J'étais bourré.

Pire que bourré, en faite. Ca m'arrivait de boire un verre ou deux avec Sina - ma soeur - devant un James Bond en allemand, ou même un scotch avec la personne qui m'invitait après un strip-tease. Mais jamais au point d'être raide dans les toilettes de McKinley. Et Dieu sait combien de fois j'ai ramené ma flasque à whisky dans l'enceinte de du lycée. Heureusement que Figgins est aussi aveugle qu'un escargot mort. Il aurait été capable de parler de mon prétendu alcoolisme à son pasteur qui m'aurait fait un sermon. De toute façon, les églises, c'est pas pour moi. Je suis aussi fermé à la religion qu'une huître vivante. Ca y est ; je divague. C'est l'un des nombreux effets secondaires de l'alcool chez moi. Je serais capable de vous réciter la création du monde en hébreu si vous me parlez de vins et de fromages.

Donc, je reprends. Ce matin-là, j'avais regardé un épisode de How I Met Your Mother avec une tartine de marmelade à l'orange avant d'aller surveiller la permanence. Ca m'énervait toujours autant, j'avais envie de me casser ailleurs. Ca me gonflait de traîner toute la journée au milieu de ses imbéciles. Mais je devais le faire, car comme le chantait Freddy Mercury The Show Must Go On et surtout je devais ramener un maximum d'argent pour la bouffe de ma nièce. Mine de rien, ça coûte bonbon les petits pots pour bébé, et les couches je ne vous en parle même pas. Bref, j'étais dans l'incapacité de rater ma matinée à McKinley sous peine de voir mon salaire se faire grassement amputé.

Après mon épisode de How I Met Your Mother, j'avais bu mon café dégueulasse, avait remplit ma flasque de bourbon et de gin tonic - le genre de mélange qu'on sert au bar à strip-tease : bien écœurant mais parfait pour se bourrer - avant de conduire jusqu'à McKinley dans min vieux tacot qui sentait l'huile de moteur. Bordel ! Le moteur devait avoir une bonne fuite. Sérieux, dès que j'aurais assez de fric, je m'achèterais un 4x4 rien que pour frimer devant le bahut. Bonne idée, Klaus... Lorsque j'arrivais sur le parking, j'eus une autre idée. Quitte à me bourrer, autant le faire avec classe et surtout en m'amusant le plus possible... J'ai pris ma flasque qui traînait dans ma poche arrière de mon jean, j'y ai bu un bonne rasade pour me donner du courage et je suis sorti de la voiture.

Après être passé au bureau d'administration pour récupérer une dizaine de fiches de colle nécessaire à mon jeu de soulage, je me suis rendu à la grande permanence/salle de retenue, celle qui donnait sur la cour. Je ne compte plus le nombre de fois où j'avais eu envie de me balancer par la fenêtre, de courir au Starbuck pour commander un Caramel Macchiato avec une pointe de cannelle. Ca devait me rappeler mon père - l'archétype de l'allemand gros et gras - qui faisait des succulents roulés à la cannelle... Aaah, ce c*nnard... Je l'aurais bien tuer pour nous avoir abandonné - Sina, Jakob, Tomas, Neele, Felix et moi...

Je me suis installé au bureau de devant, juste en dessous d'un store. Parfait. Je voyais toute la permanence et personne ne pouvait voir la flasque métallique qui trônait derrière le dictionnaire hispanique. Tant mieux. J'ai validé les fiches de colle que cinq élèves m'ont donné, tout en priant silencieusement pour qu'ils s'agitent encore cette heure-là, que je puisse m'amuser un peu. Voilà mon plan spécial "Buvons à McKinley !" : A chaque fois que je collais un élève, je prenais une gorgée de gin tonic/bourbon que contenait ma flasque. Balancement sur une chaise ? Tac. Une heure et un shooter d'alcool. Lever d'yeux au ciel ? Tac. Une heure et un autre shooter. Autant dire que pendant cette heure j'étais totalement bourré et je collais même les petits imbéciles qui faisaient leurs maths. Ah, c'était pathétique. J'avais quoi, 22 ans ? Et je me soulais déjà à mettre du vomi autour de la cuvette. Pathétique. Totalement pathétique...

Toujours était-il que sur le moment, ça me paraissait hyper cool d'être comme ça, à rigoler comme un bossu parce que j'avais terminé ma flasque. En réalité, ça me gonflait de l'avoir terminé si vite. J'en aurais plus du tout pour aller à l'université... Pff. De toute façon, ça craint d'être surveillant. J'aurais du me contenter d'être seulement strip-teaser. J'aurais monté ma propre boîte et j'aurais plus à me déshabiller lascivement sur You can leave your hat on. Autant j'aimais bien faire ça chez moi après trois bières, autant je détestais voir les regards extatiques des jeunes femmes qui me payaient pour faire l'enterrement de vie de jeune fille d'une de leur amie.

J'avais donc terminé ma flasque. (Et de par ce fait, j'étais totalement ivre) Je m'ennuyais à mourir malgré que je me fichais de la tronche de certains lycéens. Et puis j'ai vu un garçon au fond, en train de bosser sa géométrie, ou son anglais, enfin je sais pas trop quoi, et mon cerveau a totalement disjoncté. En faite, je le trouvais même assez sexy. C'est stupide hein ? Moi, Klaus, je pouvais avoir n'importe quel adulte dans ce bahut miteux et j'avais envie d'un élève. Encore plus pathétique. Il n'empêchait qu'il était vachement mignon. Le genre de gars qu'on a envie d'emmener dans un coin sombre et puis de... enfin vous me comprenez.

-« Et toi ! Là au fond ! » (il leva la tête) « Viens-là. Tu vas m'aider à ranger un placard.»

Maintenant que j'y repense, je devais totalement faire pitié, mais pour l'instant, personne ne voyait - ou du moins m'avait fait remarquer - mon ivresse. Du coup, j'avais de plus en plus envie de continuer mes stupidités. Avec lui. Lorsqu'il arriva vers moi, je lui dit :

-« Dis moi ton nom, mister hot...»

Dans le genre réplique idiote, je venais de décrocher la palme d'or.

Depuis le début de cette nouvelle année, j'étais différent. Ces histoires de chorales m'obsédaient. J'étais chanteur, je jouais plutôt bien de la guitare ainsi que du piano, j'avais une bonne voix, mais quelque chose était flou dans mon projet. Je voulais à tous prix intégrer une des deux chorales de McKinley, malgré l'indifférence avec laquelle je les regardais auparavant. Quelque chose de nouveau me pousser à vouloir essayer. A l'évidence, je serais accepté si j'auditionnais, mais quelque chose ralentissait mes plans. Ce n'était pas de la peur, je n'avais jamais été effrayé de chanter devant qui que ce fût. Ce n'était pas non plus un problème avec ma réputation, dont je me moquais totalement.

Ce que je craignais pouvait être les professeurs de ces chorales. Celui des New Directions était un jeune trentenaire célibataire, mais aux méthodes archaïques, et celui des Awesome Voices ne m'avait pas l'air commode. Sinon, c'était peut-être l'appréhension de l'intégration à un nouveau groupe qui m'empêchait de tenter ma chance. J'ignorais s'ils m'accepteraient, si je leur plairais. N'étant pas encore certain de vouloir intégrer une chorale, je préférais ne pas me casser la tête avec ça, j'avais seulement commencé à édifier un plan pour faciliter mon intégration. Il me fallait me rapprocher au maximum des membres des chorales qui me paraissaient les plus intéressantes, les amadouer, et me servir d'eux pour avoir toutes mes chances.

J'étais en permanence alors que je songeais à tout cela. Je n'avais pas réussi à dormir la nuit passée, j'avais donc tué le temps en regardant plusieurs fois un récent film français sur mon idole secondaire, Serge Gainsbourg, avant de m'endormir pour seulement deux heures sur le canapé du salon. Ce début de journée me paraissait habituel, j'avais assisté, désintéressé, à mes cours de la matinée, puis mangé avec ma bandes de potes, et enfin, j'étais là, à cause d'un prof de mathématiques débile qui avait décidé pour je ne savais quelle raison absurde de ne pas se présenter à ses cours.

Mon esprit s'égarait. Et quand il en était ainsi, je commençais à réfléchir au sujet de tout et n'importe quoi. Et parfois, quand j'avais sous la main une feuille et un stylo, cela pouvait donner une chanson. Je devais donc avoir l’air assez ridicule en ce moment, un stylo dans la main gauche, cette même main flottant au-dessus d’une feuille blanche. Je contemplais tous ces gens dépourvus d’intérêt autour de moi, tête bêche sur leurs cahiers de cours, qui ne prenaient même pas la peine de regarder ce que j’allais remarquer ensuite.

Détestant cette salle du lycée, je n’y venais pas souvent, mais j’y avais cette fois été contraint en raison du froid qui régnait à l’extérieur. Et lorsque je venais en permanence, en général, je ne m’amusais pas à regarder le comportement du surveillant présent. En fait, je ne faisais jamais attention à eux, c’était à peine si j’étais capable de les distinguer des élèves. Pourtant cette fois-ci, le surveillant qui observa la salle de permanence m’intrigua. Je le remarquai quand il colla un élève pour s’être balancé sur sa chaise, et d’une manière assez spéciale. À compter de cette instant, je ne le quittai plus des yeux. Il était étonnamment mignon, classe et sexy. Comment pouvais-je ne jamais l’avoir remarqué avant ? Son comportement déplacé acheva d’éveiller ma curiosité. Je me mis à le fixer alternativement à mes griffonages sur feuilles. J’avais commencé l’ébauche d’une chanson que je me plus à intituler Do It In The Rest Rooms. Cette chanson collerait parfaitement avec une ambiance musicale rock psyché, à la Nirvana.

Alors que j’entamais le second couplet, il m’interpela. Je levai la tête, le regardant d’un air neutre malgré son regard qui me transperçait de haut en bas. Il me commanda de venir l’aider à ranger un placard. Curieuse invitation, mais je m’exécutai quand même. Arrivé à sa hauteur, un effluve familier émanant de lui atteint mes narines. Il avait bu de l’alcool, et pas qu’un peu. Ca promettait d’être amusant. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire malin lorsqu’il accompagna sa demande de mon nom d’une appellation qui me ravit. Je m’empressai de lui répondre, sur un ton de voix aussi neutre que mon expression faciale.

Mister Hot s’appelle Agustin James. Et vous ?

-« Mister Hot s'appelle Agustin James. Et vous ?»

Putain. J'avais rarement entendu une voix aussi chaude et étonnement sensuelle malgré son ton neutre - même un peu méprisant. Ca m'avait donné envie de faire un strip-tease en plein milieu de la permanence - je l'aurais peut-être fait si il n'y avait eu que lui et moi. Bon, ok, j'aurais eu froid vu comme c'est sous-chauffé à McKinley, mais bon... J'esquissais un petit sourire en passant une main dans mes cheveux bouclés tout en me levant : ah, il était vraiment trop mignon, à peine plus petit que moi, mais avec un charisme fou. Son visage était neutre mais ne le rendait pas repoussant ou peu amical - non, bien au contraire. Il était réellement beau. Mais ça, généralement, on ne s'en rend pas compte sous l'effet de l'alcool. Moi je voyais plutôt - en trouble - une masse fine et élancée surmontée de cheveux bruns. Je ne voyais pas réellement ces petits détails qui rendent les gens incroyables.

-« C'est Klaus. » dis-je avec un grand sourire peu habituel. « Et tu peux me tutoyer. » ajoutais-je en lui faisant un clin d'oeil.

Eh mince. Voilà qui ruinait mes belles utopies à propos du respect des aînés. J'avais demander à Agustin d'être familier avec moi ? Mein Gott. Plus jamais une goutte d'alcool au lycée, surtout pour me contredire. Je venais de passer une demie-heure à coller des jeunes pour des motifs futiles et là je permettais à un élève que je ne connaissais ni d'Adam ni d'Ève de me tutoyer ? Sérieusement. Gin tonic et bourbon : plus jamais. Oh, bien sûr, je dis ça après avoir murement réfléchit, mais sur le coup, ça me paraissait juste... Juste awesome. L'alcool évaporait mon autorité indécente et mon air strictissime et je me retrouvais libre - en liberté avec mes chers vieux démons d'antant. Hérédité, quand tu nous tiens...

J'attrapais un stylo et griffonnais le nom du jeune homme sur un bout de papier qui traînait sur le bureau. Ca pouvait toujours servir. J'avais l'habitude de toujours noter le nom des personnes que je venais de connaître. Un vieux tic que j'avais attrapé au bar - où je devais écrire le nom de mes clients après mes strip-teases. Je poussai la chaise où j'étais assis quelques secondes auparavant contre la table, puis attrapai ma flasque vide tout en poussant un petit soupir. J'avais cours à deux heures en cours de latin appliqué, et donc, je ne pouvais pas faire un détour à mon appartement pour recharger ma flasque. De toute façon, j'allais vomir dans l'après-midi pour décuver. J'avais autant à ne pas aller en cours, à moins que mon professeur aille envie de retrouver un polycopié plein de vomi. Définitivement, ce n'était pas une bonne idée de me bourrer à huit heures et demi du matin.

Je fis signe à Agustin de me suivre tout en jetant un dernier coup d'oeil à la permanence : les élèves semblaient être plus calmes qu'en arrivant. Tant mieux. Encore une preuve du bienfait de ma méthode extrémiste. De toute façon, j'allais être dans la salle à côté et malgré la porte qui séparait les deux salles, je les voyais mal faire du bruit à dix mètres de moi et de mon radar spécial gamins bruyants. Je marchai jusqu'à l'arrière-salle de la permanence, fis passer mister hot devant moi, puis fermais précautionneusement la porte derrière nous, histoire de ne pas être interrompu en si bon chemin. J'eus un grand sourire en m'adossant à la porte. Finalement, j'avais bien fait, ce matin-là, de remplir ma flasque pour me souler. Je n'aurais pas supporté une nouvelle heure de permanence avec des gamins aussi braillards. Même mes frères turbulents n'étaient pas si chieurs.

-« Alors, alors... Cher Agustin... »

Je regardais autour de moi - bien que je voyais à moitié trouble - si je pouvais trouver un prétexte.

-« Approche toi voir. »

Si on me permettait de revenir dans le passé, j'aurais sans hésité garder cette scène, rien que pour le plaisir de me ficher de ma propre expression. J'avais un sourire mi-sadique mi-séducteur, une expression à mi-chemin entre mon boulot du jour, et mon job du soir. Un sourire de schizophrène, en gros. Ca ne m'aurait pas étonné d'être arrêté pour intimidation à outrance. Je savais très bien que c'était mal - et surtout bizarre - d'avoir une telle expression, je n'arrivais pas à m'arrêter. J'avais chaud dans ce cagibis à peine assez grand pour deux poubelles standards et l'alcool me montait plus vite au nez. Agustin ne s'approchant pas assez vite de moi, je pris les choses en main. J'ai tendu la main vers son torse tout en gardant mon expression ridicule.

Et Paf. Ca a pas fait des chocapics. J'en aurais bien voulu, vu comme mon ventre grondait de faim. Mais là, donc, ça ne faisait pas des chocapics. Ca me rendait juste encore plus ivre. Mes lèvres se sont posées sur celles d'Agustin dans un baiser chaste et court. Mes mains étaient toujours posées sur son torse et - si il n'avait pas été mineur et que l'on était pas à McKinley - je lui aurais bien enlevé son tee-shirt.

Le ton de ma voix sembla avoir un certain effet. Il eut l'air gêné, adoptant les mimiques du petit sourire esquissé et de la main dans les cheveux qui trahissaient sa réaction intérieure. Seulement, il ne paraissait pas y voir très clair, par conséquent il avait du mal à observer les détails de mon apparence. Aussi loin que je m'en souvinsse, je n'avais jamais vu d'adulte responsable ivre dans l'enceinte d'un établissement scolaire. C'était, je devais l'avouer, assez impressionnant. Il avait bien l'air de s'amuser, il avait réussi à faire taire les élèves de la salle à l'aide de méthodes peu usuelles ; personnellement, je n'étais pas d'avis que son comportement fusse à blâmer.

Puis il me dit son nom. Klaus. Court, simple, allemand. Rien à redire. Ce surveillant était intensément sexy, je m'en rendis compte lorsqu'il se leva de sa chaise. Son corps était élancé, des muscles bien formés se devinaient à travers son tee-shirt. Et il était également très mignon. Quand il me demanda de le tutoyer, j'étouffai un petit rire amusé tout en acquiesçant.

Je le suivis donc pour sortir de la permanence. Il me mena à la salle annexée à la permanence, d'où il pouvait toujours entendre les bruits éventuels des élèves. Cette pièce était vraiment minuscule, il y faisait très chaud, je m'y sentis comme rabaissé. J'observais Klaus. Il regardait autour de lui, peut-être cherchait-il le placard en question. Mais, s'adossat à la porte, il me lança un sourire qui manqua de me faire vaciller. C'était si chaud, on aurait que j'étais son hamburger et qu'il allait me dévorer d'une bouchée, sans aucune pitié. Puis il me commanda d'avancer vers lui. Je ne commandais plus mon corps. Apparemment, le placard pouvait attendre.

Il posa ses mains sur mon torse, et m'embrassa subitement d'une manière qui me fit perdre tous mes moyens. Le baiser fut court, trop court, mais il gardait son contact sur mon torse. Souriant à mon tour, d'une façon niaise et certainement moins sexy, je posai une main sur sa hanche et rapprochai mon visage pour l'embrasser à nouveau. Je prolongeai l'instant jusqu'à sentir un goût alcoolisé très dérangeant remonter dans sa bouche. Je restai en face de lui, et toujours sous le choc, je trouvai enfin quelque chose à dire.

T'es bien bourré, hein ? Raconte-moi ce qui s'est passé.

Quand j'avais son âge, peu de personnes ont réagis aussi bien qu'Agustin à l'un de mes baisers inopportuns. J'avais reçu des claques, des coups de genoux dans les attributs ainsi qu'un florilège de noms d'oiseaux en tout genre - surtout en cas de baisers gays. Mais personne n'avait réagit comme Agustin. Un instant ou deux après que je me sois éloigné de ses lèvres, sa main a élu domicile sur ma hanche pour m'attirer dans un baiser bien plus long et surtout terriblement moins chaste. Finalement, j'adorais mon mélange d'alcool. J'étais-là, dans un placard exigu, à rouler une galoche à un élève furieusement sexy que j'avais appelé mister hot quelques minutes plutôt, et je dois avouer que je prenais mon pied, jusqu'à ce qu'un fichu haut-le-coeur léger au gin remonte jusqu'à ma bouche.

Agustin se détacha alors de moi, apparemment tout autant troublé que je l'étais. Ses grands yeux noirs me fixaient avec l'incertitude d'un nouveau-né et je dois avouer que même ça, c'était diablement attirant. Tous ses gestes, ses infimes mouvements, ses paroles, réveillaient en moi des pulsions viles et sauvages. Mein Gott. C'était comme boire trois flasques en vachement plus agréable. Je fronçai cependant les sourcils à sa question : après avoir été d'une charmante compagnie, le voilà qui s'inquiétait des raisons pour lesquelles j'étais comme ça. N'empêche qu'il avait raison : tout ça ne serait pas arrivé si je n'avais pas bu. J'haussai les épaules tout en me détachant de lui.

-« J'ai pas bu. » dis-je tout en lissant les manches.

Il y eut un léger moment de flottement.

-« Bon d'accord. J'suis bourré.»

J'ajoutais à cet aveu une légère grimace, tout en me retournant pour chercher n'importe quoi. Vite, vite.... J'attrapai un flacon de produit ménager pour me donner une contenance. Et voilà que j'avais honte de mes gestes, ce qui n'arrivait jamais en temps normal. Je soupirai tout en me retournant vers Agustin. Il était toujours aussi mignon. J'espérai juste qu'il n'allait pas tout raconter à Figgins.

« Je bois comme un trou, hein ? En tout cas... Désolé.»

Je commençai à placer les objets hétéroclites qui traînaient sur une armoire. C'était une situation dérangeante. Il y a quelques instants, j'étais collé à Agustin et il l'embrassait, et là, chacun était à un bout de la pièce, manifestement tout aussi gêné que l'autre. Eh merde ! Où était passée mon assurance, d'ordinaire exacerbée par l'alcool ? Elle devait certainement être restée à la maison. Ca craignait. Il faisait trop chaud dans la pièce et j'avais mal au coeur. Mon ventre me vrillait de l'intérieur et je sentais des hauts-le-coeur devenir de plus en plus récurrents et intenses. J'eus une grimace lorsque je sentais la bile acide et chaude remonter ma gorge. Dégoutant, répugnant, même.

Au bout d'un moment, je ne pus plus me retenir et expulsai un jet de vomi sur le sol de la salle. C'était affreux : ça me brûlait la gorge et ça me faisait piquer les yeux. Et tout cela devant Agustin. J'avais définitivement trop bu. Tant pis. Je glissai le long du mur pour atterrir sur le sol, les genoux contre mon torse lorsque je commençai à rire nerveusement, comme un fou. Il n'y avait rien de drôle à cette situation, mais je n'arrivai pas à arrêter mon fou-rire.

Ma contre-réaction dut le secouer. Mais en me reculant, je ne fus plus à l'aise. J'étais en train de profiter d'un majeur en état d'ébriété. Je sentis une certaien honte monter en moi. Réussir à parler après cet événement importun fut un exploit. Peut-être eût-je dû me contenter de son premier baiser, et ne pas répondre aussi violemment.

J'attendis la réponse à ma question/constatation. Lui aussi semblait gênant. Mais il ne devait pas réaliser ses actes, ni ses émotions. Dans un premier temps, il démentit, une réaction que j'aurais aussi eu à sa place. Puis, après un silence religieux, il avoua. Un acte courageux. Je le sentis mal à l'aise. Il finit même par s'excuser. Je ne pouvais certainement pas lui en vouloir pour cela. C'eût été le cas si cela était arrivé en public, pourtant, même ivre, il avait pensé à m'emmener dans un endroit clos pour évacuer ses pulsions. Je n'osais rien répondre, il n'était pas en état d'avoir une conversation intelligible.

Puis son comportement empira. Il commença à ranger quelques objets, avancer de se pencher en avant pour vider ses tripes sur le carrelage. Un fou-rire inexplicable le prit soudainement. Il n'avait vraiment pas l'air bien. Je m'agitai, le relevant pour le pousser vers le lavabo ; je le fis boire. C'était le premier geste à avoir envers une personne dans son état. Parallèlement, avec le matériel disponible, je nettoyai le vomi. Ce n'était pas la première que cela m'arrivait. Aucune trace ne devait rester de ce qui s'était passé. Je ne voulais par lui attirer d'ennuis. Au fond de moi, je me sentais responsable. Cela me ressemblait bien, ce trait de caractère était comme une variante de mon égocentrisme très marqué. Un tas de questions, dûes à mon état agité, se bousculaient dans ma tête. Peut-être était mon baiser qui avait provoqué son vomissement ?

Je n'étais vraiment pas bien. Mes paupières devenaient brûlantes et chaque battement de celles-ci me coutaient un effort considérable. J'avais chaud partout mais lorsque je touchais mon visage, je me rendis compte que j'étais froid, presque glacé. Le bâtiment était pourtant bien chauffé, à l'exception de cette petite salle derrière la grande permanence. Ca m'apprendra. La prochaine fois - si il y en a une - je ferais attention de prendre une salle chauffée. Ma gorge était serrée et je sentais mes poings se crisper malgré moi. Agustin eut la délicatesse de me relever et de me faire boire par le petit lavabo qui trônait à côté de nous. Le filet d'eau glacée m'arracha un petit cri. Malgré l'acidité atroce qui régnait encore dans ma bouche, j'avalai une gorgée d'eau.

J'étais passé de deux extrêmes en moins de deux minutes. Pendant que Agustin lavait en quatrième vitesse le sol plein de ma bile, je laissai le robinet débiter l'eau tout en pensant à mes actes. J'avais été euphorique et totalement relaxé et d'un seul coup, j'étais à la limite du malaise. Je jetai un coup d'oeil à mes chaussures pour vérifier si elles avaient été épargnées par mes vomissements - et elles l'étaient. A l'exception de ma température et de mon odeur - je devais empester l'alcool, la sueur et le vomi - j'aurais pu passer aux yeux de Figgins pour le même surveillant que hier, d'avant-hier ou demain. Ah, non, pas demain. J'allais me taper une jolie gueule de bois. Sans parler de ce soir. Ca allait être super et en plus, ma soeur allait me poser des questions. J'avais autant à rester au bar, pour noyer une soirée de plus mes problèmes dans l'alcool.

Agustin avait épongé du mieux qu'il pouvait le sol. Il s'était relevé tandis que je restais debout, planté devant le lavabo, fixant le filet d'eau qui s'échappait du robinet. Si ma mère me voyait ! Elle aurait honte. Mais bon, telle mère tel fils. J'appuyai sur le robinet pour couper l'arrivée d'eau. Mes cheveux bouclés gouttaient encore dans le vasque. Au moins l'eau m'avait secoué un peu. Il n'empêchait pas que je ressentais encore l'envie de m'endormir. Mais je balançai la tête de gauche à droite pour me réveiller une fois de plus. J'ôtai mes mains tremblantes du lavabo et me retournai, face à Agustin. Le pauvre. Il n'avait pas mérité cela. Pas devoir éponger mon propre vomi après que je l'aille embrasser. C'était pas terrible, et je m'en voulais atrocement.

-« Au moins je peux confirmer que tu embrasses bien, hein ? » dis-je tout en cherchant frénétiquement quelque chose à dire après cette phrase incongrue.

Je baissai les yeux vers le sol, honteux. Le goût acide dans ma gorge ne voulait pas s'en aller. Je sentais mes veines battre à travers mon poignet et ça en devenait douloureux.

-« Je suis réellement désolé. Je n'aurai pas dû t'emmener ici. » ajoutai-je en détaillant le sol qui soudain devenait idéal. « Si tu pouvais éviter d'en parler... autour de toi... Ca serait sympa. » lancai-je avec une grimace théâtrale. « Je suis pas en l'état de m'expliquer comme tu peux le constater, alors... Quand j'aurais décuvé... Tu pourrais venir au bar/karaoké ? »

Je me sentais réellement mal en voyant Klaus comme ça. Si il lui arrivait quoi que ce fusse, je me sentirais responsable. Je le regardai boire de l'eau, il semblait sur le point d'exploser de chaud. C'était bien la seule chose que je pouvais faire.

Ayant achevé ma tache ménagère, je restai debout à le regarder. Il allait très légèrement mieux. Ce qu'il trouva à dire me laissa échapper une esquisse de sourire. On me le disait souvent certes, mais l'entendre de la bouche d'un surveillant particulièrement sexy, et surtout ivre, me réjouissait. Je ne répondis pas, désireux de savoir ce qu'il avait d'autre à dire, et surtout conscient que, quoi qu'il dise, il n'en était pas moins bourré.

Lorsqu'il parla de nouveau, je répondis rapidement, pressé d'achever cette discussion pour en commencer une autre avec lui quand il serait sobre.

Ne t'en fais pas, je ne dirai rien.

De toute façon, je ne voyais vraiment pas ce que j'aurais gagné à faire la balance auprès de l'administration.

Ca me ferait très plaisir de reparler avec toi... Sobre. Le bar/karaoké ? Pas de problème, demain soir ?