L’heure sur le réveil affichait 6h22. Calvin ouvrit les yeux à ce moment précis. Nous étions samedi matin et pendant que certains profitaient de leur week-end avec des grasses-matinées, d’autres se levaient tôt pour s’occuper l’esprit et satisfaire les besoins de sa famille. C’est lorsqu’il bougea qu’il sentit un corps dans son dos, lorsqu’il se retourna, il y trouva sa sœur, dormant paisiblement. Très souvent, la cadette de la famille se réveillait en sursaut la nuit. Les cauchemars qu’elle faisait était dû au traumatisme qu’elle subit à ses 7ans lorsque la police fit irruption dans leur salon. Mais au lieu de rejoindre le lit de ses parents, c’est dans les bras de son grand frère qu’elle venait se rassurer. Comment Calvin pouvait lui en vouloir ? Jade était son rayon de soleil. Même s’il n’était pas en rébellion avec ses parents, il avait un lien très fort avec sa petite sœur.
En toute discrétion, il s’échappa, un sourire aux lèvres. Allant jusqu’à la cuisine en pyjama, il savait qu’il était seul dans la petite maison. Ses parents travaillaient le week-end et il devait bientôt accompagné sa sœur chez une amie. Sur le plan de la table de la cuisine, se trouvait une liste de course. La prenant en main, il la parcourut tout en ouvrant le frigo afin d’y préparer son petit-déjeuner, ainsi que celui de sa sœur. Dans peu de temps, il irait la réveiller et leur journée s’activerait. Ainsi était les samedis chez la famille Collins.

C’est après sa douche qu’il invita Jade à se lever. Cette dernière avait un mauvais caractère au réveil, ce qui avait tendance à faire rire le grand brun. Boudeuse, elle s’activa tout de même à manger les céréales trempées dans du lait que Calvin lui avait préparé. Lui réajustait sa cravate en l’observant entrain d’immerger. On aurait pu croire au tableau reflétant la complicité parfaite entre un père et sa fille. Mais voila, il n’était que le grand frère très protecteur et très attentionné. Celui qu’il avait pu avoir il y a des années de cela, mais qui avait mal tourné. Lui, essayait de suivre le parcours de Devon, son aîné, mais sans le dérapage qui lui fut fatal. La jeune fille lui demanda s’il avait un entretien d’embauche. Calvin regarda ses vêtements en lui demandant si c’était trop. Elle lui répondit simplement avec un petit rire que c’était lui, tout simplement. A 19ans, il s’habillait avec une maturité déconcertante. Une chemise blanche, un veston noir et une cravate de la même couleur. Son jean avait une couleur foncé et une coupe qui ne dénotait pas avec son haut. Encore à pied nu, il savait déjà que ses converses étaient prêtes à le mettre à l’aise :

« Dépêche toi Jade, tu vas nous mettre en retard. » lui dit-il en lavant son bol, n’ayant pas de lave-vaisselle.
« C’est bon ! C’est juste une journée entre fille. »
« Une simple journée entre fille ? Mmmh. C’est qui ce Theo ? »
« Je ne vois pas de quoi tu parles.. » dit-elle en buvant le lait restant dans son bol avec un air de culpabilité.
Calvin se mit à rire en voyant les joues de sa sœur s’empourprer. Il l’invita à aller se laver et s’occupa de son bol.

…

Caddie à la main, Calvin arpenta les rayons de l’épicerie à la recherche des Dragibus. Bien qu’il adore cela, il ne s’agissait pas de le satisfaire, mais de répondre aux exigences de sa petite sœur. Sans même faire attention au prix, il balança le plus gros paquet dans son chariot et continua son chemin vers les chocolats en tablette, le plaisir de sa mère cette fois. Le jeune Collins avait pris l’habitude de faire les courses tout seul depuis l’âge de ses seize ans, lorsqu’il eut son permis. Depuis ce jour victorieux, il avait emprunté la vieille voiture américaine de ses parents et avait décidé, de lui-même, de leur rendre service. C’était en fait un plaisir pour lui. Un moyen d’échapper à ses pensées sombres. Car lorsqu’il n’avait rien à faire, celle-ci le hantait au point de le rendre mal pendant plusieurs jours. Mais il n’était pas question de cela pour le coup. Trop occupé à vérifier sa liste, il ne pouvait s’égarer dans ses souvenirs si ce n’est ceux du matin où sa mère lui avait précisé si elle la voulait noire ou au lait sa tablette. C’est donc au hasard, ou du moins par rapport à ce que préféré normalement sa mère qu’il finit par prendre celle au lait. Il finit de parcourir le rayon et tourna pour rejoindre celui des produits d’entretien. C’est à cet endroit qu’il aperçut Alejandro, accompagné de turbulentes jeunes filles. Un sourire apparut aux coins des lèvres du jeune homme. Les bras posés sur la barre du chariot, le dos vouté, il regarda sa liste un instant, en jetant un œil à son camarade de chorale. Il saisit alors l’une des lessives pour la poser délicatement dans son caddie. Il enchaina deux trois pas et passa près du jeune brun :

« Toi aussi tu es de corvée de course ? » Lui sourit-il d’un air compatissant.

Il était hors de question pour Calvin d’avouer qu’il aimait cette activité. Alejandro était réputé pour être la tête brulée du lycée. Les courses étaient souvent vues comme une activité ou un fardeau réservaient aux femmes. Dire qu’il y prenait plaisir était comme signer son arrêt de mort. Alors il ne trouva rien de mieux à dire afin d’engager la conversation. Il ne savait même pas s’il allait lui répondre ou l’éviter. Après tout, Calvin était l’élève modèle et très discret, n’ayant jamais provoqué de bagarre et les fuyants plus qu’autre chose. Alors qu’Alejandro était réputé pour son côté bagarreur, violent, provocateur. Le jeune Collins ne le jugeait pas pour autant. Il avait eu un vécu l’empêchant de juger les gens selon leur apparence ou même par rapport aux actes qu’ils provoquaient. Son frère en était la preuve vivante, et bientôt morte. Un drame auquel il continuait à espérer un miracle, tout en priant pour ne plus y penser.

Trouvant le produit miracle de sa mère pour lui éviter le repassage, il se dirigera vers celui-ci sans trop s’éloigner d’Alejandro, et en attendant sa réponse. Autour d’eux ne se trouvaient que des femmes. Certaines étaient accompagnées de leur enfant, d’autres étaient seules et avait l’air fatiguées, éreintées de faire leur course quotidienne. Pour Calvin, cela lui permettait de prendre l’air et de voir du monde comme ce jeune nouveau choriste, au même statut que lui. Ce n’était pas forcément la rencontre qu’il aurait aimé faire, bien que ca ne lui déplaise pas. Il aurait aimé faire plus connaissance avec lui. Pourquoi, il ne le savait pas. Il lui paraissait très mystérieux. Son frère avait longtemps paru comme quelqu’un de gentil, sans fond violent, donc il ne pouvait pas vraiment faire le rapprochement, mais il pensait qu’Alejandro avait quelque chose dans sa vie qui l’obligeait à être ainsi. Était-il vraiment méchant ? Ça il ne le pensait pas, mais au cas où, les pansements se situaient dans le rayon d’à côté.

Les sourcils bruns de l’adolescent se froncèrent dans une expression moralisatrice que Lou identifia rapidement. La petite fille poussa un soupir, gonflant ses joues juvéniles en levant les yeux au ciel. Alejandro tiqua.

« Je déteste que tu fasses ça ! T’as pas a soupirer quand j’te dis quelque chose »
« Mais… »
« Y a pas de mais non plus, bon sang ! » la coupa-t-il immédiatement, ayant pressentit qu’elle réagirait

La gamine marmonna quelques paroles aussi agressives qu’incompréhensibles et Al l’observa s’éloigner d’un pas trainant pour reposer son paquet de bonbons dans le rayon approprié. Il la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse de son champ de vision puis s’intéressa à nouveau à la liste de courses qu’il avait en main. Il s’attarda un moment encore devant les fruits et légumes des étalages, écoutant distraitement les babillages de Margarita, sa plus jeune sœur, qui sautillait joyeusement autour du caddie à peine rempli. Il avait bien essayé de la faire asseoir à l’intérieur mais elle avait son caractère et ses pleures avaient eu raison de lui. De toute façon, ses frères et sœurs avaient toujours raison de lui, tôt ou tard. Et puis souvent tôt que tard d’ailleurs puisqu’ils apprenaient très vite à repérer ses points faibles et à les utiliser…

« Mais je DETESTE les tomates ! »

Al se retourna avec ses carottes pour les déposer dans le chariot, avant de donner une tape sur la main de Lou. Cette dernière était penchée au-dessus des fruits et légumes qu’il avait sélectionnés et les tripotait allègrement avant de les laisser négligemment retomber, les cognant les uns contre les autres sans douceur.

« Touche à ton cul, Lou ! » s’emporta-t-il alors qu’elle frottait le dessus de sa menotte d’un air bougon
« J’vais l’dire à papa »
« Ouais, tu feras ça »
« J’vais lui dire que tu m’as tapé et aussi que tu as dis un gros mot ! »
« Ouais, et moi j’lui dirai que t’as montré ta petite culotte à Javier Augusto » la contra l’adolescent en plongeant son regard sombre dans le sien

La petite fille ne trouva rien à répondre à cela. Elle préféra se venger sur sa petite sœur qu’elle bouscula sans ménagement avant de s’éloigner d’un pas conquérant. Margarita leva alors ses grands yeux de poupées vers lui, le fixant intensément dans l’attente d’une réaction de sa part.

« C’est rien, Puce, on pleure pas pour ça » lâcha-t-il très vite, avant d’attraper sa main minuscule dans la sienne et de pousser le caddie de l’autre

La petite fille oublia alors tout de l’incident et trottina près de lui, observant ses pieds qui claquaient sur le sol en lino de l’épicerie.
Après une bonne dizaine de minutes, son caddie à présent à moitié rempli de choses et d’autres, Alejandro s’approcha du rayon entretient. Il consulta la liste qu’il avait lui-même rédigée avant son départ puis se dirigea vers les produits dont il avait besoin. Les filles piaillaient avec un peu plus de conviction à côté de lui et l’adolescent savait que bientôt, elles deviendraient ingérables. Il ne restait qu’à espérer que les queues ne soient pas trop importante quand viendrait le moment de se glisser dans l’une d’entre elles…

« Toi aussi tu es de corvée de course ? »

Le jeune hispanique sursauta en entendant une voix toute proche s’adresser à lui. Son regard intrigué se tourna immédiatement en direction du garçon qui se tenait près de lui, souriant. Il fallut un moment à Al pour le remettre vraiment. Il s’appelait Colin ou quelque chose comme ça et était dans la chorale avec lui. Monsieur Shuester les avait présentés il n’y a pas si longtemps mais l’adolescent ne l’avait pas vraiment remarqué. Il faut dire qu’il était plutôt du genre à se fondre dans le décor et à y disparaitre… Et Al aurait préféré qu’il continue à faire partit des meubles en réalité.
Il détestait faire les courses et détestait plus encore avoir à croiser un visage familier pendant qu’il les faisait. Evidemment, tout le monde devait faire renflouer ses placards et son réfrigérateur à un moment où un autre, mais à son âge, on s’attendait plutôt à trouver la mère de son camarade de classe dans les rayons...

« Ouais » finit-il par grogner, détournant le regard et faisant mine d’être très occupé

A présent, c’était lui qui était vraiment pressé de passer à la caisse et de disparaître. Il se maudissait d’avoir ainsi honte d’être surpris en compagnie de ses cadettes, un caddie plein de fruits et légumes frais entre les mains, mais c’était plus fort que lui.

« Al, Margarita veut faire pipi » le prévint soudain Lou
« Quoi !? Nan ! » s’écria Alejandro, mortifié par cette idée
« Si, regarde, elle fait sa tête de quand elle veut faire pipi »

L’adolescent déposa rapidement son bac de poudre à lessiver dans le caddie et se pencha vers sa petite sœur pour étudier l’expression de son visage. La petite soutint son regard sans ciller, ses grands yeux marron le détaillant avec la plus grande attention.
Près d’eux, Louanne éclata d’un rire moqueur.

« J’t’ai eu ! »

Cette fois s’en était trop. L’adolescent se redressa pour saisir la main de sa sœur et la tirer vers lui sans douceur. Il la traina jusqu’au chariot et l’obligea à s’y accrocher.

« Maintenant ça suffit. Tu ne bouges plus d’ici, tu fermes ta grande bouche et…et tu es privé de télé jusqu’à demain ! »
« Mais… »
« Il n’y a pas de mais ! » s’exclama-t-il en essayant de ne pas trop élever la voix pour ne pas attirer davantage l’attention sur eux, le visage rouge de colère

Pourquoi fallait-il toujours qu’elle agisse comme ça ? La réponse était évidente bien sûr : il l’avait trop gâté. Lui et tout le restant de la famille d’ailleurs. Elle avait été la première fille et avait été traitée comme une princesse jusqu’à l’arrivée de Margarita avec qui elle ne s’entendait que pour faire des bêtises et qu’elle jalousait ouvertement.
Alejandro poussa un lourd soupir censé évacuer toutes ses frustrations puis il jeta négligemment sa liste dans le caddie et se mit en tête de reprendre ses courses où il les avait laissées. C’est alors qu’il remarqua le regard de Colin (ou un truc du genre) peser sur lui presque discrètement. Sa première pensée fut de passer ses nerfs sur lui et de le menacer de lui crever les yeux s’il continuait à le mater comme ça, mais Alejandro se ravisa et prit sur lui. Il avait des problèmes avec assez de membres de cette stupide chorale comme ça…

« T’as besoin d’aide ? » demanda l’ainé des Vargas assez sèchement, espérant lui faire comprendre ainsi que s’il n’avait aucune manière intelligente d’enchainer, il pouvait aussi bien déguerpir