : guetter l’arrivée de sa sœur.

Le nez pratiquement collé contre la vitre donnant sur le perron, où les traces de buée s’accumulaient malgré son exaspération croissante à voir son principal point d’observation parasité par des bandes floues dans son champ de vision, depuis maintenant deux bonnes heures, Grace ne cessait de trépigner. Ses yeux ne daignaient quitter l’allée qui s’étalait devant eux que pour rejoindre la montre accrochée à son poignet. A chaque fois qu’elle constatait un changement dans la position des aiguilles dorées sur leur cadrant immaculé, elle divaguait et déroulait dans son cerveau en pleine ébullition sentimentale les scènes de la cérémonie grandiose dont elle se fantasmait déjà l’instigatrice. Jusqu’à ce qu’un bruit de pneu ne ramène ses sinus contre le plexiglas.

Après tout, elle planifiait son mariage depuis ses douze ans. Et si son Seigneur ne s’était pas décidé à lui accorder le compagnon qu’elle lui réclamait avec tant de force, elle pouvait au moins mettre ses talents indéniables en matière d’organisation et de choux en pièce montée au service de sa sœur. Que cette-dernière le veuille ou non d’ailleurs. Grace avait beau être d’une douceur quasiment infinie, il se cachait derrière sa petite figure ronde une droguée à l’eau de rose, prête à instaurer sa dictature de l’Amour sur toute sa petite famille pour obtenir sa dose quotidienne de romantisme.

Cela faisait donc très exactement huit mois, les quatre premiers étant consacrés à l’assimilation de la nouvelle et la dissipation des crises d’euphories intempestives, qu’elle concoctait méthodiquement un dossier complet comprenant divers organigrammes, formulaires d’autorisation concernant les nécessités pyrotechniques qu’exigeaient les trois quarts des animations qu’elle avait à suggérer, listes, cartes de traiteurs, stylistes et autres articles soigneusement découpés dans des revues de mariage. En somme, elle s’était attachée à composer le cocktail molotov des fiançailles qui s’éternisent.


Certes, si elle l’avait pu, elle aurait elle-même choisit la date des célébrations, loué une petite île du Pacifique à ses frais, fait le plan de table et proprement unis les deux époux devant Dieu et une foule d’autochtones nouvellement convertis par ses soins. Mais certaine décision semblait être socialement hors de sa portée, et bien qu’elle en soit un peu contrariée, Grace s’était concentrée sur le rôle qu’elle était à même de jouer.

Ledit rôle était désormais de soumettre à la sagacité de Cassandra le plan soigneusement élaborer et l’inciter à l’approuver avec des arguments raisonnables tels que le soudoiement aux macarons, l’usage massif du « s’il-te-plait ? » et les crises de nerf.

Et avec cet objectif déterminé, Grace n’envisageait absolument pas de pouvoir passer après quiconque dans l’ordre de réception des informations concernant les préparatifs. Elle avait donc lancé une fournée de coques à la pistache dès le départ matinal de sa sœur de la maison, et avait commencé son glaçage à la framboise résolument campée en face de la fenêtre. Imperturbable, elle avait à peine saisi que Joseph et Candace étaient partis se livrer à l’une de leur nombreuse œuvre de charité et n’avait failli à sa tâche de sentinelle qu’aux rares moments où elle avait fait économiser des forfaits d’appel à de tristes inconscients et où elle avait mis ses pâtisseries au frais.

Soudain un bruit de voiture se fit entendre. Son cœur manqua un battement. Puis se rattrapa en explosant littéralement sous son sternum. Se figeant totalement, un regard suffit pour lui indiquer que ses prières venaient d’être exhaussées.

Se jetant sur la porte sans même prendre la peine d’enlever son tablier constellé de pâtes inidentifiables bien que colorées, elle ouvrit celle-ci à la volée à l’instant où Cassandra tentait de faire entrer sa clef dans la serrure. Exhibant sa dentition resplendissante, elle lança avec une emphase inappropriée :

-Bonjour !

Evidemment, toute à son bonheur anticipé, elle ne s’embarrassa pas de songer à ce qu’elle avait déjà vu sa sœur au matin et que l’heure était déjà relativement avancée dans l’après-midi. Un large sourire sur le visage, elle devait s’imposer une discipline proprement inouïe pour ne pas se mettre à sautiller frénétiquement sur place. Ses efforts acharnés de contrôle comportemental générèrent, en guise de résultat, un petit mouvement saccadé des épaules absolument pas naturel, entre le signal d’une vessie trop pleine et la crise de tétanos. Bien au-delà de l’impression générale d’absurdité que sa petite personne pouvait renvoyer en cet instant précis, Grace finit néanmoins par saisir qu’elle fixait peut-être avec un peu trop d’insistance sa sœur pour que celle-ci ne finisse pas par croire qu’une pustule lui était poussée entre les deux yeux et consenti à faire évoluer leur situation :

-Entre !

Elle s’écarta de l’embrasure de l’entrée qu’elle bloquait totalement inconsciemment jusqu’alors, parfaite caricature du personnage de la ménagère des années cinquante affligée de troubles de la personnalité dans une sitcom, la laissant rentrer, son sourire Colgate frôlant désormais le stade « Cheshire Cat ».

Claquant un peu trop vivement la porte derrière l’aînée des Hamilton pour qu’un observateur extérieur ne puisse pas se poser des questions quant à la possibilité d’une tentative de séquestration à tendance incestueuse, elle la guida inutilement jusqu’au centre du petit salon de la demeure.

Sans un mot, la blonde s’assit. Le genou étroitement serré l’un contre l’autre, ses doigts commençait déjà à pianoter sur le rebord rembourré de son siège. Le silence complet se fit.

Une.

Deux.

Trois secondes. Très bien, on ne pourrait pas dire qu’elle n’avait pas essayé. Grace craqua.

-Alors ? Ca va ? Tu l’as vu ? Jeremy ? Tu l’as vu ? Tu l’as vu. J’en suis sûre. Alors ? Vous en avez parlé ? Evidemment que vous en avez parlé. Je n’arrive toujours pas à réaliser que ça fait un an. En fait si, mais pas vraiment, tu vois ce que je veux dire ? Enfin, non, laisse tomber… Alors ? Ca y est ? Vous savez ? Je peux savoir ? Tu sais que tu peux me le dire, hein ? Tu sais que tu vas de toute façon finir par me le dire, hein ? Allez dis-moi, dis-moi, dis-moi, dis-moi… S’il te plait ?

Le flot de questions, chacune ponctuée d’un petit bond de la jeune femme sur les coussins du canapé, ne s’interrompit qu’avec la nécessité d’écouter pour en obtenir des réponses. L’attaque verbale était sévère, et quand on avait un tant soit peu une idée des capacités thoraciques de la vierge, les mots étaient lourdement pesés. Mais malgré l’enthousiasme débordant qui accélérait son débit moyen de supplication de trois syllabes par secondes, la jeune femme constata bien vite avec une certaine stupéfaction que Cassandra ne semblait pas du tout suivre le cours de ses pensées. Cette révélation lui fit sensiblement diminuer le nombre d’informations qui jaillissaient de ses cordes vocales à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche. Elle se contenta de l’essentiel :

-Le mariage.

Le terme ne comportait que sept lettre mais la félicité qu’il engendrait dans son petit cœur, humide de candeur et de téléfilms romantiques du samedi soir, lui avait fait atteindre sur le « -age » une note tellement élevée que la moitié de la population de dauphins en rut trainant dans les zoos de l’Amérique du Nord devait être en route pour Lima. Ses prunelles suintant la jubilation, elle se mordait vivement la lèvre inférieure, tournée avec impatience vers une sœur décidément bien trop muette à son goût.
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Cassandra Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyMer 26 Déc - 0:20

Assise sur un des bancs de parc Lincoln, Cassandra profitait du cadre agréable qui s'offrait à elle pour méditer un moment sur sa vie. Malgré l'heure avancée de l'après midi, le ciel était déjà dégagé et la brise qui soufflait avec délicatesse ses cheveux n'avait rien de déplaisant. Au contraire, elle lui rappelait avec subtilité que le spectacle qui se déroulait devant ses yeux était tout à fait réel. Même si ce n'était pas dans les habitudes de Cassie de s'octroyer un moment de liberté, elle en avait profité pour faire sa bonne action de la journée en faisant don à un sans abri des quelques pièces qui trainaient dans les poches de sa robe. De toute évidence Morphée n'avait pas voulu d'elle la nuit dernière, et ce fut avec agitation qu'elle avait cherché toute la nuit le sommeil et le contact délectable du froid sur ses draps. Elle savait. Elle savait également que Grace savait, mais une infime partie de son être persistait à croire que, peut-être, Jeremy n'avait pas noté cette date dans son calendrier personnel. Pour qui le prenait-elle, évidemment que ce jour restait gravé dans sa mémoire, le romantisme avec lequel il avait fait sa demande en était une preuve suffisante. Cassie s'était préparée toute l'année à ce jour, mais dès lors qu'il était arrivé elle s'était sentie comme prise au dépourvu. Elle s'en voulait pour cela, et c'était bien la raison pour laquelle elle avait décidé de s'échapper de bonne heure afin d'éviter de trop heurter l'enthousiasme de sa sœur. C'était triste à dire, mais il lui semblait que Grace avait attendu ce jour bien plus qu'elle ne l'avait fait. Seulement sa mère lui avait répété que s'il devait y avoir un évènement pour lequel l'égoïsme était pardonné, c'était sans doute le mariage. Cet engagement elle ne l'avait pas pris pour les autres, elle l'avait pris parce que c'était ce que son cœur lui avait dicté. Désormais elle n'en était plus certaine. Cassie n'ignorait pas que foncièrement c'était la peur de l'inconnu qui suscitait en elle tant de doutes et de remises en question, mais elle demeurait persuadée qu'une femme aux convictions solides ne s'abandonnerait pas à ce sentiment néfaste.

Sa raison lui avait alors intimé de s'éloigner un peu de la réalité de ses émotions, dans l'espoir de prendre un peu de recul sur la situation. D'un autre côté c'était le romantisme communicatif de Grace qui l'avait poussée à choisir ce lieu pourtant dénué de tout sens symbolique. Elle n'avait jamais partagé de grand moment avec quiconque sur ce banc, mais elle espérait malgré tout qu'une figure familière finirait par la sortir de ses rêveries. Elle espérait que la voix de la sagesse s'adresse à elle comme elle s'était adressée aux autres, à Christabella lorsqu'elle avait débuté sa relation avec Ezrael ou encore à Grace lorsqu'elle se contentait d'imiter les mauvaises personnes. Comme si le film de sa vie était une comédie romantique, Cassandra espérait que Jeremy sorte de nulle part pour lui annoncer sans animosité aucune qu'il la comprenait et qu'il était prêt à attendre autant qu'il le faudrait. Mais bien vite la réalité la rattrapa, alors qu'un enfant venait d'éclater en sanglots quelques mètres plus loin, lui arrachant alors un sursaut incontrôlé. Force était de constater que rien de tout cela n'arriverait et qu'il lui faudrait alors prendre son courage à deux mains pour affronter elle-même la situation. Fixant le petit être avec une lueur de commisération dans les yeux, elle se leva délicatement, puis s'éloigna lentement de la scène, un sourire mélancolique pendu aux lèvres.

Une fois parvenue jusqu'à sa voiture elle contempla la beauté du parc une dernière fois, comme si elle devait y renoncer à jamais, avant de s'engouffrer dans l'habitacle.
Le chemin se fit alors dans un silence de prière. Cassandra voyait le paysage défiler devant ses yeux sans y prêter une grande attention, bien que ses sens fussent d'une intensité remarquable. La maison familiale n'était pas très loin, aussi ne tarda-t-elle pas à arriver et à se précipiter vers la porte sans réfléchir. A peine eut-elle le temps de dégainer ses clés que cette dernière s'ouvrit subitement, dévoilant la silhouette solaire de Grace. Son euphorie lui faisait dire des choses insensées que Cassie ne souligna même pas, bien trop préoccupée à l'idée de briser le bonheur de sa sœur. Un bonheur qui devrait être partagé, mais surtout être le sien ! Elle se dirigea alors vers le salon avant de prendre place sur le divan, les genoux serrés comme à son habitude. Grace s'était installée pas très loin, sur son fauteuil de prédilection. Le silence eut à peine le temps de s'installer que la cadette des Hamilton pris la parole. Sa voix résonnait comme un fond sonore dans la tête de Cassandra, une mélodie agréable et pourtant tellement amère. Elle ne l'écoutait qu'à moitié, sachant pertinemment de quoi il s'agissait. Puis, comme un glas, sonnèrent ses dernières paroles. Mariage. Ce mot hanta immédiatement l'esprit de Cassie, comme un sempiternel écho. "Bien sûr, le mariage." répéta-t-elle avec un enthousiasme parfaitement feint. "Je crains que Jeremy soit terriblement occupé aujourd'hui, on doit se voir ce soir." informa-t-elle comme si ces mots lui étaient arrachés sous le poids de la torture. Dieu qu'elle s'en voulait. Quelle femme indigne ferait-elle. Jeremy méritait mieux, pensait-elle pour se rassurer. "Grace je te le dirai d'accord, mais il est préférable que j'en parle avec Jeremy avant. Ce ne serait pas très juste qu'on en discute toutes les deux alors qu'il croule sous le travail." Elle n'avait pas envie d'en parler. Rien que le fait d'en parler éveillait en elle une crainte monstrueuse. Ses mains étaient moites, sa gorge sèche et son cœur tambourinait dans sa poitrine. "J'ai un mauvais pressentiment Grace." conclut-elle sur une note accablante.
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Grace Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyMer 26 Déc - 14:25

-Bien sûr, le mariage.

Grace détailla le visage de sa sœur avec une espèce de stupeur d’anesthésié. Si sa voix était enjouée, elle n’avait pas ce petit trémolo triomphant, cette fossette ravie ne se creusait pas juste à côté de la commissure droite de ses lèvres tremblantes d’excitation, elle ne faisait preuve d’aucune impression générale de plénitude affective qu’une jeune fille romantique était pourtant en droit d’attendre de sa sœur lorsque celle-ci évoquait le plus beau jour de sa vie.

Le bonheur de Cassandra semblait figé, évasif. En toc.

Grace n’était pas exactement du genre mentaliste, mais quand sa sœur tentait de jouer avec ses expressions faciales et ses sentiments, une petite alarme cérébrale vrillait immanquablement ses tympans de l’intérieur.

Néanmoins, elle décida de mettre ça sur le compte du naturel apparemment peu démonstratif de sa sœur et de ce grand bouleversement qui avait du ébranler son coeur. Il devait être si difficile pour elle servir ses bonnes manières et son sens de l’étique en de pareilles circonstances de joie totale que Grace lui en accorda jusqu’à de la compassion. Conservant dans cette optique un silence poli et confiant, elle lissa du plat de sa main des plis que sa robe, visiblement peu adaptée à la position assise, faisait le long de ses cuisses. La suite des paroles de Cassandra la détournèrent cependant bien rapidement de cette activité, requérant impérieusement toute son attention pourtant d’ordinaire si volatile.

-Je crains que Jeremy soit terriblement occupé aujourd'hui, on doit se voir ce soir.

Occupé. Grace se prit le mot sur le coin de la gueule comme un uppercut bien placé.

Certes, ses idées sur les hommes étaient un peu dépassées, voire carrément excentriquement moyenâgeuses, mais elle ne pensait pas qu’on puisse trouver excessif qu’elle exigeât au moins la perfection pour sa sœur. Et qu’un homme puisse être trop… occupé pour l’amour de cette dernière, fût-il PDG d’une multinationale fleurissante ou esclave dans une mine de diamant en Sibérie, c’était tout bonnement inadmissible.

Elle ouvrit la bouche, déjà prête à proposer énergiquement de la conduire jusqu’au lieu de … l’occupation de Jemery. Cassandra épargna à son estomac la nécessairement désagréable expérience gastrique des talents de conductrice de Grace en devançant celle-ci :

-Grace je te le dirai d'accord…

Comme si elle avait eut le choix.

-…mais il est préférable que j'en parle avec Jeremy avant.

Elle ne put ici retenir un sourcillement d’effroi. Non seulement ce beau-frère, d’un seul coup beaucoup moins idéal, mettait en attente la félicité maritale de sa sœur, mais, de surcroit, il s’arrangeait pour irrémédiablement freiner sa satisfaction personnelle, et bien innocente, de pouvoir régenter le sacrement des noces. C’était révulsant.

-Ce ne serait pas très juste qu'on en discute toutes les deux alors qu'il croule sous le travail.

Elle ne voyait pas très bien l’obligation à laquelle elles étaient tenues de conserver des égards particuliers pour un homme qui en avait si peu pour leurs sentiments respectifs. Mais soit, puisque sa sœur le lui demandait.

- Très bien. Nous n’en parlerons plus…, concéda-t-elle à contre-coeur.

Comme une contraction du diaphragme provoque le hoquet, sa docilité de caractère avait spontanément généré l’acceptation momentanée. Mais cela, et Grace n’en démordrait pas, uniquement parce qu’elle avait la certitude que quelques heures supplémentaires à peine de supplice pour ses nerfs suffiraient à dissiper tout malentendu moral et lui permettraient de laisser libre court à son imagination romantiquo-prolifique. Aussi, précisa-t-elle avec un calme suintant le professionnalisme en matière de négociation que ses études de droit lui avait inculqué :

- … avant ce soir.

Le silence s’installa.

Un rayon de soleil venait mourir dans les cheveux de Cassandra, encadrant son visage de la lueur de son agonie mordorée.

La jeune femme ne put s’empêcher de remarquer la beauté de sa sœur, et de lui adresse un regard rayonnant dans un élan de fierté profonde.

-J'ai un mauvais pressentiment Grace.

Un mauvais pressentiment ? Grace arqua un sourcil. On avait un mauvais pressentiment quand on annonçait qu’un météore allait frapper la Terre au niveau de l’Ohio. On avait un mauvais pressentiment avant de boire un verre de lait à l’odeur douteuse. On avait un mauvais pressentiment quand on se rendait compte, avant de débuter la Messe de Minuit, que l’un des enfants de chœur de l’église fleurait le vin rouge bas prix. Mais pas quand il s’agissait d’amour. Ou plutôt, d’Amour, dans toute la puissance que lui accordait un couple aussi significatif que Cassandra Hamilton et Jeremy Hawkins.

Pourtant le timbre sentencieux de Cassie l’avait perturbée au plus haut point.

Sa sœur ne lui avait pas seulement donné une impression diffuse. Elle était convaincue.

De mieux en mieux. La blonde avait conservé son sourire doux pendant toute la longueur de l’entretient, cependant, à mesure qu’elle prenait conscience de la situation, celui-ci était progressivement devenu contrit, déçu, dérouté, faible, jusqu’à enfin atteindre sa forme finale de grimace de raton laveur empaillé. Dernier stade qu’elle se résolût à faire disparaître et à remplacer par un air d’apaisement insouciant qu’on servait généralement aux enfants lorsqu’ils vous parlaient, terrorisés, du gros monsieur tout nu avec une hache qui se cachait dans leur armoire.

Pour le bien de la sérénité ambiante et de la bonne continuité de la conversation, elle préféra éluder le pourcentage de chance que l’histoire se termine par la découverte du gamin découpé en rondelles bien fines avec des traces apparentes d’agression sexuelle un peu partout dans sa chambre, et l’implication métaphorique que ça devrait avoir sur le ménage de Cassandra.

Nouveau plissement du front.

Comment un pressentiment pouvait-il débarquer comme une fleur dans l’esprit d’une future jeune mariée et enrailler la machine, pourtant on ne pouvait mieux huilée, d’un mariage aussi désirable que désiré ?

Elle se leva de son siège et s’installa aux côtés de sa sœur, prenant un ton patient que des années de commisérations ponctuelles lui avaient façonné.

- Qu’est-ce qui se passe ?

Grace ne comprenait pas. Elle cherchait patiemment dans les traits de la jeune femme troublée qui lui faisait face cette force à laquelle elle s’était si quotidiennement accrochée. Ce pilier de morale et de justice, pétrit dans la détermination et ciselé par l’expérience. Elle cherchait sa sœur.

- C’est… Jeremy ? , tenta-t-elle avec inquiétude.

Si Grace en était arrivée à bénir leur union et à installer le jeune homme sur un véritable piédestal, il n’en avait pas toujours été ainsi, et la fragilité absolue de cette opinion pourrait bien vite ramener le gendre propret à l’état malheureux d’intrus à virer de leur famille, tel un mexicain dépourvu de carte verte volant du riz dans une supérette gentiment ramené aux frontières de son trou à maracas natal. Blesser les sentiments de Cassandra, c’était s’attirer les foudres d’une Grace un peu plus hystérique que d’habitude. Ce qui équivalait à une mise à mort, façon petit génocide à Salem, en bonne et due forme.

- Il a fait des choses… blâmables ?

Le dernier mot était chuchoté, presque confessé, sur un timbre un peu roque, plus sombre qu’incrédule, qui ne ressemblait absolument pas à son habituel soprano léger. Il ne laissait filtrer aucun pardon envisageable. Il sous-entendait la révolte. La main qu'elle glissa au-dessus de celle de Cassie exprimait l’outrage. Réclamait une punition immédiate.
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Cassandra Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyJeu 27 Déc - 0:54

Cassandra s'était attendue à ce que le poids écrasant de cette vérité soit trop difficile à supporter pour sa sœur, mais l'altruisme naturel qui commandait ses actions l'avait empêché d'entretenir un mensonge. Elle savait aussi bien que la bercer d'illusion serait une façon faussement malsaine de la détruire encore davantage. Grace avait la manie de prendre les choses très à cœur - c'était un gêne héréditaire bien certainement - surtout lorsqu'il s'agissait des autres. Même si c'était au départ sans grande perspicacité que Cassie avait déchiffré l'hostilité fraternelle qui animait sa sœur, elle avait fini par se faire à l'idée que désormais la sympathie qu'elle éprouvait pour Jeremy était acquise. C'était peut-être présomptueux de sa part, mais elle imaginait Grace incapable de faire dans la nuance : si au départ elle nourrissait une animosité certaine envers Jeremy, elle avait fini par le mettre sur un piédestal à partir du moment où il avait gagné sa confiance. Son jeune âge n'avait aucun rapport avec cette attachante naïveté qui la caractérisait tant, c'était simplement un fait qu'elle n'avait jamais réfuté. Pourtant cet aveu spontané n'avait à aucun moment éveillé en elle la crainte qu'il puisse renverser les éminentes attentes de sa sœur. Et même si c'était le cas, c'était peut-être le prix à payer pour violer ses engagements. Ce serait même peut-être plus simple de la conforter à l'idée que ce mariage puisse ne pas avoir lieu, si jamais elle décidait de se fier aux premières impressions qu'elle avait eues à propos de Jeremy.

Mal à l'aise, Cassandra évitait pourtant de bouger, pour une raison qui lui demeurait inconnue. Elle évitait par la même occasion tout contact visuel avec sa sœur, fixant l'horizon à travers la fenêtre. Cette situation l'embarrassait au plus haut point, mais elle se rassurait en se disant qu'elle se déroulait avec Grace et non directement avec le principal concerné. Inévitablement ils devraient avoir cette conversation, comme elle l'avait assuré à Grace quelques minutes plus tôt, mais à aucun moment il n'avait été convenu que ce petit moment de partage aurait lieu ce soir. En plus de la rendre égoïste, lâche et indigne, ces circonstances réclamaient des mensonges qu'elle débitait naturellement. Ce mariage lui avait d'abord paru être une renaissance - au contraire de ce qu'on disait, Cassie ne considérait pas le mariage comme une mort civile mais bien le début de la vie, ce que Joanna lui reprocherait très certainement - mais force était de constater qu'à présent c'était un piège dont elle ne pouvait s'échapper. Candace l'avait sûrement remarqué, une mère devait ressentir ces choses là, et parfois Cassie se demandait même si cette histoire de tradition n'était pas un pur produit de son imagination pour retarder l'échéance de ce mal. Sa mère la connaissait assez pour savoir que malgré l'assurance qu'elle feignait, Cassie était une jeune femme rongée par des craintes aussi variées que futiles : la crainte d'échouer, la crainte de décevoir, la crainte de paraitre faible... au fond elle était peut-être la seule personne à savoir véritablement qui était Cassandra. Pas même Grace ne savait qu'en ce moment tout ce dont Cassie avait besoin était d'être éclairée sur la conduite à adopter. Elle finirait tôt ou tard par s'en informer...

L'espace d'un instant Cassandra avait bien cru être délivrée de cette terrible entrevue, mais Grace lui rappela bien vite qu'on ne pouvait étirer le temps à l'infini. Elle sentit bien rapidement sa présence à ses côtés, et intérieurement elle remerciait sa sœur d'être réceptive à sa détresse. Comme elle l'avait prédit, Grace ne tarda pas à rejeter la faute sur Jeremy. Cela ne pouvait bien évidemment pas être la sienne, elle avait travaillé à perfectionner cette aura de sainteté qui éblouissait son entourage. Machinalement elle déglutit, alors que la perspective de dire tout haut l'angoisse qui la rongeait depuis des semaines assombrissait son visage. "Non, bien sûr que non..." affirma-t-elle, proie au doute. La mauvaise foi de Grace avait même fini par la contaminer, si bien qu'elle y repensa à deux fois avant de donner son verdict. "Non, Jeremy n'y est pour rien." renchérit-elle, cette fois-ci sûre d'elle. Le contact de la main de Grace la rassura, comme si c'était le témoignage de sa loyauté. Quoiqu'elle lui dise, Cassie savait que Grace serait toujours là pour elle, et ce malgré cette déception qu'elle aurait beaucoup de mal à dissimuler. Mais comme elle se le répétait, ce mariage était le sien. Parfois Cassandra se demandait comment se seraient passées les choses si jamais Grace avait eu la chance qu'on lui passe la bague au doigt avant elle. Une telle scène n'aurait sûrement jamais eu lieu, et toute cette cérémonie ne serait plus déjà qu'un lointain et merveilleux souvenir. Cette pensée la mortifia encore davantage. Fermer la porte au bonheur devait être un des maux les plus abominables. "Pour dire la vérité, je ne sais plus quoi penser." confia-t-elle en tournant la tête vers sa sœur. Malgré la honte qu'elle éprouvait, elle parvenait tout de même à la fixer dans les yeux, et cette lueur de commisération qu'elle entrevoyait lui faisait à la fois beaucoup de bien et beaucoup de mal. "Je sais que ça doit te paraitre, invraisemblable, toi qui crois que l'amour fait son chemin une fois qu'il est installé, et j'aime Jeremy bien entendu, mais je ne suis pas toi. J'ai peur. J'ai peur et j'ai l'impression que c'est anormal." conclut-elle, penaude, le visage contrit par toute cette confusion. "Si tu savais comme je me sens mal, j'ai l'impression de faire faux bond au monde entier et qu'après cet aveu il me regardera avec disgrâce."
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyJeu 27 Déc - 16:10

-Non, bien sûr que non...

Grace observa sa sœur avec une moue dubitative.

Elle avait beau infirmer ses soupçons concernant Jeremy, la blonde n’était pas parfaitement convaincue. Elle avait vu trop de comédies romantiques pour ne pas se douter qu’aveuglée par la Passion, Cassandra se voilaient la face concernant les agissements de son réprouvé de fiancé. A moins qu’elle n’en soit que trop consciente ? Et si Jeremy était impliqué dans une histoire de meurtre ? Qu’il avait tout révélé à sa future femme et que celle-ci, par Amour, portait désormais le poids d’une complicité fortuite ? Obligée, jusque devant sa jeune sœur, à dissimuler les méfaits sordides de l’être cher au détriment des principes les plus stricts de son éducation ?

Grace en était bouleversée.

Cassandra Hamilton, figure mythique de la chrétienté de Lima, poussée au vice, noyée dans le crime, totalement…

-Non, Jeremy n'y est pour rien.

Le ton plus ferme qu’elle avait employé évapora les craintes cinématographiées de sa cadette. Quoiqu’un soute subsistât sur la probable double-identité criminelle de Hawkins, la blonde ne put masquer sou soulagement. Savoir que cet homme qu’elle avait fini par apprécier n’était finalement pas tombé si bas dans la déchéance morale la rassurait quelque peu. Une lueur d’espoir d’espoir qu’il soit digne de Cassandra et de leur famille apparut et éclipsa pendant quelques instants un point essentiels qui ne tarda pourtant pas à gâcher la tentative de bonheur de la jeune fille : si Jemery n’était pas la cause du trouble de la future mariée, d’où provenait-il ?

-Pour dire la vérité, je ne sais plus quoi penser.

Cassandra avait enfin posé sur elle ses yeux voilés de confusion. Grace y découvrit un regard qui lui fit presque regretter que ses hypothèses concernant le meurtre ne soient pas autre chose que des fantasmes ridicules. La douceur enjouée qu’elle s’était composée vacilla, comme la flamme pâle d’une bougie d’anniversaire agitée par le souffle asthmatique d’une nouvellement centenaire.

Elle devait se rendre à l’évidence. Si sa sœur avait trouvé l’amour, en cet instant précis, il n’y avait en elle aucune trace de bonheur.

-Je sais que ça doit te paraitre, invraisemblable, toi qui crois que l'amour fait son chemin une fois qu'il est installé,…

Elle ouvrit la bouche pour se défendre de ses accusations avec la verve des femmes bafouées, puis la referma sans un mot. Elle n’avait aucun moyen, ou envie, de contrarier les dires de sa sœur. C’était parfaitement juste. Et c’était précisément en cela qu’elle était le plus désorientée face à ce retournement de situation. Pour elle, un couple, c’était l’harmonie, des projets, la paix. Et tout cela ne pouvait être défini et croitre que dans un amour réciproque. Or Jeremy, malgré son manque cruel de ponctualité sentimentale, était jusqu’aux dernières nouvelles profondément amoureux de l’Hamilton. Et Cassandra était…

Grace fronça ses sourcils.

Cassandra aimait Jeremy.

N’est-ce pas ?

Clignement des paupières.

Elle avait toujours pris ce fait pour acquis. Peut-être trop vite ? Et si tout ceci n’avait été qu’une large mise en scène de ses envies d’amour et de guimauve non-périssable ? Et si toutes ses études pour déterminer la composition florale qui conviendrait le mieux aux deux ne devaient finalement servir à… rien ? Grace était mortifiée.

L’angoisse lui serra la gorge.

Et elle ? Que devrait-elle faire ? Sœur indigne, incapable de voir la détresse causé par un manque d’affection de celle pour qui elle se prétendait déjà la demoiselle d’honneur. Quelle légitimité aurait-elle encore dans cette famille après une telle erreur ?

Assurément, elle devrait faire pénitence. Expier sa faute. Partir, loin, dans un couvent et pleurer en silence sur la dépouille de son impudence.

-…et j'aime Jeremy bien entendu…

Soupir soulagé.

- Bien entendu.

L’amour était donc bien là. Bien réel. Et, aussi étrange qui cela puisse paraître, cela ne faisait qu’augmenter les peines de Cassandra.

- …, mais je ne suis pas toi.

Grace se sentit blessée par ces paroles. Toute sa vie, elle avait cherché à gommer les différences qu’elle espérait ténues entre elle et sa sœur. C’était une façon d’atteindre un idéal, une concrétisation. Et que celle-ci lui renvoie en pleine figure le fossé que devait immanquablement creuser leur divergence de caractère, elle ressentait ça comme une trahison. Comme si elle était incapable de la comprendre. Certes, c’était peut-être le cas, mais elle n’avait nullement besoin qu’on le souligne. Elle était tout à fait capable de faire semblant.

Cependant, l’affront qu’elle semblait avoir perçu fut vite balayé :

-J'ai peur.

A ces mots, Grace fut tout simplement abasourdie. L’effort qu’elle fit pour garder sa mâchoire hermétiquement fermée fut violent.

La peur était une sensation qu’elle connaissait. Peut-être à petite dose, mais elle avait de quoi appréhender les abominations qui avaient frappés Anne Franck et la douzaine de gamins adoptés de Madonna. Mais que cette émotion se peigne sur le visage de sa sœur, qu’elle déforme d’un léger tremblement sa voix, c’était inconcevable.

Cassandra enfonça un peu plus le couteau dans la plaie.

- J'ai peur et j'ai l'impression que c'est anormal.

Avec l’impression absurde d’avoir glissé dans une réalité hérétique où les lois élémentaires de l’univers étaient toutes bafouées, Grace, malgré l’incertitude que suscitaient chez elle ces révélations, accorda un sourire d’une douceur fébrile à l’inquiétude de sa sœur :

- Anormal ? Tu veux savoir quoi ? Quand tu as sept ans, que tu penses que Adam et Eve ont été punis parce qu’ils avaient mangé une pomme, que tu en conclus que le végétarisme est la source du Péché, et que tu frôles la crise de foie parce que tu te nourris exclusivement de viande, ça, c’est anormal, affirma la jeune femme, faisant référence à ses propres problèmes alimentaires d’interprétations bibliques.

Elle entrelaça ses doigts avec ceux de la main qu’elle compressait un peu plus à mesure que Cassandra parlait et la releva fermement, exposant à la lumière la bague de fiançailles qui y siégeait depuis un an.

- Avoir peur de ça. Craindre de s’engager totalement, corps et âme, au sens littéral des termes, définitivement, avec un être sur sept milliards. Craindre de plonger et de s’écraser. De ne pas être capable d’assumer d’aimer et d’être aimée pour l’éternité. De ne pas être à la hauteur.

Elle pencha la tête sur le côté.

- Tout-ça me semble au contraire très normal. Tu n’y es pas habituée, voilà tout. Tu as toujours cherché le contrôle. Ici, tu dois juste… avoir confiance en Jeremy.

Grace n’était pas certaine d’approuver toutes les paroles qu’elle pouvait dire, mais pour l’instant, les besoins sa sœur comptait plus que ses petites opinions psychorigide.

-Si tu savais comme je me sens mal…

D’un geste machinal, elle replaça correctement une mèche blonde qui était tombée sur le front de sa sœur.

- Je sais. Maintenant, je sais…, murmura-t-elle.

C’était faux. Evidemment. Elle ne pouvait envisager le désordre que représentaient les pensées de Cassandra. Mais faire semblant « Pour le plus Grand Bien » restait dans ses compétences.

-…, j'ai l'impression de faire faux bond au monde entier et qu'après cet aveu il me regardera avec disgrâce.

Ici, Grace réprima un rire enfantin.

- Quand je pense que tu m’as toujours reproché mon excessivité. Cassie, tu ne fais faux bond au « monde entier » tout au plus que dans la mesure où tu les prives d’une pièce montée artisanale.

Confectionnée par ses soins, cela allait sans dire.

- Et bien que ce soit une perte très certainement bouleversante, crois-moi, ils sauront s’en remettre. Contrairement à toi, si tu n’es pas absolument certaine des décisions que tu vas prendre.

La blonde s’abstint d’ajouter qu’elle ne comprenait pas du tout comment il était possible qu’elle ne soit justement pas dans cet état de certitude complète.

- Quant à Jeremy, ne soit pas ridicule. Tu lui annoncerais que tu n'as pas de nombril et une affection morbide pour les chats en porcelaine qu'il te regarderait toujours comme la basilique Saint Pierre... en période de Noël... En plus sexué.

Nouveau sourire apaisant.

- Tu dois avoir l’impression que tout-ça, ce n’est pas ta place. Parce que tu n’aurais jamais pensé t’y trouver sans Jeremy. Mais c’est justement ce qui fait de lui le Bon. Dieu l’a placé sur ton chemin pour que tu le choisisses, et c’est ce que tu as fais, non ? Parce que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire.

Il lui paraissait inutile de préciser qu’à son sens, l’épouser était le prolongement de ces volontés divines.

- Tu le sais mieux que moi, Cassandra. Il faut juste t’en rappeler.

Se penchant vivement, elle attrapa un marqueur qui trainait sur la table basse et, attrapant l’avant-bras de Cassandra, y traça «Confiance » de son écriture ronde et pleine de déliés avec une aisance qui témoignait de l'habitude que cet exercice de body writing était devenu pour elle. Fière de son œuvre, elle précisa :

- Ca te servira d’antisèche.
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Cassandra Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyDim 20 Jan - 15:17

L'intimité de leur échange lui rappelait des souvenirs aussi douloureux que nostalgiques. Le soleil filtrait à travers les rideaux du salon, apportant à la scène une chaleur supplémentaire que Cassandra avait l'impression d'anéantir aussitôt. Elle n'en voulait pas à Dieu de la tester à la moindre occasion, mais elle s'en voulait à elle de ne pas être capable d'affronter ces épreuves avec tout le courage dont elle aurait pu faire preuve. Elle s'en voulait encore davantage d'être elle-même la source des problèmes qui avaient jalonné non pas sa propre vie mais celle de Grace. Son attitude répressive au lycée l'avait affectée - même si elle se répétait que tout était pour son bien - de même que le bienveillant héritage de la présidence du Club de chasteté. Parfois Cassie se disait être une mère de trop pour sa sœur. Candace était déjà bien assez présente dans leur vie pour que sa miséricordieuse supervision soit bénéfique à son épanouissement personnel. Pourtant lorsqu'elle regardait Grace aujourd'hui, elle entrevoyait les signes d'une innocente féminité qu'elle-même reniait. Elle avait beau se persuader que son égoïsme était pardonnable, sa bonté naturelle lui laissait un goût amer. Ce n'était pas elle qui devait céder à la clémence, elle comptait au contraire beaucoup sur celle de Grace pour qu'elle lui ouvre les yeux, pourtant la partie lui semblait déjà terminée alors qu'elle lisait la déception dans les exclamations de sa sœur.

Sa surprise fut grande, lorsqu'avec toute la sagesse du monde Grace tenta de la rassurer. Ses exemples, qu'elle ne savait pas anodins, lui arracha un sourire amusé, tandis qu'elle hochait imperceptiblement la tête pour en dénoter l'absurdité. L'éloquence était un don héréditaire chez les Hamilton mais elle n'avait pas le même effet sur chacun. Grace avait cependant gracieusement choisi ses mots si bien que sa maturité frappa Cassie encore davantage. Tout ce temps elle avait redouté de la voir s'emprisonner à jamais dans un monde utopique qui ne ressemblait en rien à la réalité. Pourtant cette discussion témoignait de son extrême lucidité, bien qu'éphémère. Surtout, elle avait réussi à décrypter les craintes de sa sœur comme si justement il existait un manuel à ce sujet. Ou peut-être qu'elle était plus qualifiée pour ces choses là, sans même avoir eu à en faire l'expérience. "C'est tout à fait ça !" s'exclama-t-elle.
C'était une preuve suffisante de l'ironie de cette situation. Dans un monde normal, Grace aurait dû trouver son âme sœur avant elle, parce que c'était pour elle un objectif en soit. Au départ Cassandra avait même redouté sa réaction, de peur qu'elle ne lui en veuille d'être tombée dessus par hasard alors qu'elle avait méprisé ce sentiment durant toute sa vie. Mais ça n'avait pas été le cas et au contraire Grace avait accueilli la nouvelle avec un enthousiasme qui lui ressemblait tout autant.
Voir à quel point Grace la connaissait lui procura un sentiment de soulagement inespéré. Elle avait bien compris que ce besoin impérieux d'avoir le contrôle sur sa vie l'empêchait d'en embrasser la spontanéité.

Lorsque Grace souligna l'excessivité de ses propos, Cassie ne put s'empêcher de se joindre à son hilarité passagère. La grossesse avait le don de rendre les femmes instables et le mariage faisait d'elle une piètre drama queen. Preuve était que personne n'y croyait... elle avait habitué les gens à une bien trop grande modestie.
La suite du discours de Grace modela une expression plus grave sur son visage. C'était justement tout le problème. Comment sa voir si c'était le bon ? Ou pire, comme savoir si ELLE était la bonne pour lui ? Elle n'en avait parlé à personne, mais son rapprochement inopiné avec Robert Gallagher - un rapprochement à sens unique en ce qui la concernait - lui avait fait réaliser que peut-être elle prenait des décisions trop hâtives. Robert lui-même n'avait pas hésité à lui souligner et, même si la parole de ce monstre d'arrogance ne valait rien à ses yeux, elle avait curieusement éveillé des doutes qu'elle n'avait pas au départ. Pourquoi détestait-elle autant Megan Morgan ? C'était une pécheresse qui aimait parader devant le monde entier certes, mais c'était aussi celle qui avait mis le grappin sur Rhett quelques années plus tôt. Ce comportement puéril n'était pas habituel et malgré tous les efforts du monde Cassie ne parvenait à fermer les yeux et à faire taire sa confusion. Un mariage c'était pour la vie. Elle n'était pas certaine d'être prête à abandonner ses libertés pour se laisser guider par le courant de sa future existence. Vivre une vie rangée et monotone c'était pourtant ce à quoi elle avait été préparée mais désormais elle n'était plus certaine de le vouloir véritablement. "Comment savoir que c'est l'œuvre de Dieu ? Ou même, comment savoir que ce n'est pas juste une épreuve ?... Rien que le fait de penser ça fait de moi une future épouse indigne." avoua-t-elle à regret. En vérité elle se cherchait seulement des excuses. Tout le monde savait ce qu'impliquait le mariage. Il fallait fonder une famille et il y avait certains impératifs pour ça. Cassie savait bien que jamais Jeremy ne la bousculerait en ce sens, mais cela demeurait la pire de ses craintes. Elle n'était pas prête à franchir ce cap. Elle n'était pas sûre de jamais l'être.

Docile, Cassandra se laissa embarquer le bras tandis qu'un sourire attendri étira son visage auparavant crispé par le doute. "Confiance" avait-elle annoté. C'était amusant de voir à quel point Grace pouvait être avisée tout en gardant une âme d'enfant. Cassandra allongea alors son bras devant elle comme pour s'imprégner de ce mot. Elle le reposa ensuite sur le canapé et, en prenant appui dessus, s'aida à s'installer plus confortablement au fond. "Merci pour ton soutien, je sais comme c'est confus pour toi. Pourtant il n'y a pas de sentiment plus instable que l'amour. Il a la manie de te tester sans arrêt. Et je suis plutôt nulle à ce jeu." concéda-t-elle en attrapant une mèche de cheveux de sa sœur avant de la laisser glisser entre ses doigts. "Tu devrais peut-être sortir ta collection de DVD Katherine Heigl, elle a ce chic pour rendre le mariage si facile. Pas sûre qu'elle réussisse à m'en persuader cependant..." dit-elle en faisant la moue. Elle avait usé exprès d'un ton malicieux pour taquiner sa sœur. C'était maladroit comme façon de détourner la conversation, mais elle n'était vraiment plus certaine de la nécessité d'en parler davantage.
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Grace Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyMar 12 Fév - 15:20

-C'est tout à fait ça !

Ces termes exclamatifs apportèrent une vague de soulagement absolu chez la pianiste. Et il en était plus que temps si on en croyait les doses excessives d’adrénaline que cette discussion avait injectées dans son système nerveux.

C’était comme arriver au bout d’un marathon, pouvoir à moitié assommer un des gamins préposés aux bouteilles d’eau glacée pour en récupérer une et apaiser l’espèce d’incendie qui vous ruine immanquablement les bronches.

Seigneur, elle n’était donc pas tout à fait folle et indigne de sa famille. Elle comprenait toujours sa sœur. Enfin. « Comprenait ». Ici, comprendre avait plus valeur de constatation consternée. Si il semblait que Grace disposait encore d’un minimum de précision qu’en elle jouait à l’inspectrice du cortex de sa sœur, ce qui apparaissait à la suite de ces petites séances de dialogue trépanant ne dépassait pas le stade d’image vaguement repoussante, la jeune femme étant totalement dénuée de la moindre capacité pour appréhender des concepts si éloignés de la pâte de sucre édulcorée qui composait son univers personnel.

Après tout, son plus grand tourment interne en date remontait à son dernier cycle menstruel, et elle doutait assez fortement de la valeur de cette comparaison avec les angoisses pré-maritales de Cassandra.

Apparemment, elle se trompait. Cela devenait une sale habitude. L’accalmie n’était que prélapsaire.

Dans cette course réthorique, elles finissaient à peine l’échauffement.

-Comment savoir que c'est l'œuvre de Dieu ?

Ce point suscita immédiatement chez elle une crampe intellectuelle. Coincés entre deux neurones, les propos balancés anxieusement en bloquaient les rouages et faisaient grincer l’entièreté de sa machine cérébrale. La bouche mollement ouverte, le regard confus, ces traits faciaux que Grace n’arrivait même plus à contrôler irradiaient l’incompréhension la plus pure. Ou, plus simplement, le déni de reconnaitre leur potentielle vérité.

Il avait suffit d’une seule phrase à la directrice des Second Chances pour imposer à sa sœur un état catatonique proche du poisson rouge lobotomisé. Ca devait être ce qu’on appelait la puissance de la bonne parole.

Comment Cassandra Hamilton, et tout le passé de dévouement, de prosélytisme acharné et de Foi inébranlable que ce nom, ce titre, impliquait aux yeux clairs de Grace, pouvait-elle ne serait-ce qu’une fraction de seconde envisager dissocier des desseins de Dieu le futur qui se dessinait pour elle, son mariage imminent ?

Quel que soit l’angle ou le soin avec lequel elle examinait l’annonce, tout-cela ressemblait un peu trop à de l’hérésie pour être acceptable sans une bonne petite dose d’antalgique.

Pour elle, il allait de soit qu’une telle harmonie affective ne pouvait être que l’œuvre, et quelle Œuvre, de leur Dieu. Quant aux angoisses, si elles se montraient gênantes, elles provenaient simplement d’une petite réaction chimique de trop de l’organisme délicat de la jeune femme. Il était tout bonnement impossible qu’elles puissent interférer à ce point dans l’existence spirituelle de Cassandra.

Impossible. Toutes ces hypothèses envisageaient des éléments qui se trouvaient bien au-delà des limites frontalières de l’imaginaire pieux et candide de Grace.

-Ou même, comment savoir que ce n'est pas juste une épreuve ?...

Les interrogations de sa sœur s’ouvraient sur le panorama, assez glauque il fallait bien le signaler, d’une toute nouvelle dimension. Dans laquelle Grace n’aurait jamais mis les pieds pour tous les tea-time avec Benoit XVI du monde, le trajet et l’hébergement fussent-ils compris dans un forfait low-cost.

Quasiment inconsciemment, elle glissa ses doigts jusqu’à ceux de sa sœur. Agrippant sa main comme pour pouvoir la tirer, et l’extirper du marasme étrange dans lequel elle s’était laissé couler. La ramener dans le petit monde rose dans lequel elles étaient censées vivre, ensemble.

Fascinée, elle caressait du bout du pouce ces mains pâles et fines, parcourant ses phalanges avec méticulosité, l’observant en ne pouvant s’empêcher de la trouver une fois nouvelle parfaite pour une alliance. Et de prier, peut-être un peu trop fort, pour que, sur ce point digital, la génétique les ait une fois de plus liées.

-Rien que le fait de penser ça fait de moi une future épouse indigne.

Cassandra avait toujours eu cette étonnante propriété d’apparaître comme une héroïne littéraire aux yeux de sa sœur.

Et si jusqu’alors, les œuvres dont l’avait fait jaillir les idées de Grace tenaient de la bibliothèque rose ou des archives du Vatican, elle se rapprochait soudainement bien plus de Silas s’enfonçant une jarretière cloutée dans la cuisse en l’honneur du Seigneur avant de s’auto-flageller en plein milieu du Da Vinci Code que d’un personnage des romans de Jane Austen.

Grace serra plus fort la main de sa sœur. Mais elle ne savait pas exactement laquelle d’entre-elles ce geste empêchait de défaillir.

Battement de paupières. Timbre plus grave que d’ordinaire :

-Dieu est bon.

Sa voix vibrait d’une certitude à la limite de la paranoïa. Ce qu’elle disait était vrai. Elle vivait, respirait par cette affirmation. En démontrer le contraire, c’était lui euthanasier l’âme.

-Cassie, tu ne crois pas avoir déjà assez enduré, assez sacrifié, pour qu’Il ne t’inflige une nouvelle épreuve ? Tu crois qu’Il ne sait pas à quel point tu mérite d’être récompensée ?

Ce tutoiement enrobait un « nous » qu’elle n’arriva pourtant pas à arracher à ses cordes vocales. Sa voix tomba soudainement en un murmure.

-Moi, je le sais.

Ses propres articulations étaient blêmes de la force qu’elle mettait à presser les doigts de Cassandra, oublieuse de la possibilité que cela puisse provoquer une sensation désagréable du côté de la structure osseuse de la jeune femme. Elle cherchait dans les yeux de l’autre Hamilton le réconfort qu’elle tentait de lui offrir par ses paroles.

Car, à cet instant, Grace n’était pas rassurée. Elle avait bâti tout son univers sur l’Amour. Sur les promesses des dessins animés et des tests de personnalité des magazines féminins d’un conte de fée l’attendant au coin de la rue. Et les noces promises de sa sœur en étaient devenues l’emblème le plus criant.

L’emblème se fissurait. Mais c’était son cœur qu’il fallait restaurer.

-Et, s’il le faut, j’allumerai un cierge toutes les deux heures pendant autant de mois qu’il le faudra pour qu’Il finisse par en être informé.

Il. Elle. Après tout, n’était-ce finalement pas Cassie, bien avant le Divin, qu’elle devait convaincre ?

Ses paroles flottaient dans un équilibre vocal, entre la menace et la décision ferme d’un enfant de se planter devant la cheminée pour attendre le Père Noël.

Enfin, elle desserra l’étau qui lui servait de main et libéra celle de Cassandra.

Elle sentit une de ses mèches renoncer à la gravité et s’élever jusqu’à laisser un rayon de soleil la caresser dans un miroitement doré.

-Merci pour ton soutien,…

Sourire radieux d’humilité pratiquement reconnaissante.

-… je sais comme c'est confus pour toi.

Frémissement des commissures. Elle était donc si transparente ?

-Pourtant il n'y a pas de sentiment plus instable que l'amour.

Froncement de sourcil.

Grace n’était pas certaine de vouloir connaître la provenance des idées révoltantes de sa sœur.

Cassandra avait-elle récemment traîné dans un de ces bars miteux de poésie gothique ? Lieux honnis, théâtres du mauvais côté du sonnet, où s’illustraient les plus grandes horreurs littéraires, anti-thèses parfaites des théories sur l’amour que Grace partageait avec les trois-quarts de la population en enfant de quatre ans des Etats-Unis.

Toujours était-il que leur point de vue s’affrontait une nouvelle fois aujourd’hui. Et Grace n’était pas sûre de vouloir mener ce genre de bataille.

Pour elle, l’instabilité était une épithète propre aux bipolaires graves et à une bonne moitié des éléments chimiques, les restes fœtaux difformes des descendants Hiroshimayens et le cercueil en plomb de Marie Curie en étaient les témoins les plus vifs. Mais pas l’Amour. Pour Grace, l’Amour, une fois né, était indéfectible, extensible à l’infini, divin. Sa valeur ne pouvait varier qu’en augmentant, et, si un évènement, majoritairement dévolu à Satan, venait en troubler la constance, sa grande force était justement de pouvoir se régénérer, de colmater de sa propre substance les failles du pécher et de la faiblesse.

L’Amour était une sorte de grosse portion de jelly cosmique. Une délicieuse et très parfumée portion de jelly.

-Il a la manie de te tester sans arrêt. Et je suis plutôt nulle à ce jeu.

Regard illuminé d’une fulgurance d’excitation.

-Je peux t’apprendre les règles, si tu veux.

Grace se leva d’un bond enthousiaste, toute prête à aller chercher sa terriblement large collection de manuel de développement personnel. Elle se figea cependant, constatant dans le regard de sa sœur que celle-ci n’y tenait pas vraiment.

Petit soupir. Moue un peu boudeuse. Yeux qui font un petit tour dans leurs orbites.

-Mais de toute façon, comme je le connais, Jeremy te laissera gagner chaque partie.

Petit sourire de triomphe enfantin, persuadée d’avoir sorti un argument imparable dans la même veine que « Ma mamy a mangé mon devoir» ou encore «J’ai répondu correctement à une question des emballages d’apéricubes ».

-Tu devrais peut-être sortir ta collection de DVD Katherine Heigl,…

Peut-être ? Comme si il pouvait exister une seule raison en ce monde pour l’empêcher de sortir ses DVD.

-…elle a ce chic pour rendre le mariage si facile.

Le mariage était facile.

Marmonnements :

-C’est une excellente actrice. Les actrices imitent la réalité.

Ses convictions se réunissaient là. Elle préférait croire que le talent de Heigl et des comédies romantiques dans lesquelles elle tournait étaient de présenter avec exactitude le monde sentimental dans lequel l’humanité évoluait. Dans ce monde que ne voulait pas quitter Grace.

Exception faite peut-être pour « Bride of Chucky». Ces contrées filmographiques-là étaient clairement des No Grace’s land.

-Pas sûre qu'elle réussisse à m'en persuader cependant...

-Katherine pourrait persuader un Bonobo que le mariage est le lien le plus pur, le plus évident, le plus indéfectible qu’on puisse trouver sur cette Terre.

Grace était fille de pasteur. Il fallait croire que le bagou biblique était compris dans l’héritage génétique.

A force d’ingurgiter ces longues heures de rêverie romantique, elle parlait de l’actrice comme d’une amie proche. L’effet était surprenant, mais compréhensible.

L’Hamilton était toujours debout. Semblant s’en rendre seulement compte, elle passa une main distraite dans ses cheveux, tournant sa tête de gauche à droite, visiblement perdue dans son propre salon. Passant un regard évasif sur le visage de sa sœur, après avoir tenté un sourire appuyé, elle se décida à bouger.

-Oui… Un film… Après tout… Ce n’est pas une mauvaise idée…

Quoi de mieux qu’une comédie romantique pour chasser les angoisses d’une fiancée ?

De la nourriture.

-De la nourriture. Oui. Pour le film. Tout le monde aime manger devant un film. Sinon on aurait jamais inventé les salades césars au pop-corn.

Sans plus d’explications, elle déambula jusqu’à la cuisine. Elle n’avait pas vraiment conscience de ce qui se passait autour d’elle. Un peu comme une somnambule. Qu’on aurait réveillée à coup de poele à frire. Elle ouvrit la porte du frigo et attrapa le plateau où elle avait disposé ses macarons framboise, il lui semblait, des heures plus tôt. C’est à cette occasion qu’elle découvrit que ses mains tremblaient.

Inspiration difficile. Contrôle des zygomatiques. Sourire de circonstance. Retour au salon. Présentation du plateau sur la table.

Elle tendit impérieusement une des pièces colorées à sa sœur, bien décidée à gaver Cassandra de glucose jusqu’à ce qu’elle cède à nouveau à ses probables penchants fleur bleu. Et elle n’attendrait pas de refus.

-Tu sais ce qui m’a fait accepter Jeremy comme… « mon frère » ? A part entière ?

Elle observait un vide apparemment fascinant à travers la multitude de pâtisseries.

-Ces macarons.

Elle hocha gravement la tête, ignorant l’air totalement absurde que devaient lui donner ses paroles. Ce genre d’hochement qui annonçait une très longue histoire comprenant un petit trémolo dans la voix, des flash-back qu’elle était la seule à percevoir et des pâtisseries. Généralement, ce genre de scène se finissait dans des larmes et une session de karaoké dépressif. Comme pour se préparer à la chose, d'un mouvement quasiment naturel, elle posa sa tête au creux de l'épaule de l'autre blonde. Courte respiration. Tiens, elle avait changé de parfum ?

-C’était une nouvelle recette. Tu sais, je l’avais lue dans un de ces magazines qui ne font que des éditions spéciales St-Valentin toute l’année, auxquels Emma est abonnée.

Après avoir découvert leur existence, Grace y avait évidemment souscrit dans la demi-heure qui avait suivi. Elle négligea pourtant de partager ce détail.

-Je n’avais fait qu’une fournée. J’en avais proposé à quelques personnes.

Autrement dit, à la moitié de la ville. C’était une très grosse fournée.

- Vous deux compris. Je t’avoue que c’est maman qui m’avait motivée à en proposer à Jeremy quand il est passé à la maison.

Grimace.

-J’avais dû me planter dans les dosages. Personne n’en a redemandé après la première bouchée.

Soupçon de déception nostalgique. Visage illuminé.

-Sauf vous. Vous avez été les seuls à sentir le goût de la framboise et du yuzu. Les seuls à les apprécier. Et crois-moi, je les ai goûtés, ils étaient vraiment ratés. Vraiment. Même la collerette.

Nouveau mouvement de la tête.

-Vous n’étiez pas dans la même pièce. Vous ne vous êtes pas vu ce jour-là. Et pourtant, vous étiez parfaitement d’accord. Vous aviez un avis commun. Que personne d’autre sur cette planète n’aurait pu avoir.

Regard brillant.

-C’est un signe.

On dit qu’un atteint un homme par son estomac. Pour Grace, le cœur des gens se situaient au niveau de leurs papilles gustatives. Et leur comptabilité dans leur capacité à subir la même influence vis-à-vis des aliments qu’ils pouvaient ingurgiter.

Instant de réflexion sur son petit monologue.

-J'étais censée glisser cette anecdote dans mon discours à votre mariage. Je trouverai autre chose, je pense.

Elle se redressa et chercha les yeux de sa sœur, tentant de faire briller ses prunelles de la même lueur que Candace savait si bien imprimer sur les siennes quand elle parlait avec ses filles. Sans grand succès.

-Parle-lui.

Profonde inspiration.

-La peur n’est pas un péché. Et l’exigence, pas toujours une vertu. Être sa femme… sa compagne, se corrigea-t-elle, ce n’est pas qu’un statut, qu’une image en société. Ce n’est pas être la Cassandra que tu voudrais lui montrer. Ni être celle qu’il voudrait voir. C’est être toutes les Cassandra. Les plus fortes. Et celles… qui le sont moins.

Grace n’avait que rarement eut l’occasion de croiser cette dernière catégorie chez cette sœur idéalisée. Et ces rares rencontres ne comptaient jamais parmi leur plus belle réunion de famille.

-Celle qui aime. Celle qui se bat. Celle qui, même adolescente, avait des goûts musicaux monastiques. Celle qui donne. Celle qui…

Hésitation.

- …a peur.

Sourire confiant.

-Et pouvoir être sûre qu’il les acceptera toutes. Sans exception.
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Cassandra Hamilton
Cassandra Hamilton
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MessageSujet: Re: 06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyJeu 7 Mar - 15:39

Cassandra ne s'était pas préparée à devoir affronter si tôt dans sa vie de telles appréhension. La résolution avec laquelle elle avait longtemps condamné l'amour l'avait propulsée de loin parmi celles qui étaient vouées à assister aux unions des autres avant de réaliser que c'était peut-être une éventualité envisageable. Les vicissitudes de ce sentiment avaient achevé de la conforter dans ses opinions et de faire d'elle une sceptique aguerrie. Mais sa rencontre avec Jeremy avait inéluctablement bouleversé l'ordre parfaitement établie de ses convictions. Elle ne pouvait pas dire si ç'avait été un coup de foudre, parce qu'elle était trop novice en la matière pour faire de telles affirmations, mais ce qu'elle savait c'était qu'il était parvenu à ébranler les barrières qu'elle avait elle-même érigées entre elle et le sexe opposé. Jamais elle ne l'avait considéré par le fait qu'il était un homme. Il avait aussitôt été son égal et même si au départ cette réalité ne l'avait pas marquée, Cassie avait fini par réaliser à quel point leur rencontre avait été providentielle. C'était sans doute ce qui rendait encore plus contestable la légitimité de la conversation qu'elle entretenait avec Grace. Elle demeurait consciente de ce lien incomparable qui l'unissait à Jeremy mais elle avait peur d'être vouée à jamais à bannir la potentialité que ce lien ne fût pas unique.

Durant longtemps Cassandra avait entretenu la certitude qu'elle se marierait à un homme au moins aussi parfait que son père. C'était d'ailleurs cette certitude qui avait rayé toute possibilité de vivre une vie semblable à celle de sa mère, parce qu'elle savait que personne ne pourrait jamais l'égaler. Et elle ne s'était pas trompée. Jeremy ne l'égalait pas mais à ses yeux il valait tout autant. Cassandra était affreusement consciente de ses défauts et pourtant elle les chérissait comme s'ils étaient les détails les plus charmants de son caractère. Il lui était cependant difficile d'admettre qu'on puisse chérir les siens avec autant d'ardeur et c'était peut-être bien pour cette raison qu'elle se sentait si indigne de lui à cet instant.
Grace semblait pourtant convaincue du contraire. L'application avec laquelle elle s'efforçait de choisir les mots justes la touchait autant qu'elle la troublait. Ce n'était pas une question d'âge et de maturité, Cassie savait mieux que quiconque que la roue tournait toujours en faveur de l'une ou l'autre et que c'était avec la même bienveillance qu'elles communiquaient leur enthousiasme et leur sagesse pour faire en sorte que ce bonheur soit partagé. Seulement elle avait longtemps pensé que, même si le thème de l'amour était celui qu'elle avait le moins cultivé, elle demeurerait celle qui en ferait la leçon. Ce n'était pas pour autant qu'elle rejetait l'aide de sa sœur comme si elle était inconvenable : elle savait que Grace maîtrisait à la perfection une théorie qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de mettre en pratique. C'était tout le problème, Cassie quant à elle était directement passée à la pratique sans avoir eu droit à la moindre théorie. Même si l'amour ne s'étudiait pas comme les mathématiques, Cassie s'accordait à croire qu'il y avait une part de science, une sorte de formule trop compliquée que personne n'avait osé déchiffrer. Elle ne s'y risquerait pas non plus.

A mesure que Grace débitait ses sages paroles, Cassie alternait un acquiescement furtif de la tête et un sourire approbatif. Elle tiqua légèrement lorsqu'elle lui confia avec une ingénue conviction que Heigl était une bonne actrice mais ne préféra pas s'enliser dans un débat futile, même s'il aurait au moins le don de clore définitivement le chapitre de ses confessions. Cassie crut d'ailleurs que ce fut le cas, alors que Grace s'affairait déjà à leur préparer un tableau acidulé et sûrement mauvais pour sa ligne pour compléter le cliché d'une après midi devant une comédie romantique. Mais elle s'était trompée. Alors que Grace lui tendait avec longanimité ses macarons, elle entreprit de lui conter une anecdote qui, curieusement, n'était pas dénuée de toute causalité. L'implication avec laquelle Grace racontait son histoire lui fit immédiatement réaliser ce qu'elle avait foncièrement toujours su : leur rencontre n'était pas hasardeuse et elle se devait d'accepter que Jeremy la voit avec ses faiblesses. Elle l'avait déjà fait auparavant. "Tu as raison." dit-elle en se redressant, comme si ce discours avait suffit à éclaircir tous ses doutes. "C'est avec lui que je devrais en parler, il comprendrait. Tu devrais vraiment envisager une reconversion en tant que conseillère matrimoniale Grace." ajouta-t-elle en opinant du chef, sans pour autant croire à ce qu'elle disait. Être conseiller matrimonial c'était bon pour ceux qui n'envisageaient pas le mariage. Et ce n'était définitivement pas le cas de Grace. "Tu sais qu'on en avait reparlé de tes macarons après, et Jeremy m'avait encore assuré qu'ils étaient réussis. Il avait bien vu dans mon expression que je n'y croyais pas une seconde. Il aurait vraiment fait n'importe quoi pour que tu l'acceptes dans la famille." confia-t-elle sans se départir d'un sourire amusé. Heureusement l'époque où il devait faire ses preuves était révolue. "Mais ils étaient vraiment ratés. Vraiment." conclut-elle avec une fausse expression de dégoût. Elle reprit aussitôt une mine plus grave. "Pour revenir sur ce que tu disais, je crois que Jeremy les accepte déjà tous ces fragments de moi. Mais des fois j'ai du mal à supporter qu'il puisse me voir avec toutes mes imperfections alors que je refuse de les voir moi-même. C'est peut-être sur ça que je devrais travailler." Grace tomberait de haut : sa sœur n'était pas parfaite.
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Grace Hamilton
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MessageSujet: CLOSED.   06. [Hamilton's] It all aches, it's a problem at stake. EmptyJeu 14 Mar - 17:17

Grace observait inlassablement sa sœur, mêlant dans son regard doux l’affection admirative qu’y amenait immanquablement la présence de Cassandra, mais également une bonne dose d’incertitude. Elle explorait ses traits fins comme un texte à déchiffrer, un code d’accès au mystère étrange que sa soeur était devenue en à peine un dialogue. Et la traduction se révélait particulièrement pénible.

Hochant la tête à mesure que Cassie transformait en assertion ses arguments balancés précipitamment, Grace en voyait son soulagement augmenter proportionnellement. La satisfaction ne tarda pas à muer en un ravissement presque complet de voir que ses paroles avaient eu un effet aussi immédiat et positif, l’espérait-elle, sur l’état totalement absurde dans lequel elle avait découvert les pensées de sa soeur.

" Tu devrais vraiment envisager une reconversion en tant que conseillère matrimoniale Grace. "

Elle s’entrevit assise à un bureau lustré, une trentaine de chats, dont deux empaillés, autour d’elle, un chandail étroit à mailles rose, une bibliothèque pleine à craquer de livres de développement personnel en guise de fond décoratif, une tasse de thé fumant à la main, petit doigt levé bien droit, attendant sereinement ses prochains clients. Un éclat de rire nerveux dissipa ce futur.

-Je ne suis pas sûre que ce soit ma vocation. Les amours blessées, les points de sutures, ce n’est pas mon truc…

Non, elle, elle aimait l’amour naissant, encore vacillant et fragile, mais pourtant déjà éblouissant, fait pour durer, l’étincelle qui aveugle, devient un feu d’artifice et finit par se lover aux creux d’un foyer. Les estropiés du myocarde devraient trouver d’autre personne pour cautériser leurs plaies.

-Peut-être l’organisation, fit-elle, rêveuse, je gèrerai la partie traiteur, bien sur, ça sera plus facile pour les couples… Oui, je créerai un gâteau par mariage, suivant les goûts des fiancés, l’alchimie qui existe entre-eux… Et je les proposerai par la suite en commande pour les particuliers, comme-ça, n’importe qui pourrait goûter au bonheur du mariage de son choix… Puis, j’écrirai des livres de recette…

La tête penchée, elle divagua plus loin.

-Avec de la musique… Oui, des enregistrements que j’aurai fait… Des covers … Le nom des gâteaux correspondra à une chanson… Il suffira de scanner un code QR à côté de la recette avec un smartphone… Pour cuisiner en musique… Oui… Et j’écrirai…

Elle arrêta brusquement ses digressions marketing, comme avertie par un instinct primitif qu’elle s’aventurait sur des chemins prohibés. Secouant doucement la tête, elle afficha un sourire qui réclamait l’indulgence :

-Enfin… Si j’ai du temps entre deux clients de mon cabinet d’avocate, recentra-t-elle précipitamment, guettant les murs de la pièce comme si un homme allait soudainement se détacher du décor, agiter sous son nez un mandat d’arrêt et éclater d’un rire sinistre.

Avocate. Enfin, Avocate spécialisée dans le droit des religions. Avec un mémoire sur la cérémonie du mariage indien. Elle était Grace, après tout, il fallait au moins ça.

Cassandra se chargea, fort heureusement, de dissiper son léger malaise en revenant sur l’anecdote vaseuse qui avait plus particulièrement l’air de l’avoir marquée.

"Mais ils étaient vraiment ratés. Vraiment."

Pour n’importe qui, et toute la mauvaise fois que cela impliquait, ce genre de remarque aurait fait passer leur créatrice pour la pire des garces. Mais, aux yeux de Grace, apparemment immunisée à la critique dans son adoration, c’était précisément ces réflexions qui renforçaient l’aspect saint de Cassandra.

-Il se serait fait empoisonner pour toi… C’est un chevalier., décréta la jeune fille en hochant la tête avec la satisfaction constante et indéfectible de la gamine sûre d’elle qui voit se réaliser un conte de fée et sourcille en direction de ses parents, langage muet et pourtant universel du « J’te l’avais dit ».

" Pour revenir sur ce que tu disais,… "

Grace releva vivement la tête, visiblement ravie que Cassandra ait réellement prit le temps d’assimiler ce qu’elle avait pu lui dire dans ses délires alimentés en glucose.

"…je crois que Jeremy les accepte déjà tous ces fragments de moi. "

Le regard de la blonde s’alarma d’un pressentiment du type « Cassandre avant la guerre de Troie ». Le genre de petite voix intérieure qu’on préfère imputer à un excès de moussaka plutôt que de prendre sérieusement en considération. Chez les optimistes, l’écoute est sélective.

" Mais des fois j'ai du mal à supporter qu'il puisse me voir avec toutes mes imperfections… "

-Tu n’as pas…

Le souffla lui manqua.

" …alors que je refuse de les voir moi-même. "

Le cœur de Grace choisit précisément cet instant pour piquer un petit sprint. Manifestement désireux de partir à l’aventure, se considérant suffisamment grand pour couper le cordon artériel et aller vivre sa petite vie musculaire seul, il accélérait, tentant de poursuivre sa route, de faire un grand bond en avant dans son destin, mais, piégé dans une cage apparemment bien trop étroite à son goût d’hyperactif enrichi en protéines, il du se résoudre à rebondir comme une misérable balle de pinball sur les diverses parois qui composaient son thorax, se permettant ainsi de réorganiser la décoration intérieure sans ménagement aucun pour les autres organes de la jeune fille qui ne demandaient rien à personne, jusqu’alors tranquillement logé dans leur cavité respective.

Le sang lui monta à la tête, colora ses joues de confusion. Bien trop occupé à gérer l’explosion progressive de la réalité dans lequel il avait toujours évolué, son cerveau se retrouva submergé d’hémoglobine frétillante et de globules rouges avides d’attentions. Baby-sitter hormonal, visiblement loin de la classe de feu-Super Nanny, il se démenait pour survivre à la nurserie crânienne.

Carambolage sanguin, elle pouvait s’estimer heureuse, voire miraculée si l’on songeait aux buffets entiers de pâtisserie qu’elle engloutissait par semaine, d’avoir un taux de cholestérol suffisamment bas pour lui éviter la thrombose. Elle ratait de peu un retour en case défibrillateur et margarines enrichies en oméga 3 jusqu’à la fin de ses jours.

Au bord du malaise, entre l’incrédulité et la révélation, elle ne savait que faire. Elle voulait fuir. Partir de cette nouvelle vérité dans laquelle on la plongeait sans consentement, dans laquelle on la noyait impunément, lui claquant le crâne sur ses illusions jusqu’à ce qu’elles éclatent, que la plaie sur son front en sanglote des larmes des sangs, pour embuer son regard et enfin la laisser voir ce que les adultes appelaient la vraie vie. So creepy.

Sa sœur avait des imperfections. Le concept lui-même lui semblait dégoûtant.

Certes, elle l’avait toujours su. Ca paraissait logique. Mais entre renier une vague pensée ô combien abstraite, l’évoquer en concept artistique du niveau de l’album « musical » sur les silences d’une cathédrale, et l’affronter, la voir jaillir d’une bouche si connue et se jeter sur vous plus surement que la petite vérole sur une paroisse californienne, il y avait une légère différence.

C’était un peu comme Judas, croquemitaine historique qui avait hanté son enfance. Le craindre déraisonnablement tout en sachant que cela faisait bien longtemps qu’il avait disparu de la surface de la Terre était une chose, mais le voir débarquer chez vous en représentant de commerce, odeur de café et attaché-case à la main, ça relevait d’un tout autre niveau psychique.

" C'est peut-être sur ça que je devrais travailler. "

Grace comprit soudain que Cassandra sous-entendait que Jeremy était meilleur qu’elle.

Et c’était peut-être même de la pianiste que lui était venue cette idée. Après tout, comment une pareille aberration aurait pu germer dans l’esprit de l’ainée de Hamilton sans son intervention ? Si sa sœur n’avait pas insisté si lourdement sur les vertus de Jeremy, au point de faire totalement abstraction de ce qui le séparait de leur famille ? Encore une fois, elle se sentait, était, seule coupable. Comme salie, Grace du se contenir pour ne pas arracher ses vêtements, hurler hystériquement, se mettre à courir en cercle dans la pièce, les bras levés au ciel, dans une transe destinée à apaiser le Seigneur. Bon, se « contenir » n’était peut-être pas le terme le plus exact pour ce genre de situation, mais cette solution lui avait néanmoins traversé l’esprit.

Le constat établi, réprobatrice, elle se pinça les lèvres si fort qu’elles en devinrent blêmes. Qu’il fut digne d’elle, Grace, si elle en avait douté un long moment, avait fini par s’en convaincre. Mais il y avait des limites à l’idéalisation.

Pour n’importe qui d’autre, elle aurait hoché la tête, sourit d’un air niais et roucoulé qu’elle mettait ça sur le compte de l’aveuglement que l’Amour anime. Mais pas avec Cassie.

Non. Cassandra Hamilton avait ce don, cette extrême lucidité, ce sens aigu de la raison et de la justice, qui la plaçait en toute circonstance hors de portée de la moindre faiblesse de caractère, disposition qui avait toujours fait défaut à la cadette. Il en avait été ainsi depuis le début et même Grace voyait mal comment la chose pouvait changer.

Si sa sœur affirmait quelque chose, la pianiste avait pris la bonne habitude de le prendre pour acquis et immuable. Or, ce qu’elle professait sur ce ton de confessions faisait froid dans le dos.

-Aux Emirats, roter est un signe de bienséance.

Le surréalisme de sa phrase était à peine dilué dans son ton doux.

-C’est une culture différente. Une autre façon d’envisager les choses. C’est peut-être ça dont tu as besoin avec tes… « imperfections »., tenta-t-elle, pliant et dépliant simultanément ses index et majeurs pour bien signaler toute l’incrédulité qu’elle mettait sur ses termes,… Une vision différente. D’elles. De toi. De vous.

Elle hocha la tête, gravement. Elle était certaine que c’était justement Jeremy qui allait apporter ce changement de perception, qu’elle avait jusqu’alors toujours cru inutile. Il était évident que Cassandra ne se voyait pas comme elle était. Autrement, comment ces angoisses auraient-elles pu apparaître ?

Elle esquissa un sourire candide.

-La seule consigne de Dieu qui compte : Sois heureuse.

Elle se releva, s'avança de son pas rapide, glissa ses bras jusqu’au cou de sa sœur et serra précautionneusement.

-Et si tu n’y arrives pas seule, je serai là.

Sa voix baissa jusqu’à ne devenir qu’un souffle.

-Toujours.

Elle se détacha lentement de l’étreinte, affichant un nouveau sourire enfantin.

-Tu pourrais aussi aller voir Emma. Je suis persuadée que ça fait des siècles que tu ne lui as pas… « parlé ». Guider les gens à l’intérieur d’eux-mêmes, c’est un peu son métier. Ecoute-la. Ecoute-toi. Ecoute Dieu.

Confiance.

Du bout du doigt, elle caressa les lettres délébiles qui trônaient encore sur l’avant-bras de sa sœur, puis s’éloigna.

-Tu prendras la bonne décision.

Ce qui sous-entendait bien évidemment « Mariage» en langage Gracieux.

S’avançant jusqu’à la porte qui faisait jonction entre le salon et le couloir, elle sourit une dernière fois, sachant pourtant que sa sœur n’était plus censée la voir, comme par acquis de conscience. Celui-ci fut néanmoins fugace.

Alors qu’elle s’était soustraite à la lumière orangée du soleil, réfugiée dans l’ombre fraiche des escaliers, quasiment indistincte dans l’obscurité épaisse, elle se retrouva soudain assise sur les marches. Sur son visage, toutes marques de cette humble sérénité dont elle avait fait preuve pendant tout l'entretien avaient disparu. Seuls restaient l’horreur et le mauvais pressentiment, traçant sur son front blanc des rides perplexes.

Entre ses mains tremblantes, sembla se matérialiser un téléphone. Avec lenteur, elle tapota l’écran.

-Nous avons un problème.-

Bientôt, une vibration réchauffa ses doigts exsangues à force de serrer. Le message était parti.

Fébrile, elle ferma les yeux, ses cheveux pâles refermant un rideau luisant devant son visage.

Tout irait bien.

Non. Ca allait bien. Sa sœur se marierait. Elle pouvait encore y croire.

Elle devait encore y croire.

Derrière la buée que sa respiration avait déposée sur l’écran du téléphone, un nom flou semblait palpiter.

Jeremy.
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