La salle d’attente du service de neurologie de l’hôpital était calme. L’heure était relativement tardive et même la secrétaire s’était éclipsée peu de temps après avoir noté leur arrivée. Brittany jouait machinalement avec les poignées de son sac, nerveuse malgré elle. Le rendez-vous n’était pourtant pas pour elle mais son père lui avait rappelé et martelé qu’elle avait la responsabilité de sa grand-mère, et maintenant elle fixait cette dernière comme si elle craignait qu’elle s’effondre d’un instant à l’autre. Elle n’avait jamais été prise d’une telle paranoïa, pas même avec son filleul. Probablement parce que les problèmes d’un enfant lui paraissaient moins étrangers que ceux d’une personne âgée.

Grand Ma l’ignorait royalement, feuilletant un pamphlet quelconque dont elle ne retiendrait probablement rien. Elles n’avaient jamais vraiment eu d’atomes crochus et cela ne s’améliorait pas avec la dégénérescence de la vielle femme. Brittany s’estimait déjà heureuse qu’elle la reconnaisse et, qu’à cela ne tienne, elle ferait de son mieux pour prendre soin d’elle… même si elle n’avait aucune idée de cela en quoi cela consistait… A part lui servir de chauffeur, d’agenda, de répertoire, de haut-parleur et d’interprète… Peut-être devrait-elle lui proposer de l’eau ?

« Madame Pierce ? »
« Oui ! » répondit aussitôt Brittany en se levant de son siège comme un diablotin hors de sa boite, oubliant temporairement que ce n’était pas vraiment à elle que l’on s’adressait mais à Madame Ingrid Pierce, la Senior.

Brittany cligna répétitivement des yeux lorsqu’elle aperçut l’individu qui venait de les appeler. C’était le mignon blondinet du speed-dating ! C’était bien le dernier endroit où elle s’attendait à le revoir, et en blouse blanche en plus. Tandis qu’elle imitait une mutation inquiétante entre un poisson hors de l’eau et une chouette effraie interloquée, Ingrid Pierce se leva calmement et se dirigea vers la salle de consultation. « Bonjour Docteur, » dit-elle simplement en entrant. Un instant plus tard, elle revint sur ses pas et leva une main ridée dans la direction de Brittany. « C’est ma petite fille. Soyez patiente avec elle, je suis à peu près sûre que ma bru l’a laissé tomber sur la tête quand elle était petite, même si elle refuse de l’avouer. »

« Grand Ma ! » s’outra Brittany en rougissant jusqu’à la racine de ses cheveux. Histoire de la débloquer, ça, c’était efficace. Mortifiée, Brittany s’avança et tendit la main au cutie médecin. Elle se força à se redresser et carrer les épaules pour reprendre contenance. « Hum, docteur, bonsoir. » Elle alla ensuite s’asseoir sur une chaise dans un coin et se retint de soupirer. Ingrid Pierce était dans un bon jour. Mais Brittany ne savait plus si elle devait s’en réjouir et supporter ses taquineries un peu rudes ou regretter les jours où elle fixait le vide en ignorant les autres. La deuxième option ferait probablement d’elle une mauvaise personne, n’est-ce pas ? Ce n'était pas acceptable. Brittany était une gentille fille. Elle soupira.

Son père lui avait laissé de strictes informations à relayer au docteur en réponse aux questions rituelles. Brittany s’acquitta de sa tâche avec diligence, ignorant les éventuelles interruptions d’Ingrid parce que non, elle n’avait pas reconnu son neveu lorsqu’il était passé à la maison l’autre jour. Brittany le savait bien : elle l’avait pris pour son nouveau petit ami malgré – ou en raison de – son âge (il avait 56 ans). Et, il y a une semaine, Grand Ma s’était soudainement levée au milieu de la nuit et ils l’avaient retrouvé dans le jardin du voisin, en chemise de nuit et pantoufles. Mais ça, elle n’allait pas le dire, forcément… parce qu’elle l’avait oublié. Ce n’était pas près d’être le cas de Brittany qui avait reçu pour ordre strict de ne pas la quitter des yeux (paranoïa here you come).

Après quelques tests, le Docteur Grayson (c’était son nom… à Docteur Cutie) offrit quelques instructions et Brittany les consigna consciencieusement sur son calepin, au mot près (mieux valait-il ne pas essayer de la relire cependant, outre l’abondance de point en fleur et d’exclamation en cœur, l’orthographe vous ferait fuir de terreur). A la fin de la consultation, Brittany hésita pendant une demi-seconde : devait-elle faire référence à leur précédente rencontre ? Mais Grand Ma s’en allait déjà et cela la rappela à l’ordre : responsabilité, exemplarité pas de mondanités ! « Au revoir Docteur, et merci. »

Fait plutôt intéressant, Peter ne rougissait jamais avec ses patients.

À croire que le bon dieu ou même le destin avait décidé d'accorder à ses joues un instant de répit. Ou alors c'était parce qu'il se sentait tout simplement bien et à sa place dans ce genre d'environnement. Chose qu'il n'admettrait jamais à voix haute, déjà qu'il était ce type qui déjeunait seul à la pause de midi (et ce malgré les divers efforts d'un certain Pillsbury pour "l'intégrer"), pas besoin de passer en plus pour ce type complètement barge qui n'était rassuré que lorsqu'il mettait sa blouse blanche. Mais était-ce seulement la blouse? Ou le fait qu'on l'appelait Docteur Grayson, chose qui au passage avait exigé beaucoup de sacrifices de sa part? Probablement un peu de tout ça à la fois, et tandis qu'il se rendait dans la salle d'attente ce soir là, ses lunettes sur le visage et ses mèches blondes toujours rebelles et indomptables (et ce malgré les efforts combinés de Peter et de Summer), il se disait que ce serait juste un autre soir. Quelques sourires polis, quelques scanners et autres examens médicaux et ensuite il pourrait rentrer chez lui et prendre Summer dans ses bras et écouter sa fille lui raconter sa journée. Et en appelant sa prochaine patiente, le dossier médical entre ses mains, Peter ne s'était pas du tout attendu à tomber sur la seule personne qui avait réussi à faire apparaître une sourire sur son visage il y a de ça quelques semaines. Non, ce quatorze février là, il n'était pas prêt de l'oublier. Qu'est-ce qui lui était passé par la tête au final? Du speed dating... Vraiment? L'exercice n'était de toute évidence pas fait pour lui et sa nature de grand romantique en avait pris un coup, comment apprendre à connaître quelqu'un en seulement cinq minute? Une bêtise vraiment. Pourtant, une personne s'était distinguée des autres et Peter se souvenait de cette jeune blonde et de sa fameuse question.

« Bonsoir ! J’espère que vous passez un bon moment. Dites-moi, pégase ou licorne ? »

La logique aurait voulu que Peter lui demande son numéro de téléphone une fois la soirée finie et qu'il l'invite quelque part... Au restaurant peut être, suivi d'un cinéma peut être. Mais la vie de Peter, et cela l'attristait bien plus qu'il ne voulait l'admettre, n'était pas une comédie romantique et il avait préféré prendre ses jambes à son cou pour aller réveiller Summer et lui demander si elle était d'humeur à regarder Fred Astaire danser encore une fois. Pas de doute, cela lui remontait toujours le moral, et oui, Peter un lâche, le plus grand lâche de tout l'univers c'était d'ailleurs pour cette raison qu'il n'avait pas encore présenté de véritables excuses à Caitlin ou qu'il n'avait pas osé abordé cette inconnue. Le hasard faisait bien les choses vu qu'elle était de la famille d'une de ses patientes. Alors bien évidemment, Peter avait rougi, devant un patient. Pour la première fois depuis longtemps. Mais le médecin avait très vite retrouvé son professionnalisme, donnant des conseils clairs et précis aux deux femmes. Et à présent que sa journée était terminée et que Peter avait rangé sa blouse et qu'il avait récupéré sa sacoche, il n'y pensait pas... Pas du tout. Maintenant au moins il avait un prénom, Brittany, et même un nom de famille... Et même son numéro de téléphone s'il fouillait un peu dans les dossiers de l'hôpital. Mais il ne pouvait pas faire ça juste pour... Pour... Pour quoi au juste? Pete tu es vraiment un idiot, songea le blond, cherchant ses clés de voiture dans sa sacoche. C'était une mauvaise idée, une très mauvaise idée qu'il devait oublier et monter dans sa mini cooper et rentrer chez lui.

Oui, c'était mieux, et, il venait juste de trouver les clés de son véhicule lorsque son téléphone sonna, un très célèbre air de West Side Story retentissant dans le parking, il entreprit de sortir le dit téléphone de sa poche, mais sa maladresse légendaire frappa et le téléphone tomba sur le sol. Vraiment? Peter poussa un soupir et se baissa pour ramasser l'objet, et, se redressant trop vite, sa tête entra en contact avec le rétroviseur de sa voiture. "Ouch!"  laissa échapper le médecin, retenant un juron, se massant déjà le crâne. Évidemment, avec tout ça, son téléphone avait cessé de se manifester et Peter pivota sur lui même, avec la ferme intention de rappeler son correspondant (qui devait probablement être sa mère au passage) et son regard se posa sur Brittany qui se tenait à quelques mètres de lui.
...
"Euh je... "
Et là, oui, on pouvait dire que Peter rougissait vraiment, ce qui dans le fond, n'était qu'une autre journée normale pour lui.

Spoiler:

Lorsque les portières de la voiture paternelle se refermèrent derrière Ingrid et son fils, Brittany laissa échapper un soupir de soulagement. Sa responsabilité de garde-malade s’arrêtait là et c’était pour le mieux. Son père avait presque semblé satisfait de son rapport consciencieux : aucune critique ne lui avait été infligée et il l’avait même remercié de l’avoir remplacé au pied levé. C’était une victoire s’il en est ! Sa grand-mère ne lui avait même pas dit au revoir mais ça ne l’étonnait guère et l’attention de son père lui était bien plus chère que celle d’une néerlandaise d’origine qui l’avait dédaigné à partir du moment où elle n’avait pas été capable d’apprendre sa langue maternelle.

Brittany se massa les cervicales pour tenter de dénouer la tension qui s’y était accumulée. Elle relâcha son chignon, libérant ses cheveux en une cascade blonde, et se massa distraitement le cuir chevelu. Après ses cours de danse et cette sortie imprévue, elle était lessivée. Sa baignoire à remous l'appelait avec insistance et elle s'imaginait déjà entourée de bougies parfumées. C'était au tour de Whitney de préparer le dîner ce soir, elle pourrait donc paresser à loisir.

Forte de cette prévision, Brittany s'en retourna à la recherche de sa voiture. Elle passait devant une adorable Mini jaune lorsqu'un choc attira son attention. Comme un peu plus tôt, elle se retrouva à cligner des yeux de surprise en reconnaissant le Docteur Grayson. Leurs regards se croisèrent lorsqu'il se retourna en se massant la crâne. Oh, il rougissait ! C'était la première fois qu'elle le voyait ainsi : durant la consultation, il avait été l'exemple même du médecin irréprochable (ce qui était très sexy) et, lors du speed-dating, il avait été enthousiaste et intarissable sur sa fille (ce qui était totalement adorable). Elle fondit encore une fois devant sa bouille attendrissante

Déterminée à ne pas laisser passer cette opportunité, Brittany n'hésita pas à s'approcher avec le sourire et prendre les choses en main.  « Hi ! »  le salua-t-elle joyeusement.  « Je ne voulais pas en parler pendant la consultation et devant ma grand-mère, »  (elle retint une grimace en se souvenant des commentaires peu flatteurs de celle-ci, espérant que Peter ne les ait pas pris à cœur)  « mais je suis contente de vous revoir. Vous étiez la personne la plus intéressante que j'ai rencontré au speed-dating. »

Elle hésita en le voyant toujours aussi rouge et bégayant. « Vous vous êtes fait très mal ? » s'inquiéta-t-elle en penchant la tête. Ce genre de mésaventures lui arrivait rarement, elle avait une parfaite maîtrise de son corps et une bonne conscience de son environnement, mais lorsqu'il lui arrivait un pépin, c'était généralement un gros pépin. Elle pouvait donc compatir.  

Trop de fois dans sa vie, Peter avait été réduit au silence parce qu'il ne savait quoi dire. Quoi dire pour paraître normal ou même quoi dire pour se fondre dans la masse. Que ce soit au lycée, charmante période de sa vie soit dit en passant (et bien sûr qu'il n'était pas sarcastique, absolument pas) ou même face à Megan Morgan qui lui demandait pourquoi est-ce qu'il avait deux minutes de retard (il ne savait pas que les répétitions étaient aussi importantes)... Mais là, devant Brittany si aucun son ne franchissait ses lèvres et qu'il devait présentement ressembler à un poisson tout droit sorti d'un aquarium, c'était parce qu'il avait trop de choses à dire. Par où commencer? S'excuser? Lui dire que non, il ne l'avait pas oubliée et qu'il avait été content de la revoir et ce même si c'était au sein de l'hôpital. Ou devait-il simplement lui demander si elle avait quelque chose de prévu ce vendredi soir-là? Il ne savait tout simplement pas. Et c'était plus ça qui le terrifiait qu'autre chose. Heureusement, Brittany brisa le silence, le saluant d'un ton enjoué, Peter refermant enfin la bouche. Seulement pour la rouvrir quelques secondes plus tard... Elle le trouvait intéressant, elle lui avait parlé cinq minutes et elle le trouvait intéressant. Lui. Peter Grayson. Il fronça les sourcils, referma la bouche (non mais vraiment, niveau sex appeal on repassera) et tourna la tête à droite puis à sa gauche, vérifiant qu'il n'y avait plus qu'eux dans ce parking. Oui, elle lui parlait bien à lui, ou peut être que ce coup sur la tête avait été le coup de trop...

Peter se passa le plus nonchalamment du monde une main dans les cheveux, vérifiant que tout était en bon état. Pas de bobo pour ce genre docteur tout allait bien.  "Oui... Enfin je veux dire non... J'ai l'habitude de ce genre de petit incident je suis du genre très, très maladroit... Bref je..." On respire Peter, on respire. Il marqua une pause, sa main droite crispée autour de son téléphone, se forçant à prendre une profonde inspiration. Ça allait mal se terminer encore une fois, il n'y avait aucune raison que cela soit différent, c'était sa vie et c'était ses joues à lui qui étaient complètement rouges.  "C'est bien moi que vous avez vu au speed dating, Peter... Enfin... C'est moi." Il regretta aussitôt les mots, se disant que c'était mieux de grimper dans sa voiture et de... et de quoi... Il allait rentrer et encore se morfondre sur son existence comme tous les autres soirs? S'il était sorti ce 14 février là, c'était  bien pour une raison pas vrai? Nouveau soupir dramatique. Peter se rapprocha de la jeune femme, faisant un pas en avant, toujours à la recherche des bons mots.

"Mon dieu je suis désolé, je ne voulais pas vous revoir comme ça. Non! Enfin je veux dire si! Je voulais vraiment vous recroiser dans les rues de Lima mais je n'ai pas trouvé le courage de vous demander votre numéro de téléphone et j'aurais dû, j'étais venu rencontrer quelqu'un de sympa ce soir-là et ce même si le principe du speed dating est contre tout ce que je défends..." Il avait parlé trop vite, beaucoup trop vite, mais au moins on ne pouvait pas lui reprocher d'avoir essayé et, ne réfléchissant pas plus que cela à son geste, il replaça une des mèches blondes de Brittany derrière son oreille, se disant que cette dernière devait lui masquer la vue.

"Am I even making any sense?" Il posait la question, quasi-désespéré, se demandant s'il devait tout simplement laisser tomber. Ce n'était pas si terrible que ça d'être célibataire, pas vrai? ... Ou pas. Peter se secoua légèrement et prenant une autre inspiration, il finit par tendre la main à la jeune femme.

"Okay let's just start over... Hello I'm Peter, but you can just call me Pete."

Brittany se sentait seule. Voilà bientôt deux ans que son époux était décédé et aucune relation sérieuse à l’horizon depuis. Certes, elle trouvait toujours de la compagnie pour apaiser ses besoins libertins. Et elle ne pouvait pas se plaindre, elle était bien entourée, avec de nombreux amis desquels elle pouvait extraire une multitude de câlins (Warren faisait un nounours de qualité). Deplus, le fait que sa sœur vive avec elle éloignait toute réelle solitude : dès qu’elle se sentait mélancolique, une bataille de polochons et une soirée marshmallow devant la télé éloignaient toute réelle déprime. Mais Brittany supportait mal le célibat. Elle avait besoin de la complicité offerte par une relation romantique sérieuse.

Et le Docteur Grayson semblait tout à fait apte à compléter cette condition. Sa timidité apparente était loin d’être un problème : Brittany était assez franche pour deux. En l’occurrence, elle savait ce qu’elle voulait, et elle ne comptait pas attendre encore deux ans pour l’obtenir. Ne serait-ce qu’un ou deux rendez-vous lui ferait beaucoup de bien au moral. Mais plus elle côtoyait Peter, et plus elle s’entichait de lui. C’était peut-être stupide, sachant qu’elle n’avait passé qu’environ une demi-heure en tout et pour tout avec lui, mais il était… tout simplement adorable. Bien qu’elle appréciait d’ordinaire des hommes plein d’assurance, la maladresse et la timidité de Peter lui paraissaient rafraichissantes et tellement spontanées que cela la changeait des hommes qui tentaient de s’attacher à elle ces derniers temps (au bout d’un certain nombre, même sa naïveté ne pouvait l’empêcher de reconnaître que seule sa fortune les attirait).

Avec toute la patience et la sympathie du monde, Brittany ignora donc tout bafouillage et suivi de son mieux ses babillages. Il lui arrivait à elle aussi de partir dans ce genre de monologue embarrassant, elle le comprenait donc fort bien. Il lui donnait le sourire et lui réchauffait le cœur. C’était si plaisant d’apprendre qu’elle lui plaisait également ! Il s’était rapproché et elle ne s’en rendit quasiment pas compte, tant cela lui semblait naturel, jusqu’à ce qu’il ajuste gentiment ses cheveux. Elle frissonna au contact de ses doigts sur son oreille et rougit légèrement à son tour.

Il lui fallut quelques instants pour se reprendre. Ce fut donc elle qui se retrouva rougissante et décontenancée lorsque Peter lui tendit la main. « Hi ! Hum, I’m Brittany Pierce,  it’s so nice to meet you… again. » répondit-elle de manière un peu automatique, mais en excluant instinctivement son nom marital. Sa paume dans la sienne était douce et agréable, sa poigne ni trop lâche ni trop forte. C’était peut-être cliché, mais il avait des mains de médecin.

Après une courte inspiration pour rassembler ses maigres neurones et les rediriger dans son objectif d’origine, Brittany se jeta à l’eau : « J’espérais qu’on puisse se revoir, pour faire connaissance.  Au Breadsticks ? Un soir prochain, peut-être ? » Elle aurait pu proposer bien plus haut de gamme que Breadsticks bien entendu, mais c’était un bon rapport qualité/prix, avec pas mal de choix, et elle n’avait pas d’intérêt particulier à étaler sa fortune et ses connaissances mondaines  sans raison. D’autant plus que tout le monde se sentait à l’aise dans ce petit restaurant traditionnel, ça ne pouvait qu’être un bon choix pour un premier rendez-vous. Si Peter voulait bien mordre à l’hameçon ? Elle n'hésiterait pas à sortir son arsenal de bicorne arc-en-ciel, s'il le fallait ! Yeux larmoyants, lèvres tremblantes et mimiques irrésistibles avaient été testées et approuvées sur le terrible Shérif de Lima !

Est-ce qu'il pouvait véritablement faire ça?

C'était la question que le médecin se posait en tendant sa main à Brittany, priant de toutes ses forces pour que le rouge de ses joues finisse par disparaître. Est-ce qu'il était vraiment possible de repartir de zéro ou alors ça aussi c'était un mythe, un beau mensonge qui ne pouvait qu'être réalisé dans les films? C'était bien dommage, une chanson, une simple et il aurait été possible de passer à autre chose. Là encore, il se voyait mal chanter devant la jeune blonde, mais après tout, tout était possible, n'est-ce pas? Jusqu'à présent, Brittany avait été confrontée avec une version de Peter que personne n'avait jamais vue auparavant, celui qui sur un coup de tête décidait de se rendre à la soirée speed dating de la ville, celui qui ne voulait plus vraiment être seul et qui avait eu envie de lui demander son numéro de téléphone et celui encore qui lui tendait la main. Cela méritait peut être une chanson, mais ça, ce serait une affaire qu'il règlerait devant son piano un peu plus tard dans la soirée, pour l'instant il fut soulagé, oui, soulagé quand Brittany décida de répondre à son élan de spontanéité, serrant sa paume contre celle de Peter. Il avait à présent un nom complet et il était quasiment certain qu'elle n'allait pas prendre la fuite.

Non, Brittany fit tout le contraire même et elle... Elle... Elle quoi au juste, elle était en train de l'inviter à dîner, lui. Elle ne le ferait probablement pas si elle savait à quel point les objets avaient une affreuse tendance à heurter le sol quand Peter était dans les parages, ou si elle savait qu'il n'était pas intéressant ou même drôle ou... Mais elle l'ignorait pour l'instant, il n'avait pas encore tout gâché, tout était possible et peut être que... Peter était trop perdu dans ses pensées encore une fois et il n'avait même pas réalisé qu'il n'avait pas encore répondu à la question de Brittany, pas de manière verbale du moins. Il hocha alors la tête, avec un peu trop d'enthousiasme avant de reprendre la parole. "Je...Oui bien sûr j'adorerais." C'était un bon compromis, il était déjà allé à Breadsticks et il connaissait donc l'endroit et de ce fait, il n'avait pas de raison d'être nerveux, en plus, ils ne seraient pas le seul couple et probablement pas les seuls à avoir choisi ce restaurant pour un rendez vous. Car c'était bien de cela dont il s'agissait pas vrai? Brittany venait bien de lui demander ça non... Wow, bientôt trente ans et cela devait être quoi... la troisième fois qu'on lui demandait ça? C'était terrifiant, oui terrifiant, il n'y avait pas d'autres mot pour ça. Mais pour une fois, il allait se jeter à l'eau et penser aux conséquences bien plus tard.

"Il faut juste que je trouve un baby sitter pour Summer mais ça ne devrait pas poser de problème, et puis je suis certain qu'elle vous adorerait, elle essayera sans doute de vous faire des tresses et... Je suis en train de me remettre à parler vite, n'est-ce pas?" Évidemment qu'il avait recommencé et encore une fois, il semblait être incapable d'arrêter de parler de sa fille, tant pis se dit-il en se mordant la lèvre inférieure, il passerait encore pour un papa gâteau, tant pis, il n'était pas question de mentir et prétendre que Summer n'était pas une partie importante de sa vie. "Bref quoi qu'il en soit, j'aimerais beaucoup dîner avec vous." Conclut t-il avec un soupir se disant qu'il ferait mieux d'arrêter de parler tout de suite, ou peut être pas, ils devaient toujours décider d'une date, mince, là encore, personne ne parlait de toute cette organisation dans les films, c'était là encore une fois, bien embêtant. Hello real life, this is me Peter, did you miss me? Pas de doute ce cher Docteur Grayson avait bien besoin d'un coup de main.

Brittany personnifiait peut-être le stéréotype de la blonde nunuche, mais on ne pouvait pas prétendre ajouter à cela le cliché de la femme passive. Attendre que les hommes se réveillent et lui proposent un rendez-vous ? C’était si peu efficace (surtout quand elle était quasiment aveugle à toute tentative de séduction ‘subtile’) ! Non, elle n’avait aucun problème pour prendre l’initiative si cela en valait la peine (comme lorsque la cible lui avait tapé dans l’œil et l’opportunité était trop belle). Et dans le cas présent, elle était déterminée à ne pas laisser s’envoler cet oiseau rare que semblait être le Docteur Peter Grayson. Si jamais ses efforts n’aboutissaient pas, elle s’y résignerait, mais ne pas essayer était impensable.

C’est donc en retenant sa respiration qu’elle attendit la réponse de Peter. Lorsqu’il accepta finalement, il s’en fallut de peu pour qu’elle n’improvise une danse de la victoire. Elle se contenta d’une chorégraphie mentale. Cela ne l’empêcha pas pour autant d’émettre plusieurs MegaWatts de sourire : leur coin du parking (sur lequel la nuit commençait à tomber, le soleil bas sur l’horizon et obscurci par de lourds nuages gris moutonneux) aurait pu être éclairé par la force de son sourire ! Une bouffée de satisfaction, de bonheur et d’anticipation lui rougit les joues. Voilà bien longtemps qu’elle avait été dans un tel état.

« Super ! » s’exclama-t-elle joyeusement, rebondissant légèrement sur ses talons. Rien ne pouvait plus entamer son enthousiasme, c’est pourquoi elle se mit à rire gaiement lorsque Peter s’arrêta soudainement de parler après avoir souligné la vitesse de sa tirade. Ses yeux se plissèrent d’amusement et elle avoua : « Cela ne me dérange pas, cela m’arrive aussi ! J’adorerai rencontrer Summer, j’adore les enfants et elle m’a l’air adorable. Il faudra que je vous parle de mon filleul, Liam, il est plus jeune qu’elle bien sur, mais… enfin ce sera pour notre rendez-vous. Si jamais vous avez un problème de baby-sitter, je suis sûre que ma petite sœur pourra s’en charger ! Elle est très responsable, beaucoup plus sérieuse que moi ! » Elle lui adressa un clin d’œil et fit l’effort conscient de s’arrêter là avant de lui infliger une démonstration de sa vitesse de pointe en monologues.

Brittany repoussa encore quelques longues mèches de ses cheveux afin de pouvoir partir à la recherche de son téléphone portable dans son sac. Lorsqu’elle le retrouva enfin, elle le sortit du mode veille (un simple glissé du doigt parce que personnaliser plus avant son smartphone était bien trop compliqué pour elle) et le tendit à Peter. « Tenez, échangeons nos numéros, d’accord ? J’ai des cours de danse les mardi, mercredi et vendredi soirs, le reste du temps je suis libre, dites-moi quand cela vous arrange ! »

"Ce sera pour notre rendez-vous. "

Il n'en fallait pas plus pour que le neurologue se remette à rougir. Vraiment pas plus. C'était quelque part un peu idiot qu'il rougisse face à de simples mots parce qu'il n'était pas une adolescente d'un âge certain devant des films à la romance douteuse et qui étaient juste là dans le fond pour appuyer la vente d'un énième bouquin. Non, il était Peter Grayson, il était neurologue et... Oui, il était en train de rougir parce qu'on l'invitait à sortir. Avec un sourire sur les lèvres qui pouvait certainement servir de source d'alimentation pour une centrale nucléaire ou quelque chose dans ce goût là. Plutôt dix centrales nucléaires dans le cas présent. Il écoutait Brittany lui parler de son filleul et de sa petite soeur, se disant que premièrement, elle était adorable et qu'ensuite il adorerait rencontrer la petite soeur de Brittany et même pourquoi pas son filleul. Peter était prêt à hocher la tête et à dire oui à tout mais seulement parce qu'il était heureux tout simplement, il ne savait pas ce qu'il avait pour qu'une femme comme Brittany qui pouvait très probablement avoir quelqu'un mieux que lui en claquant des doigts, s'arrête sur sa petite personne. Mais ça n'avait pas d'importance parce que là tout de suite, il était l'homme le plus heureux de la planète. Vraiment, il aurait pu se lancer dans un numéro de chant et de danse, là, dans ce parking, à quelques mètres de son lieu de parking et ce, sans la moindre difficulté cependant il se contenta de sortir son téléphone portable de sa poche, sans le faire tomber sur le sol cette fois-ci, prêt à échanger son numéro avec Brittany.

La blonde semblait avoir un emploi du temps aussi chargé que le sien et il fut plus qu'interpellé par les mots cours de danse, et il se retint d'ajouter que les seules notions en danse qu'il possédait étaient la conséquence de beaucoup trop d'heures passées devant sa console de salon avec Summer, combiné à sa passion des comédies musicales et son amour pour Fred Astaire. Quoi qu'il en soit, Peter s'empara du téléphone de la blonde et entra rapidement son propre numéro. "Voilà, vous pouvez m'appeler quand vous voulez. Je ne réponds pas quand je suis avec mes patients mais j'écoute tout le temps mes messages et je suis certain qu'on pourra trouver un soir qui nous convient tous les deux et..." Et pourquoi est-ce qu'il venait juste de s'arrêter en plein milieu d'une de ses phrases? Peut être parce qu'il venait d'avoir une idée, une idée certes complètement folle et peut être qu'il aurait dû réfléchir un peu plus et il y avait une chance sur un million pour qu'elle accepte, ou alors, elle pouvait partir aussi ou même trouver qu'il était complètement fou ou... Être prudent était plus que son style mais pour une fois Peter avait envie d'être spontané et de tenter quelque chose de différent. "Et qu'est-ce que vous faites là tout de suite... Ce soir?"

Il avait posé la question d'un ton hésitant et, considérant déjà le possible non qui allait très certainement lui parvenir dans quelques secondes, Peter ajouta rapidement.:"Non parce que je peux toujours appeler chez moi et demander à la baby sitter de Summer de rester une ou deux heures de plus et on pourrait aller à Breadsticks, là tout de suite. Ou même passer à la trappe l'étape du dîner et moi en train de renverser mes couverts sur le sol ou même mon verre sur vous parce que je suis nerveux et parce que j'essaye de vous impressionner... De la glace! Je suis certain que vous devez adorer ça, je connais un endroit au centre commercial, j'y vais souvent avec Summer et même qu'on peut mettre des bonbons sur... Ce n'est pas la question, tout ce que je veux dire c'est que ce sera sûrement plus intéressant de m'entendre parler de ma vie ô combien ennuyeuse avec une glace dans les mains plutôt qu'en étant qu'assis à la table d'un restaurant. Non pas que je n'ai pas envie de... I'm really gonna stop talking now." Lui nerveux? Absolument pas. Non pas du tout. Oh oui, peut être qu'il aurait dû rendre son téléphone à Brittany plutôt que de l'agiter dans tous les sens. Peut être, mais bon, tout ceci était bien nouveau pour le docteur Grayson.

« Bien sûr, bien sûr, » répondit Brittany, compréhensive, lorsque son interlocuteur mentionna son impossibilité de répondre pendant son travail. Elle était peut-être un peu exigeante en câlins et attentions lorsqu’elle avait un petit-ami, mais elle n’était pas pot-de-colle et immature, elle comprenait les restrictions professionnelles. Surtout qu’un docteur sérieux et affable à la fois comme Peter Grayson, c’était attirant comme tout ! Elle ne voulait pas donner de mauvaise impression dès le début d’une possible relation, il aurait bien le temps de découvrir tous ses défauts un peu plus tard !

Alors qu’elle tendait la main pour récupérer son téléphone, Peter la prit par surprise. Elle cligna des yeux. « Ce soir ? Mmh… rien de particulier… » Ses deux derniers mots furent noyés sous la tirade suivante et Brittany dut s’accrocher pour en suivre le rythme. Elle n’avait pas vraiment l’habitude de se retrouver dans la position de celui qui devait écouter et comprendre une tirade pareille. Elle s’en sortit plutôt bien malgré tout, même s’il y eut quelques secondes de flottement tandis qu’elle enregistrait le tout en différé. Lorsqu’elle eut tout compris, elle prit en compte les derniers mots de Peter et son expression embarrassée, elle se mit alors à rire joyeusement.

« Eh bien, je ne serai pas contre un dîner ce soir, après tout vous n’avez pas de quoi vous inquiéter : je suis déjà impressionnée, » dévoila-t-elle lorsqu’elle se fut calmée, les yeux brillants d’amusement malgré tout. « Mais si vous préférez une simple glace, je ne suis pas contre non plus. »  Tant qu’elle passait du temps avec lui, après tout, qu’importait le reste ? Bon, une glace à l’heure du dîner, ce n’était pas non plus très équilibré, mais elle pouvait bien faire quelques exceptions, pour une bonne cause. « Laissez-moi juste envoyer un message à ma sœur et je vous suis, » proposa-t-elle en tendant la main, attendant patiemment qu’il lui rende son téléphone.

Quelques minutes plus tard, Brittany avait prévenu Whitney qu’elle devrait dîner sans elle et Peter avait négocié quelques heures supplémentaires avec sa baby-sitter. La blondinette s’était éloignée de quelques pas pour lui laisser son intimité et, dans le même temps, retrouver la position de sa voiture (ce ne fut pas très difficile : elle avait choisi la teinte ‘orange pétillant’ pour cette exacte raison… et parce que c’était beau !). Lorsqu’elle revint vers Peter, elle lui proposa : « Je ne peux pas laisser ma voiture ici et vous non plus je suppose. On se retrouve là-bas ? Je vous promets de ne pas disparaitre entre temps si vous faites de même ! » Elle ajouta un clin d’œil à ces derniers mots pour confirmer son ton espiègle.

Peter résistait vraiment à l'envie de se pincer la joue droite. Ou même la gauche. Ou même demander à Brittany de lui marcher sur le pied. Juste pour vérifier que ses deux oreilles fonctionnaient bien (oui, il y avait un rapport physique entre ses pieds et ses oreilles, bien entendu) et qu'il n'était pas en train de tout inventer. Elle avait dit oui. Elle ne l'avait pas trouvée ridicule ou même présomptueux, elle était même partante pour un dîner avec lui et ce malgré le fait qu'il ait mentionné sa maladresse latente. Tout espoir n'était pas perdu pour le docteur Grayson, le dit docteur qui se contenta d'acquiescer avec un sourire béat tandis que Brittany s'éloignait, réglant les détails de leur soirée improvisée.
Et si tu passais ce fameux coup de fil au lieu de la regarder comme ça?
Hmm... Merci le cerveau.
Peter se secoua légèrement avant de ressortir son téléphone portable de sa poche, sans le faire tomber cette fois ci et il composa le numéro de chez lui. L'appel fut rapide et Summer réussit à piquer le téléphone à la baby sitter pour souhaiter une bonne soirée à son père. "Tu as la permission de minuit." lança l'autre Grayson et Peter pouvait très bien la voir dans le salon avec un crayon dans la main et un sourire aux lèvres. Il retint un rire puis il remercia Summer avant de raccrocher, faisant de nouveau face à Brittany.
"D'accord... Je crois que c'est impossible de louper ma voiture pas vrai?" Et oui, Peter adorait le jaune, mais franchement, il ne se voyait pas conduire une voiture du genre noire ou gris métallisé, c'était un peu trop agressif pour lui.

Quoi qu'il en soit, il adressa un dernier sourire à Brittany et comme convenu, il grimpa dans sa propre voiture, ouvrant la voie. Au feu rouge, il ne put s'empêcher de se passer une main dans les cheveux, contemplant son propre reflet dans le miroir. Ugh, là tout de suite, il détestait les mèches blondes qui ne voulaient pas vraiment ressembler à quelque chose en haut de son crâne, non la question c'était, est-ce que cela avait son importance dans l'immédiat? Visiblement oui. Dad, how do you talk to girls? Peter se rappelait cette conversation comme hier, il n'avait que treize ans à l'époque et cela était probablement la seule et unique fois que lui et son père avait eu une conversation sur le sexe opposé. Quelle avait été sa réponse déjà? Ah oui, quelque chose comme soi toi même et tout ira bien... Peter roula intérieurement des yeux en redémarrant sa voiture, pas le meilleur conseil du monde et soi dit en passant, être lui même avait déjà fait fuir une certaine brune. Non, il ne referait pas deux fois la même erreur. Sur cette bonne pensée, Peter les guida au centre commercial, faisant en sorte de trouver deux places de parking côté à côte et libre. Fort heureusement, la plupart des gens étaient déjà rentrés chez eux et l'endroit était un peu moins bondé. Il sortit rapidement de sa voiture, ouvrant sa portière à Brittany lui offrant déjà un sourire. "C'est au deuxième étage, Summer risque de m'en vouloir d'être venu sans elle mais on va dire que ce sera notre secret..." lança rapidement Peter, le pire c'est qu'il n'exagérait pas. La petite voulait déjà un gâteau à base de crème glacée pour son anniversaire et uniquement en tant que cadeau et ce malgré les protestations de Peter. Enfin, protestation, il lui était toujours difficile de dire non à sa fille.

"Et aussi si je vous ai proposé ça c'est que je n'ai pas vraiment l'habitude de ... ça, les rendez vous et autre, je veux dire, les pères célibataires n'attirent pas vraiment... Et j'ai tendance à rougir pour rien." Peter préférait jouer la carte de l'honnêteté dès le début, tant pis si ce n'était pas "sexy" ou même "attirant", déjà, il n'était même pas certain de correspondre à l'une de ses deux catégories alors... Et tandis qu'il faisait cette confession, oui, il rougissait déjà, il pointa une de ses joues et ajouta rapidement.
"See? Told you." Non mais franchement, à cette vitesse là, il aurait pu servir de signe stop humain. "Bref avant qu'on entre, je dois vous poser une question très importante et la réponse va déterminer tout l'enjeu de cette soirée... Est-ce que vous aimez la glace à la vanille?"

Ils étaient si bien faits l’un pour l’autre que même leurs voitures s’accordaient, n’était-ce pas merveilleux ?! Flottant sur un petit nuage de bonheur, Brittany en était réduite à penser ces observations cul-cul la praline tandis qu’elle suivait Peter le long des routes. Elle s’était mis dans un tel état d’anticipation et d’espérance que si jamais cette relation ne marchait pas, sa déception serait grande… du style régime-au-chocolat-et-à-la-glace-pendant-quatre-jours ‘grande’. Tandis qu’ils approchaient du centre commercial, elle prit conscience du problème avec un peu de retard et se força à inspirer profondément pour se calmer et ne pas passer pour une illuminée. Etouffer son prétendant sous une tonne d’affection et d’euphorie n’était pas une bonne idée pour bien commencer une relation stable et équilibrée… et pour paraitre saine d’esprit, accessoirement.

C’est avec beaucoup de concentration qu’elle se gara, déterminée à ne pas devoir recommencer plusieurs fois la manœuvre ou, pire encore, abimer la voiture de Peter. Ce fut un petit miracle mais elle réussit ! Décidément de bien bonne humeur, elle attrapa son sac sur le siège passager et se retourna juste à temps pour que Peter lui ouvre la portière. Elle lui offrit un sourire rayonnant pour sa peine. Elle adorait les gentlemen, que voulez-vous. « Oh. Promis alors, le lieu de notre premier rendez-vous restera notre secret à nous, » proposa-t-elle avec un clin d’œil.

Elle vérifia deux fois qu’elle avait bien fermé sa voiture avant d’emboiter le pas de Peter vers l’entrée. Ils durent s’arrêter un peu avant pour laisser passer des voitures et Brittany tourna la tête à temps pour apercevoir le rougissement dont il était question. Elle sourit, pausa une main sur son épaule et, en se rehaussant très légèrement sur la pointe des pieds (il faisait dix centimètres de plus qu’elle, un intervalle tout à fait raisonnable),  l’embrassa furtivement sur la joue. « C’est mignon, » se contenta-t-elle de répondre, sans complexe ni prise de tête.

Elle reprit leur chemin, imposant sa présence aux voitures pour atteindre le hall d’entrée.  Par-dessus son épaule, elle répondit alors : « Bien sûr ! Mais mon parfum préféré c’est la menthe au chocolat ! En fait, je ne suis pas très difficile. Et vous ? » Voilà qui pouvait bien la résumer : elle n’était pas très difficile ou compliquée : elle appréciait des plaisirs simples, avait des ambitions tout à fait raisonnables, un caractère docile, une bonne bouille… tout pour plaire ! … ou pas. Contrairement à Peter, elle avait beau avoir eu un certain nombre de rendez-vous par le passé, ils n’avaient pas tous été probants, loin de là. Ses prétendants avaient eu des vues plus charnelles qu’autre chose quant à une éventuelle relation. Quelque chose lui disait que ce ne serait pas un problème avec Peter : il était bien trop adorable pour cela !

Si Peter avait eu un quelconque doute il y a quelques secondes de cela, ce n’était plus du tout le cas en entendant les paroles de la blonde, c’était bien un rendez vous. Tant pis s’il n’avait pas de fleurs à lui offrir ou même si ce n’était pas Hans Zimmer qui allait s’occuper de la musique en fond, tant pis, rien que le sourire sur le visage de Brittany suffisait et Peter ne put s’empêcher de lui rendre, au centuple, se disant que là tout de suite, il était l’homme le plus chanceux de la terre. Et il était sincère… Que demander de plus vraiment? Il allait manger une glace avec une jolie fille qui ne le trouvait pas du tout ridicule ou même déplacé. Juste… Mignon.  

C’était très certainement la première fois que quelqu’un employait ce terme pour parler de la couleur de ses joues, comme quoi, il n’était pas trop vieux pour qu’on réussisse à le surprendre. « Je ne pense pas que mignon soit le terme exact mais… »Et surpris il fut en sentant, l’espace d’un instant, les lèvres de Brittany entrèrent en contact avec  une de ses fameuses joues. S’il était rouge quelques secondes auparavant, ce n’était rien comparé à la couleur qu’il arborait maintenant, et dans n’importe quelle autre situation, Pete aurait eu envie de fuir et de prendre ses jambes à son cou mais pas dans l’immédiat, il se sentait bien dans ses chaussures, pour une fois… Pour la première fois depuis longtemps en fait, se dit Peter. Oh come on, it was just a kiss, not even a real kiss, get a hold of yourself Pete. Ceci étant dit, le médecin marcha à la suite de la blonde, résistant à l’envie de lui offrir son bras (trop tôt? Hmm… oui définitivement trop tôt) avant de répondre à sa question: « Je suis plutôt du genre simple, j’aime la vanille, mais aussi la glace à la fraise avec des ours en gélatine dessus… Un choix que je ne recommande pas d’ailleurs si vous tenez à garder votre ligne… Non pas que vous en ayez besoin au contraire, je veux dire … vous êtes déjà très jolie. » Pas de doute, Peter devait vraiment essayer ce truc qui consistait à réfléchir un minimum avant de parler… oh et puis zut, se dit le blond, poli jusqu’au bout, il n’allait pas lui mentir et puis il devait être certain qu’il ne devait pas être le premier homme à l’avoir dit à la jeune femme.

Comment pouvait-elle être célibataire? C’était bien ça le mystère pour Peter, non pas qu’il soit du genre à poser la question à voix haute, il s’estimait déjà chanceux jusqu’ici. Une fois qu’ils eurent passés les portes du centre commercial, Pete s’éclaircit la gorge, reprenant la parole. « Et si on arrêtait de se vouvoyer? » demanda t-il, se retenant de mettre ses mains dans ses poches et de regarder ses pieds. Difficile de croire qu’il avait bientôt trente ans … Oui le mois prochain pour être exact, et oui, le temps passait vraiment très vite.  « Ça me paraît être plus que raisonnable si je t’offre une glace… pas vrai Brittany? » Il avait prononcé le nom de la jeune femme avec un sourire aux lèvres, ayant déjà hâte de lui montrer la technique idéale qu’il avait élaboré avec Summer pour mettre le plus d’ours sur sa glace et faire en sorte que le tout ne s’effondre pas.

C’était un secret de Grayson qu’il était prêt à partager, et il était certain que Summer ne lui en voudrait pas trop, pas de doute que dès que sa fille rencontrerait la professeur de danse elle attesterait que Brittany était une princesse… Aucun doute là dessus.

Brittany plissa les lèvres, fronça les sourcils et arbora une expression d’intense réflexion. Son imagination, d’ordinaire débordante et proactive, avait quelques difficultés à lui fournir une image satisfaisante d’une glace aux ours en gélatine. Comment cela fonctionnait-il ? Les ours, avec leurs petites mains translucides, arrivaient-ils à s’enfouir dans la glace ? Le compliment qui lui était adressé la tira de ses pensées rocambolesques et elle sourit, penchant la tête de droite à gauche avec une gestuelle affectée par un brin de vanité (les compliments gratuits étaient rares, elle pouvait bien les apprécier à leur juste valeur !), « Merci, » dit-elle joyeusement, « mais il faudra que vous me montriez cette histoire de glace aux bonbons à la gélatine, cela me rend curieuse ! »

Lorsqu’ils rentrèrent dans le centre commercial, Brittany prit un instant pour remercier sa bonne étoile d’avoir pris le temps de choisir avec attention sa tenue le matin même. Malgré la mondanité du lieu et la simplicité de leur projet, c’était leur premier rendez-vous quand même : ce genre de choses s’improvisait peut-être, mais ça ne se ratait pas ! Brittany entrouvrit son manteau cintré et caressa le devant de sa robe-pull avec toute l’auto-satisfaction d‘ une fashionista bien habillée. Au moins, son désir d’être irréprochable en tout point ce jour-là payait ses fruits.

« Oh, oui ! Vous avez… » Elle s’arrêta, se mordit la lèvre inférieure avec amusement, et se corrigea plus calmement : « Tu as parfaitement raison. Ça parait bien plus simple ! » Les yeux pétillants, elle attrapa Peter par la main pour le tirer vers les escalators. Elle adorait ces trucs-là ! Non, pas par fainéantise, bien au contraire, quand elle était petite, si on la laissait faire, elle passait son temps à  marcher en sens inverse pour faire du surplace. Sur un coup de tête, Brittany se retrouva à raconter cette anecdote à Peter et à lui démontrer sa technique. Elle ne se serait jamais permis d’être aussi enfantine – et naturelle – dans n’importe quel autre ‘premier rendez-vous’ mais l’informalité de leur soirée et l’accessibilité de Peter déjouaient tous ses masques ordinaires.

Sur sa lancée, Brittany ralentit leur avancée en partageant plusieurs anecdotes sur ses aventures d’enfant au centre commercial de Lima. Entre ses escapades chevaleresques dans les magasins de jouets, ses cosplays improvisés dans les boutiques de vêtements et ses razzias sur les sucreries, il y avait de quoi faire. Lorsqu’ils arrivèrent finalement au glacier, Brittany était affamée. Elle commanda un cône deux boules avec supplément de chantilly et de copeaux de chocolat. Son minois de princesse et ses soupirs d’émerveillement lui valurent un nuage de spéculoos en prime. Elle irradiait de satisfaction mais le challenge était de taille. Elle réquisitionna une table tandis que Peter payait, lui réclamant une serviette à la dernière minute (alors qu’il devait jongler avec son portefeuille et sa propre glace, le pauvre, elle ne se rendait même pas compte de son sadisme involontaire), avec un sourire d’innocente jeune femme refusant de ruiner sa robe.

Peter ne pouvait pas s’empêcher de sourire, ne quittant plus Brittany du regard. Au moins, il avait réussi à éveiller la curiosité de la blonde avec son histoire de glace et d’ours en gélatine, il s’attendait plutôt à une réaction inverse mais quelqu’un aurait dû dire au neurologue de prendre une grande inspiration et de réaliser que Brittany n’allait pas courir dans l’autre direction. Certes, elle avait une façon bien à elle de grimper les marches d’un escalator, chose que Peter ne ferait jamais ô grand jamais, avec sa chance, il risquerait de se retrouver par terre en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, ce qu’il ne manqua pas de faire remarquer à la jeune femme avec un sourire sur les lèvres. Il l’écouta attentivement alors qu’elle lui racontait ses nombreuses aventures au centre commercial de Lima et il pensa à ses propres aventures plus jeune, qui se résumaient à presser son stéthoscope en plastique, un cadeau de son père, sur absolument tout: le canapé, le piano, et même le chat de la famille… Tout ceci lui paraissait bien loin à présent et le médecin se disait que oui, il en avait fait du chemin depuis Indianapolis.

Arrivé devant le fameux glacier, ses manières de gentleman reprirent le dessus et il tint la porte pour Brittany, lui racontant comment est-ce qu’il avait trouvé cet endroit et comment il y avait traîné, oui, traîné Summer. Chez les Grayson, c’était bien Peter qui raffolait de sucre et si au final le père comme la fille étaient venus au centre commercial pour acheter des fournitures scolaires, ils avaient fini par s’offrir une glace. Parce qu’absolument rien ne peut battre une glace en fin de journée, avait conclu Peter en offrant un sourire à Brittany, lui indiquant qu’il était plus que content de se trouver ici, pour leur… rendez vous. Il avait encore un peu de mal avec les détails, beaucoup de mal se dit le médecin tandis qu’il laissait le soin à la blonde de leur choisir une table. Peut être que sa chance commençait enfin à tourner…Enfin entre les répétitions ratés de la chorale, son kidnapping par Wyatt et Tate et aussi, s’être complètement ridiculisé devant Kurt… Peut être que, il y avait une toute petite chance pour qu’on soit un peu plus clément avec lui. Mais… C’était sans doute trop tôt pour le dire, beaucoup trop tôt en effet.

Sortant de ses pensées, le médecin rangea sa monnaie dans son portefeuille, attrapant son propre plateau. Il s’installa en face de Brittany, prêt à disposer ses ours sur sa glace à la vanille, et non, Peter n’était pas du tout accro. « Alors laisse moi te montrer, c’est très simple, il faut juste les tenir comme ça et les plonger dans la glace, comme ça, comme s’ils grimpaient une petite montagne au final et…. » Quand on le voyait faire, on avait dû mal à croire que Peter se décrivait comme maladroit. Mais il n’avait pas besoin de réfléchir à cette seconde précise et il avait déjà effectué ces gestes-là une dizaine de fois, et au final, il réussit à faire tenir une vingtaine d’ours sur sa glace, ce qui n’était pas vraiment diététique.  « … Tada ! » annonça t-il fièrement, relevant la tête vers Brittany. Il s’empara de sa cuillère en plastique et mangea enfin sa glace, son sourire indiquant très clairement que c’était la meilleure chose du monde et que personne ne pouvait l’en dissuader.  

« Je sais ça doit te paraître complètement ridicule mais c’est Summer qui a eu l’idée, surtout en voyant à quel point son père est accro aux sucreries. » déclara t-il quelques secondes plus tard. « Mais je crois juste que je compense en fait, j’ai découvert les bonbons quand j’avais … douze ans environ, oui je crois. » C’était peut être la première fois que Peter en disait autant sur lui-même mais il avait sourit face aux anecdotes de Brittany et il se disait que c’était bien ça le but d’un rendez vous pas vrai? Donc alternant entre sa glace et ses gestes de la main plus que significatifs, Peter lui expliqua comment lui et le reste des Grayson, ses cousins notamment, avaient été mis en garde par leur parent qui leur avaient fait croire que s’ils ne mangeaient ne serait-ce qu’un seul bonbon, leurs dents finiraient par tomber. Une chose très effrayante quand on a six ans, ajouta Peter qui avait découvert la vérité des années plus tard et qui depuis n’avait pas pu s’arrêter, contrairement à Summer qui ne comprenait pas cette obsession.

Mais Peter avait d’autres hobbies beaucoup plus sain tels que jouer du piano ou à la wii, regarder des comédies musicales et bien entendu son travail et oui, il considérait quand même comme un hobby. Et oui, Peter ne voyait pas le temps passer mais il était vraiment en train de parler de lui et de passer un bon moment en répondant aux questions de la jeune femme.

Brittany rit de bonne grâce à la vision d’une montagne de glace prise d’assaut par une armée d’oursons gélatineux. Si elle avait été enfant, elle aurait probablement été captivée par l’idée, mais sa priorité était légèrement différente ce soir-là : avec un sourire en coin attendri, c’est Peter et son dévouement à la tâche qui attirait son regard. Discrète, elle reporta son attention sur sa propre glace lorsque son compagnon releva les yeux de son œuvre. Cela ne l’empêcha pas de s’amuser à observer Peter déguster sa création tandis qu’elle léchait distraitement les bords de son cône pour ne pas avoir les doigts recouverts de menthe fondue.

Elle était si distraite qu’elle se retrouva bientôt avec de la chantilly sur le bout du nez et c’est sans beaucoup de grâce qu’elle l’essuya. Elle était bien plus préoccupée par l’histoire que lui racontait Peter et elle remarqua d’ailleurs : « C’est cruel ! Enfin… mes parents auraient probablement fait la même chose s’ils avaient su tous les problèmes dentaires que j’aurai à cause de toutes les sucreries que j’avalais. » Elle rougit d’avoir abordé le sujet. Ce n’était pas vraiment glamour d’avouer qu’elle n’avait pas eu la meilleure hygiène buccale qui soit lorsqu’elle était plus jeune. Elle avait fait des progrès mais on l’avait prévenu néanmoins des conséquences néfastes inévitables sur le long terme. Heureusement qu’elle avait une bonne assurance santé. « Au final, j’ai investi dans une bonne brosse à dent électrique et un bain de bouche, et j’ai gardé mes sucreries, » marmonna-t-elle en se concentrant sur sa montagne fragile pour cacher son embarras.

Ils continuèrent à échanger des anecdotes pendant trois bons quarts d’heure tout en dévorant leur glace – sans incident de part et d’autre, par un petit miracle. Pendant une demi-heure supplémentaire, ils se promenèrent dans le centre commercial en faisant quelques petits achats. Ils furent bientôt amenés à devoir sortir en raison de la fermeture des lieux, bon gré, mal gré. Plantés devant leurs voitures sur le parking, ils se retrouvèrent soudainement silencieux pour la première fois de la soirée. Brittany se chargea de briser cette situation nerveuse, incapable de supporter cela sans broncher bien longtemps. Elle s’avança d’un pas et, pour la deuxième fois de la soirée, se rehaussa légèrement sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue de Peter, à la commissure de ses lèvres. « J’ai passé un excellent moment, j’ai hâte de recommencer ! On reste en contact ? Et on se réserve une soirée pour un vrai dîner cette fois-ci ? Avec un cinéma ensuite, peut-être ? »

Les réponses positives que cela lui valut l’élevèrent sur un petit nuage de bonheur. A peine était-elle rentrée chez elle qu’elle envoya le premier SMS à Peter, le remerciant une nouvelle fois pour leur sortie. Elle ne comptait pas l’ensevelir sous les textos (elle en était capable), mais elle comptait bien se rappeler (très) régulièrement à son bon souvenir. Avec un grand sourire, elle s’affala auprès de Whitney sur le canapé et fit durer le suspense un long moment avant de répondre aux questions de sa sœur. Son premier rendez-vous avait été inhabituel mais parfaaaait.